(tome 1p. 363-384).
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1823.


À Monsieur Trébuchet.


Paris, 8 janvier 1823.
Mon cher oncle.

Si l’affreuse catastrophe qui vient de nous frapper dans notre frère chéri ne m’avait pas déjà excusé d’avance trop cruellement dans votre cœur, je vous demanderais pardon d’avoir tant tardé à vous exprimer tout ce que je sens, tout ce que je désire d’heureux pour vous et pour tous les vôtres. Maintenant que nous sommes deux cœurs à vous aimer, il me semble que je vous aime deux fois plus, ce qui est pourtant bien difficile. Votre et notre Adolphe vient de nous lire la bonne lettre où vous lui parlez tant de nous. Mon Adèle en a été touchée autant que moi, car elle est pénétrée des mêmes sentiments que moi pour le digne frère de notre admirable mère.

Notre pauvre frère Eugène est toujours dans un état bien alarmant, sinon pour sa santé, du moins pour sa raison. La guérison sera extrêmement longue. Je ne puis songer à ce déplorable malheur sans rendre grâce au ciel de ce que, puisqu’il nous était réservé, il n’est point arrivé du vivant de ma mère. Du moins cette inconsolable affliction lui a été épargnée et elle m’a été donnée, à moi, dans un moment où il fallait que quelque grande catastrophe vînt servir de contrepoids à mon bonheur : car autrement j’aurais été plus heureux qu’il n’appartient à l’homme.

J’ai vu avec un attendrissement profond les offres de service que vous voulez bien nous faire en cette triste conjoncture. Croyez à notre bien sincère reconnaissance. Les frais de cette maladie sont énormes à la vérités mais mon père s’en charge, et ce que nous aurons à faire pour notre frère n’est plus au-dessus de nos faibles moyens[1].

Faites des mauvais vers de M. d’Auverney tout ce que vous voudrez, mon excellent oncle, rendez à M. Victor Hugo tous les petits péchés de ce M. d’Auverney : tout ce que vous ferez sera bien fait[2]. Je lirai votre Lycée avec autant de plaisir que de curiosité, car je suis bien sûr qu’il vaudra mieux que tous nos recueils littéraires de Paris.

Je viens de publier ma deuxième édition, mon libraire s’est chargé de vous la faire parvenir. Serez-vous assez bon pour m’informer de son exactitude ? Adolphe me dit que vous êtes embarrassé de régler avec Pélicier ou avec[3]                pour le petit compte de M. Mellinet[4]. Comme j’ai arrêté mon règlement avec Pélicier[5], je prie M. Mellinet de vouloir bien compter avec moi. Ma décharge lui suffira.

Mille pardons, mon cher oncle, de tous ces détails fastidieux.

Je vous enverrai bientôt quatre volumes de prose[6]. En attendant, recevez ainsi que votre aimable famille, tous les souhaits bien ardents que fait pour votre bonheur éternel votre neveu dévoué et respectueux,

Victor.

Ma femme, M. et Mme  Foucher, Abel et notre pauvre malade me chargent de toutes leurs félicitations pour vous à l’occasion de la nouvelle

année[7].
À Monsieur Pinaud.


Paris, 8 janvier 1823.
Monsieur et bien cher confrère.

Ce qu’il y a de plus agréable pour moi dans l’important service que vous venez de me rendre avec tant d’obligeance, c’est qu’il me soit rendu par vous[8]. Depuis longtemps j’ai contracté la douce habitude de vous devoir des reconnaissances, et tout ce qui me reste à désirer, ce serait d’avoir le bonheur de pouvoir aussi vous être quelquefois utile de mon côté. J’ai été bien sensible à l’aimable attention que vous avez eue de m’envoyer votre demande en ma faveur, et bien confus de tout ce que votre amitié vous a inspiré de bienveillant et de glorieux pour le plus indigne de vos confrères.

Je viens de publier la seconde édition, corrigée et augmentée, de mes Odes ; j’ai chargé mon éditeur de vous en envoyer deux exemplaires, l’un que vous voudrez bien, sans doute, avoir la bonté d’accepter de moi, l’autre dont je vous prie de faire hommage en mon nom à l’Académie.

Je suis fondé à croire que le concours des Jeux Floraux sera brillant cette année. Je connais plusieurs des ouvrages qui doivent vous être envoyés, et je vous assure que vos belles couronnes pourront récompenser de beaux volumes.

MM. Soumet et de Rességuier me chargent, mon bien cher confrère, de vous dire en leur nom tout ce que je sens pour vous, c’est-à-dire tout ce que l’estime et l’attachement peuvent inspirer de plus vif, de plus tendre et de plus sincère.

Victor-M. Hugo.

Ma femme vous remercie comme moi de tout ce que votre lettre contient

d’aimable pour elle.
À Monsieur Eugène Hugo,
chez M. le général Hugo, son père, Grande rue du Foix, n° 75, à Blois.


Ce mardi, 5 mari 1823[9].

Ta lettre, mon bon et cher Eugène, nous a causé une bien vive joie[10]. Nous espérons que l’amélioration de ta santé continuera au gré de tous nos désirs, et que tu auras bientôt retrouvé avec le calme de l’esprit cette force et cette vivacité d’imagination que nous admirions dans tes ouvrages.

Dis, répète à tous ceux qui t’entourent combien nous les aimons pour les soins qu’ils te donnent ; dis à papa que le regret d’être éloigné de lui et de toi est rendu moins vif par la douceur de vous savoir ensemble ; dis-lui que son nom est bien souvent prononcé ici comme un mot de bonheur, que les mois qui nous séparent de votre retour vont nous sembler bien longs. Dis-lui pour nous tout ce que ton cœur te dit pour lui, et ce sera bien.

Ton frère et ami,
Victor.

Écris-nous le plus souvent possible.


Mon cher papa[11].
Mon cher papa,

Ton absence nous prive d’une des joies les plus vives que nous ayons éprouvées dans la félicité de notre union, celle de te voir. Il nous semble que maintenant le mois qui nous donnera un enfant sera bien heureux, surtout parce qu’il nous rendra notre père. Eugène reviendra aussi, et reviendra sûrement content et guéri.

Notre oncle Francis[12] vient de passer quelques jours ici avec sa femme, et c’est ce qui nous a empêchés de t’écrire plus tôt. Nous avons fait connaissance avec notre tante, qui paraît heureuse, et semble spirituelle et aimable. Francis est aussi fort heureux ; il a été plein d’affection et de tendresse pour nous, et a bien regretté que tu ne fusses plus à Paris.

Ma femme continue à se porter aussi bien que sa situation le permet. J’ai appris avec peine et joie tout à la fois, que tu avais été souffrant et que tu étais guéri. Nous te prions de féliciter également ta femme sur le rétablissement de sa santé, dont nous parle notre excellent Eugène.

M. Lebarbier[13] m’a écrit : je lui répondrai ; je n’ai rien encore de définitif à lui mander.

On m’avait parlé il y a quelque temps d’une pension de 3 000 francs, qui m’aurait été accordée sur le ministère de l’Intérieur. Je n’en entends plus parler ; si cette bonne nouvelle se confirme, je m’empresserai de te le mander, certain que notre bon père y prendra bien part.

Adieu, cher et excellent papa, tout le monde ici t’aime et t’embrasse, comme ton fils tendre et respectueux,

Victor.
Ce mercredi, 5 mars.

Nos hommages à notre belle-mère[14].


Au général Hugo.


Ce samedi, 15 mars 1823.
Mon cher papa,

Je suis dans un grand embarras ; je m’adresse à toi, sûr que tu me fourniras le moyen d’en sortir.

J’ai entre les mains un billet à ordre de 500 francs sur mon libraire[15] qui devait être acquitté le 11 février dernier. À cette époque, extrêmement gêné par la stagnation du commerce au milieu des bruits de guerre, mon libraire me supplia d’accepter un acompte de 200 francs, et de ne point user de la faculté que me donne la loi de faire protester mon billet, démarche qui eût pu ruiner son crédit. Avec l’assentiment de M. Foucher, auquel devaient être remis les 500 francs, je consentis à cet arrangement, dans l’assurance que le paiement des 300 francs restants aurait lieu dans le mois.

Depuis cette époque, l’embarras du crédit augmentant sans cesse n’a pas permis à mon libraire de retirer son billet. J’ai attendu aussi longtemps que j’ai pu ; mais aujourd’hui M. Foucher étant absolument sans argent j’ai essayé en vain de faire escompter le malheureux billet. Ce qui aurait été facile il y a trois mois est impossible aujourd’hui, la crainte ayant absolument resserré les capitaux. Je ne vois donc plus de recours qu’en toi, mon cher papa, je te prie de m’envoyer le plus tôt possible les 300 francs que mon libraire ne pourra peut-être pas me rembourser d’ici un ou deux mois, mais pour lesquels on n’aura pas moins une garantie suffisante dans le billet de 500 francs qui dort entre mes mains. Si tu n’avais pas cette somme, ne pourrais-tu me la faire avancer par M. Katzenberger. Je ne t’en dis pas davantage, cher papa, j’attends une prompte réponse comme une planche de salut dans l’embarras où nous nous trouvons[16].

Je déposerais le billet entre les mains de M. Katzenberger qui ainsi pourrait être tranquille. Je ne voudrais pas en venir à des poursuites judiciaires contre le pauvre libraire dont je ne suspecte pas la probité.

Adieu, cher et excellent papa, embrasse notre Eugène qui a écrit une lettre extrêmement remarquable à Félix Biscarrat[17] et présente nos respects à notre belle-mère, en lui disant combien nous sommes touchés des soins qu’elle prend de notre frère.

Mon Adèle t’embrasse et moi aussi.

Ton fils soumis et respectueux,
Victor[18].
Ce samedi, 15 mars.


Au général Hugo.


24 mai 1823.
Mon cher papa,

J’ai remis hier à Eugène ta lettre qui l’a touché autant qu’affligé[19] ; sa douleur de ne pouvoir te revoir à Blois n’a été un peu calmée que par l’espérance que je lui ai donnée de te revoir à Paris dans deux mois ; ce temps lui a paru bien long. Je dois te dire aussi, cher papa, que je ne l’ai plus trouvé aussi bien. On a pour les malades chez M. Esquirol des soins infinis, mais ce qui est le plus funeste à Eugène, c’est la solitude et l’oisiveté, auxquelles il est entièrement livré dans cette maison. Quelques mots qui lui sont échappés m’ont montré que dans l’incandescence de sa tête il prenait cette prison en horreur ; il m’a dit à voix basse qu’on y assassinait des femmes dans les souterrains et qu’il avait entendu leurs cris. Tu vois, cher papa, que ce séjour lui est plus pernicieux qu’utile.

D’un autre côté, la pension (dont M. Esquirol doit t’informer) est énorme ; elle est de 400 francs par mois. D’ailleurs le docteur Fleury pense que la promenade et l’exercice sont absolument nécessaires au malade. Je te transmets tous ces détails, mon cher papa, sans te donner d’avis. Tu sais mieux que moi ce qu’il faut faire ; je crois néanmoins devoir te dire qu’il existe, m’a-t-on assuré, des maisons du même genre où les malades ne sont pas moins bien que là, et paient moins cher.

Il paraît qu’on n’a point assez caché à Eugène qu’il fût parmi des fous ; aussi est-il très affecté de cette idée, que j’ai néanmoins combattue hier avec succès.

Je t’écris à la hâte, bon et cher papa, au milieu de tous les ennuis que me donne la banqueroute de mon libraire ; garde-toi un peu, pour la vente de tes Mémoires, de l’extrême confiance de notre bon Abel ; c’est lui qui m’a, bien involontairement il est vrai, poussé dans cette galère.

Adieu, cher et excellent papa, nous t’embrassons tous ici bien tendrement.

Ton fils dévoué et respectueux,
Victor.

Nos hommages à ta femme, dont nous attendons des nouvelles[20].


À Monsieur Pinaud.


Gentilly, 9 juin 1823.
Monsieur et bien cher confrère,

Notre excellent Jules de Rességuier m’a montré votre lettre, et tout ce qu’elle contient de tendre et d’aimable pour moi m’a vivement touché. Je n’ai pas été moins sensible au sentiment qui vous a inspiré de prononcer mon nom dans votre mémorable séance ; vous avez voulu que quelque chose de l’éclat ajouté par une auguste spectatrice[21] à l’antique fête des fleurs rejaillît jusque sur moi. Je vous en remercie. Vous avez encore plus touché mon cœur que flatté mon orgueil.

Mandez-moi, de grâce, si vous avez reçu la seconde édition de mes Odes, ainsi qu’un autre mauvais ouvrage en quatre volumes, intitulé Han d’Islande'. J’avais chargé, il y a bien longtemps, mon ancien libraire Persan de vous adresser ces ouvrages que j’envoyais également à l’Académie. Cet homme a fait banqueroute depuis, et ayant découvert plusieurs omissions dans les commissions dont je l’avais chargé, je voudrais m’assurer qu’il ne vous a pas compris au nombre de ses oublis intéressés.

Adieu, monsieur et excellent confrère ; ma femme, qui avance heureusement dans sa grossesse, partage les sentiments profonds d’amitié sincère que vous porte votre très humble serviteur et indigne confrère

Victor-M. Hugo.


Au général Hugo.


Gentiily, 27 juin 1823.
Mon cher papa.

Eugène, après un séjour de quelques semaines au Val-de-Grâce, vient d’être transféré à Saint-Maurice, maison dépendant de l’hospice de Charenton, dirigée par M. le docteur Royer-Collard[22]. La translation et le traitement ont lieu aux frais du gouvernement ; il te sera néanmoins facile d’améliorer sa position moyennant une pension plus ou moins modique ; on nous assure que cet usage est généralement suivi pour les malades d’un certain rang. Au reste, le docteur Fleury a dû écrire à l’un de ses amis qui sera chargé d’Eugène dans cette maison, et M. Girard, directeur de l’École vétérinaire d’Alfort, a promis à M. Foucher, qui le connaît très particulièrement, de recommander également les soins les plus empressés pour notre pauvre et cher malade, et d’en faire son affaire. M. Foucher, Abel ou moi, comptons t’écrire incessamment de nouveaux détails sur ces objets, ainsi que sur la santé toujours douloureusement affectée de notre infortuné frère. Les souffrances de mon Adèle, qui augmentent à mesure que son terme approche, ne m’ont point encore permis d’aller le voir dans son nouveau domicile ; je ne puis donc t’en donner des nouvelles aussi fraîches que je le désirerais. Au reste, l’état de sa raison, comme j’ai eu l’occasion de l’observer dans mes fréquentes visites chez le docteur Esquirol et au Val-de-Grâce, ne subit que des variations insensibles ; toujours dominé d’une idée funeste, celle d’un danger imminent, tous ses discours, comme tous ses mouvements, comme tous ses regards, trahissent cette invincible préoccupation, et je crains que les moyens dont la société use envers les malades, la captivité et l’oisiveté, ne fassent qu’alimenter une mélancolie dont le seul remède, ce me semble, serait le mouvement et la distraction. Ce qu’il y a de cruel, c’est que l’exécution de ce remède est à peu près impossible, parce qu’elle est dangereuse.

Je t’envoie ci-inclus une lettre de M. Esquirol qui n’éclaircit rien, et n’ajoute rien à mes idées personnelles, à mes observations particulières sur notre Eugène ; je crois t’avoir déjà écrit la plupart de ce qu’écrit le docteur, auquel j’avais exposé tous les faits qu’il présente ; il est vrai que le malade a fait chez lui un bien court séjour, mais je pense que cette maison lui était plus nuisible qu’utile. M. Katzenberger a envoyé chez M. Foucher les 400 francs que demande le docteur Esquirol pour un mois de pension, et M. Foucher a prévenu le docteur qu’ils sont à sa disposition.

Je suis heureux, cher papa, de reposer tes idées sur des sujets moins tristes en t’entretenant aujourd’hui de l’heureux événement, qui doit en amener un autre également heureux pout nous, ton retour.

Ma bien-aimée Adèle accouche dans cinq semaines environ. Viens le plus tôt qu’il te sera commode. Il me sera bien doux que mon enfant reçoive de toi son nom, et c’est pour moi un sujet de joie immense de penser qu’il m’était réservé, à moi le plus jeune de tes fils, de te donner le premier le titre de grand-père. J’aime cet enfant d’avance, parce qu’il sera un lien de plus entre mon père et moi.

Je te remercie de la proposition que tu me fais relativement à M. de Chateaubriand, mais la position intérieure du ministère rend particulièrement délicates les communications actuelles entre MM. de Chateaubriand et de Corbière[23] ; tu comprendras ce que je ne peux dire ici qu’à demi-mot.

Au reste les espérances dont on me berce depuis si longtemps ont acquis depuis deux jours un caractère assez positif. Si elles se réalisaient enfin, je m’empresserais de t’en faire part. Quant aux biens d’Espagne, je ne doute pas qu’une réclamation de toi en fût parfaitement accueillie, et je la présenterai moi-même au ministre des Affaires étrangères ; seulement j’appréhende que la décision de cette affaire ne dépende moins de mon illustre ami que de M. de Martignac[24] qui est l’homme de M. de Villèle[25]. Adieu, bon et cher papa, notre Adèle désire que je lui cède le reste de ce papier ; j’avais pourtant encore bien des choses à te dire, mais il faut obéir à une prière si naturelle, et me borner à t’embrasser avec autant de tendresse que de respect.

Ton fils,
Victor[26].


Au général Hugo.


Ce 1er juillet 1823.
Mon cher papa,

C’est mon bon petit cousin Adolphe Trébucher qui te remettra cette lettre, où tu trouveras le reçu de M. Esquirol. Nous n’avons pas encore pu voir notre pauvre Eugène à Saint-Maurice ; il faut une permission, et il est assez difficile de l’obtenir. Abel a, du reste, obtenu, en attendant, de ses nouvelles qui sont loin malheureusement d’être satisfaisantes ; il est toujours plongé dans la même mélancolie ; il a pendant quelque temps refusé toute nourriture ; mais enfin la nature a parlé, il a consenti à manger. Le traitement qu’il subit n’exige pas encore, à ce qu’il paraît, un supplément de pension ; quand cela sera nécessaire, on nous en avertira.

Ces détails me navrent, cher papa, et il me faut toute la joie de ton prochain retour pour ne pas me livrer en ce moment au désespoir.

M. Foucher et Abel vont bientôt t’écrire. Moi-même je me hâterai de te transmettre tout ce que l’état de notre cher malade offrira de nouveau.

Adieu, cher papa ; il est inutile de te recommander cet Adolphe que nous aimons tous comme un frère ; je crois qu’il désire vivement voir Chambord, et ce sera pour lui, comme pour toi, une joie de passer quelques jours à Blois si l’urgence de son voyage le lui permet.

Je t’embrasse tendrement pour moi et mon Adèle ; présente nos hommages empressés à notre belle-mère qui, nous l’espérons, est rétablie.

Ton fils soumis et respectueux,
V.-M. H[27].
Au général Hugo.


24 juillet 1823.
Mon cher papa,

Si je ne t’ai point encore annoncé moi-même l’événement qui te donne un être de plus à aimer, c’est que j’ai voulu épargner à ton cœur de père les inquiétudes, les anxiétés, les angoisses qui m’ont tourmenté depuis huit jours. La couche de ma femme a été très laborieuse ; les suites jusqu’à ce jour ont été douloureuses ; l’enfant est venu au monde presque mourant ; il est resté fort délicat ; le lait de la mère, affaibli par la grande quantité d’eau dont elle était incommodée, et échauffé par les souffrances de la grossesse et de l’enfantement, n’a pu convenir à une créature aussi faible. Nous avons été contraints, après des essais qui ont presque mis ton petit-fils en danger, de songer à le faire nourrir par une étrangère. Tu ne peux te figurer combien j’ai eu de peine à y déterminer mon Adèle, qui se faisait une si grande joie des fatigues de l’allaitement. Ce qui a pu seulement l’y décider, ce n’est pas le péril que sa propre santé eût couru réellement, mais celui qui eût menacé l’enfant ; elle a donc sacrifié courageusement à l’intérêt de son fils son droit de mère, et nous avons mis l’enfant en nourrice. Nous avons été assez heureux pour trouver dans ce cas urgent une fort belle nourrice habitant notre quartier, et, quoique ces femmes soient fort chères à Paris, l’instante nécessité et la facilité d’avoir à chaque moment des nouvelles de ton Léopold m’ont fait accepter cette charge avec joie.

Maintenant enfin, après tant d’inquiétudes et d’indécisions, je puis te donner de bonnes nouvelles. Mon Adèle bien-aimée se rétablit à vue d’œil : nous avons l’espoir que le lait sera bientôt passé ; l’enfant, fortifié par une nourriture saine et abondante, va très bien et promet de devenir un jour grand-père comme toi.

Tu vois, bon et cher papa, que je t’ai dérobé ta part dans des anxiétés que tu aurais certainement ressenties aussi cruellement que moi. Voilà la cause d’un silence que tu approuveras peut-être après l’avoir blâmé. Ta joie à présent peut être sans mélange comme la nôtre, qui s’accroît encore bien vivement par l’idée de te serrer bientôt dans nos bras.

Adieu, notre excellent père. Viens vite, remercie-moi, je t’ai donné il y a neuf mois une fille qui t’aimera comme moi ; nous te donnons maintenant un fils qui t’aimera comme nous. Et qu’y a-t-il de consolant dans la vie, si ce n’est le lien d’amour qui joint les parents aux enfants ?

Ton fils soumis et respectueux,
Victor.

Embrasse bien pour nous notre belle-mère, que nous attendons avec toi.

Depuis quinze jours que je suis garde-malade, je n’ai pu m’occuper de notre cher Eugène, comme je l’aurais voulu ; mais tu vas venir ; puis-je ne pas voir son avenir sous des couleurs moins sombres[28] ?


Au général Hugo.


27 juillet 1823.
Mon cher papa,

Je me félicitais de n’avoir plus que d’excellentes nouvelles à te mander, lorsqu’un événement imprévu m’oblige à recourir à tes conseils et à ton assistance ; la nourrice à laquelle il a fallu confier notre enfant ne peut nous convenir. Cette femme nous trompe : elle paraît être d’un caractère méchant et faux ; elle a abusé de la nécessité où nous étions de placer cet enfant ; nous l’avons d’abord crue bonne et douce ; maintenant nous n’avons que trop de raisons pour lui retirer notre pauvre petit Léopold le plus vite possible. Nous désirerions donc, mon Adèle et moi, après avoir pris la résolution de le retirer à cette femme, que tu nous rendes le service de lui trouver, à Blois ou dans les environs, une nourrice dont le lait n’ait pas plus de quatre ou cinq mois, et dont la vie et le caractère présentent des garanties suffisantes ; d’ailleurs nous serions tous deux tranquilles, sachant notre Léopold sous tes yeux et sous ceux de ta femme. C’est ce qui nous a décidés à le placer à Blois plutôt que partout ailleurs.

Il est inutile, cher et excellent père, de te recommander une prompte réponse ; la santé de ton petit-fils pourrait être altérée du moindre retard. Je ne te demande pas pardon de tous les soins que nous te donnons ; je sais qu’ils sont doux à ton cœur bon et paternel.

Adieu, cher papa, Eugène va mieux physiquement ; tout le monde ici t’embrasse aussi tendrement que ton fils t’aime. Hâte ton arrivée, réponds-moi vite, et crois à mon amour aussi respectueux qu’inaltérable.

Victor.

Je te fais envoyer la Muse française, recueil littéraire à la rédaction duquel je participe. Je te remettrai à Paris la 2e édition de Han d’Islande.

Il est urgent que la nourrice que tu aurais la bonté de nous procurer, s’il est possible, ait promptement l’enfant, que je ne vois pas sans inquiétude entre les mains de cette femme. Tâche de l’amener avec toi, et en tous cas réponds-moi courrier par courrier, car mon Adèle est très inquiète et n’a plus d’espérance qu’en toi qu’elle sait si bon, et qu’elle aime tant[29].


Au général Hugo.


3 août [1823].
Mon cher papa.

Pour pouvoir t’exprimer ici la joie et la reconnaissance dont nous pénètre ta lettre, il faudrait qu’il fût possible en même temps de dire tout ce qu’il y a de sentiments tendres et de touchante bonté dans ton cœur paternel. Ainsi tu veux entrer plus encore que moi dans mes devoirs de père, et en effet le premier sourire comme le premier regard de ce pauvre petit Léopold te sera dû. Je voudrais épancher ici tout ce que ta fille et moi ressentons d’amour pour toi, mon excellent père ; mais il faudrait répéter tout ce qui remplit nos entretiens depuis deux jours, et je me borne à ce qui n’excède pas les limites de ce papier.

À la réception de ta lettre, mon cœur était trop plein, et je voulais te répondre sur-le-champ, mais ton avis sage l’a emporté sur mon impatience, et j’ai attendu que ce que tu avais si bien préparé fût exécuté pour pouvoir, en t’exprimant notre vive reconnaissance, te donner en même temps des nouvelles de ton Léopold, de la nourrice et de mon Adèle.

Ta nourrice est arrivée hier matin bien portante et gaie ; elle nous a remis ta lettre, et tes instructions ont été suivies de tout point. Tout le monde a été enchanté d’elle et de son nourrisson. Nous avons dans la même matinée retiré ton pauvre enfant de chez sa marâtre, et il a parfaitement commencé toutes ses fonctions ; je ne sais si c’est illusion paternelle, mais nous le trouvons déjà mieux ce matin.

Adieu, bon et bien cher papa, exprime, de grâce, à ta femme toute notre vive et sincère gratitude ; il nous tarde de la lui exprimer nous-mêmes, et nous t’embrassons tendrement en attendant cet heureux jour.

Ton fils reconnaissant et respectueux,
Victor.

Tu trouveras inclus le mot que je te prie de communiquer au père nourricier. Adieu, adieu.

La santé d’Eugène continue de se soutenir physiquement, mais il est toujours d’une malpropreté désolante. Le Val-de-Grâce n’a envoyé avec lui à Charenton qu’une partie de son linge ; nous nous occupons de rassembler le reste pour le lui faire porter. Ce qui me contrarie vivement, c’est l’extrême difficulté de voir notre pauvre frère à Saint-Maurice[30].


Au général Hugo.


MINISTÈRE DE LA GUERRE.
6 août 1823
Mon cher papa,

Ta lettre m’a causé un véritable chagrin ; et il me tarde que tu aies celle-ci pour m’en sentir un peu soulagé[31]. Comment donc as-tu pu supposer un seul instant que tout mon cœur ne fût pas plein de reconnaissance pour les bontés dont ta femme a comblé notre Eugène et notre Léopold ? Il faudrait que je ne fusse ni frère ni père pour ne pas sentir le prix de ce qu’elle a fait pour eux, cher papa, et, par conséquent, pour moi. Si c’est à toi principalement que se sont adressés mes remerciements, c’est que notre père est pour nous la source de tout amour et de toute tendresse ; c’est que j’ai pensé qu’il te serait doux de reporter à ta femme l’hommage tendre et profond de ma gratitude filiale, et que, dans ta bouche, cet hommage même aurait bien plus de prix que dans la mienne.

Je t’en supplie, mon cher, mon bon père, ne m’afflige plus ainsi ; je suis bien sûr que ce n’est pas ta femme qui aura pu me supposer ingrat et croire que je n’étais pas sincèrement touché de tous ses soins pour ton Léopold ; et comment, grand Dieu, ne serais-je pas vivement attendri de cette bienveillante sollicitude qui a peut-être sauvé mon enfant ? Cher papa, je te le répète, hâte-toi de réparer la peine que tu m’as si injustement causée au milieu de tant de joie, et qui m’a paru bien plus cruelle encore dans un moment où mon âme s’ouvrait avec tant de confiance à toutes les tendresses et à toutes les félicités.

Adieu, je ne veux pas insister davantage sur une explication que ton cœur et le mien trouvent déjà trop longue et dont le chagrin ne sera entièrement effacé pour moi que dans le bonheur de te revoir bientôt ici, ainsi que ta femme.

Tout continue à aller ici de mieux en mieux, mère, enfant, nourrice. Cette dernière continue à se porter parfaitement et gaiement. La lettre de son mari lui a fait grand plaisir, elle me charge de le lui mander, ainsi que toutes les amitiés du monde.

Je compte, maintenant que j’ai quelque répit, aller voir notre pauvre Eugène et lui porter le reste de ses effets demain jeudi. Il continue aussi, du reste, à aller un peu mieux.

Ainsi, cher et excellent père, que nous te revoyions bientôt, et rien ne manquera à nos joies. Réponds-moi promptement, de grâce, et viens, si tu le peux, plus promptement encore. Tout le monde ici t’embrasse tendrement ainsi que la grand’maman de Léopold qui voudra bien sans doute être ma panégyriste et mon avocat auprès de toi, puisque tu ne veux pas être mon interprète près d’elle.

Ton fils dévoué et respectueux,
Victor.

Mon Adèle me charge de mille tendresses pour toi et pour ta femme. Abel se joint à nous ; il se porte toujours bien et t’attend impatiemment[32].


À Adolphe Trébuchet, Nantes.


22 août 1823.

Depuis longtemps, mon cher Adolphe, je me proposais de t’écrire, mais après les soins de la paternité sont venus les embarras du baptême. L’état maladif de ma femme ne lui ayant pas permis le bonheur de nourrir son enfant, nous avons été obligés de le mettre en nourrice ; nous l’avions d’abord placé près de nous, mais la nourrice parisienne à qui nous l’avions confié, parce qu’elle remplissait toutes les conditions physiques nécessaires, ne remplissait malheureusement pas toutes les conditions morales. Il a donc fallu lui retirer l’enfant ; et mon père, auquel nous nous sommes adressés, nous a envoyé de Blois une superbe nourrice qu’il remmènera avec lui à son retour de Paris et qui allaitera l’enfant chez lui, où elle sera logée, payée et nourrie avec toute la famille. Mon père, en cette circonstance, s’est montré pour nous vraiment père. Il n’était pas encore à Paris, mon cher Adolphe, quand nous avons reçu ta lettre pour lui ; nous la lui avons remise dès son arrivée, et il m’a chargé de te dire combien il y a été sensible et avec quel plaisir il te verra passer plusieurs jours chez lui à ton prochain retour.

Comme l’un des fondateurs de la Muse française[33], deux abonnements étaient à ma disposition ; j’ai donné l’un à mon père, l’autre au tien, qui est aussi le mien. Marque-moi s’il a reçu les deux premières livraisons du recueil que j’ai donné ordre de lui envoyer. J’ai eu le malheur d’égarer, lors de notre déménagement de Gentilly, la lettre où tu m’indiquais par quelle voie je pourrais vous faire parvenir la deuxième édition de Han. Serais-tu assez bon pour me donner de nouveau cette adresse ? je joindrai à l’envoi un certain nombre de prospectus de la Muse que je te prierai de faire distribuer à Nantes. Ce recueil rédigé par l’élite de la jeune littérature, Guiraud, Lamartine, Soumet, etc., obtient un succès étonnant. Les frais sont déjà plus que couverts, et l’éditeur compte avoir 1 500 souscripteurs avant six mois. Te serait-il, possible de me faire envoyer le numéro du Lycée armoricain, où je voudrais lire de tes articles ; je n’ai rien reçu que la livraison d’août.

Adieu, mon bon Adolphe ; mon père, ma femme, Abel et toute la famille Foucher t’embrassent et t’aiment comme moi.

Victor.

La santé physique d’Eugène est toujours bonne, mais sa santé morale... Cependant le docteur Royer-Collard, médecin en chef de Charenton, n’a pas perdu tout espoir de ramener ce cher malade à la raison[34].


À Monsieur le comte Jules de Rességuier, à Toulouse.


Paris, 6 septembre 1823.

Faut-il croire à ce bonheur ? vous allez venir à Paris et je n’en sais rien par vous !... Écrivez-moi du moins, Jules, pour me confirmer cette bonne nouvelle, je l’ai déjà donnée à Soumet comme certaine. J’ai de la crédulité pour ce qui me fait plaisir. Cependant je ne crois pas à toute votre aimable lettre ; j’ai vu avec joie qu’elle était pleine de louanges, parce que toute cette louange est de l’amitié. Il y a dans cette lettre un épanchement qui m’a bien touché. Vous m’y parlez d’un ange que notre Alexandre m’avait déjà fait connaître, d’un ange qui vous aime et que j’aime de vous aimer.

Soumet va être joué presque à la fois aux deux théâtres, c’est-à-dire qu’il va obtenir deux triomphes, il a fait à son chef-d’œuvre, Saül, de très beaux changements. Vous verrez ! je vous promets que vous serez aussi heureux de la beauté de l’ouvrage que de la gloire de l’auteur. Saül et Clytemnestre sont à mes yeux les deux plus belles tragédies de l’époque et ne le cèdent en rien aux chefs-d’œuvre de notre scène, en rien.

Adieu, cher et excellent ami ; Soumet a été charmé de votre mot. Au reste, il va vous écrire et vous dira tout cela beaucoup mieux que moi. Moi, je ne sais que vous dire combien je vous aime et comme je vous embrasse. Présentez mes respects à Mme  de Rességuier. — Si cette lettre pouvait ne plus vous trouver là-bas !…

Victor.


Au général Hugo.


13 septembre 1823.
Mon cher papa.

Ta bonne et précieuse lettre pouvait seule nous consoler du départ de notre père et de notre fils[35]. Les tendres soins que ta femme a prodigués durant la route à son pauvre petit-fils nous ont attendris et touchés profondément. Chaque jour nous prouve de plus en plus qu’elle a pour nous ton cœur, et c’est un témoignage qu’il m’est bien doux de lui rendre.

Mon Adèle depuis ton départ n’est pas sortie ; il lui est venu au pied un petit bobo fort incommode qui l’empêche de marcher et la fait même par intervalles assez vivement souffrir. Elle supporte ce nouvel ennui avec l’égalité d’humeur que tu lui connais, mais moi j’en suis bien attristé pour elle.

Je reçois à l’instant une lettre du colonel[36] qui me charge des plus tendres amitiés pour toi et je t’en envoie sous ce couvert une autre du major[37].

Malgré tout mon désir de prolonger cette lettre, il faut la terminer ici ; ma femme qui a beaucoup de choses à dire à la tienne me demande le reste de mon papier. J’espère que Léopold continue à se bien porter. Présente mes affectueux hommages à sa grand’mère ; embrasse pour moi son oncle Paul[38] et dis-moi si depuis son voyage ses yeux se sont agrandis à force de s’ouvrir. Abel et moi t’embrassons tendrement.

Ton fils dévoué et respectueux,
Victor.

Je tâcherai de te donner des nouvelles de notre Eugène dans ma prochaine lettre.

Le cachet de cuivre dont tu verras l’empreinte sur cette lettre, est terminé. Il est fort beau. Celui d’acier, qui demande plus de temps, me sera bientôt remis par le graveur. Il ne veut pas faire l’écusson colorié à moins de 12 francs. J’attends tes instructions à cet égard. Marque-moi de même par quelle voie il faudra t’envoyer le cachet d’acier. Adieu encore, bon et cher papa[39].


Au général Hugo.


4 octobre 1813.

Mon cher et bon papa, il y a trop longtemps que je ne me suis entretenu avec toi pour ne pas sentir le besoin de te témoigner aussi moi-même[40] combien je suis profondément touché de toutes les bontés dont notre Léopold est comblé par toi et par son excellente grand’maman. La première lettre que je puis écrire avec ma main convalescente doit être pour toi, cher papa. J’ignore comment je pourrai te rendre tous les sentiments de reconnaissance et de tendresse que je voudrais t’exprimer, mais cette impuissance même fait mon bonheur. Puisse un jour ton petit-fils, digne de toi, te payer ainsi que la seconde mère qu’il a trouvée en ta femme, par tout ce que l’amour filial a de plus tendre et de plus dévoué. Voilà des sentiments qu’il me sera aisé de lui inspirer. Nous espérons que ce pauvre petit chevreau[41] continue à se bien trouver de son nouveau régime. Paul[42] nous a dit tous les soins et toutes les caresses que tu lui prodigues ainsi que sa grand’mère et toute ta maison ; ce récit a ému Adèle jusqu’aux larmes, c’est te dire l’impression qu’il a produite sur moi.

L’écusson colorié a coûté 14 francs au lieu de 12 à cause d’un passe-partout qui le rend tout à fait digne d’être encadré. Je ne t’ai point encore envoyé le livre que tu me demandes, parce que j’ai pensé que si la dame qui doit venir à Paris veut bien s’en charger, ainsi que du cachet et de l’écusson peint, cela t’épargnera des frais de port. Mande-moi tes instructions définitives à cet égard.

Voici une lettre de Francis qui est pour toi. Ma maudite habitude de ne pas lire les adresses de mes lettres fait que je l’ai décachetée étourdiment. Maintenant j’y prendrai garde puisque le major choisit mon canal pour t’écrire. Ma femme qui est souffrante et qu’on purge désire beaucoup lire tes Mémoires avant tout le monde.

Désir de femme est un feu qui dévore.

J’ai fait prier Ladvocat[43] de m’envoyer les feuilles à mesure qu’elles s’impriment ; écris-lui, si tu en as le temps, pour qu’il presse les envois.

Adieu, bien cher et excellent père ; nous ne voyons Abel que bien rarement, mais je t’embrasse toujours en son nom et au mien.

Ton fils tendre et respectueux,
Victor.

Mes empressés hommages à la grand’maman[44].


Au général Hugo.


13 octobre [1823].
Mon cher papa,

L’impatience d’avoir des nouvelles de son Léopold a porté ma femme à décacheter hier la lettre que tu écrivais à son père. Tu peux juger de sa désolation et de ses inquiétudes.

Pour moi, bon et excellent père, je m’abandonne avec une tendre confiance aux sollicitudes maternelles de ta femme. Dis-lui, répète-lui cent fois que nul être au monde ne sent plus profondément que moi tout ce qu’elle fait pour ce pauvre enfant, qui sera plus encore à elle qu’à moi.

Nous espérons, puisque ta lettre permet encore d’espérer ; nous espérons, puisque ta femme a eu la secourable pensée de s’adresser au ciel ; nous espérons enfin, puisque vous êtes là, vous, ses bons parents, ses protecteurs, ses sauveurs.

Envoie-nous promptement de ses nouvelles, cher papa ; nous espérons, mais nous sommes résignés ; c’est une force qui vient aussi du ciel. Adèle attend ta réponse avec courage ; je ne t’embrasse pas pour elle, elle veut le faire elle-même[45]. Porte l’expression de ma tendre et profonde reconnaissance aux pieds de la grand’maman de ce pauvre petit ange. Je t’embrasse encore une fois avec tendresse et respect.

Victor[46].


Au général Hugo.


13 octobre [1823].
Cher papa,

Je n’accroîtrai pas ta douleur en te dépeignant la nôtre[47] ; tu as senti tout ce que je sens ; ta femme éprouve tout ce qu’éprouve Adèle. Non, je ne veux pas t’attrister de toute notre afflictions si tu étais ici, excellent père, nous pleurerions ensemble et nous nous consolerions en partageant nos larmes.

Tout le monde est ici plongé dans la stupeur, comme si Léopold, comme si cet enfant né d’hier, cet être maladif et délicat n’était pas mortel. Hélas, il faut remercier Dieu qui a daigné lui épargner les douleurs de la vie. Il est des moments où elles sont bien cruelles. Notre Léopold est un ange aujourd’hui, cher papa, nous le prierons pour nous, pour toi, pour sa seconde mère, pour tous ceux qui l’ont aimé pendant sa courte apparition sur la terre.

Il ne faut pas croire que Dieu n’ait pas eu son dessein en nous envoyant ce petit ange, sitôt rappelé à lui. Il a voulu que Léopold fût un lien de plus entre vous, tendres parents, et nous, enfants dévoués. Mon Adèle au milieu de ses sanglots me répétait hier que l’une de ses douleurs les plus vives était de penser à celles que toi et ton excellente femme avez éprouvées.

Ce n’est pas à ta lettre que je réponds ; j’ai appris la fatale nouvelle de Mme  Foucher. Dans le premier moment, elle avait caché les deux lettres, de peur qu’Adèle ne les lût ; elle n’a pu les retrouver depuis. Du reste, elle m’a dit tout votre chagrin, toutes vos tendres et pieuses intentions pour que la trace de ce cher petit ne s’efface pas plus sur la terre qu’elle ne s’effacera dans nos cœurs.

Adieu, bon et cher papa, console-toi de mon malheur.

C’était hier (12 octobre) l’anniversaire de notre mariage. Le bon Dieu nous a donné une consolation en nous ramenant ce doux souvenir de joie au milieu d’une si vive douleur. Adieu encore, ma femme et moi avons le cœur plein de tendresse pour vous deux.

Ton fils résigné et respectueux,

Victor[48].


Au général Hugo.


Samedi, novembre [1813].
Mon cher papa,

Je t’écris à la hâte quelques mots ; M. de Féraudy[49] attend ma lettre et le paquet ; ma femme se dépêche de terminer le dessin qu’elle envoie à ses bons parents de Blois ; j’espère que tu en seras content, et je me tais, parce que je craindrais, en louant le talent de mon Adèle, de paraître vouloir rehausser son présent. Nous aurions bien voulu t’envoyer ceci encadré ; mais M. de Féraudy nous ayant fait quelques observations sur les difficultés du transport, tu sens qu’une délicatesse impérieuse nous a interdit de t’offrir ce beau dessin dans toute sa splendeur. Au reste, M. de Féraudy s’est chargé de la commission avec une grâce toute parfaite, et je te prie de lui réitérer à Blois tous nos vifs remerciements.

Il y a bien longtemps, ce me semble, cher papa, que nous n’avons de vos nouvelles. Comment se porte ta femme ? Console-la en notre nom de notre malheur. Je chercherai ce que tu me demandes.

Mon Adèle est toujours bien souffrante. Ce coup n’a pas contribué à la remettre ; cependant elle a éprouvé une grande douceur à faire quelque chose pour toi, mon excellent père, et pour la grand’mère de son Léopold. Elle ne prend pas en ce moment la plume pour vous parce qu’elle tient encore le crayon. Je ne puis m’empêcher de te dire tout bas que son dessin a fait ici l’admiration de tous ceux qui l’ont vu[50].

Ce bon Adolphe est peut-être à Blois en ce moment ; embrasse-le pour nous, en attendant que je l’embrasse pour toi. Adieu, bon et cher papa ; nous t’embrassons bien tendrement.

Il faut fermer ma lettre. M. de Féraudy m’attend. Une ligne de plus serait une indiscrétion. Nos respects à ta femme.


À Monsieur le général Hugo, à Blois[52].


16 décembre [1823].
Mon cher papa,

Je me fais violence de jour en jour depuis longtemps, parce que je n’aurais pas voulu t’écrire sans te mander quelque nouvelle concernant le ministère des Affaires étrangères et nos biens d’Espagne ; mais l’embarras des fêtes m’a jusqu’ici empêché de voir M. de Ch...[53] comme je l’aurais voulu, et je ne puis résister plus longtemps au besoin de t’exprimer, ainsi qu’à ta femme, notre tendre reconnaissance de toutes tes bontés. Le charmant tableau que nous avons reçu hier si à propos m’a touché plus encore qu’Adèle, s’il est possible, parce que les témoignages de tendresse que vous donnez à ma femme me sont encore plus précieux que ceux qui me concernent. Il est impossible de te dire quelle admiration ce beau travail excite dans la maison.

J’ai lu tes Mémoires, j’aurais voulu les relire, mais Abel ne nous en a encore donné qu’un exemplaire et tout le monde me l’arrache. Ils sont d’un intérêt bien profond pour tes fils, et je ne doute pas qu’il ne soit partagé par tous les lecteurs. Ils paraissent produire ici une vive sensation. La Foudre et la Muse en ont parlé[54], entre autres journaux, et je compte, quand le tome III aura paru, en parler, moi, dans l’Oriflamme[55]. Ce serait un beau moment que celui de l’ivresse générale, pour te faire obtenir le grade de lieutenant général et une haute mission diplomatique. Je te rendrai un compte fidèle de ma conversation avec M. de Ch...

Je viens de vendre 2 000 fr. pour deux ans à Ladvocat un nouveau vol. d’Odes où tu trouveras la tienne[56]. Le marché est bon, mais il ne m’a rien donné comptant. — Quant à la pension que tu veux bien nous faire, cher et excellent papa, nous désirons que tu suives, pour nous la payer, tes aises avant tout[57]. Je vais répondre aux aimables lettres de M. de Féraudy, dis-lui, je te prie, que je vais me hâter de remplir ses intentions. — Adolphe et moi avons déjà écrit à notre Eugène. — Adieu, bien cher papa, embrasse pour nous ta femme et crois à tout mon tendre respect.

Victor[58].


  1. Extrait d’une lettre de M. Trébuchet à son fils Adolphe :
    « Depuis longtemps, je craignais le nouveau malheur dont tu m’entretiens, et dans ma précédente lettre, tu as dû voir quelles étaient mes appréhensions relativement à l’état de mon pauvre neveu. Je voudrais être à Paris pour partager avec toi et ses frères les soins qu’exige sa triste situation. Surtout, faites en sorte qu’il ne manque de rien. Je me trouve fort gêné en ce moment ; néanmoins si ses frères ne pouvaient subvenir à ses dépenses, écris-le-moi, et je vendrai une portion de ma rente sur l’état. »
  2. Dans la même lettre, M. Trébuchet offrait de faire publier dans le Lycée armoricain les vers que Victor Hugo avait signés V. d’Auverney et qui avaient déjà paru dans le Conservateur littéraire.
  3. En brisant le cachet de la lettre, on a déchiré le nom.
  4. Libraire de Nantes.
  5. Éditeur des Odes et Poésies diverses, premier volume de vers de Victor Hugo.
  6. Han d’Islande.
  7. Le Figaro, 22 août 1888.
  8. M. Pinaud avait, selon le désir exprimé par Victor Hugo dans sa lettre du 11 décembre 1822, obtenu pour son jeune confrère l’exemption du service militaire.
  9. Le 5 mars 1823 tombait un mercredi.
  10. Dernière lettre écrite à Victor Hugo par Eugène avant son internement.
  11. Dans la lettre à Eugène était insérée cette lettre.
  12. Le major Francis Juste Hugo, second frère du général.
  13. Libraire-imprimeur de Blois ; le général avait prié Victor Hugo d’intervenir près du chef de la Direction de la Librairie pour faire obtenir à M. Lebarbier le brevet exigé par la loi.
  14. Bibliothèque municipale de Blois.
  15. Persan, éditeur de Han d’Islande.
  16. Le général ne put envoyer à son fils que deux traites de 150 francs chacune. (Lettre du 19 mars publiée dans le livre de Louis Barthou : Le Général Hugo.)
  17. Ancien maître d’études à la pension Decotte et Cordier. Biscarrat, après avoir quitté la pension, était resté en relations très affectueuses avec Victor et Eugène.
  18. Bibliothèque municipale de Blois.
  19. Eugène, après une crise grave survenue pendant son séjour à Blois, avait dû être interné à Paris, dans la maison de santé du docteur Esquirol, le 7 mai 1823.
  20. Bibliothèque municipale de Blois.
  21. La duchesse de Berry.
  22. Médecin-chef de l’hôpital d’aliénés à Charenton.
  23. Ministre de l’Intérieur.
  24. Alors conseiller d’État.
  25. Président du Conseil.
  26. Bibliothèque municipale de Blois.
  27. Idem.
  28. Bibliothèque municipale de Blois.
  29. Bibliothèque municipale de Blois.
  30. Bibliothèque municipale de Blois.
  31. Nous n’avons pu trouver cette lettre.
  32. Bibliothèque municipale de Blois.
  33. La Muse française parut de juillet 1823 à juin 1824.
  34. Le Figaro, 26 mai 1886.
  35. Le général Hugo avait emmené à Blois l’enfant et la nourrice.
  36. Louis Hugo.
  37. Francis Hugo.
  38. Paul Foucher, second frère d’Adèle Hugo, était allé passer quelques jours à Blois.
  39. Bibliothèque municipale de Blois.
  40. Cette lettre fait suite à une lettre d’Adèle à son beau-père.
  41. On avait dû se séparer de la nourrice, et le général avait acheté une chèvre dont le lait nourrissait le petit Léopold.
  42. Paul Foucher.
  43. Éditeur des Mémoires du général Hugo.
  44. Bibliothèque municipale de Blois.
  45. Mme  Victor Hugo joignait une lettre à celle de son mari.
  46. Bibliothèque municipale de Blois.
  47. Le petit Léopold était mort le 9 octobre 1823.
  48. Bibliothèque municipale de Blois.
  49. M. de Faraudy, ami et voisin du général, faisait des vers et avait publié deux volumes de fables.
  50. Était-ce un portrait, fait de souvenir, du petit Léopold ? Une phrase du général peut le faire supposer : « ... Votre joli portrait fait toujours l’admiration des connaisseurs... Ma femme travaille toujours en face ; que de souvenirs pour elle dans ce cher portrait ! » Novembre 1823.
  51. Bibliothèque du château de Blois.
  52. Inédite.
  53. Chateaubriand.
  54. La Foudre, 30 novembre 1813. — La Muse Française, décembre 1823, article de Guiraud.
  55. Nous n’avons pas trouvé cet article dans L’Oriflamme.
  56. À mon père, la Muse Française, septembre 1823, puis les Nouvelles Odes, 1824.
  57. « ... Je vous dois votre mois, mandez-moi si vous le voulez de suite ou si vous voulez en accumuler deux. » Le général Hugo à Adèle, 6 décembre 1825. — Louis Barthou. Le Général Hugo.
  58. Collection Louis Barthou.