(tome 1p. 384-397).
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1824.


Au général Hugo.


Mon cher papa,

Remercie, de grâce, M. de Féraudy de sa trop aimable lettre qui nous a apporté un mot de toi. Dès que j’aurai quelques détails des opérations de l’Académie, je m’empresserai de lui en faire part, et je désire bien vivement qu’ils soient conformes à ses justes espérances.

Il me paraît d’après ton apostille d’ailleurs si pleine de tendresse et de bonté, que tu n’as pas encore reçu mes nouvelles rapsodies. Pourtant le libraire Ladvocat s’était chargé de te faire passer un exemplaire sur vélin, sur lequel j’avais écrit un mot ; mande-moi si tu l’as reçu.

Je t’écris encore aujourd’hui provisoirement entre deux courses indispensables et, je t’assure, fort ennuyeuses. Il n’y a rien pour absorber toute une vie comme la publication d’un méchant livre.

M. de Clerm.-Tonn[1], avec qui j’ai déjeuné avant-hier, m’a chargé de t’écrire que M. le duc d’Angoulême lui a parlé de toi et de tes Mémoires qu’il a lus avec le plus haut intérêt, et qu’il regrettait que tu n’eusses pas été employé dans la dernière guerre d’Espagne.

Je n’oublie pas, cher papa, les dernières commissions dont tu m’as chargé ; ma prochaine lettre t’en annoncera l’accomplissement. Ma femme avance dans sa grossesse sans se porter aussi bien que je le voudrais ; nous ne sommes cependant pas inquiets ; mais tout en m’affligeant, je ne puis m’empêcher d’approuver la défense que lui ont faite les médecins d’aller en voiture. Cela nous prive d’un bien grand bonheur que nous nous promettions pour le printemps ; mais qui, nous l’espérons, n’est que retardé de six mois.

Adieu, cher papa ; nous t’embrassons tendrement mon Adèle et moi, ainsi que ton excellente femme.

Ton fils dévoué et respectueux,

Victor.
Le 27 mars 1824.

Tout le monde ici se porte bien[2].


À Mademoiselle Julie Duvidal de Montferrier[3].


24 juin 1824.

Vos rares et aimables lettres nous causent à tous, mademoiselle, un vif plaisir, et je désire que vous soyez convaincue que personne n’apprécie plus que moi la belle âme et l’excellent cœur qui en dictent les moindres expressions. Je vous retrouve dans vos lettres telle que vous êtes : pleine de générosité, d’imagination et de raison, supérieure aux choses comme aux hommes et rehaussant des qualités déjà si cultivées par ce charme de naturel et de simplicité qu’est la véritable modestie. Permettez-moi d’épancher ici un peu librement ma haute estime pour vous ; mon Adèle vous exprimera mieux que moi notre tendre attachement[4].


Au général Hugo.


Ce 27 juin 1824.
Mon cher papa,

Malgré tous les efforts de M. Foucher et toute la bonne volonté du général de Coëtlosquet[5], nous n’avons pu réussir cette fois. Ta demande était arrivée trop tard ; et le duc d’Angoulême avait depuis quelque temps retenu les inspections générales pour des officiers généraux de l’armée d’Espagne. J’ignore, cher papa, si cet événement est un malheur réel ; ce n’est pas un échec pour tes vieux et glorieux services, puisqu’il est hors de doute que ta demande l’aurait emporté, s’il y eût eu concurrence ; mais les places étaient déjà promises au prince. Il me semble d’ailleurs que cela augmente tes chances pour la promotion de lieutenants-généraux à la Saint-Louis, et qu’avec l’appui de M. de Clermont-Tonnerre (je ne puis plus dire malheureusement : et de M. de Chateaubriand[6]), il sera très possible à cette époque de te faire arriver à ce sommet des dignités militaires où tu devrais être depuis si longtemps parvenu.

Je crois que M. Foucher envisage la chose comme moi ; au reste, il va t’écrire.

Quant à moi, je griffonne à la hâte cette lettre ; mes yeux sont toujours bien faibles et notre emménagement n’est pas encore terminé[7]. Mon Adèle qui se porte toujours bien va t’écrire et te répéter ainsi qu’à ta femme, l’expression de notre filial et respectueux dévoûment.

Victor.

Si mon illustre ami revient aux affaires, nos chances triplent. Nos rapports se sont beaucoup resserrés depuis sa disgrâce ; ils s’étaient fort relâchés pendant sa faveur.

Donne-nous donc vite de tes nouvelles[8].
À Monsieur Z…,
rédacteur au Journal des Débats[9]


[27 juillet 1824.]
Monsieur,

Je vois avec un chagrin véritable que vous m’avez mal compris, pour le fond et pour la forme. Il m’est impossible de me figurer comment vous avez pu voir un ordre d’insertion dans la prière, ce me semble, très polie que contient à cet égard ma réponse à votre article ; et surtout comment vous avez pu trouver une apologie de mes nouvelles Odes dans ce qui n’est qu’une réfutation, peut-être assez mesurée, de votre ingénieux paradoxe sur les classiques et les romantiques.

Vous voulez bien promettre à ces nouvelles Odes l’honneur de les examiner une seconde et dernière fois. Je suis flatté d’être l’objet de tant d’attention de votre part ; mais j’avoue que j’attendais plutôt une réplique à ma réponse qu’un nouvel article sur ces Odes. Je vous abandonne d’avance ces compositions, si vulnérables sous tous les rapports ; mais je crois que lorsque vous aurez très facilement prouvé que mes vers sont mauvais, il vous restera encore à démontrer que votre théorie littéraire sur le classique et le romantique n’est pas erronée ; et c’est là, permettez-moi de vous le dire, monsieur, le véritable point de la question.

Permettez-moi de vous dire encore que je n’adopte point le mot de romantique avant qu’il ait été universellement défini. Mme de Staël lui a donné un fort beau sens et je déclare ne pas lui reconnaître d’autre acception.

Quoi qu’il en soit, je me féliciterai toujours, monsieur, d’avoir fourni au public, fût-ce à mes dépens, l’occasion de lire un nouvel article de vous.

J’ose réclamer encore de votre obligeance l’insertion de cette lettre au Journal des Débats. L’expression d’ordre qui vous est échappée a fait naître mille interprétations dont vous ne voudrez pas me laisser subir le désagrément, et je veux vous laisser le plaisir de réparer vous-même le tort que vous me causez involontairement en déclarant que mes ordres dans cette occasion se sont bornés à l’envoi pur et simple de ma lettre, absolument telle qu’on a pu la lire dans le Journal des Débats — au taux d’insertion près.

V. H.[10]


Monsieur le général comte Hugo, Blois.


Ce 29 juillet [1824].
Mon cher papa.

Tes lettres, toujours si empreintes de tendresse et de bonté, sont un de nos bonheurs. Cependant nous attendons avec impatience le moment où elles seront remplacées par ta présence, plus chère et plus précieuse encore.

Remercie bien ton excellente femme de son attention délicate pour ma fête. Je ne saurais te dire combien j’en ai été touché, ainsi que mon Adèle. Remercie-la encore de l’envoi de beurre qu’elle nous promet ; cela nous sera fort utile cet hiver. Seulement nous désirons qu’elle soigne sa santé et se donne le moins de peine possible.

Louis[11] est ici depuis huit jours, et nous l’avons revu avec grand plaisir. Nous espérons que sa présence ici hâtera la tienne. Le colonel est obligé de repartir pour Tulle dans la première quinzaine de septembre.

Le contre-coup de la chute de mon noble ami a tué la Muse Française. C’est une histoire singulière que je ne puis te conter par lettres. As-tu lu celle que j’ai adressée à ce vieux renard d’Hoffmann[12] ? Je ne sais trop ce qu’il y pourra répondre.

Adieu, cher et excellent père, mon Adèle, qui se porte à merveille, t’embrasse ainsi que ta femme bien tendrement et je m’unis à elle en cela comme en tout.

Ton fils respectueux et dévoué,
Victor.

L’état de notre pauvre et cher Eugène est toujours le même. Cette stagnation est désespérante.

Abel se porte bien[13].
À M. le Rédacteur de la Gazette de France.


10 août 1824.

Monsieur, j’avais envoyé le 31 juillet à M. le Rédacteur du Journal des Débats la lettre ci-jointe. Afin de ne pas prolonger une discussion que je n’avais pourtant point provoquée, je me bornais à relever les principales erreurs matérielles commises à mon égard par M. Z… dans ses deux publications du 26 et du 31 juillet. Je ne croyais point que ces inexactitudes, soit dans les allégations, soit dans les citations, fussent volontaires de la part de M. Z…, et j’étais bien loin de le ranger parmi ceux qui pensent que le meilleur moyen de prouver aux gens qu’ils ont le nez trop court, est de le leur couper. J’attendais donc avec confiance l’insertion de cette lettre au Journal des Débats.

Aujourd’hui, après dix jours d’attente, M. le Rédacteur des Débats me fait savoir qu’il ne peut imprimer ma lettre, M. Z... désirant qu’elle ne paraisse pas. Je ne blâme nullement M. le Rédacteur d’avoir plutôt égard à l’opposition de son collaborateur qu’à mon invitation. C’est M. Z…, qui s’oppose formellement à la publication d’une lettre où l’on relève les erreurs de M. Z…, et j’en veux laisser tout l’honneur à M. Z… Je crains seulement que cette circonstance n’ajoute pas beaucoup à sa réputation, si méritée, d’homme d’esprit.

J’étais loin de supposer à ma lettre toute l’importance qu’y attache M. Z… Tout en regrettant d’être contraint d’occuper encore de moi le public, je ne puis m’empêcher de provoquer son jugement sur les motifs qui ont pu porter un critique distingué à un acte, en apparence, peu digne de lui. Je ne me croyais pas si formidable ; M. Z… me donne de la présomption, et m’expose à répéter le charmant vers de La Fontaine :


Je suis donc un foudre de guerre !

Cette guerre était, ce me semble, bien innocente et bien inoffensive de part et d’autre. Mon adversaire la termine un peu brusquement : je ne m’en plains pas, puisque, comme M. Z… le prouve si bien dans son article du 31 juillet, la politesse et la courtoisie sont romantiques. M. Z… est, à juste titre, partisan de la tolérance, en matières religieuses et politiques : je serais curieux de savoir ce qu’il pense de la tolérance en matière littéraire ?

En publiant ces observations sur la lettre proscrite, vous obligerez, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur

Victor Hugo[14].


À M. le Rédacteur du Journal des Débats.


Paris, 31 juillet 1824[15]
Monsieur,

M. Z… est beaucoup trop modeste : cela est fort embarrassant pour un pauvre auteur, qui a peut-être de bonnes raisons à alléguer, et que l’on condamne au silence, parce qu’il ne les expose pas assez brutalement. J’avais eu l’honneur d’adresser une petite lettre à M. Z… à l’occasion du petit avant-propos dont il avait assaisonné ma réponse, accueillie lundi dernier par le Journal des Débats. Cette lettre contenait, je l’avoue humblement, de nouveaux témoignages de ma profonde et inaltérable estime pour l’esprit, le talent et l’érudition de votre ingénieux collaborateur. Il est vrai qu’à ces justes éloges j’avais mêlé quelques timides observations, qui n’auront sans doute pas paru à M. Z… un correctif suffisant. Je lui faisais remarquer que je devais plutôt attendre de lui une réplique à ma réponse qu’un nouvel article sur mes odes ; je lui abandonnais d’avance ces compositions si vulnérables sous tous les rapports, ajoutant que lorsqu’il aurait très facilement prouvé que mes vers sont mauvais, il lui referait encore à démontrer que sa théorie sur les classiques et les romantiques n’est pas erronée, ce qui pourtant est le véritable point de la question. Je terminais en le priant de vouloir bien expliquer au public de quelle nature était l’ordre d’insertion qu’il affirmait avoir reçu de moi, ordre qui s’était borné à l’envoi pur et simple de ma lettre, absolument telle qu’on l’avait pu lire dans le « Journal des Débats » du 26 juillet. M. Z…, je le répète, n’a point vu dans ces observations un contrepoids suffisant aux louanges qui les accompagnaient. Un sentiment de pudeur littéraire, vraiment exagéré, l’a porté non seulement à refuser, à ma seconde lettre, la publicité que j’osais lui demander, mais encore à garder un silence absolu sur ce sujet, et notamment sur cette expression d’ordre, qui n’est pas le mot propre, et qui, en conséquence des paroles mêmes de M. Z…, me semble une notable excursion de M. Z… dans ce domaine, tout à la fois aride et vaporeux, étroit et illimité, du romantique.

Quoi qu’il en soit, j’ai lu aujourd’hui avec un plaisir que M. Z… est habitué à faire éprouver à tous ses lecteurs le nouvel article qu’il veut bien me consacrer. J’avoue que je suis surpris de l’erreur historique qu’il paraît m’imposer. Il me semble que les siècles littéraires ne se mesurent pas avec la même rigoureuse exactitude que les siècles historiques. Dans l’histoire et pour la chronologie, le dix-septième siècle a commencé le 1er janvier 1600 et a fini le 1er janvier 1700. Dans les lettres, le dix-septième siècle a commencé avec Corneille, Racine, Bossuet, Pascal, Molière, La Fontaine, Boileau, etc., et n’a fini qu’avec ces écrivains illustres, dont plusieurs pourtant ont prolongé leur vie jusque dans le dix-huitième siècle. On peut, ce me semble, dire, en dépit de la chronologie, que Lucain, Sénèque et Pline le Jeune, appartiennent tous trois au deuxième siècle ou à la deuxième époque littéraire de Rome. On pourrait dire encore que J.-B. Rousseau, par la couleur de quelques-unes de ses odes, appartient plutôt au dix-septième siècle qu’au dix-huitième siècle, où il a historiquement vécu. On pourrait même avancer que M. Z…, par la tournure vive et piquante de son esprit, appartient bien plus au siècle de Voltaire qu’au siècle de Bonaparte. Ce n’est cependant pas moi qui me plaindrai de le compter au nombre de nos contemporains.

Malgré la distinction un peu subtile de M. Z…, je persiste à croire qu’on peut être revêtu d’un nuage sans porter une robe de vapeur. D’ailleurs, puisque M. Z... veut absolument des formes et des contours, le mot robe lui présente l’image que la vapeur lui refuse, à ce qu’il paraît.

Mon spirituel adversaire, qui ne veut pas qu’on puisse se vêtir d’une abstraction, ne s’est point expliqué sur le vers de Rousseau :

Un vice complaisant de grâce revêtu.

Je passe rapidement sur ces détails philosophiques, dont je ne sais pas, comme M. Z…, parer l’aridité, et je me borne à lui exprimer tous mes regrets de ce qu’il n’a pas jugé à propos de m’expliquer par quels procédés les romantiques « tirent des corps du monde des idées ». C’était là cependant le fond de son article ; cette pierre d’achoppement était la clef de sa voûte ou, s’il le préfère, le fondement de son édifice.

Voilà où les lecteurs l’attendent encore.

Quant à moi, qui ai déjà reçu plus d’une preuve de l’extrême bienveillance de M. Z…, je le remercie bien sincèrement des nouvelles critiques dont il me met à même de profiter. J’abandonne la discussion au point où elle commence à me devenir personnelle, et, du moment où il n’y a plus que moi d’accusé, je me range le premier pour la condamnation.

Aussi les deux observations par lesquelles je vais terminer ne porteront-elles que sur des faits.

M. Z… présente, comme « un échantillon » de romantisme « beaucoup plus étrange que les robes de vapeur et le vêtement de mystère » la strophe suivante :

Sors-tu de quelque tour qu’habite le Vertige,
Nain bizarre et cruel, qui sur les monts voltige,
Prête aux feux des marais leur errante rougeur,
Rit dans l’air, des grands pins courbe en criant les cimes.
Et chaque soir, rôdant sur les bords des abîmes.
Jette aux vautours du gouffre un pâle voyageur.

M. Z… veut que « cet être puissant qui courbe les cimes des grands pins » soit une chauve-souris, parce que la pièce est adressée à la chauve-souris ; il en conclut que le poëte, parlant au vocatif, devrait dire : « Nain cruel, qui voltiges, qui prêtes, qui ris, qui jettes, etc. ». Voilà certainement un étrange échantillon, non seulement de romantisme, mais encore de la profonde ignorance du « poëte ». Mais pourquoi vouloir précisément me faire dire ce que je n’ai pas dit ? Le Vertige est ici le nominatif de la phrase, et c’est lui qui voltige, qui rit, qui jette, etc. ; et non la chauve-souris. — C’est là, dira M. Z..., une personnification du Vertige bien romantique ! — Soit ; mais est-elle beaucoup plus singulière que les personnifications classiques du Zéphyr et de l’Écho ? En attendant qu’on décide la chose, je prie M. Z… de croire qu’il n’y a point d’incompatibilité absolue entre les écrivains qu’il nomme romantiques et l’orthographe.

Après m’avoir plus d’une fois fait sentir qu’il s’est plu jusqu’ici à couvrir d’un voile les taches les plus considérables de mes odes, après avoir dit qu’il a cité le moins défectueux de ce qui lui a paru condamnable, M. Z…, poussé à bout, termine par la citation d’une strophe qu’il ne paraît même transcrire qu’à regret, c’est celle sur le cauchemar :

Un monstre aux éléments prend vingt formes nouvelles,
Tantôt dans une eau morte il traîne son corps bleu,
Tantôt son rire éclate en rouges étincelles ;

Deux éclairs sont ses yeux, deux flammes sont ses ailes.
Il vole sur un lac de feu.

« Dira-t-on maintenant, ajoute M. Z…, que j’aie choisi, comme l’a pensé M. Victor Hugo, les défauts les plus saillants de ses odes ? N’avais-je pas fait tout le contraire ? Est-il beaucoup de journalistes qui se fussent refusé le plaisir de rire du corps bleu du cauchemar ? »

Or, monsieur, dans un article qui a paru sur mes premières odes, article du reste bien trop indulgent, et dont j’ai conservé la mémoire dans le sens que les latins attachaient au mot memor, dans cet article, dis-je, la strophe ci-dessus était entièrement rapportée, avec ces réflexions du critique : « Se douterait-on qu’il est question ici du cauchemar ! Ajoutons que ce rire en étincelles est une image fort étrange, et que le corps bleu ne peut jamais se trouver dans une ode. » Hé bien ! le journaliste, qui ne se refusait pas le plaisir de rire du corps bleu, et qui faisait ainsi tout le contraire de ce que M. Z… déclare avoir fait, n’était autre que M. Z... (Voyez le Journal des Débats an 17 novembre 1822.) C’est même d’après l’avis bienveillant de ce critique distingué que je corrigeai ce ridicule corps bleu dans la seconde édition de mes odes.

Je m’adresse à vous, monsieur, pour obtenir l’insertion de cette lettre, craignant que la modestie de M. Z… ne lui permît pas d’en réclamer lui-même la publication. Je désire qu’il demeure convaincu et de ma vive gratitude et du plaisir avec lequel j’ai fourni au public l’occasion de lire un nouvel article de lui.

J’ai l’honneur, etc.

Victor Hugo[16].


À Monsieur Villars[17]
membre de l’Académie française.


Le dimanche 14 novembre.

Depuis deux ans, presque toujours absent de Paris, je n’ai pas eu l’occasion de cultiver autant que je l’aurais voulu l’agréable et utile commerce de M. Villars. Je suis enchanté aujourd’hui qu’une circonstance fortuite me ramène vers lui et me mette à même de renouer une connaissance qui m’est si précieuse. M. de Lamartine, mon ami, est un des candidats à la place vacante dans l’Académie française ; et, avant de se présenter chez M. Villars, il a désiré que je le prévinsse. Je lui ai dit que la bienveillance dont M. Villars m’avait donné tant de preuves ne suffirait pas seule pour fixer son choix ; mais je ne doute pas que le mérite éminent et l’admirable talent de M. de Lamartine ne soient des recommandations toutes-puissantes auprès de M. Villars. MM. de Chateaubriand et l’évêque d’Hermopolis[18] s’intéressent vivement à la nomination de M. de Lamartine. M. Villars se plaira sans doute à joindre son suffrage au leur et à aplanir à ce beau talent l’entrée de l’Académie où M. Villars occupe une place si distinguée.

Je serai personnellement heureux et flatté d’avoir attiré son attention sur M. de Lamartine ; et la nomination de ce poëte ajoutera une nouvelle obligation à toutes celles que j’ai déjà à mon ancien et respectable ami M. Villars. J’aurai l’honneur de revenir.

Victor Hugo.


Monsieur le comte François de Neufchâteau,
de l’Académie française.


15 novembre 1824.
Monsieur le comte,

Vous avez peut-être oublié mon nom ; mais moi jamais je n’oublierai la bienveillance avec laquelle vous avez bien voulu accueillir mes premiers essais[19]. C’est de cette bienveillance que j’ose aujourd’hui vous demander une preuve qui, pour ne m’être pas personnelle, ne me sera pas moins chère.

Un fauteuil est vacant à l’Académie française ; je n’ai certes pas la prétention de dicter un choix à un goût aussi sûr que le vôtre : je me permettrai seulement d’appeler votre attention sur un célèbre candidat, qui est mon ami et dont je vous ai vu il y a quelques années admirer les premières poésies ; c’est vous nommer Alphonse de Lamartine.

M. de Lamartine s’empressera d’aller lui-même briguer votre suffrage et je ne doute pas qu’il ne l’obtienne par son seul mérite de votre impartialité si bienveillante et si éclairée ; mais je serais heureux d’avoir été pour quelque chose dans votre favorable détermination. Ce serait, monsieur le comte, ajouter une nouvelle et bien vive reconnaissance à toutes celles que vous doit déjà

Votre très profondément dévoué
Victor Hugo.
À Monsieur le baron d’Eckstein[20].


Ce dimanche, 28 novembre 1824.

Je suis toujours, monsieur le baron, à la piste des articles dont vous daignez parfois enrichir le Drapeau blanc, et je conçois parfaitement qu’ils suffisent pour maintenir ce journal dans un rang élevé dont il ne devrait jamais descendre. Il est vrai qu’il faudrait pour cela que tous les rédacteurs eussent votre haut mérite, et que c’est demander l’impossible. Rien de plus rare que les trois qualités qui vous distinguent si éminemment : le talent, le savoir et la conviction.

Les deux articles que vous m’envoyez[21] montrent avec quelle aisance ingénieuse votre esprit embrasse tous les sujets et se plie à tous les styles. Vos vues sur la poésie populaire sont hautes et profondes. Votre coup d’œil sur nos charlatans de sophisme et de littérature est rapide et perçant. Vous séparez en juge intègre les erreurs des jongleries, vous démêlez le bon grain de l’ivraie ; et c’est une des choses que j’aime en vous. Il y a dans vos pensées la profondeur des allemands et dans votre plaisanterie la grâce des français.

Je m’empresse de communiquer vos excellents articles à Lamartine qui en sera enchanté ; et j’attends avec une vive impatience la communication que vous voulez bien me promettre de votre prochain ouvrage.

Seriez-vous assez bon pour vous rappeler la demande que j’ai eu l’honneur de vous faire pour Mme la marquise de Montferrier et sa fille qui est à Rome et dont vous avez admiré chez moi deux ouvrages ? Voudriez-vous me faire savoir si M. le ministre des Affaires étrangères autorise ces dames à se servir pour leur correspondance du pli de M. l’ambassadeur de Rome, qu’elles ont au reste l’honneur de connaître. J’attendrai sur ce point votre réponse pour la communiquer à Mme de Montferrier.

Adieu, monsieur le baron ; ma femme est infiniment sensible à votre souveni r; elle partage la haute opinion que votre talent m’inspire, et j’espère que vous voudrez bien compter toujours au rang de vos meilleurs amis

Victor Hugo.
Monsieur le comte Alfred de Vigny,
capitaine au 55e régiment d’infanterie, en garnison à Pau.


29 décembre 1824.

Avant que cette année finisse, bon Alfred, je veux lui dérober un moment pour vous, et de force ou de gré je vous écrirai enfin aujourd’hui. J’ignore si ma lettre sera pour vous ce que les vôtres sont pour moi, mais j’y puise du courage, de l’enthousiasme et du talent. Elles me rendent plus grand et meilleur, quand je les reçois et quand je les relis. Votre courant est comme électrique, et mon mérite est de pouvoir quelquefois me mettre de niveau et entrer en équilibre avec vous, surtout pour ce qui tient à la manière de sourire et d’aimer.

Que vôtre dernière lettre était belle ! j’y ai tout vu, votre grande nature et votre beau génie ; ces hautes Pyrénées ont dû vous inspirer de bien admirables vers, et il me tarde d’entendre ce que vous devez faire chaque jour.

Nous, mon ami, nous n’aurons rien à vous offrir en échange, à votre retour. Là-bas, tout vous inspire ; ici, tout nous glace. Que voulez-vous que l’on fasse au milieu de tant de tracasseries politiques et littéraires, de ces insolentes médiocrités, de ces génies poltrons, de l’élection de Droz[22], de l’échec de Lamartine et de Guiraud[23] ? Que voulez-vous que l’on fasse à Paris, entre le Ministère et l’Académie ? Pour moi, je n’éprouve plus, quand je me jette en dehors de ma cellule, qu’indignation et pitié.

Aussi je ne m’y expose guère, je reste chez moi, où je suis heureux, où je berce ma fille[24], où j’ai cet ange qui est ma femme. Toute ma joie est là, rien ne me vient du dehors que quelques marques d’amitié qui me sont bien chères, et parmi lesquelles je compte avant tout les vôtres.

Vous savez combien je vous aime, Alfred. Saluons ensemble cette nouvelle année qui vieillit notre amitié sans vieillir notre cœur. Envoyez-moi quelques-uns des vers que la muse vous dicte, et tâchez de revenir vite les écrire ici, dussiez-vous courir, comme moi, le risque de ne plus être inspiré.

Mais c’est pour vous un danger illusoire ; votre talent résiste à tout, même au chagrin, même à l’ennui. Quant à moi, toutes mes idées s’envolent et je suis tout de suite vaincu quand je vois les passions et les intérêts entrer dans la lice. Les petites blessures me tuent. Je suis, passez-moi l’orgueil de cette comparaison, je suis comme Achille, vulnérable par le talon.

Victor.


  1. Marquis de Clermont-Tonnerre, alors ministre de la Marine.
  2. Bibliothèque municipale de Blois.
  3. Julie Duvidal exposa au Salon, de 1819 à 1827, des tableaux qui connurent le succès ; elle fut le professeur de dessin d’Adèle Foucher, et devint en décembre 1827 la femme d’Abel Hugo. On voit que les sentiments de Victor Hugo sur les artistes en général et sur Mlle Duvidal en particulier s’étaient bien modifiés depuis 1822. (V. Lettres à la Fiancée, pages 123-124.)
  4. Communiquée par M. le marquis de Montferrier.
  5. Lieutenant-général en 1821 et conseiller d’État en 1823, le comte de Coëtlosquet était alors directeur général au ministère de la Guerre.
  6. Une ordonnance du 6 juin 1824 venait de remplacer Chateaubriand au ministère des Affaires étrangères.
  7. Victor Hugo et sa femme quittaient les Foucher et s’installaient 90, rue de Vaugirard.
  8. Bibliothèque municipale de Blois.
  9. En réponse la lettre de Victor Hugo (publiée au Journal du Débats, juillet 1824, et réimprimée dans Odes et Ballades, Revue de la Critique, édition de l’Imprimerie Nationale), le Journal des Débats inséra, le 26 juillet 1824, cette lettre adressée par M. Z... (Hoffmann) au Rédacteur des Débats :
    « J’ai reçu de M. Victor Hugo l’invitation ou plutôt l’ordre de faire insérer dans votre journal une longue lettre où il prétend venger les romantiques auxquels je n’ai fait aucune injure, et surtout les Nouvelles Odes que je n’ai point maltraitées. Comme cette insertion dépend de vous et du silence de la politique, je vous prie instamment de vouloir bien saisir une occasion opportune pour communiquer au public le factum de M. Victor Hugo en faveur de ses coreligionnaires en Apollon ; j’espère que vous voudrez bien aussi me permettre de vous envoyer un second et dernier article sur les Nouvelles Odes de M. Victor Hugo ; je les examinerai avec moins de timidité aujourd’hui que je ne doute plus de ses opinions littéraires, puisqu’il dit nous en parlant des écrivains romantiques. »
  10. Brouillon écrit au verso d’une lettre adressée à Victor Hugo par le marquis d’Aguilar, de l’Académie des Jeux Floraux. Archives de la Famille de Victor Hugo.
  11. Louis Hugo.
  12. Voir page 387.
  13. Collection Louis Barthou.
  14. La Gazette de France, 12 août 1824.
  15. Le deuxième article de M. Z… avait paru ce même jour 31 juillet dans le Journal des Débats, il commençait ainsi :
    « M. Victor Hugo est beaucoup trop poli : cela est fort embarrassant pour un journaliste qui a de bonnes vérités à dire et que l’on condamne à l’inertie par des complimens plus adroits que sincères, comme on fait taire le chien à triple gueule en lui jetant des gâteaux emmiellés. »
  16. La Gazette de France, 12 août 1824. — Cette lettre et celle qui la précède sont reproduites dans le Drapeau Blanc du 13 août 1824.
  17. Par inadvertance, Victor Hugo a ajouté une s au nom de Villar. Villar était secrétaire perpétuel de la classe des belles-lettres.
  18. Comte de Frayssinous, grand maître de l’Université, ministre des Affaires ecclésiastiques.
  19. Dès 1817, Victor Hugo et F. de Neufchâteau échangèrent des vers, et le vieil académicien encouragea et protégea le jeune poète. Il le pria de confronter les textes espagnol et français pour un rapport qu’il préparait sur Gil Bios de Santillane ; Victor Hugo fit le rapport, que F. de Neufchâteau publia et signa. En 1820, c’est par son entremise que l’Ode sur la mort du duc de Berry fut présentée au roi qui accorda spontanément à l’auteur une gratification de 500 francs.
  20. Publiciste et philosophe ; en 1823, directeur des Annales de la littérature et des arts qui ont fusionné avec le Conservateur littéraire ; en 1826, directeur de la revue Le Catholique, où il publia de nombreux articles sur le romantisme et sur les œuvres de Victor Hugo.
  21. De la littérature populaire dans les diverses contrées de l’Europe. — Le Drapeau blanc, 13 et 22 novembre 1824.
  22. Moraliste et historien. Son Histoire du règne de Louis XVI fut très appréciée.
  23. Lamartine et Guiraud s’étaient portés candidats à l’Académie et avaient échoué tous deux.
  24. Léopoldine, née le 28 août 1824.