Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1845

Louis Conard (Volume 8p. 259-260).

1845. À GUY DE MAUPASSANT.
Croisset [fin avril 1879].

Eh bien, mon cher ami, c’est le cas de dire comme dans Laurent-Pichat :

… J’attendrai
sans ajouter :
Que l’on fasse venir le cul-de-jatte André,
ce qui est une belle rime.

Merci de votre lettre. Elle m’a fait plaisir de toutes les façons. Mais, mon pauvre cher bougre, que je vous plains de n’avoir pas le temps de travailler ! comme si un bon vers n’était pas cent mille fois plus utile à l’instruction du public que toutes les sérieuses balivernes qui vous occupent ! Les idées simples sont difficiles à faire entrer dans les cervelles.

Oui, j’ai lu la brochure de Zola[1]. C’est énorme ! Quand il m’aura donné la définition du Naturalisme, je serai peut-être un Naturaliste. Mais d’ici là, moi pas comprendre.

Et Hennique qui a fait, aux Capucines, une conférence sur le Naturalisme !!! Oh ! mon Dieu ! mon Dieu !

La Vie Moderne me paraît encore plus bête que la Vie Parisienne. Est-ce assez… artistique ! hein ? et les dessins qui n’ont aucun rapport avec le texte ! et la critique de Bergerat ! Je suis indigné que mon nom soit sur la couverture, mais j’espère que ce… n’aura pas la vie longue.

Une chose m’a réjoui : les funérailles de Villemessant. Quelle pompe ! Mais on n’y pense déjà plus. Le Peuple est ingrat.

Vous ne me verrez pas avant le 20 mai. Je veux, avant d’aller à Paris, en avoir fini avec le magnétisme, c’est-à-dire être à la moitié de mon chapitre. Mais irai-je à Paris ? Franchement, rien ne m’y attire, sauf vous, mon cher Guy.

Je continue à n’être pas d’une gaieté excessive et je vous embrasse avec toute la tendresse dont est capable le cœur de votre vieux.

Est-ce que Huysmans a été choqué de ma lettre ?

Lisez donc la Correspondance de Berlioz. Voilà un homme ! et qui exécrait le bourgeois ! ça enfonce Balzac !


  1. La République française et la littérature.