Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1844

Louis Conard (Volume 8p. 257-258).

1844. À EDMOND DE GONCOURT.
Croisset, jeudi [24 avril 1879].
Mon cher ami,

Voici mon bilan.

Ma jambe va bien, cependant elle enfle tous les soirs. Je ne puis guère marcher au delà de cent pas et il me faut porter une bande autour des chevilles.

De plus, je me suis fait arracher une de mes dernières molaires.

De plus, j’ai eu un lumbago.

De plus, une blépharite.

Et actuellement, depuis hier, je jouis d’un clou au beau milieu du visage.

À part tout cela, je vais bien.

Je me suis remis à écrire et j’espère avoir fini mon horrifique chapitre viiie au mois de Juillet. Alors j’entamerai l’avant-dernier.

Quand irai-je à Paris ? Je n’en sais rien. Pas avant le milieu de mai, si j’y vais. Il faudrait pourtant que j’y allasse… En tout cas, vous me verrez cet été chez la bonne Princesse. C’est une chose inouïe, le mal que j’ai maintenant à me déplacer.

Charpentier m’a envoyé les deux premiers numéros de sa Vie Moderne, que je trouve encore plus bête que la Vie Parisienne. Le chic perdra la maison Charpentier. Retenez cette prophétie.

Et le manifeste politique de Zola menaçant la République de sombrer, si elle n’arbore l’étendard du réalisme ! naturalisme, pardon ! Drôle ! drôle !

J’ai lu dans l’élégante feuille de votre éditeur un fragment de votre roman qui m’excite. Quand il sera paru, le roman (ou même avant), seriez-vous assez Curtius pour venir à Croisset ? J’y attends demain Tourgueneff. Zola et Charpentier m’ont également promis de venir déjeuner dimanche.

Hennique fait des conférences, maintenant ?

Nous sommes des fossiles, mon cher ami, des restes d’un autre monde. Nous ne comprenons rien au mouvement.

Je vous embrasse.

Votre Vieux.

« Tou… ou… jours… jeune ! »

(Illusion qui dénote le sheikisme.)

Lisez la Correspondance de Berlioz ! Peu de livres m’ont plus édifié. Il rugissait, celui-là ! et haïssait le médiocre. Voilà un homme !