Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1806

Louis Conard (Volume 8p. 205-207).

1806. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Jeudi [février 1879].
Ma chère princesse,

Merci de votre bonne lettre : c’est une joie quand je reconnais votre écriture sur une adresse. Ne me ménagez pas ces plaisirs-là. Maintenant, je me lève, c’est-à-dire qu’à l’aide d’une chaise, sur laquelle je pose un genou, je me traîne jusqu’à mon cabinet et je peux lire et prendre des notes. Quant à écrire, il faudrait être plus gaillard que je ne le suis. Un mois se passera encore avant de descendre mon escalier et je boiterai pendant longtemps. C’était grave et je dois m’estimer heureux de m’en être tiré à si bon compte.

Du reste il ne faut pas me plaindre : cet accident-là n’est rien auprès des chagrins dont je suis abreuvé depuis trois ans.

Ma nièce a bien regretté de ne pas rencontrer chez elle Votre Altesse. Elle ne peut s’y présenter le soir et presque tout son temps est pris par la confection de deux portraits qu’elle se hâte de finir pour le 20 mars. Bonnat est très gentil pour elle et l’encourage.

La philosophie qu’il faut que j’emploie pour mon usage particulier me sert aussi à considérer sans ennui notre avenir politique. Néanmoins je suis indigné contre l’Amnistie. Je trouve cela bête et injuste, inepte de toute façon.

Ma distraction consiste à regarder mon chien qui dort devant mon feu et les bateaux qui passent sur la rivière. Je lis le plus que je peux (et des choses peu drôles, de la métaphysique et du spiritisme) ; je rêvasse à tout mon passé comme un vieux, et puis je songe à vous, à vous ma chère Princesse, et beaucoup, très longuement. Quand revient le mercredi soir, votre ami est un peu plus triste en pensant qu’il n’est pas près de vous comme il en avait depuis longtemps la charmante habitude, et il vous envoie, en vous baisant les deux mains, l’assurance de sa profonde affection.

Votre fidèle.