Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1784

Louis Conard (Volume 8p. 179-180).

1784. À ALPHONSE DAUDET.
Croisset, 3 janvier [1879].

Merci pour la belle lettre, mon cher ami. Elle m’a ébloui, réjoui et attendri !

J’ai passé depuis trois mois par des émotions abominables, des embêtements gigantesques, et ce n’est pas fini. Ma vie est lourde. Il faut que je sois fort comme un bœuf pour n’en être pas crevé cent fois.

Afin de m’oublier, je travaille frénétiquement. Mais le livre que je fais est peu échauffant, de sorte que, de tous les côtés, il y a effort et douleur. Voilà le vrai !

Vous savez que votre frère avait eu la complaisance de présenter pour moi un manuscrit à Dalloz. Ledit Dalloz n’a pas daigné me répondre et je sais pertinemment qu’il n’a pas lu mon manuscrit. Il s’en est rapporté à son secrétaire, lequel lui a déclaré que l’œuvre était « trop ennuyeuse » pour être imprimée (sic). Votre « vieux » est comblé d’honneurs et de profits, comme vous voyez.

Tout cela fait que, présentement, mon bon, je ne peux pas aller à Paris. Je n’y serai pas avant la fin de février.

Et vous ? Et ce roman ?

Les récriminations à propos de Zola me paraissent stupides. Je ne partage pas ses théories. Quant à ses critiques, elles étaient bien douces. Le scandale qu’elles causent est une preuve de plus de l’hypocrisie contemporaine. Comment ! on n’a plus le droit de dire que Feuillet et Cherbuliez ne sont pas de grands hommes ! Tout cela est à faire vomir de dégoût.

Je vous embrasse tendrement, mon cher Daudet. Votre.

« Toujours jeu-eûne, toujours le même », absolument comme Laferrière, qui tombait en morceaux. Mais je n’ai pas eu ses… distractions ! — Respects à Mme Daudet, baisers au môme.