Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1751
J’ai eu de vos nouvelles indirectement, dimanche dernier, par le général anglais (dont je ne sais pas le nom, d’autant plus que ma cuisinière l’a estropié en me l’annonçant : le nom, et pas le général), enfin ce grand maigre, qui vient chez vous quelquefois, homme fort aimable et d’excellentes manières.
Il fait une tournée artistique dans ma localité (comme disait M. De Villèle en parlant de la grâce) et m’a paru enchanté de tout ce qu’il voit.
Nous avons causé de « la Princesse », naturellement ; c’est vous dire que sa visite m’a été agréable. Je n’en ai pas reçu d’autres depuis un mois. Le temps s’écoule tranquillement et laborieusement.
Le bon Taine m’a écrit, la semaine dernière, pour me donner un renseignement que je lui demandais. Il me paraît très consolé de son échec. Vous me dites que tout le monde, au fond, ambitionne d’être de l’Académie française. Pas tout le monde, je vous assure et, si vous pouviez lire dans ma conscience, vous verriez que je suis sincère. Les protestations là-dessus sont de mauvais goût ; n’importe, je crois que je ne calerai pas. Cet honneur n’est point l’objet de mes rêves. Ce que je rêve, les hommes ne peuvent pas me le donner.
Pour dire le vrai, je ne rêve plus grand’chose. Ma vie s’est passée à vouloir saisir des chimères ; j’y renonce.
Il paraît que Paris est intolérable, odieux et torride ; ici, non plus, la chaleur n’est pas médiocre. Je vous souhaite un peu de fraîcheur à Saint-Gratien. En bougerez-vous ? Non, sans doute ? car, je ne crois nullement à votre visite, que m’a annoncée ce bon général ! Cependant ?… Ah ! cela, ce serait un honneur et un bonheur ; car vous savez, Princesse, que je suis
Votre fidèle et dévoué.