Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1749

Louis Conard (Volume 8p. 139-141).

1749. À MADAME ROGER DES GENETTES.
Croisset, dimanche 1er septembre.

(Ouverture de la chasse, sujet de délire pour messieurs les magistrats et généralement pour tous les hommes de cabinet ! Je ne le partage pas.)

Eh bien, comment tolérez-vous ce qui s’appelait autrefois l’été ? Moi je le trouve abominable. De la pluie, des orages, un temps qui vous fait mal au cœur. En dépit de son incommodité j’ai poussé depuis trois mois une pioche vigoureuse. Mon chapitre de la littérature est fait, celui de la politique le sera vers la fin de novembre, je crois, et au jour de l’an prochain je n’en aurai plus que pour deux ans ! Mais je ne veux plus recommencer des œuvres de cette longueur. L’effet ne répond pas à l’effort. Ah ! comme il me tarde de vous lire ça !

Demain, je m’en vais ai Paris pour y voir un un peu l’Exposition. Après quoi j’irai chez la Princesse Mathilde, et dans une vingtaine de jours je serai revenu ici, d’où je ne bougerai pas avant d’avoir fini mon chapitre vii : de l’amour ! La plus grande partie de mes lectures est terminée et je commence à entrevoir la fin. Mais votre vieil ami est bien las par moments. N’importe ! Le « coffre est bon ».

Je n’ai jamais entendu parler de ce Hollandais qui est pour moi si aimable. Le premier mai dernier, j’ai lu dans le Fortnightly Review un article d’un fils d’Albion qui était vraiment… gigantesque.

C’est du nord aujourd’hui que nous vient la lumière.

Je suis bien content de voir que mon grand ami Tourgueneff vous charme. Si vous le connaissiez personnellement, que serait-ce ? Il est exquis.

Pour les besoins de mon bouquin, moi aussi, j’ai relu le livre de Lanfrey sur la Révolution. C’est une œuvre d’honnête homme, mais rien de plus. Voilà ce que j’appelle des esprits inutiles, c’est-à-dire des gens qui chantent une note connue et déjà mieux chantée par d’autres.

Si je me souviens du salon de la pauvre Muse ? Je crois bien ! Je vois tous ses hôtes depuis d’Arpentigny jusqu’à la hideuse ***, qui m’est réapparue un soir, il y a deux ans, chez le père Hugo. Vraiment elle est « espovantable ».

Je ne connais pas le Journal d’une femme du bon Feuillet. Les Amours de Philippe m’ont semblé ineptes. Quel triste auteur ! Pour moi, c’est le néant. Mais les dames le trouvent « charmant ». Néanmoins sa vogue baisse.

Lisez-vous les œuvres d’Herbert Spencer ? Voilà un homme, celui-là ! Et un vrai positiviste, chose rare en France, quoi qu’on die. L’Allemagne n’a rien à comparer à ce penseur. Du reste les Anglais me semblent énormes. Leur attitude dans la question d’Orient a été superbe d’impudence et d’habileté.

Allons, adieu ! écrivez-moi et pensez quelquefois à votre vieil ami.