Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1547

Louis Conard (Volume 7p. 255-256).

1547. À ÉMILE ZOLA.
Croisset, 13 août, vendredi [1875].
Mon cher Ami,

Vous m’avez l’air bien triste ! Mais vous ne vous plaindrez plus quand vous saurez ce qui m’arrive. Mon neveu est complètement ruiné et moi, par contre-coup, fortement endommagé. Les choses se remettront-elles ? J’en doute. J’éprouve un grand déchirement de cœur à cause de ma nièce ! Quelle douleur que de voir un enfant qu’on aime humilié !

Mon existence est maintenant bouleversée ; j’aurai toujours de quoi vivre, mais dans d’autres conditions. Quant à la littérature, je suis incapable d’aucun travail. Depuis bientôt quatre mois (que nous sommes dans des angoisses infernales), j’ai écrit, en tout, quatorze pages, et mauvaises ! Ma pauvre cervelle ne résistera pas à un pareil coup. Voilà ce qui me paraît le plus clair.

Comme j’ai besoin de sortir du milieu où j’agonise, dès le commencement de septembre, je m’en irai à Concarneau, près de Georges Pouchet, qui travaille là-bas les poissons. J’y resterai le plus longtemps possible.

Je vous écrirai pour vous donner de mes nouvelles. J’espère que les vôtres seront meilleures que les miennes.

C’est comme ça, mon bon ! La vie n’est pas drôle, et je commence une lugubre vieillesse.

Je vous serre la main bien fort. Votre.

Vous n’êtes plus inquiet de Madame Zola, j’aime à croire ?