Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1548

Louis Conard (Volume 7p. 256-257).

1548. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Croisset [3 septembre 1875].
Princesse,

Votre aimable billet d’hier m’a fait du bien au cœur. Mais je ne profiterai pas de votre bonne invitation, parce que je suis encore triste et trop souffrant.

Il faut épargner ses amis ! Je ne veux pas vous infliger la gêne de ma sombre personne. Je ne sais pas comment je ne suis pas mort de chagrin, depuis quatre mois ! Ce que j’ai souffert est inimaginable ! D’hier seulement les choses sont arrangées. L’honneur sera sauf.

Quant à la ruine, elle sera pour moi moins considérable que je ne l’avais cru, parce que j’ai vendu très avantageusement ma ferme de Deauville. L’avenir, malgré cela, est fort triste. Je suis attaqué dans la moelle. J’ai reçu un coup dont j’aurai du mal à revenir, si jamais j’en reviens ? Comme il me faut un grand changement de milieu et d’habitude, dans une dizaine de jours je m’en irai à Concarneau où je me propose de rester jusqu’au mois de novembre. L’air salé de la mer me redonnera peut-être un peu d’énergie. J’ai la tête fatiguée comme si l’on m’avait donné dessus des coups de bâton, avec crampes d’estomac, maux de nerfs, et impossibilité radicale d’un travail quelconque.

J’espère que vous me reverrez plus convenable. D’ici là je vous donnerai de mes nouvelles, afin d’avoir des vôtres, Princesse, car je suis, vous le savez, votre vieux (bien vieux) fidèle serviteur et dévoué.