Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1546
Merci de votre bonne lettre, chère Princesse. J’y vois que vous êtes toujours vaillante. Que n’en puis-je dire autant de moi-même ! Qu’ai-je donc ? Je n’en sais rien, je crois que c’est une grande fatigue cérébrale. Car le travail m’ennuie énormément, je suis plus paresseux qu’un vieux singe et triste comme un cercueil, j’ai donc résolu de prendre un remède héroïque.
Quand ma nièce ne sera plus ici, dans un mois, vers le milieu d’août, je m’en irai passer deux mois de suite à Concarneau dans la compagnie de G. Pouchet, qui fait des expériences sur les poissons à l’aquarium de Coste. Je ne ferai rien du tout, moi ; je n’emporterai ni papier, ni plumes. Espérons que ce long repos absolu me remettra ! Vous me reverrez à Saint-Gratien quand je serai redevenu sociable.
Je n’ai pas lu l’article de Renan sur Mme Cornu. J’ai été chez elle plusieurs fois, je l’ai même fréquentée pendant deux ou trois ans. Car j’avais des amis intimes qui la chérissaient. Mais nous ne nous sommes jamais bien compris, pour employer un mot prétentieux mais juste. Elle me considérait comme complètement fou, et moi je trouvais qu’elle manquait de discernement. Elle n’aimait que les humbles et se plaisait à protéger les canailles. Aimable personne du reste, mais qui a gaspillé sa vie sottement dans un tas de tripotages et dépensé en pure perte des qualités intellectuelles précieuses.
Quant à Mme Ratazzi, je ne l’ai vue qu’une fois à Dieppe et ne la connais nullement. Pas n’est besoin de vous dire que je n’ai aucune envie de la connaître.
La pluie tombe à torrents, on se dirait au mois de novembre et mon esprit est de la couleur du ciel. Savez-vous que j’ai peur de devenir comme Soulié ? Heureux les gens qui restent jeunes et actifs !
Je ne veux pas vous ennuyer plus longtemps avec mes doléances et je m’arrête. Vous savez que je suis votre tout dévoué.
Ma lettre est stupide et je vous en demande bien pardon, Princesse.