Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1427

Louis Conard (Volume 7p. 105-106).

1427. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Dimanche soir [28 décembre 1873].

Que devenez-vous ? Je m’ennuie de n’avoir pas de vos nouvelles, Princesse ! êtes-vous revenue de Paris ?

Donnez-moi, je vous prie, le numéro de votre nouvelle maison dans la rue de Berri.

Quant à moi, je continue à n’être pas d’une gaieté folle. Cependant je travaille beaucoup, et le temps s’écoule, ce qui est le principal. C’est peut-être un signe de décadence, mais la politique m’inquiète de plus en plus. La droite s’y prend si bien que beaucoup de bourgeois fort modérés, aux prochaines élections, voteront avec les rouges ; alors nous entrerons dans l’horrible, et ce sera pour longtemps.

En fait d’horreurs, on a assassiné un enfant et une jeune fille, dans mon village, la nuit, à un quart de lieue de chez moi. Croiriez-vous, Princesse, que les maîtres de pension de Rouen ont conduit en promenade « leurs jeunes élèves » sur le théâtre du crime, pour voir la flaque de sang ! Voilà à quel point de bêtise nous en sommes.

Bêtise d’un autre genre, et que vous savez peut-être ! La pièce de Mme Sand est arrêtée depuis deux mois par la censure du général Ladmirault ! L’auteur se dépense, bien entendu, à faire des démarches auprès des Grands (!) pour qu’on lève cette interdiction.

J’ai eu indirectement de vos nouvelles par quelqu’un qui vous a vu au mariage de Mlle Vimercati ; on m’a dit qu’elle était rayonnante.

Que devient de Goncourt ?

J’espère vous voir, enfin, un peu après le jour de l’an.

Que 1874 vous soit léger ! Princesse, cette année-là, comme les précédentes, je serai, soyez-en sûre, entièrement vôtre.