Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1389
Eh bien ! pourquoi pas de lettre ? As-tu eu la migraine tellement que tu n’as pu m’écrire, pauvre chérie ? Qu’y a-t-il ? Je m’attendais hier ou avant-hier à la visite d’Ernest. Je commence à m’inquiéter et ta nounou va en avoir son lait tourné ! Mais j’espère que demain matin, pour mon dimanche, j’aurai une épître.
Mercredi a été une journée farce. Je venais de reconduire au bateau l’abbé Chalons, quand une voiture s’arrête à la porte. J’ouvre et qu’aperçois-je, ô mon Dieu ? Le gigantesque Arthur Fontenillat et l’inéluctable Mme Doche[1]. Tableau : poignée de main à lui, deux baisers à elle. Ils venaient me faire une visite. Promenade dans le jardin. Grogs à l’eau-de-vie, inspection de tous les appartements et enthousiasme universel.
Bref, tant d’amour avait un but, à savoir : obtenir un rôle dans la pièce de ce bon Flaubert. Pour jouer Mme de Mérilhac[2], le vieil ange Doche rompra son engagement avec l’Odéon, etc. Elle demande un rôle dans ma pièce, à n’importe quelles conditions. Comme je crois qu’elle jouera parfaitement celui de Mme de Mérilhac, je ne demande pas mieux, bien entendu, que de l’avoir. Donc, j’ai pour samedi prochain un rendez-vous avec Carvalho qui est indisposé, m’a-t-il écrit.
Ainsi, ma chérie, je compte être chez toi mercredi et y rester jusqu’à samedi matin. Si ça te gêne en quoi que ce soit, dis-le moi franchement. Mais, pour partir d’ici, il me faut toujours de l’argent.
Le Moscove a enfin donné de ses nouvelles. Il a fait une chute et est resté dans son lit tout le temps qu’il a passé à Vienne. Puis, de là, il a été aux eaux de Carlsbad, dont il paraît content. Il se disposait à venir me voir ici, la semaine prochaine. Je lui ai répondu qu’afin de le garder plus longtemps je préférais l’avoir au mois de septembre. Ce mâtin-là m’a envoyé un nouveau conte de sa façon, intitulé les Eaux printanières, qui m’a fait passer une journée délicieuse. Quel homme !
Événement dramatique hier à Croisset : Ton jardinier Chevalier a arrêté un homme qui volait des prunes chez la mère Bréauté ! Gueulade sur le quai, en pleine chaleur. Personnages : Remoussin, Leroux, la chienne d’Émile, etc., la bourouette de Chevalier et la petite Marie, fille de Chevalier. On a conduit le délinquant en prison, et messieurs les gendarmes sont venus faire une enquête.
À propos de criminels, Saint-Martin m’a dit que toutes les nuits, depuis quelques jours, il passait, entre 2 et 3 heures, environ vingt personnes qui s’en allaient à Bonne-Nouvelle[3], dans l’espoir de voir guillotiner Neveu ! Hein ? l’humanité ! Pauvre chat !
Quand Flavie vient-elle ? N’est-ce pas mardi ? Je serais bien aise de la voir.
Mais c’est toi, surtout, chère Caro, qui me feras plaisir à contempler et à embrasser.
À bientôt donc.
Ton vieux Cruchard qui t’aime.