Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1388

Louis Conard (Volume 7p. 42-43).

1388. À SA NIÈCE CAROLINE.
Croisset, mardi, 3 heures, 29 juillet 1873.
Ma Chérie,

Émile, bien qu’affligé d’une véhémente colique, si tu tiens à avoir des détails intimes sur mon ménage, Émile, dis-je, vient de partir pour Rouen, afin de mettre au chemin de fer, grande vitesse, ton petit chapeau noir.

Je compte être à Dieppe mercredi de la semaine prochaine, si toutefois il y a « une chambre d’ami » pour Cruchard. J’attends l’abbé Chalons et lui ai fait disposer sa couche dans la chambre à deux lits. À quoi vais-je l’occuper, ce soir ?

J’ai reçu par autographe la nouvelle du mariage de Bardoux avec Mlle Villa-Bimar ou Bemar ; c’est un nom de maison de campagne et non pas un nom de femme ! Raoul-Duval ne se trompe pas ; notre législateur avait des sentiments.

J’ai encore reçu ce matin des épreuves de Lemerre que je viens de corriger ; mais je n’ai aucune nouvelle de Carvalho. Je viens de lui écrire pour savoir si je dois l’attendre plus longtemps.

Il fait présentement un temps d’orage accablant. Néanmoins je ne suis pas vache comme hier, où je me sentais si las que j’ai renoncé au bain froid.

C’était peut-être d’avoir trop lu ces jours-ci, ou plutôt la suite d’un abominable accès de tristesse que j’ai eu dimanche. Rarement je me suis senti plus isolé, plus vieux ! La philosophie a repris le dessus et je me suis remis aux notes pour Bouvard et Pécuchet ! Comme je pense aux bons jours que nous avons passés ensemble, pauvre chère fille ! Je ressemble à une mère, n’est-ce pas ? Ou plutôt à une vraie nounou. Mon poupon m’assottit, et je le bécote sur ses deux bonnes jouettes.

Vieux.