Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/1004
Si j’en avais cru mon premier mouvement, j’aurais répondu tout de suite à votre dernière lettre qui m’a enthousiasmé comme littérature. Mais j’avais peur de vous fatiguer par la fréquence de mes autographes.
Oui ! oui ! oui ! (sans que vous en ayez le moindre soupçon, j’en suis sûr) vous m’avez envoyé, sur Leurs Majestés espagnoles, un morceau de style qui est tout bonnement un chef-d’œuvre. J’en ai ri, tout haut « dans le silence du cabinet ». Vous n’imaginez pas comme ce tableau-là est réussi. Il me semblait, en lisant, vous entendre parler. C’est charmant, et je vous ferai observer que je m’y connais (au style) et que je ne me trompe pas.
À propos de style, j’ai eu hier des nouvelles de Sainte-Beuve par Tourgueneff, qui est venu passer la journée de dimanche à Croisset. Il y a peu d’hommes dont la compagnie soit meilleure et l’esprit plus séduisant. Quel dommage qu’on ne vive jamais avec les gens que l’on aime !
Ma nièce me quitte jeudi prochain pour s’en retourner à Rouen et ma solitude complète va commencer. J’en profiterai pour accélérer mon interminable bouquin, qui commence à m’exaspérer par la lenteur de sa confection. Mme Sand m’a invité au baptême où le Prince Napoléon doit être parrain. Mais un voyage à Nohant me dérangerait trop. J’ai refusé.
Ce qui ne me dérange pas, ce sera d’aller à Paris vers Noël, ou même avant. Il ne doit plus y avoir qu’une série d’invités pour Compiègne. Vous êtes de la dernière, n’est-ce pas ? Ne finit-elle pas vers le 15 décembre ?
Je ne saurais vous dire combien l’affaire Baudin m’a chagriné. Mais je n’ai peut-être pas besoin de vous le dire ?
Ne me faites plus d’excuses sur votre mauvaise écriture, Princesse. Je suis, à cause de cela même, un peu plus de temps avec vous et je ne m’en plains pas. Car je suis tout à vous et je vous baise les deux mains.