Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0875

Louis Conard (Volume 5p. 246).

875. À MADAME ROGER DES GENETTES.
[Croisset, 12 novembre 1866].

J’ai une telle courbature, pour m’être, dans la nuit d’hier, signalé à un incendie, que j’ai à peine la force de tenir une plume. Au reste je ne regrette pas ma peine : j’ai été payé par la vue de la bêtise bourgeoise et administrative dans tout son lustre. Pour maintenir l’ordre, on a appelé des soldats, qui croisaient la baïonnette contre les travailleurs, et des cavaliers, qui obstruaient toutes les rues du village. On n’imagine pas l’élément de trouble que jette partout le pouvoir. Je suis rentré chez moi bassement démocrate.

Mon illustre amie, Mme Sand, m’a quitté samedi soir. On n’est pas meilleure femme, plus bon enfant, et moins bas-bleu. Elle travaillait toute la journée, et le soir nous bavardions comme des pies jusqu’à des 3 heures du matin. Quoiqu’elle soit un peu trop bienveillante et bénisseuse, elle a des aperçus de très fin bon sens, pourvu qu’elle n’enfourche pas son dada socialiste. Très réservée en ce qui la concerne, elle parle volontiers des hommes de 48 et appuie volontiers sur leur bonne volonté plus que sur leur intelligence.