Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0753

Louis Conard (Volume 5p. 87-89).

753. À MONSIEUR GUÉROULT.
[Paris] 2 février 1863.
Mon cher Monsieur Guéroult,

Excusez-moi si je vous importune encore une fois. Mais comme M. Frœhner doit publier dans l’Opinion Nationale ce qu’il vient de reproduire dans la Revue Contemporaine, je me permets de lui dire que :

J’ai commis effectivement une erreur très grave. Au lieu de Diodore, liv. XX, chap. iv, lisez chapitre xix. Autre erreur : j’ai oublié un texte à propos de la statue de Moloch, dans la Mythologie du docteur Jacobi, traduction de Bernard, la page 322, où il verra une fois de plus les sept compartiments qui l’indignent.

Et, bien qu’il n’ait pas daigné me répondre un seul mot touchant : 1o  la topographie de Carthage ; 2o  le manteau de Tanit ; 3o  les noms puniques que j’ai travestis et 4o  les dieux que j’ai inventés, — et qu’il ait gardé le même silence : 5o  sur les chevaux consacrés au Soleil ; 6o  sur la statuette de la Vérité ; 7o  sur les coutumes bizarres des nomades ; 8o  sur les lions crucifiés, et 9o  sur les arrosages de silphium, avec 10o les escarboucles de lynx et 11o les superstitions chrétiennes relatives aux pierreries ; en se taisant de même sur le jade 12o ; et sur le jaspe 13o ; sans en dire plus long quant à tout ce qui concerne : 14o Hannon ; 15o les costumes des femmes ; 16o les robes des Lydiens ; 17o la pose fantastique de la momie égyptienne ; 18o le musée Campana ; 19o les citations… (peu exactes) qu’il fait de mon livre ; et 20o mon latin, qu’il vous conjure de trouver faux, etc., je suis prêt, néanmoins, sur cela, comme sur tout le reste, à reconnaître qu’il a raison et que l’antiquité est sa propriété particulière. Il peut donc s’amuser en paix à détruire mon édifice et prouver que je ne sais rien du tout, comme il l’a fait victorieusement pour MM. Léon Heuzey et Léon Renier, car je ne lui répondrai pas. Je ne m’occuperai plus de ce monsieur.

Je retire un mot qui me paraît l’avoir contrarié. Non, M. Froehner n’est pas léger, il est tout le contraire. Et si je l’ai choisi « pour victime parmi tant d’écrivains qui ont rabaissé mon livre », c’est qu’il m’avait semblé le plus sérieux. Je me suis bien trompé.

Enfin, puisqu’il se mêle de ma biographie (comme si je m’inquiétais de la sienne !) en affirmant par deux fois (il le sait !) que j’ai été six ans à écrire Salammbô, je lui avouerai que je ne suis pas bien sûr, à présent, d’avoir jamais été à Carthage.

Il nous reste, l’un et l’autre, à vous remercier, cher Monsieur, moi pour m’avoir ouvert votre journal spontanément et d’une si large manière, et quant à lui, M. Froehner, il doit vous savoir un gré infini. Vous lui avez donné l’occasion d’apprendre à beaucoup de monde son existence. Cet étranger tenait à être connu ; maintenant il l’est… avantageusement.

Mille cordialités.