Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0636

Louis Conard (Volume 4p. 367-368).

636. À LOUIS BOUILHET.
[Paris] Vendredi, la nuit, 15 mars 1860, 1 heure.

Et de même que je te garde une gratitude éternelle pour m’avoir empêché de consentir à ce qu’on fît une pièce avec la Bovary, tu me remercieras pareillement de t’avoir ouvert les yeux sur la chose en question.

Elle me trouble et « je reviens à la charge ». Peut-être te suis-je à charge ?

Ce n’est pas là une bonne entrée pour les français. Au contraire. Qu’est-ce que ça leur fait, aux sociétaires ? Je comprends l’idée de Thierry en sa qualité d’homme officiel, et, à sa place, j’en eusse fait tout autant. Mais en acceptant tu t’abaisses et, tranchons le mot, tu te dégrades. Tu perds ta balle de « poète pur », d’homme indépendant. Tu es classé, enrégimenté, capturé. Jamais de politique, n… de D… ! ça porte malheur et ça n’est pas propre. « Périssent les États-Unis plutôt qu’un principe. » Après une concession il en faut faire une autre, etc. Vois ce pauvre Théo. Ce sont d’ailleurs des choses fort peu payées, et quand même ! non ! N’en parlons plus.

Quant à ta lettre à Thierry, elle est moins difficile à écrire que celle de Janin, et si tu veux, je te la fais incontinent, de façon à ce qu’il soit enchanté de toi et qu’il puisse même la montrer à Fould. Car la proposition part peut-être du ministère d’État ? Est-ce une façon de te faire payer ta croix ?

J’ai passé mon après-midi au cabinet des médailles ; ma besogne ne sera pas longue. J’espère qu’il en sera de même pour les pierreries.

La présidente, que j’ai rencontrée tantôt dans la rue, m’a dit que les sieurs D*** et B*** ne voulaient pas se trouver avec Feydeau, « ne pouvant se résigner à lui faire le moindre compliment sur son livre ». Je trouve cette bégueulerie du plus haut goût dans ces deux messieurs. Elle les croit jaloux de la vente, aperçu littéraire qui peut être vrai.