Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0501

Louis Conard (Volume 4p. 132-133).

501. À MAURICE SCHLÉSINGER.
Paris, 1856 [2e quinzaine d’octobre].

Excusez-moi, mon cher Maurice, il m’est impossible — archi-impossible, complètement impossible, d’être jeudi à Baden, ni de m’absenter de Paris pendant une journée, d’ici un grand mois.

J’ai d’abord considérablement d’épreuves à corriger, puis tous les jours je passe les après-midi à l’Odéon, pour surveiller les répétitions d’un grand drame en cinq actes et en vers qui n’est malheureusement pas de moi, mais qui m’intéresse plus que s’il était de moi — l’auteur est mon ami Bouilhet que vous avez vu chez ma mère. C’est une œuvre considérable, une question de vie ou de mort pour lui ; — la direction fonde dessus de grandes espérances, et nous aurons, je crois, un très beau succès. Mais il y a bien à faire encore, et quantité de choses à trouver comme mise en scène.

Quant à moi, cher ami, vous apprendrez avec plaisir que mon affaire marche très bien. J’ai de toutes façons lieu d’être extrêmement satisfait — jusqu’ici du moins. Les deux premiers numéros de mon roman ont déjà fait quelque sensation parmi la gent de lettres — et un éditeur m’est venu faire des propositions… qui ne sont pas indécentes.

Je vais donc gagner de l’argent ; grande chose ! chose fantastique ! — et qui ne me sera pas désagréable par le temps de misère (et de misères) qui court.

Est-ce que Mme X*** (car je ne sais pas le nom de dame de Maria) ne viendra pas faire un petit voyage à Paris avec son époux ? les accompagnerez-vous ?

J’aurais bien du plaisir à vous recevoir dans mon petit appartement du boulevard du Temple, et à deviser avec vous, coudes sur la table. J’ai deux fauteuils dans mon cabinet. Je ne puis vous en offrir qu’un au coin du feu ; c’est bien le moins qu’on partage avec ses amis.

Adieu, mon cher Maurice. J’espère que mon souvenir vous arrivera à temps, et que vous recevrez mon dernier souhait sur le seuil de votre maison, au moment où vous le franchirez pour conduire votre chère fille à l’église.

Mille cordialités ; tout à vous.

Votre ancien ami, Janin, est très satisfait du commencement de mon bouquin, et m’a envoyé, par un tiers, des mots fort aimables.