Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0500

Louis Conard (Volume 4p. 131-132).

500. À JULES DUPLAN[1].
[Croisset] Samedi soir [11 octobre 1856].

Votre bonne lettre, que j’ai reçue ce matin, m’a causé un grand plaisir. Vous savez le cas que je fais de votre goût ; c’est vous dire que « votre suffrage m’est précieux » (style Homais). — Homais à part, je suis enchanté que la chose vous botte. Je voudrais bien que tous mes lecteurs vous ressemblassent !

Nous causerons de tout cela à la fin de la semaine prochaine. Venez chez moi, dimanche 19, à 11 heures selon la vieille coutume. Vous déjeunerez avec le philosophe Baudry.

La première lecture de mon œuvre imprimée m’a été, contrairement à mon attente, extrêmement désagréable. Je n’y ai remarqué que les fautes d’impression, trois ou quatre répétitions de mots qui m’ont choqué, et une page où les qui abondaient — quant au reste, c’était du noir et rien de plus.

Je me remets peu à peu, mais ça m’avait porté un coup ! Pichat m’a écrit pour me dire qu’il comptait sur un succès. On revient, mon bon on revient, — on change un tantinet de langage.

J’ai, cet automne, beaucoup travaillé à ma vieille toquade de Saint Antoine ; c’est récrit à neuf d’un bout à l’autre, considérablement diminué, refondu. J’en ai peut-être encore pour un mois de travail. Je n’aurai le cœur léger que lorsque je n’aurai plus sur les épaules cette satanée œuvre, qui pourrait bien me traîner en cour d’assises — et qui à coup sûr me fera passer pour fou. — N’importe ! une si légère considération ne m’arrêtera pas.

Je ne sais trop ce que j’écrirai cet hiver (le drame de Bouilhet va d’abord me prendre du temps) ; je suis plein de projets, mais l’enfer et les mauvais livres sont pavés de belles intentions.


  1. Frère de Ernest Duplan, notaire de Flaubert, homme de goût, au sens artistique développé ; Flaubert faisait grand cas de son jugement littéraire.