Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 3/0373

Louis Conard (Volume 3p. 121-123).

373. À LOUISE COLET.
Lundi matin, 4 h ½ [15 mars 1853].

Enfin voilà l’ouvrage fini. Nous y sommes depuis 2 h de l’après-midi, sans désemparer, sauf une heure pour dîner. J’ai bon espoir, ça ira.

Nous t’avons singulièrement simplifié la besogne, car je crois qu’elle est complètement terminée. Bouilhet cherche en ce moment le dernier vers. Il a été sublime.

Tout le morceau a été refait en entier par lui et il a eu une idée que j’ose qualifier de dantesque et obéliscale ; c’est, à propos des Barbares, de parler délicatement de l’abbé Gaume.

Le ver rongeur trouve là un asticot qui lui mord la queue. Bouilhet pense que ce sujet de l’Acropole pourrait bien avoir été donné en haine des attaques aux idées classiques, aux études antiques. Ces messieurs alors seront chatouillés à leur endroit sensible.

Admire le dernier vers, qui est d’un Casimir Delavigne achevé :

Et Midas aujourd’hui juge encore Apollon.


(Midas eut des oreilles d’âne pour avoir préféré Pan à Apollon.)

Maintenant, pour nous récompenser de notre pioche, qui n’a [pas] été médiocre, fais de suite (pour toi et pour nous) recopier le tout, comme nous l’avons corrigé ou refait, et envoie-le-moi de suite. Je le porterai à Bouilhet et nous verrons s’il reste encore quelque chose à redire. L’ensemble nous apparaîtra plus clairement ; mais je serais bien étonné si ce poème, maintenant, n’avait toutes les chances. Les vers excellents y abondaient, nous les avons fait saillir. Ceux qui avaient la figure sale ont été débarbouillés et la tourbe des médiocres expulsée sans pitié.

À toi, mille baisers et bon espoir.

Ton G.
Nota.

Vandales et Germains. — Nous ne sommes pas sûrs si les Vandales et les Germains ont réellement été à Athènes. Informe-t’en. En tout cas il nous y faut, à cause des femmes blondes, des barbares du Nord, tels que Huns (bien dur), Scythes, Goths, etc.

Vandale, au reste, ne serait peut-être pas relevé (dans l’hypothèse même d’une inexactitude historique), à cause de son double sens. Au reste il faut s’en assurer.

Au vers

Et la France a compris cette grande parole


mets en note : « école d’Athènes ».  

À la fin de cette lettre Bouilhet a écrit les lignes suivantes :

Chère Muse, vous avez bien raison, nous formons à nous trois un faisceau que nul ne brisera ; je suis en retard avec vous, de deux lettres, mais je viens de vous faire plus de quarante mauvais vers ; nous sommes presque quittes.

Adieu, je tombe de sommeil, et vous embrasse du fond du cœur.

L. Bouilhet.

P.-S. L’amour ne me martyrise pas trop, et je suis bien plus inquiet de mes Fossiles. Je ne peux m’empêcher de constater avec quelle intensité complaisante vous parlez des éphèbes. Ça n’est pas rassurant pour nous autres, qui commençons à perdre notre duvet.

Adieu, adieu.