Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 3/0374
Deux mots seulement ce soir, chère Muse. Bouilhet a reçu ta lettre relative à l’Acropole. Voici les résultats :
1o Il écrira demain à Azvedo[1].
2o Quant au préfet, je m’en charge. Bouilhet n’a aucune accointance avec lui, ni directe ni indirecte. Moi non plus ; mais j’ai songé à un mien ami dont le cousin est le médecin du préfet. Je le crois bien avec ce cousin. Demain nous commencerons à tâter la chose et j’ai bon espoir de ce côté. Ainsi de deux.
3o Quant à écrire à du Camp, Bouilhet y était tout disposé ; mais, à moins que tu n’y tiennes absolument (et ce serait, je crois, une gaucherie), il n’en fera rien. Voici mes raisons. La première de toutes est qu’il se douterait que c’est toi. Cela est sûr et la conclusion n’a pas besoin d’être exprimée. Il sait fort bien que Bouilhet ne connaît personne autre que toi en disposition de concourir à l’Académie et qu’eût-il une de ses connaissances qui en fût capable, il ne se donnerait pas la peine de lui écrire pour cela, ne lui écrivant pas depuis fort longtemps.
Ce serait d’ailleurs (car tôt ou tard la vérité serait sue) renouveler un tas de cancans inextricable.
Pourquoi n’aurait-ce pas été moi qui aurais écrit ? La mère Delessert se retrouverait mêlée là dedans, avec tous les embrouillements de maîtresse, amis et nos trois personnalités, toujours confondues. Du Camp, furieux d’avoir été joué, recommencerait cette série de rapports, comme disent les cuisinières, de blagues et contre-blagues dont je suis fort las. Pour Dieu, laissons-le tranquille afin qu’il nous rende la pareille.
Fais-toi (toujours sous l’anonyme) recommander au Philosophe par Béranger. Il doit être assez honnête homme pour te garder le secret. Est-ce que ce bon Babinet ne peut pas te servir ? J’oubliais, pour Saulcy, que Du Camp, au fond, ainsi que Mérimée, est son ennemi intime. Non, je t’assure que c’est une mauvaise idée et, comme on dit, un pas de clerc.
Si Du Camp revient chez toi, et il y reviendra, tâche de t’arranger pour qu’il y reste peu et qu’il n’y revienne que fort rarement. Avec des connaissances renouées, tôt ou tard on en arrive aux récriminations et alors !…
Tu devrais, par le père Chéron, te faire recommander à d’Arpentigny pour Musset ? Qu’en dis-tu ?
J’avais oublié de te rendre réponse pour les deux vers de la tour vénitienne. Laisse le manuscrit tel qu’il a été envoyé. Ta 2e correction est moins heureuse.
Adieu, chère et bonne Muse, mille baisers et tendresses. À toi. Ton G.
Bouilhet te remercie bien pour Jacottet[2]. Ce n’est peut-être pas de refus, mais il faut savoir avant où en est Azvedo de ses démarches, ce qui va faire naturellement le prétexte de la lettre qu’il lui écrira demain.