Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 3/0357

Louis Conard (Volume 3p. 69-70).

357. À LA MÊME.
Mercredi, 1 heure. [22 décembre 1852].

Je vais aller à Rouen pour ton buvard et je le ferai porter, par le marchand, au chemin de fer. Ne donne pas la note ; ce serait une imprudence inutile, surtout après les avances de R… auxquelles tu n’es pas tenue de répondre d’une autre façon ; mais enfin, puisqu’on te laisse tranquille, ne leur donne aucune prise. Suis la maxime d’Épictète : « abstiens-toi » et « cache ta vie ». Qu’il ne soit plus question de l’airain, soit. Mais c’est une faute énorme, non de langage, mais de sens poëtique. Sois sûre, du reste, que peu de gens la remarqueront.

Bouilhet m’a fait corriger dernièrement cette expression « et dans ce mélange de sentiments où il s’embarrassait » parce qu’on ne s’embarrasse pas dans un liquide. Il Faut que les métaphores soient rigoureuses et justes d’un bout à l’autre. Enfin, arrange-toi comme tu l’entends.

Nous t’avons dit, et nous te le répétons, qu’on pouvait faire de la Paysanne une chose achevée, qu’il y avait là l’étoffe d’un chef-d’œuvre. Sans doute, publiée telle qu’elle est (ou était), ce sera toujours très remarquable, par fragments surtout. Mais est-ce qu’il faut s’arrêter dans le mieux ? Et il me semble qu’il y a une moralité de l’esprit consistant à vouloir constamment la perfection. Il ne faut pas te dire : « voilà tout », parce que les faibles crient à l’orgueil. Mais quand on n’a pas la conviction qu’on peut atteindre au premier rang, on rate le second.

Allons, nom de Dieu, relève-toi donc, reprends-moi cette fin à pleins bras et renvoie-nous le tout complet.

Adieu, je t’embrasse, chère sauvage. À toi.