Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/0176
Je rentre de Croisset où je me suis embêté toute la journée. Dieu me préserve de retourner à la campagne l’hiver !
Je trouve ta lettre et j’ajoute ceci à la mienne. Ceci veut dire je ne sais quoi, ou plutôt un bon baiser que tu prendras comme tu voudras, que tu mettras où bon te semblera.
Ta perspicacité est grande, tu as le coup d’œil juste. Mais moi-même j’aurais du mal à te dire le fond de cet être que tu aimes et que tu veux deviner ; à plus forte raison toi, quelque rapprochée que tu en sois. Un jour, quand, avant de la finir, je résumerai ma vie, j’essaierai de me raconter à moi-même ; ce sera difficile à ne rien charger et à dire la vérité. J’en ai eu l’idée plusieurs fois et j’ai toujours reculé devant la difficulté de l’entreprise. Mais va, contente-toi de m’aimer tel que je suis ; moi je t’aime telle que tu es. Je ne trouve rien de mal en toi que cet excessif amour qui te fait souffrir. N’en [sic] veuille jamais, chère adorée : si je suis à charge aux autres, c’est que je le suis beaucoup à moi-même.
[…] Quelle chose étrange que ces clous que je te donne ! J’en ai maintenant un qui me défigure la joue droite ; mais je m’en moque bien, puisque tu n’es pas là pour voir si je suis laid.
Adieu, cher amour, mille baisers.
Celui qui t’embrasse sur tes pauvres yeux.