Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/0122

Louis Conard (Volume 1p. 256-257).

122. À LA MÊME.
16 août 1846.

La malédiction s’en mêle ! Au reste il en est toujours ainsi. Ne suffit-il pas que nous désirions quelque chose pour que nous ne puissions l’obtenir ? C’est là la loi de la vie !

Impossible me sera d’être à Paris ce soir ; j’ai la tête toute enveloppée de linges et de bouillie, à cause de mes affreux clous qui me tiennent tout le corps. Je suis couché sans pouvoir remuer et écris ceci couché ; mais je me traite avec un acharnement qu’on n’a jamais vu ; nous en rirons ensemble.

Je n’ose croire que j’arriverai à Paris demain mardi. Il se pourrait pourtant, mais n’y compte pas. Ce serait donc pour mercredi, toujours à l’heure dite.

Il m’a été impossible hier dimanche de t’envoyer un mot. Je comptais sur le domestique de mon frère qui vient ici dîner tous les huit jours, et il n’est pas venu.

Je participe au dépit et à l’anxiété que tu vas avoir ce soir à 4 heures et demie quand je n’arriverai pas, mais pardonne-le-moi. J’en souffre plus que toi.

Allons ma belle, un peu de patience ; dans quelques heures tu me verras.

Ne pouvant dormir cette nuit, j’ai rallumé mon flambeau et lu l’Expiation et la Provinciale à Paris[1] dont tu ne m’avais pas parlé et qui m’a beaucoup fait rire. C’est un chef-d’œuvre, une chose complète, charmante, pleine d’esprit. Nous causerons de l’Expiation.

Adieu ; je rage mais je te baise sur la bouche.

Adieu, adieu, à toi, à toi.


  1. Nouvelles de Louise Colet.