Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/0050

Louis Conard (Volume 1p. 83-84).

50. AU MÊME.
[Rouen, 7 juillet 1841.]

Tu commençais en effet à me sembler un crétin assez exotique, mais tu m’as fait des excuses et je suis satisfait. Narcisse sort de ma chambre ; il vient à Rouen pour des affaires d’intérêt, il va hériter de 10 000 francs.

Voici quels sont les contingents futurs : nous irons certainement, autant qu’on peut être certain de ce qui [est] à faire, passer 15 jours à Trouville vers le milieu du mois prochain. C’est dans le but de distraire ma pauvre sœur dont le caractère finit par s’assombrir, résultat d’une maladie longue et irritante, qui la reprend à intervalles et dont elle est loin d’être quitte. Madame Bonenfant[1] et ses enfants viendront probablement à la même époque pour aller avec nous au bord de la mer. Peut-être irai-je la chercher à Nogent ; ce serait dans environ un mois. Je passerais par Paris, si tu y es encore à cette époque, et je suis dans l’intention de m’y donner une cuillerée [sic] avec toi. Du reste ceci est très éventuel ; il n’y a que si elle hésite à venir seule.

Dis-moi à quelle époque tu seras reçu avocat. Si tu as diplôme en poche vers le 1er, viens à cette époque. Sinon je t’attends dans le mois de septembre, au quantième que tu voudras. Il y aura encore du soleil, nous pourrons aller en barque et fumer quelques pipes. J’oubliais de te dire que j’irai avec ma mère et Caroline voir les joutes au Havre, avant d’aller à Trouville. Achille a été blessé d’un coup de pied de cheval, pour ne pas dire de plusieurs. Il y a aujourd’hui 5 semaines qu’il est couché ; la membrane qui enveloppe l’articulation du genou avait été déchirée ; un rhumatisme qu’il a de temps en temps à l’épaule s’était jeté là-dessus. Mon père a été pendant trois jours dans de fort graves inquiétudes. Heureusement, c’est fini ; il n’éprouve plus qu’un peu de raideur, mais il ne se lèvera pas avant 8 ou 10 jours, peut-être avant 15, et avant qu’il ait sa jambe droite vigoureuse et ferme. Quant à moi, je deviens colossal, monumental ; je suis bœuf, sphinx, butor, éléphant, baleine, tout ce qu’il y a de plus énorme, de plus empâté et de plus lourd, au moral comme au physique. Si j’avais des souliers avec des cordons, je serais incapable de les nouer. Je ne fais que souffler, hanner, suer et baver ; je suis une machine à chyle, un appareil qui fait du sang qui bat et me fouette le visage […].

QUESTIONS SOCIALES.

Quel est le saint que tu préfères ? C’est le saint Péray. […]

QUESTIONS D’ALGÈBRE.

Quand le bey de Constantine fut expulsé de cette ville, on le réduisit à l’état de rafraîchissement : on lui dit « sors-bey » (sorbet) […]

Les Français sont très élevés en Afrique, ils y tiennent Oran.

M…
Tout à toi.

  1. Cousine germaine de Gustave Flaubert.