Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/0040
Es-tu dessoulé du Carnaval ? es-tu dissous dans un verre de vin blanc, à la mode d’une pierre précieuse que les anciens faisaient fondre dans du vinaigre ? Pierre précieuse, oui ou non, bûche, croûte, animal, tout ce que tu voudras, écris-moi et tu seras bien vu, bien remercié de ta peine.
Je te sais bon gré de m’avoir envoyé tes copies de philosophie : elles me sont d’un grand secours, surtout pour la physique. Je m’attendais à y trouver intercalée quelque lettre de toi ; mais rien, pas plus de nouvelles de mon homme que s’il était parti au diable. Quelle rosse tu fais, grand homme ! Je te pardonne ton retard parce que je sais que la cause en est louable et que tu auras festoyé aux gras jours et parachevauché les commères, bâtin ! Je te prie donc de ne point me faire d’excuses dans ta prochaine lettre, que j’attends immédiatement, et de ne pas perdre une feuille de papier en prologue et préliminaires. Je te demande, par exemple, un volume que tu rempliras de toute ta verve, de ton humour ; laisse aller ta plume, casse-lui le bec, et envoie un gros paquet à ton vieux.
J’ai revu il y a quelques jours le fameux endroit où nous avons, je veux dire où tu as si bien engueueueulé Duguernay. J’ai repensé à nos bonnes promenades, à tant de pipes fumées amicalement, à tant de douces causeries, de blagues, de folies, de vérités, d’interminables fusées de gaieté rabelaisienne, à tout notre passé. Cela vous fait sourire comme si l’on revoyait ses habits de petit enfant.
Adieu, il est midi, il faut que je DÉJEUNE et après que j’aille à la physique.
Réponds-moi de suite ; tout à toi de cœur.