Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/0011
À peine ai-je reçu ta lettre que je m’empresse d’y répondre avec grand plaisir. Quant à moi je travaille, cher Ernest, tous les jours. J’avance dans mon roman d’Isabeau de Bavière dont j’ai fait le double depuis que je suis revenu de mon voyage de Pont-l’Évêque.
Tu connaissais l’Histoire de la religieuse qui s’était en allée de l’Hôpital. Eh bien, l’Indiscret l’a mis dans son journal ; mais jamais article ne fut plus bête ni plus pitoyable. D’abord c’est fort mal écrit, sans verve ni esprit, puis les trois quarts ce n’est que mensonge.
Car je n’ai vu qu’orgueil, que misère et que peine
Sur ce miroir divin qu’on nomme face humaine.
C’est ainsi que parle notre ami Victor Hugo.
Tu crois que je m’ennuie de ton absence, oui tu ne te trompes point et si je n’avais dans la tête et au bout de ma plume une reine de France au quinzième siècle, je serais totalement dégoûté de la vie et il y aurait longtemps qu’une balle m’aurait délivré de cette plaisanterie bouffonne qu’on appelle la vie. Tu m’engages, toi le seul de mes amis, à venir te voir. S’il ne tenait qu’a moi !
Compliments à ta bonne famille, ton ami jusqu’à la mort.