Correspondance 1812-1876, 3/1852/CCCLVII


CCCLVII

À MAURICE SAND, À PARIS


Nohant, 14 septembre 1852.


Je t’envoie la lettre d’Hetzel d’aujourd’hui. Tu verras qu’il faut aller trouver Nanteuil au plus vite[1], si tu ne veux tomber dans le Gérard Séguin, qui me semble bien mou et peu mariable avec toi.

Tu verras les réflexions de ce bon Hetzel sur les journalistes. Il les craint comme un éditeur qu’il est. Il se trompe sur ce que je veux les empêcher de dire. Je désire, au contraire, qu’ils soient de plus en plus mauvais, lâches et méchants, qu’ils jettent le masque enfin devant le sang-froid et la dignité des gens qui sauront comme moi leur dire : « Vous voyez bien ce que vous faites et ce que vous dites ? Ça m’est égal, à moi ; mais je prends le public à témoin de la manière dont vous remplissez votre mandat. Je relève les injures que vous m’adressez, je les signale à l’appréciation de tous. Continuez, vous me ferez plaisir. »

Qu’ont-ils à dire ? des sottises toujours ? Tant mieux. Je suis d’un trop grand sang-froid sur ces choses-là, et trop inattaquable dans ma conscience et dans ma délicatesse pour ne pas les réduire au silence, ou à des fureurs qui les déshonoreront. Laissons faire, je tiens bon.

Hetzel s’inquiète des querelles, des duels même que cela peut attirer à toi et à mes amis. Mes amis n’ont pas le droit de se mêler de cela, je m’y suis toujours opposée, je m’y opposerai toujours. Quant à toi, comme toi et moi c’est la même chose, pour rien au monde il ne faut commettre notre cause dans cette ressource bête et brutale.

Quelque injure qu’on m’adresse, j’ai une épée plus forte dans les mains que la leur, et je ne veux pas être réduite au silence par la menace de l’épée du duel, ni de ta part, ni de la leur.

Nello leur fera faire quelques réflexions là-dessus, sur l’odieux d’attaquer une femme dans son fils, ou le fils dans sa mère. La plus grande tranquillité et la plus grande circonspection de conduite sont donc nécessaires. Ne te laisse entraîner à aucun dépit, à aucune impatience qui me paralyserait dans ma lutte. Évite même les propos autour de toi et sois tranquille. La plupart de ces messieurs, et M. Jules Lecomte en tête, sont si méprisables, qu’on aurait, au besoin, le droit de leur refuser tout autre combat que celui des coups de pied au derrière, et ils ne les chercheront pas.

J’arrive à la fin du roman ; je pense à Mauprat. Sois tranquille. Il faudra bien que je m’en tire et que je fasse un drame dans les conditions dont tu parles et qui, en effet, sont les bonnes.

Bonsoir, mon Bouli ; je t’embrasse mille fois. Recommande bien à Giraud et à Dagneau[2] de mettre sur l’ouvrage que l’auteur se réserve le droit de traduction, et d’envoyer deux exemplaires à la commission dramatique. Tu aurais dû faire mettre cela au contrat, peut-être ; mais je pense qu’ils ne le négligeront pas.

  1. Pour continuer l’illustration des œuvres complètes de George Sand, interrompue par la mort de Tony Johannot.
  2. Ses éditeurs.