Correspondance (d’Alembert)/Correspondance avec Voltaire/141

Œuvres complètes de D’AlembertBelinTome V (p. 234).


Paris, 28 auguste 1775.


M. François (de Neufchâteau), que je ne connaissais pas, vint hier chez moi, mon cher et illustre ami. Il me parut indigné de cette infamie que l’ombre de La Beaumelle, menée par le squelette de Fréron, vient de publier contre la Henriade, et il me dit qu’il avait fait un mémoire où il rendait plainte contre cette atrocité que je ne connais que par ce qu’il m’en a dit ; car je fais justice de ces rapsodies, en n’en lisant jamais aucune. Il m’a dit vous avoir écrit pour vous prier de l’autoriser à poursuivre cette canaille morte et vivante, et m’a prié de vous en écrire aussi. J’ai fort applaudi à l’honnêteté et au zèle de ce jeune homme, et je lui ai répondu de votre reconnaissance, et de celle de tous les gens de lettres dignes de porter ce nom. Il serait temps, ce me semble, qu’on fît justice de pareils marauds. À quoi servirait-il d’avoir tant d’honnêtes gens dans le ministère, si les gredins triomphaient encore ? M. François attend, mon cher maître, une lettre de vous qui l’encourage, et dont il est bien digne. Je désire beaucoup et la publication et le succès du mémoire qu’il prépare, et j’espère que les Welches même, tout Welches qu’ils sont, y applaudiront pour le moins autant qu’à l’Opéra-Comique. Adieu, mon cher et illustre maître ; je vous embrasse, et vous souhaite autant de santé et d’années que vous avez de gloire.

Bertrand l’aîné.