Correspondance (d’Alembert)/Correspondance avec Voltaire/134

Œuvres complètes de D’AlembertBelinTome V (p. 225-226).


Paris, 20 avril 1773.


Mon cher et ancien ami, mon cher maître, mon cher confrère, si je ne vous ai point écrit depuis quelques semaines, ce n’est pas faute d’avoir été occupé de vous ; c’est au contraire parce que je l’étais trop douloureusement. Je croyais faire bien mon devoir de vous aimer ; mais jamais je n’ai mieux senti qu’en ce moment combien vous êtes cher et nécessaire à mon cœur. J’ai écrit deux lettres à madame Denis pour savoir de vos nouvelles, elle ne m’en a point encore donné ; mais je me flatte qu’elle vous aura bien dit le tendre intérêt que je prends à votre état. On nous assure que vous êtes beaucoup mieux, mais très faible ; conservez-vous, mon cher maître ; ménagez-vous, et songez que vous ne pouvez faire aux sots et aux fripons un meilleur tour que de vivre, et de vous bien porter. Ne m’écrivez point ; quelque chères que me soient vos lettres, elles vous fatigueraient ; mais faites-moi donner en détail de vos nouvelles. Tous nos confrères de l’Académie, aux Tartufe et Laurent près, sont aussi tendrement occupés que moi de votre santé et de votre conservation. J’ai reçu votre nouvelle défense de M. de Morangiès, et je l’ai lue avec plaisir ; mais laissez là tous les Morangiès du monde, et portez-vous bien. Dédiez les Lois de Minos à qui vous voudrez, et portez-vous bien.

Vous avez bien raison dans tout ce que vous me dites de l’ouvrage de M. de Condorcet : le succès en a été unanime ; il y a longtemps que le sot public n’a été si juste. L’Académie des sciences vient de lui donner l’adjonction et la survivance à la place de secrétaire, qui depuis trente ans était si mal remplie.

Adieu, mon cher et illustre ami ; portez-vous bien, portez-vous bien, portez-vous bien : voilà tout ce que je désire de vous. J’embrasse Raton de tout mon cœur.

Bertrand.