Correspondance (d’Alembert)/Correspondance avec Voltaire/135

Œuvres complètes de D’AlembertBelinTome V (p. 226-227).


Paris, 27 avril 1773.


Mon cher maître, mon cher ami, je répondrai à ce que vous mandez de Catau :

Seigneur, s’il est ainsi, votre faveur est vaine.

Je doutais fort, malgré toute l’éloquence de Bertrand, qu’il obtînt d’elle la délivrance des rats qui se sont allés jeter assez mal-à-propos dans sa ratière. Les circonstances ne permettent peut-être pas que Catau leur donne la clef des champs, et Bertrand, tout philosophe qu’il est, est en même temps raisonnable ; mais Bertrand pouvait au moins, et devait même s’attendre à une réponse honnête et raisonnable, et non au persiflage que vous lui transcrivez. Voilà une nouvelle note à ajouter à toutes celles que j’ai déjà sur les Catau et compagnie. Je ne sais de qui la philosophie a le plus à se plaindre en ce moment, ou de ses vils ennemis, ou de ses soi-disant protecteurs. Je sais du moins, et j’apprends tous les jours davantage, et à mon grand regret, qu’elle doit prendre pour sa devise, ne t’attends qu’à toi seule ; bien entendu que ceux qui la persiflent n’attendront non plus d’elle que la justice et la vérité. Quoi qu’il en soit, je désirerais au moins de la personne que vous appelez singulière, et qui pourrait mériter un plus beau nom si elle le voulait, une réponse quelconque, honnête ou non, philosophique ou impériale, grave si elle le veut, ou plaisante si elle le peut ; je la joindrai à mes deux lettres, et je mettrai au bas ces deux mots de Tacite, per amicos oppressi, qui me paraissent si bien convenir aux malheureux philosophes.

Quant à Childebrand, je souhaite qu’il vous soit utile, et à cette condition je vous pardonnerais de l’amadouer, je vous y exhorterais même.

Qu’importe de quel bras Dieu daigne se servir !


Mais j’ai peur que vous n’en soyez pour vos caresses, et que Childebrand ne se moque de vous. Il est trop vil pour oser élever sa voix, dans le pays du mensonge, en faveur du génie calomnié et persécuté.

Quoi qu’il en soit, mon cher ami, ô et præsidium et dulce decus meum, j’attends avec impatience le recueil proscrit que vous m’annoncez du bel esprit genevois ; j’y verrai la lettre sur les deux puissances, et je souhaite d’être convaincu, après cette lecture, que la puissance temporelle n’a rien à se reprocher. Ainsi soit-il ! mais ce que je désire bien davantage, c’est de vous savoir en meilleure santé, et de pouvoir dire aux ennemis de la philosophie qui demanderont de vos nouvelles, il se porte trop bien pour vous. Adieu, mon cher maître, conservez-vous et aimez-moi comme je vous aime.