Correspondance (d’Alembert)/Correspondance avec Voltaire/120

Œuvres complètes de D’AlembertBelinTome V (p. 206-207).


Paris, 12 décembre 1770.


Je vous ai déjà averti, il y a quelques jours, mon cher et illustre maître, que le président Debrosses est sur les rangs pour l’Académie, et qu’il a des partisans. J’ai été depuis aux informations, et j’ai su que le nombre de ces partisans est en effet considérable, et que nous sommes menacés de cette plate acquisition, si nous ne faisons pas l’impossible pour la parer. Or, vous saurez que le grand promoteur de ce plat président, est le doucereux Foncemagne, qui peut-être craindrait de vous désobliger, s’il savait que vous serez offensé d’un pareil choix. Je voudrais donc que vous en écrivissiez, sans dire de quelle part l’avis vous vient, à M. d’Argental, intime ami de Foncemagne, et que M. d’Argental parlât à Foncemagne de votre part. Vous auriez soin de mettre dans votre lettre quelque chose d’honnête pour Foncemagne, qui en serait flatté, qui vraisemblablement aurait égard à ce que vous lui feriez dire, et qui ignore aussi vraisemblablement que vous avez à vous plaindre du président Debrosses. Il serait bon aussi que vous en écrivissiez fortement à l’abbé de Voisenon, qui, sans cela, pourrait être favorable au président, étant gagné, à ce que je crois, par l’archevêque de Lyon, qui assure que nous ne pouvons faire un meilleur choix à la place du président Hénault.

Il paraît jusqu’à présent que la place de Moncrif sera pour Gaillard ; ce choix n’est pas délicieux, mais passable ; encore ne faut-il pas trop dire l’intérêt que vous y prenez, car ce motif pourrait lui faire perdre des voix qu’il aurait eues. Pour La Harpe, je vois clairement qu’il n’y faut pas penser en ce moment, et que nous ne réussirions pas, si ce n’est peut-être à lui casser le cou. Je ne vois que deux moyens pour nous sauver d’un mauvais choix, c’est de prendre l’abbé Delille, ou d’engager quelqu’un de la cour à se présenter. Je ne désespère pas que nous ne réussissions à l’un ou à l’autre. Adieu, mon cher et illustre maître ; écrivez à M. d’Argental et à l’abbé de Voisenon, et surtout ne dites pas que l’avis vous vienne de moi. Je vous embrasse de tout mon cœur, et serai jusqu’à la fin tuus ex animo.