Correspondance (d’Alembert)/Correspondance avec Voltaire/096

Œuvres complètes de D’AlembertBelinTome V (p. 182-183).


Paris, 17 décembre 1768.


Je suis dans mon lit avec un rhume, mon cher et illustre maître, et je me sers d’un secrétaire pour vous répondre sur-le-champ. Je suis étonné que vous n’ayez point reçu une lettre que je vous ai écrite il y a quinze jours, et dans laquelle je vous mandais le triste état de notre pauvre Damilaville, qui a cessé de vivre, ou plutôt de souffrir, le 13 de ce mois. Il y avait plus de trois semaines qu’il existait avec douleur et presque sans connaissance, et sa mort n’est qu’un malheur pour ses amis. Il a été confessé sans rien entendre, et a reçu l’extrême-onction sans s’en apercevoir.

Je vous disais aussi, dans la même lettre, que notre secrétaire Duclos étant malade d’une fluxion de poitrine, m’avait chargé de vous remercier pour lui de l’exemplaire de votre ouvrage que vous lui avez envoyé. Il est mieux à présent, mais encore bien faible ; et il m’a chargé de vous réitérer ses remerciements, et de vous dire que l’Académie recevrait, avec grand plaisir, l’exemplaire que vous lui destinez.

Je vous félicite d’avoir eu M. de Rochefort dans votre solitude pendant quelques jours ; c’est un très galant homme, fort instruit, et ami zélé de la philosophie et des lettres.

Le roi de Danemarck ne m’a presque parlé que de vous dans la conversation de deux minutes que j’ai eu l’honneur d’avoir avec lui : je vous assure qu’il aurait mieux aimé vous voir à Paris que toutes les fêtes dont on l’a accablé. J’ai fait à l’Académie des sciences, le jour qu’il est venu, un discours dont tous mes confrères et le public m’ont paru fort contents ; j’y ai parlé de la philosophie et des lettres avec la dignité convenable ; le roi m’en a remercié ; mais les ennemis de la philosophie et des lettres ont fait la mine ; je vous laisse à penser si je m’en soucie.

J’ignore les intrigues de La Bletterie, et je les méprise autant que sa traduction et sa personne. Je ne vous mande rien de toutes les sottises qui se font et qui se disent ; vous les savez sans doute par d’autres, et sûrement vous en pensez comme moi. J’ai lu, il y a quelques jours, une brochure intitulée l’A, B, C ; j’ai été charmé surtout de ce qu’on y dit sur la guerre et sur la liberté naturelle. Adieu, mon cher et ancien ami ; pensez quelquefois, dans votre retraite, à un confrère qui vous aime de tout son cœur, et qui vous embrasse de même.