Correspondance (d’Alembert)/Correspondance avec Voltaire/097

Œuvres complètes de D’AlembertBelinTome V (p. 183-184).


Paris, 2 janvier 1769.


Je ne suis plus enrhumé, mon cher maître, mais je me sers d’un scribe pour ménager mes yeux qui sont très faibles aux lumières. Je vous envoie mon discours, puisque vous lui faites l’honneur de vouloir le lire. Je vous l’ai fait attendre quelques jours, et beaucoup plus longtemps qu’il ne mérite, parce qu’il était à courir le monde, et que je n’ai pu le ravoir qu’aujourd’hui ; voulez-vous bien me le renvoyer sous l’enveloppe de Marin ? Il n’est que trop vrai qu’un certain gentilhomme a tenu au roi de Danemarck le ridicule propos qu’on vous a dit. Vous verrez dans mon discours un petit mot de correction fraternelle pour ce gentilhomme qui était présent, et qui, à ce que je crois, l’aura sentie ; car je ne gâte pas ces messieurs. Vous voyez, mon cher ami, ce qui en arrive quand on les flatte ; ils trouvent mauvais qu’on se moque des plats auteurs qu’ils protègent ; on s’expose à de tels reproches quand on caresse ceux qui les font. La critique de Linguel aurait pu être meilleure et de meilleur goût ; cependant, comme il a raison presque en tout, elle a beaucoup chagriné son maussade adversaire ; la liste des phrases tirées de la traduction est bien ridicule, et peut-être aurait suffi.

Vous devez des regrets au pauvre Damilaville ; il vous était bien attaché. Je savais qu’il était marié, mais non par lui, car il ne me disait rien de ses affaires. J’ai vu sa femme une seule fois, et, d’après cette vue, je doute fort qu’il ait été cocu ; mais ce qui me fâche le plus, c’est que cette vilaine mégère (car c’en était une) emporte tout le peu qu’il laisse, et qu’il ne restera pas même de quoi payer un bon domestique qu’il avait.

Je n’ai point lu la collection des ouvrages de Leibnitz ; je crois que c’est un fatras où il y a bien peu de choses à apprendre.

Il est vrai que j’ai donné cette année deux gros volumes in-4o. de géométrie ; ce seront vraisemblablement les derniers.

Notre secrétaire, toujours convalescent et assez faible, vous fait mille compliments. Quant à l’A, B, C, personne n’ignore qu’il est en effet traduit de l’anglais par un avocat. Vale et me ama.