Correspondance (d’Alembert)/Correspondance avec Voltaire/077

Œuvres complètes de D’AlembertBelinTome V (p. 162-163).
◄  4 mai 1767


Paris, 12 mai 1767.


Je crois, mon cher maître, vous avoir parlé, dans ma dernière lettre, d’une liste de propositions que la Sorbonne a extraites de Bélisaire, pour les condamner ; liste qui est le comble de l’atrocité et de la bêtise. Cette canaille mourait de peur que cette liste ne se répandît avant la censure : en conséquence les amis de Marmontel l’ont fait imprimer, et frère Damilaville vous l’enverra : vous ne pourrez pas en croire vos yeux, tant ces animaux-là sont absurdes. Je me flatte que le cri public va les faire rentrer dans la boue, et qu’ils n’oseront pas publier leur censure, tant la seule liste des propositions les rendra d’avance odieux et ridicules.

Chabanon m’étonne et m’afflige beaucoup en m’apprenant que vous n’êtes pas content de sa pièce. Je vous avoue qu’elle m’a fait beaucoup de plaisir, et me paraissait iien meilleure que dans le premier état ; mais vous vous y connaissez mieux que moi. La seule chose que je vous demande, mon cher maître, et que mon amitié pour Chabanon exige de la vôtre pour moi, c’est de vouloir bien donner à son ouvrage, pour le fond et pour les détails, toute l’attention possible ; Chabanon le mérite en vérité, et par lui-même, et par les sentiments qu’il a pour vous. L’intérêt que vous lui marquerez en cette occasion sera une nouvelle obligation que je vous aurai ; car on ne saurait lui être plus attaché que je ne le suis.

Voilà donc les jésuites chassés d’Espagne et puis de France, grâce à l’abbé de Chauvelin, et vraisemblablement bientôt de Naples et de Parme. On dit pourtant que Naples sera difficile, parce qu’ils y ont à leurs ordres cent cinquante mille coquins. L’autre jour je déplorais leur sort ; car au fond je suis bon homme ; quelqu’un me dit : Vous êtes bien bon de vous lamenter pour des hommes qui vous verraient brûler en riant. J’avoue que j’essuyai un peu mes larmes ; ils me font pitié pourtant. Oh ! qu’il est doux de plaindre ! etc. Adieu, mon cher et illustre confrère ; je vous embrasse de tout mon cœur.

Vous ne voulez donc pas dire au libraire de m’envoyer quelques exemplaires de l’ouvrage de mathématiques. Ce sera de la moutarde après dîner. Vale et me ama.