Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1 Clitandre Acte IV
ACTE IV.
Scène première.
Je te le dis encor, tu perds temps à me suivre ;
Souffre que de tes yeux ta pitié me délivre :
Tu redoubles mes maux par de tels entretiens.
Prenez à votre tour quelque pitié des miens,
Madame, et tarissez ce déluge de larmes[2] :
Pour rappeler un mort ce sont de foibles armes j
Et quoi que vous conseille un inutile ennui,
Vos cris et vos sanglots ne vont point jusqu’à lui.
Si mes sanglots ne vont où mon cœur les envoie,
Du moins par eux mon âme y trouvera la voie[3] :
S’il lui faut un passage afin de s’envoler,
Ils le lui vont ouvrir en le fermant à l’air.
Sus donc, sus, mes sanglots ! redoublez vos secousses :
Pour un tel désespoir vous les avez trop douces ;
Faites pour m’étouffer de plus puissants efforts.
Ne songez plus, Madame, à rejoindre les morts[4] ;
Pensez plutôt à ceux qui n’ont point d’autre envie[5]
Que d’employer pour vous le reste de leur vie ;
Pensez, plutôt à ceux dont le service offert
Accepté vous conserve, et refusé vous perd.
Crois-tu donc, assassin, m’acquérir par ton crime ?
Qu’innocent méprisé, coupable je t’estime ?
À ce compte, tes feux n’ayant pu m’émouvoir,
Ta noire perfidie obtiendroit ce pouvoir[6] ?
Je chérirois en toi la qualité de traître,
Et mon affection commenceroit à naître
Lorsque tout l’univers a droit de te haïr ?
Si j’oubliai l’honneur jusques à le trahir,
Si pour vous posséder mon esprit, tout de flamme,
N’a rien cru de honteux, n’a rien trouvé d’infâme,
Voyez par là, voyez l’excès de mon ardeur :
Par cet aveuglement jugez de sa grandeur.
Non, non, ta lâcheté, que j’y vois trop certaine,
N’a servi qu’à donner des raisons à ma haine.
Ainsi ce que j’avois pour toi d’aversion
Vient maintenant d’ailleurs que d’inclination :
C’est la raison, c’est elle à présent qui me guide
Aux mépris que je fais des flammes d’un perfide.
Je ne sache raison qui s’oppose à mes vœux,
Puisqu’ici la raison n’est que ce que je veux,
Et ployant dessous moi, permet à mon envie
De recueillir les fruits de vous avoir servie.
Il me faut des faveurs malgré vos cruautés[7].
Exécrable ! ainsi donc tes désirs effrontés
Voudroient sur ma foiblesse user de violence[8] ?
Je ris de vos refus, et sais trop la licence
Que me donne l’amour en cette occasion.
Traître, ce ne sera qu’à ta confusion.
Ah, cruelle !
[12] !
Ah ! brigandAh ! que viens-tu de faire ?
Ton sang m’en répondra ; tu m’auras beau prier.
Tu mourras.
Fuis, Dorise, et laisse-le crier.
Scène II.
Où s’est-elle cachée ? où l’emporte sa fuite ?
Où faut-il que ma rage adresse ma poursuite ?
La tigresse m’échappe, et telle qu’un éclair,
En me frappant les yeux, elle se perd en l’air ;
Ou plutôt, l’un perdu, l’autre m’est inutile ;
L’un s’offusque du sang qui de l’autre distile.
Coule, coule, mon sang : en de si grands malheurs[16].
Tu dois avec raison me tenir lieu de pleurs :
Ne verser désormais que des larmes communes,
C’est pleurer lâchement de telles infortunes.
Je vois de tous côtés mon supplice approcher ;
N’osant me découvrir, je ne me puis cacher.
Mon forfait avorté se lit dans ma disgrâce[17],
Et ces gouttes de sang me font suivre à la trace.
Miraculeux effet ! Pour traître que je sois,
Mon sang l’est encor plus, et sert tout à la fois
De pleurs à ma douleur, d’indices à ma prise,
De peine à mon forfait, de vengeance à Dorise.
Ô toi qui, secondant son courage inhumain[18],
Loin d’orner ses cheveux, déshonores sa main,
Exécrable instrument de sa brutale rage,
Tu devois[19] pour le moins respecter son image :
Ce portrait accompli d’un chef-d’œuvre des cieux,
Imprimé dans mon cœur, exprimé dans mes veux,
Quoi que te commandât une âme si cruelle[20],
Devoit être adoré de ta pointe rebelle.
Honteux restes d’amour qui brouillez mon cerveau !
Quoi ! puis-je en ma maîtresse adorer mon bourreau[21] ?
Remettez-vous, mes sens ; rassure-toi, ma rage ;
Reviens, mais reviens seule animer mon courage[22] ;
Tu n’as plus à débattre avec mes passions
L’empire souverain dessus mes actions ;
L’amour vient d’expirer, et ses flammes éteintes[23]
Ne t’imposeront plus leurs infâmes contraintes.
Dorise ne tient plus dedans mon souvenir
Que ce qu’il faut de place à l’ardeur de punir[24] :
Je n’ai plus rien en moi qui n’en veuille à sa vie.
Sus donc, qui me la rend ? Destins, si votre envie,
Si votre haine encor s’obstine à mes tourments[25],
Jusqu’à me réserver à d’autres châtiments,
Faites que je mérite, en trouvant l’inhumaine,
Par un nouveau forfait, une nouvelle peine ;
Et ne me traitez pas avec tant de rigueur,
Que mon feu ni mon fer ne touchent point son cœur.
Mais ma fureur se joue, et demi-languissante,
S’amuse au vain éclat d’une voix impuissante.
Recourons aux effets, cherchons de toutes parts ;
Prenons dorénavant pour guides les hasards[26].
Quiconque ne pourra me montrer la cruelle[27],
Que son sang aussitôt me réponde pour elle ;
Et ne suivant ainsi qu’une incertaine erreur,
Remplissons tous ces lieux de carnage et d’horreur.
Le vent fuit d’épouvante, et le tonnerre en gronde ;
L’œil du ciel s’en retire, et par un voile noir,
N’y pouvant résister, se défend d’en rien voir ;
Cent nuages épais se distillant en larmes,
À force de pitié, veulent m’ôter les armes ;
La nature étonnée embrasse mon courroux[28],
Et veut m’offrir Dorise, ou devancer mes coups.
Tout est de mon parti : le ciel même n’envoie
Tant d’éclairs redoublés qu’afin que je la voie.
Quelques lieux où l’effroi porte ses pas errants[29],
Ils sont entrecoupés mille gros torrents.
Que je serois heureux, si cet éclat de foudre[30],
Pour m’en faire raison, l’avoit réduite en poudre !
Allons voir ce miracle, et désarmer nos mains.
Si le ciel a daigné prévenir nos desseins.
Destins, soyez enfin de mon intelligence.
Et vengez mon affront, ou souffrez, ma vengeance !
Scène III.
Quel bonheur m’accompagne en ce moment fatal !
Le tonnerre a sous moi foudroyé mon cheval,
Et consumant sur lui toute sa violence,
Il m’a porté respect parmi son insolence.
Tous mes gens, écartés par un subit effroi,
Loin d’être à mon secours, ont fui d’autour de moi,
On déjà dispersés par l’ardeur de la chasse,
Ont dérobé leur tête à sa fière menace.
Cependant seul, à pied, je pense à tous moments
Voir le dernier débris de tous les éléments,
Dont l’obstination à se faire la guerre
Met toute la nature au pouvoir du tonnerre.
Dieux, si vous témoignez par là votre courroux,
De Clitandre ou de moi lequel menacez-vous ?
La perte m’est égale, et la même tempête
Qui l’auroit accablé tomberoit sur ma tête.
Pour le moins, justes Dieux, s’il court quelque danger[31],
Souffrez que je le puisse avec lui partager.
J’en découvre à la fin quelque meilleur présage ;
L’haleine manque aux vents, et la force à l’orage ;
Les éclairs, indignés d’être éteints par les eaux,
En ont tari la source et séché les ruisseaux ;
Et déjà le soleil de ses rayons essuie
Sur ces moites rameaux le reste de la pluie.
Au lieu du bruit affreux des foudres décochés,
Les petits oisillons, encor demi-cachés[32]…
Mais je verrai bientôt quelques-uns de ma suite :
Je le juge à ce bruit.
Scène IV.
Je te retiens, barbare.
Hélas !
Tout l’univers ici ne te peut secourir.
L’égorger à ma vue ! ô l’indigne spectacle !
Sus, sus, à ce brigand opposons un obstacle.
Arrête, scélérat !
Téméraire, où vas-tu ?
Sauver ce gentilhomme à tes pieds abattu.
Traître, n’avance pas ; c’est le Prince.
[36] ;
Il m’oblige à sa mort, m’ayant vu de la sorte.
Est-ce là le respect que tu dois à mon rang ?
Quelque respect ailleurs que ta naissance obtienne[37],
Pour assurer ma vie, il faut perdre la tienne.
S’il me demeure encor quelque peu de vigueur,
Si mon débile bras ne dédit point mon cœur,
J’arrêterai le tien.
Que fais-tu, misérable ?
Je détourne le coup d’un forfait exécrable.
Avec ces vains efforts crois-tu m’en empêcher[39] ?
Par une heureuse adresse il l’a fait trébucher.
Assassin, rends l’épée[40].
Scène V.
Écoute, il est fort proche :
Et c’est lui que tantôt nous avions entendu.
Prends ce fer en ta main.
Ah cieux ! je suis perdu.
Oui, je le vois. Seigneur, quelle aventure étrange[43],
Quel malheureux destin en cet état vous range ?
Vous y pourront servir, faute d’autres liens.
Je veux qu’à mon retour une prompte justice
Lui fasse ressentir par l’éclat d’un supplice[44],
Sans armer contre lui que les lois de l’État,
Que m’attaquer n’est pas un léger attentat.
Sachez que s’il échappe il y va de vos têtes.
Si nous manquons, Seigneur, les voilà toutes prêtes[45].
Admirez cependant le foudre et ses efforts.
Qui dans cette forêt ont consumé trois corps[46] :
En voici les habits, qui sans aucun dommage
Semblent avoir bravé la fureur de l’orage.
Tu montres à mes yeux de merveilleux effets[47].
Mais des marques plutôt de merveilleux forfaits.
Ces habits, dont n’a point approché le tonnerre[48],
Sont aux plus criminels qui vivent sur la terre :
Connoissez-les, grand prince, et voyez devant vous[49]
Pymante prisonnier, et Dorise à genoux.
Que ce soit là Pymante, et que tu sois Dorise !
Quelques étonnements qu’une telle surprise
Jette dans votre esprit, que vos yeux ont déçu,
D’autres le saisiront quand vous aurez tout su.
La honte de paroître en un tel équipage
Coupe ici ma parole et l’étouffe au passage ;
Souffrez que je reprenne en un coin de ce bois[50]
Avec mes vêtements l’usage de la voix,
Pour vous conter le reste en habit plus sortable.
Cette honte me plaît : ta prière équitable,
En faveur de ton sexe et du secours prêté,
Suspendra jusqu’alors ma curiosité.
Tandis, sans m’éloigner beaucoup de cette place,
Je vais sur ce coteau pour découvrir la chasse ;
Tu l’y ramèneras. Vous, s’il ne veut marcher[51],
Gardez-le cependant au pied de ce rocher.
Scène VI.
Dans ces funestes lieux où la seule inclémence
D’un rigoureux destin réduit mon innocence,
Je n’attends désormais du reste des humains
Ni faveur ni secours, si ce n’est par tes mains.
Je ne connois que trop où tend ce préambule[54].
Vous n’avez pas affaire à quelque homme crédule :
[55],
Se disent comme vous du malheur accablés[56],
Et la justice à tous est injuste de sorte
Que la pitié me doit leur faire ouvrir la porte ;
Mais je me tiens toujours ferme dans mon devoir :
Soyez coupable ou non, je n’en veux rien savoir ;
Le Roi, quoi qu’il en soit, vous a mis en ma garde :
Il me suffit : le reste en rien ne me regarde[57].
Tu juges mes desseins autres qu’ils ne sont pas.
Je tiens l’éloignement pire que le trépas.
Et la terre n’a point de si douce province
Où le jour m’agréât loin des yeux de mon Prince.
Hélas ! si tu voulois l’envoyer avertir[58]
Du péril dont sans lui je ne saurois sortir,
Ou qu’il lui fût porté de ma part une lettre,
De la sienne en ce cas je t’ose bien promettre
Que son retour soudain des plus riches te rend :
Que cet anneau t’en serve et d’arrhe et de garant ;
Tends la main et l’esprit vers un bonheur si proche.
Monsieur, jusqu’à présent j’ai vécu sans reproche,
Et pour me suborner promesses ni présents
N’ont et n’auront jamais de charmes suffisants.
C’est de quoi je vous donne une entière assurance :
Perdez-en le dessein avecque l’espérance :
Et puisque vous dressez des piéges à ma foi.
Adieu, ce lieu devient trop dangereux pour moi[59].
Scène VII.
Va, tigre ! va, cruel, barbare, impitoyable[60] !
Ce noir cachot n’a rien tant que toi d’effroyable.
Va, porte aux criminels tes regards, dont l’horreur
Peut seule aux innocents imprimer la terreur[61] :
Ton visage déjà commençoit mon supplice ;
Et mon injuste sort, dont tu te fais complice,
Ne t’envovoit ici que pour m’épouvanter.
Ne t’envoyoit ici qie pour me tourmenter.
Cependant, malheureux, à qui me dois-je prendre
D’une accusation que je ne puis comprendre ?
A-t-on rien vu jamais, a-t-on rien vu de tel ?
Mes gens assassinés me rendent criminel ;
L’auteur du coup s’en vante, et l’on m’en calomnie ;
On le comble d’honneur et moi d’ignominie ;
L’échafaud qu’on m’apprête au sortir de prison,
C’est par où de ce meurtre on me fait la raison.
Mais leur déguisement d’autre côté m’étonne :
Jamais un bon dessein ne déguisa personne ;
Leur masque les condamne, et mon seing contrefait,
M’imputant un cartel, me charge d’un forfait.
Mon jugement s’aveugle, et, ce que je déplore,
Je me sens bien trahi, mais par qui ? je l’ignore ;
Et mon esprit troublé, dans ce confus rapport,
Ne voit rien de certain que ma honteuse mort.
Traître, qui que tu sois, rival, ou domestique,
Le ciel te garde encore un destin plus tragique.
N’importe, vif ou mort, les gouffres des enfers
Auront pour ton supplice encor de pires fers[62].
Là mille affreux bourreaux t’attendent dans les flammes ;
Moins les corps sont punis, plus ils gênent les âmes,
Et par des cruautés qu’on ne peut concevoir,
Ils vengent l’innocence au delà de l’espoir[63].
Et vous, que désormais je n’ose plus attendre,
Prince, qui m’honoriez d’une amitié si tendre,
Et dont l’éloignement fait mon plus grand malheur[64],
Bien qu’un crime imputé noircisse ma valeur,
Que le prétexte faux d’une action si noire
Ne laisse plus de moi qu’une sale mémoire[65],
Permettez que mon nom, qu’un bourreau va ternir,
Dure sans infamie en votre souvenir,
Ne vous repentez point de vos faveurs passées :
Comme chez un perfide indignement placées :
J’ose, j’ose espérer qu’un jour la vérité
Paroîtra toute nue à la postérité,
Et je tiens d’un tel heur l’attente si certaine,
Qu’elle adoucit déjà la rigueur de ma peine ;
Mon âme s’en chatouille, et ce plaisir secret
La prépare à sortir avec moins de regret.
Scène VIII.
Vous m’avez dit tous deux d’étranges aventures.
Ah ! Clitandre ! ainsi donc de fausses conjectures
T’accablent, malheureux, sous le courroux du Roi[68] !
Ce funeste récit me met tout hors de moi.
Hâtant un peu le pas, quelque espoir me demeure[69]
Que vous arriverez auparavant qu’il meure.
À son ombre immolé ne me suffira pas.
C’est trop peu de l’auteur de tant d’énormes crimes ;
Innocent, il aura d’innocentes victimes.
Où que soit Rosidor, il le suivra de près,
Et je saurai changer ses myrtes en cyprès[70].
Souiller ainsi vos mains du sang de l’innocence !
Mon déplaisir m’en donne une entière licence.
J’en veux, comme le Roi, faire autant à mon tour ;
Et puisqu’en sa faveur on prévient mon retour,
Il est trop criminel. Mais que viens-je d’entendre[71] ?
Je me tiens presque sûr de sauver mon Clitandre ;
La chasse n’est pas loin, où prenant un cheval,
Je préviendrai le coup de son malheur fatal ;
II suffit de Cléon[72] pour ramener Dorise.
Vous autres, gardez bien de lâcher votre prise ;
Un supplice l’attend, qui doit faire trembler
Quiconque désormais voudroit lui ressembler.
- ↑ Var. pymante, dorise, dans une caverne. (1532-57)
- ↑ Var. Tarissez désormais ce déluge de larmes (a). (1632-57)
(a). Le IVe acte commence à ce vers dans les éditions de 1632-57. - ↑ Var. Au moins par eux mon âme y trouvera la voie. (632-57)
- ↑ Var. Belle, ne songez plus à rejoindre les morts. (1632)
Var. Ne songez plus, Dorise, à rejoindre les morts. (1644-57) - ↑ Var. Pensez plutôt à ceux qui vivants n’ont envie. (1632-57)
- ↑ Var. Ton perfide attentat obtiendroit ce pouvoir ? (1632-57)
- ↑ Var. Il me faut un baiser malgré vos cruautés (a). (1632-57)
(a). En marge, dans l’édition de 1632 : Il veut user de force. - ↑ Var. Veulent sur ma foiblesse user de violence.
pym. Que sert d’y résister ? je sais trop la licence. (1632-57) - ↑ Var. Elle lui crève un œil du poinçon qui lui étoit demeuré dans les cheveux. (1632, en marge.) — Elle lui crève l’œil de son aiguille. (1663, en marge.)
- ↑ Var. Il porte les mains a son œil crevé. (1663, en marge.)
- ↑ Var’. dorise, en s’échappant de lui. (1632-1657)
- ↑ Var. Ah ! infâme ! (1632)
- ↑ Var. dorise, sortie de la caverne.
- ↑ Var. De tirer mon honneur des efforts d’un corsaire (a).
pymante, ramassant son épée.
Barbare, je t’aurai, dorise, se cachant. Fuyons, il va sortir.
Qu’à propos ce buisson s’offre à me garantir !
pymante, sorti. Ne crois pas m’échapper : quoi que ta ruse fasse,
J’ai ta mort en ma main. dorise, cachée. Dieux ! le voilà qui passe.
pymante passe de l’autre côté du théâtre (b).
Tigresse !
dorise, revenant sur le théâtre (c).
Il est passé, je suis hors de danger.
Ainsi dorénavant mon sort puisse changer !
Ainsi dorénavant le ciel plus favorable
Me prête en ces malheurs une main secourable !
Cependant, pour loyer de sa lubricité (d),
Son œil m’a répondu de sa pudicité,
Et dedans son cristal mon aiguille enfoncée,
Attirant ses deux mains, m’a désembarrassée.
Aussi le falloit-il que ce même poinçon,
Qui premier de mon sexe engendra ce soupçon,
Fût l’auteur de ma prise et de ma délivrance,
Et qu’après mon péril il fit mon assurance (e).
Va donc, monstre bouffi de luxure et d’orgueil,
Venge sur ces rameaux la perte de ton œil,
Fais servir si tu veux, dans ta forcenerie,
Les feuilles et le vent d’objets à ta furie :
Dorise, qui s’en moque et fuit d’autre côté.
En s’éloignant de toi se met en sûreté.
SCÈNE II (f).
pym. Qu’est-elle devenue ? Ainsi donc l’inhumaine
Après un tel affront rend ma poursuite vaine !
Ainsi donc la cruelle, à guise d’un éclair,
En me frappant les yeux est disparue en l’air !
[Ou plutôt, l’un perdu, l’autre m’est inutile.] (1632-57)
(a). De sauver mon honneur des efforts d’un corsaire. (1644-57}
(b). pymante, passe de l’autre côté du théâtre. (1644-57).
(c). Ici commence la scène à dans les éditions de 1644-57.
(d). Pour peine cependant de sa lubricité. (1644-57)
(e). Ces quatre vers, à partir de : « Aussi le falloit-il, etc., » manquent dans les éditions de 1644-57.
(f). scène iii. (1644-57) - ↑ Var. Il prend son épée dans la grotte où il l’avait jetée au second acte. (1663, en marge.)
- ↑ Var. Coule, coule, mon sang : dans de si grands malheurs. (1632-57)
- ↑ Var. Mon forfait évident se lit dans ma disgrâce. (1632-57)
- ↑ Var. Bourreau qui, secondant son courage inhumain (a),
Au lieu d’orner son poil, déshonorez (sic) sa main. (1632)
(a). En marge : Il tient a la main le poinçon que Dorise lui avoit laissé dans l’œil. - ↑ On lit tu devrois dans l’édition de 1682, mais c’est probablement une faute d’impression.
- ↑ Var. Quoi que te commandât son âme courroucée,
Devoit être adoré de ta pointe émoussée ;
Quelque secret instinct te devoit figurer
Que se prendre à mon œil c’étoit le déchirer.
Et toi, belle, reviens, reviens, cruelle ingrate,
Vois comme encor l’amour en ta faveur me flatte.
Ce poinçon qu’à mon heur j’éprouve si fatal.
Ce n’est qu’a ton sujet que je lui veux du mal :
Vois dans ces vains propos, par où mon cœur se venge,
Moins de blâme pour lui que pour toi de louange (a).
Tu n’as dans ta colère usé que de tes droits,
Et ma vie et ma mort dépendant de tes lois,
Il t’étoit libre encor de m’être plus funeste.
Et c’est de ta pitié que j’en tiens ce qui reste.
Reviens, belle, reviens, que j’offre tout blessé
À tes ressentiments ce que tu m’as laissé.
Lâche et honteux retour de ma flamme insensée !
Il semble que déjà ma fureur soit passée,
Et tous mes sens, brouillés d’un désordre nouveau,
Au lieu de ma maîtresse adorent mon bourreau. (1632-57)
(a). Ces quatre vers, à partir de : « Ce poinçon qu’à mon heur, etc., » ne sont que dans l’édition de 1632. - ↑ Var. Pourrois-je en ma maîtresse adorer mon bourreau. (1660)
- ↑ Var. Seule je te permets d’occuper mon courage. (1632-57)
- ↑ Var. L’amour vient d’expirer, et ses flammes dernières
S’éteignant ont jeté leurs plus vives lumières. (1632-57) - ↑ Var. Que ce qu’il faut de place aux soins de la punir :
Je n’ai plus de penser qui n’en veuille a sa vie. (1632-57) - ↑ Var. Implacable pour moi, s’obstine à mes tourments,
Si vous me réservez à d’autres châtiments. (1632-57) - ↑ Var. Prenons dorénavant pour guide les hasards. (644-57)
- ↑ Var. Quiconque rencontré n’en saura de nouvelle. (1632 et 48)
Var. Quiconque rencontré n’en saura la nouvelle. (1644 et 52-57) - ↑ Var. L’univers, n’ayant pas de force à m’opposer.
Me vient offrir Dorise afin de m’apaiser. (1632-57) - ↑ Var. Quelque part où la peur porte ses pas errants. (1632-57)
- ↑ Var. Ô suprême faveur ! Ce grand éclat de foudre,
Décoché sur son chef, le vient de mettre en poudre,
Ce fer, s’il est ainsi, me va tomber des mains ;
Ce coup aura sauvé le reste des humains.
Satisfait par sa mort, mon esprit se modère,
Et va sur sa charogne achever sa colère (a).
SCÈNE III (b).
le prince. Que d’heur en ce péril ! sans me faire aucun mal,
[Le tonnerre a sous moi foudroyé mon cheval]
Et consommant sur lui toute sa violence (c),
M’a montré son respect parmi son insolence.
Holà ! quelqu’un à moi ! Tous mes gens écartés,
Loin de me secourir, suivent de tous côtés
L’effroi de la tempête ou l’ardeur de la chasse.
Cette ardeur les emporte ou la frayeur les glace.
[Cependant seul, à pied, je pense à tous moments.] (1632-57)
(a). Et va par ce spectacle assouvir sa colère. (1644-57)
(b). scène iv. (1644-57)
(c) [Et consumant sur lui toute sa violence. (1648-57) - ↑ Var. Pour le moins, Dieux, s’il court quelque danger fatal.
Qu’il en ait comme moi plus de peur que de mal. (1632-57) - ↑ Var. [Les petits oisillons, encor demi-cachés,]
Poussent en tremblotant, et hasardent à peine
Leur voix, qui se dérobe à la peur incertaine
Qui tient encor leur âme et ne leur permet pas
De se croire du tout préservés du trépas.
J’aurai bientôt ici quelques-uns de ma suite. (1632-57) - ↑ Var. le prince, pymante, dorise, deux veneurs. (1632)
- ↑ Var. pymante, terrassant Dorise. (1632-60) — Il saisit Dorise qui le fuyait. (1663, en marge.)
- ↑ Var. pymante, tenant Dorise d’une main, et se bat de l’autre contre le Prince. (1632) — Il tient Dorise d’une main, et se bat de l’autre. (1663, en marge.)
- ↑ Var. C’est le Prince, tout beau ! pym. Prince ou non, ne m’importe. (1632-57)
- ↑ Var. Quelque respect ailleurs que ton grade s’obtienne. (1632-57)
- ↑ Var. dorise, le faisant trébucher. (1644-60 et 64) — Elle fait trébucher Pymante. (1663, en marge.)
- ↑ En marge, dans l’édition de 1632 : Dorise, s’embarrassant dans ses jambes, le fait trébucher.
- ↑ En marge, dans l’édition de 1632 : Il saute sur Pymante, et deux veneurs paroissent, chargés des vrais habits de Pymante, Lycaste et Dorise. — Il n’y a pas de distinction de scène.
- ↑ Var. Ils portent en leurs mains les vrais habits, etc. (1663, en marge.)
- ↑ Var. le prince, à Dorise. (1632-60) — Il désarme Pymante, etc. (1663, en marge.)
- ↑ Var. Le voilà. Monseigneur, quelle aventure étrange.
Et quel mauvais destin en cet état vous range ?
le prince. Garrottez ce maraud ; faute d’autres liens,
Employez-y plutôt les couples de vos chiens. (1632-57) - ↑ Var. Lui fasse ressentir par un cruel supplice. (1632-57)
Var. Lui fasse ressentir par un juste supplice. (1660) - ↑ Var. En ce cas, Monseigneur, les voilà toutes prêtes. (1632-57)
- ↑ Var. Qui dans cette forêt ont consommé trois corps. (1632)
- ↑ Var. Tu me montres vraiment de merveilleux effets. (1632-57)
- ↑ Var. Ces habits que n’a point approché (sic) le tonnerre. (1632-57)
- ↑ Var. Connoissez-les, mon prince, et voyez devant vous. (1632-60)
- ↑ Var Souffrez que je reprenne en un coin de ces bois. (1632-64)
- ↑ Var. Tu l’y ramèneras. Toi, s’il ne veut marcher.
Garde-le cependant au pied de ce rocher.
SCÈNE V.
CLEON et encore un Veneur *.
cléon. Tes avis, qui n’ont rien que de l’incertitude,
N’ôtent point mon esprit de son inquiétude,
Et ne me font pas voir le Prince en ce besoin.
3e veneur. Assurez-vous sur moi qu’il ne peut être loin ;
La mort de son cheval, étendu sur la terre,
Et tout fumant encor d’un éclat de tonnerre,
L’ayant réduit à pied, ne lui permettra pas
En si peu de loisir d’en éloigner ses pas.
cléon. Ta foible conjecture a bien peu d’apparence,
Et flatte vainement ma débile espérance :
Le moyen que le Prince, aussitôt remonté,
De ce funeste lieu ne se soit écarté.
3e veneur. Chacun, plein de frayeur au bruit de la tempête,
Qui cà, qui là, cherchoit où garantir sa tête ;
Si bien que, séparé possible de son train,
Il n’aura trouvé lors d’autre cheval en main ** ;
Joint à cela que l’œil, au sentier où nous sommes,
N’en remarque aucuns pas mêlés à ceux des hommes.
cléon. Poursuivons ; mais je crois que, pour le rencontrer.
Il faudroit quelque Dieu qui nous le vînt montrer. (1632-57)
*. scène vii. cléon et un autre veneur. (1644-57)
**. Il n’aura pas trouvé d’autre cheval en main. (1644-57) - ↑ Var. Et l’autre mène. (1632-57)
- ↑ Dans les éditions de 1632-60 les mots en prison ne sont pas placés ici, mais à la ligne précédente : clitandre, en prison, le geôlier — En marge, dans l’édition de 1663 : Il parle en prison.
- ↑ Var. À d’autres : je vois trop où tend ce préambule. (1632)
- ↑ Var. Tous, dedans ces cachots, dont je porte les clés. (1632-57)
- ↑ Var. Se disent comme vous de malheur accablés. (1632)
- ↑ Var. Il suffit : le surplus en rien ne me regarde. (1632)
- ↑ Var. Hélas ! si tu voulois envoyer l’avertir. (1632)
- ↑ En marge, dans l’édition de 1632 : Il sort. — n’y a pas de distinction de scène.
- ↑ Var. Va, tigre ! va, cruel, barbare impitoyable (a) ! (1652-57)
(a). Les éditions indiquées n’ont point de virgule entre les deux derniers mots du vers. - ↑ Var. Seule aux cœurs innocents imprime la terreur, (1632-57)
- ↑ Var. Auront pour ton supplice encor des pires fers. (1652 et 57)
- ↑ Var. Vengent les innocents par delà leur espoir. (1632-57)
- ↑ Var. Et dont l’éloignement fut mon plus grand malheur. (1632-57)
- ↑ Var. N’aille laisser de moi qu’une sale mémoire. (1632-57)
- ↑ Var. le prince, dorise, en son habit de femme ; pymante, garroté et conduit par trois veneurs ; cléon. (1632) — Les mots en habit de femme manquent dans l’édition de 1663.
- ↑ Les mots à Dorise et Cléon ne se trouvent pas dans les éditions de 1632 et de 1663.
- ↑ Var. T’accablent malheureux (a) sous le courroux du Roi ! (1632-57)
(a). L’omission des deux virgules modifie le sens, mais c’est probablement une faute, commune aux éditions indiquées. - ↑ Var. Hâtant un peu de pas, quelque espoir me demeure. (1632)
- ↑ Var. Ses myrtes prétendus tourneront en cyprès. (1632-57)
- ↑ En marge, dans l’édition de 1632 : On sonne du cor derrière.
- ↑ L’édition de 1632 porte : Il suffit que Cléon ; toutes les autres : Il suffit de Cléon.