Conversations de Goethe/Appendice/Peinture
G. Charpentier et E. Fasquelle, Éditeurs (Bibliothèque-Charpentier), s.d. (après 1863) (Tome second, p. 473-483).
La Notice sur le Portrait historique ne nous est pas parvenue ; nous devons donc chercher à nous faire une idée juste du portrait historique d’après les planches de l’ouvrage.
Le portrait historique est le portrait d’une personne qui, de son temps, a joué un rôle considérable ; elle peut être représentée dans un moment important de sa vie ; ou bien, au contraire, telle qu’elle était tous les jours. Beaucoup d’artistes, en reproduisant avec fidélité les traits de tel ou tel individu, ont donc, sans en avoir l’intention, fait des portraits historiques ; dans la collection actuelle, l’artiste a voulu composer un ensemble, et un certain lien réunit les différentes séries qu’il nous donnera ; nous avons aujourd’hui les deux premières livraisons, une douzaine d’autres environ doit les suivre.
L’auteur, M. Gérard (né en 1770), considéré comme l’élève le plus remarquable de David, a dans son talent plus de charme que son maître. Il a vécu à l’époque la plus tourmentée qui ait jamais ébranlé le monde civilisé ; il s’est formé dans ce temps de désordres, cependant la douceur de son caractère l’a fait revenir à la vérité aimable et pure, et, en effet, c’est par elle seule que l’artiste sait gagner le public. Reconnu à Paris comme un artiste de premier rang ; il a peint à toutes les époques les grands personnages français et étrangers. Il gardait un dessin de chacune de ses œuvres, et, de cette façon, il a fini par se trouver en possession d’une vraie galerie historique. Doué d’une très-heureuse mémoire, il a dessiné aussi des personnes qui lui rendaient visite sans se faire peindre ; et il lui est possible aujourd’hui de nous donner une collection de portraits qui présente l’histoire générale du dix-huitième et d’une partie du dix-neuvième siècle.
L’intérêt durable de cette collection est dû à la grande pénétration de ce spirituel artiste, qui a su donner à chaque personne son caractère distinctif et l’entourer d’accessoires bien choisis qui contribuent à la faire bien connaître.
Sans plus de préambules, j’analyserai les peintures, gardant pour la conclusion les observations générales que j’aurais encore à ajouter. Disons seulement que l’œil habitué aux œuvres de la lithographie parisienne, ne doit rien attendre ici qui ressemble aux portraits lithographies des contemporains, ou à la Galerie de la duchesse de Berry ; car, en ce cas, il serait surpris, et peut-être désagréablement. Ici, nous avons l’œuvre d’une pointe extrêmement spirituelle, qui fait tout ce qu’elle veut, mais qui ne fait que ce qui peut être utile au but qu’elle poursuit. Ce genre était autrefois extrêmement apprécié, et, encore aujourd’hui, on paye un prix élevé les eaux-fortes des vieux maîtres hollandais. Si l’on veut bien accepter ce procédé, et reconnaître les qualités de l’artiste, on sera vite familiarisé avec ce genre de travail.
ALEXANDRE Ier, EMPEREUR DE RUSSIE (PEINT EN 1814).
La pose de ce majestueux personnage, connu et respecté de tous, est excellemment choisie ; les membres sont bien proportionnés ; le maintien, naturel et tranquille, exprime une certaine assurance et une conscience de soi-même qui n’ont rien d’exagéré ; les valeurs des tons du visage, tourné vers la droite, de l’uniforme sombre, du ruban d’ordre plus clair, des boites et du chapeau noirs, sont bien ménagées, et leur ensemble a beaucoup d’harmonie. Le chapeau, orné d’une touffe flamboyante de plumes, est tenu par la main droite, qui tombe le long du corps ; la main gauche saisit la poignée de l’épée attachée en arrière ; autour de la tête sont disposés, avec beaucoup de richesses, des ordres et des ornements militaires d’un bel effet. Tout est traité avec un goût parfait, et nous devons même louer le paysage, ou plutôt l’absence de paysage. La figure est supposée placée sur une hauteur très-élevée ; on aperçoit, derrière les pieds, quelques sommets éloignés ; sur le premier plan, on voit à peine un peu de terre et quelques plantes ; cependant, nous n’avons pas d’objection à faire à cette maigreur d’accessoires, car, de cette façon, le personnage ressort tout entier sur un fond de ciel et de nuages, comme si l’immensité des steppes devait nous rappeler l’empire sans bornes qu’il gouverne.
CHARLES X, ROI DE FRANCE.
Contraste extrêmement curieux. Ce souverain, d’une tournure noble et élégante, porte le costume de la cérémonie du couronnement. Le portrait rappelle donc un moment unique de l’existence. Les épaules et la poitrine de ce noble et élégant personnage sont chargées d’hermine, de passements, de croix, de chaînes et de plaques ; cependant la figure n’est pas écrasée par ces ornements, qui sont riches sans être lourds. Un magnifique manteau pend jusqu’à terre et forme de chaque côté, sur le sol, comme deux nuages épais. La main gauche du prince tient un chapeau à plumes ; sa main droite le sceptre incliné ; il est debout près d’un trône ; sur un coussin sont déposées la couronne et la main de justice. Le trône, orné de têtes de lions ailés, est placé sur des degrés couverts de tapis ; de chaque côté, tombent des rideaux en larges plis ; des colonnes, des pilastres, des galeries conduisent notre regard vers le fond sur un intérieur magnifique. Placés côte à côte, ces deux portraits inspirent de graves réflexions sur l’histoire de ce temps.
LOUIS-NAPOLÉON, ROI DE HOLLANDE (PEINT EN 1806).
Nous prenons ce portrait avec tristesse, et cependant avec plaisir, car nous voyons là, devant nous, cet homme que nous avions personnellement tant de raisons pour estimer hautement, mais qui est perdu pour nous. Il nous regarde avec son beau visage loyal et honnête, mais nous ne l’avons pas connu et n’aurions pu le connaître sous ce déguisement. Il porte une espèce de costume espagnol ; le gilet, l’écharpe, le manteau et le jabot sont ornés de broderies, de franges, de rubans d’ordres. Il est assis, dans l’attitude d’une réflexion paisible ; son costume est tout entier de couleur blanche ; sa main droite tient une toque sombre, garnie de plumes claires ; sa main gauche, appuyée sur un épais coussin, tient une courte épée ; derrière lui est un casque de tournoi. Ce tableau, parfaitement composé, peut plaire aux yeux par son harmonie, mais il ne peut plaire à notre esprit, peut-être parce que nous avons fait la connaissance de cet homme excellent lorsqu’il était dépouillé de toutes ces parures, et ne cherchait plus, dans une situation privée, qu’à cultiver la délicatesse de son sens moral, et à suivre son penchant pour les travaux esthétiques. J’ai déjà été tenté souvent d’écrire quelques observations sur ses petites poésies, si aimables, et sur sa tragédie de Lucrèce, mais j’ai toujours été arrêté, comme je le suis encore maintenant, par la crainte d’abuser d’une amitié qui m’avait été accordée avec tant de bienveillance.
FRÉDÉRIC-AUGUSTE, ROI DE SAXE (PEINT EN 1809).
Le portrait précédent reproduisait une scène de représentation passagère ; dans celui-ci, au contraire, le personnage est saisi sous l’aspect qu’il présentait toujours. Nous voyons un souverain âgé, mais bien conservé, habillé d’un vêtement traditionnel ; ses traits nobles ont une tranquillité caractéristique. Il est devant nous tel qu’il était devant sa cour, tel que l’ont vu les siens et un nombre infini d’étrangers ; il porte un uniforme plus rapproché du costume de cour que du costume militaire ; il a la culotte courte ; son chapeau à plumes est sous son bras ; sa poitrine et ses épaules sont ornées, sans excès, d’ordres et de brandebourgs ; son visage régulier est grave et loyal ; les cheveux sont roulés à l’ancienne mode. À un tel prince nous témoignerions sans peine notre respect ; nous aurions confiance dans la sûreté de son jugement, nous lui confierions sans crainte nos affaires, et s’il jugeait nos demandes justes et raisonnables, nous serions pleinement sûrs qu’il veillerait avec soin à ce qu’elles fussent satisfaites.
Le fond de ce portrait est simple et noble ; le prince semble sortir d’un joli palais d’été et commencer sa promenade.
LOUIS-PHILIPPE DUC D’ORLÉANS (PEINT EN 1817)
Un beau visage, digne des actions d’éclat qu’il rappelle. Le personnage est représenté dans la fleur de l’âge ; les membres sont bien proportionnés, forts et musculeux ; la poitrine est large ; le corps a de l’aisance, et porte très-bien cet uniforme bizarre que nous avons vu longtemps aux hussards, aux uhlans, et qui depuis quelque temps a été modifié de différentes manières. Là non plus ne manquent pas les galons, les cordons, les passements, les brandebourgs, les boucles, les courroies, les agrafes, les ceintures, les boutons, les aiguillettes. — La main droite tient un riche bonnet oriental orné d’une plume de héron ; la main gauche repose sur le sabre, soutenu par de longues courroies liées à la sabretache. — La figure est dans son ensemble très-heureusement posée, et l’arrangement est excellent ; les manches et la culotte sont entièrement blanches et forment de larges parties claires qui contrastent fort bien avec toute la parure de l’uniforme. Nous voudrions avoir vu ce personnage à la parade ; nous ne prétendons pas, par ces paroles, blâmer le paysage qui sert de fond. À quelque distance attend un aide de camp, et on tient un cheval qui regarde vers son maître. La vue sur les lointains est sauvage ; tous les accessoires sont inventés avec beaucoup de goût, et nous rendons justice à l’intention du peintre qui a su satisfaire aux exigences du sujet ; cependant la figure semble vraiment ne s’avancer que pour se faire voir ; elle n’observe rien, ne commande pas ; voilà pourquoi nous sommes forcés de la considérer comme étant à la parade.
LE DUC DE MONTEBELLO, MARÉCHAL LANNES (PEINT EN 1810).
Ce portrait est l’opposé du précédent. Un guerrier élancé, bien fait, de bonne mine, sans plus de parure qu’il n’en faut pour désigner son haut grade. Il semble un peu ému et son geste trahit son émotion ; qui pourrait en effet ne pas réagir un peu par le geste contre un pareil danger ? il est au milieu d’une batterie en ruine que l’on est en train de canonner ; les éclats passent autour de lui, les affûts craquent et se fracassent, les canons sont renversés, les boulets volent autour de sa tête, tout se brise, tout est en mouvement. Sérieux, attentif, le maréchal a l’œil fixé sur l’endroit d’où partent les coups ; son point gauche serré, le pouce de sa main droite qui saisit fortement son chapeau, la silhouette de tout le corps donnent l’impression de l’énergie contenue et qui sait contenir, de la tension d’esprit extrême, et cependant de la sécurité intérieure. La pose et la composition sont sans égales. Je ne sais quelle bataille est ici représentée, mais la situation est celle dans laquelle il s’est vu si souvent et qui lui a enfin coûté la vie. — J’ajouterai que nous le trouvons ici bien plus vieux qu’en 1806, année dans laquelle, contre toute espérance, nous avons dû notre salut à sa bonté, et nous pourrions dire, à la prompte affection qu’il avait conçue pour nous[1].
CHARLES-MAURICE DE TALLEYRAND, PRINCE DE BÉNÉVENT, ETC. (PEINT EN 1808).
Plus nous avançons dans l’examen de cette collection, plus elle nous paraît remarquable ; chaque feuille est très-importante, et son importance s’accroît quand on la compare avec celles qui précèdent et qui suivent. Nous venons de voir un des premiers héros de l’armée française, montrant son audace au milieu des plus grands périls ; nous voyons ici le premier diplomate du siècle, parfaitement calme, assis, attendant avec tranquillité les hasards de l’heure qui va s’écouler. — Vêtu simplement d’un habit de cour, l’épée au côté, son chapeau à plumes à quelque distance sur le canapé, il semble, dans cette pièce ornée sans faste, attendre qu’on lui annonce que sa voiture est prête à le conduire à la conférence ; son bras gauche est appuyé sur le coin d’une table où se trouvent des papiers, un encrier et des plumes. — Sa main droite est un peu cachée, son pied droit est croisé sur son pied gauche ; il semble absolument impassible. Nous n’avons pas pu nous empêcher de penser aux Dieux d’Épicure, qui habitent « là où la pluie, la neige sont inconnues, là où la tempête ne souffle jamais ; » c’est d’une tranquillité pareille que ce personnage assis semble jouir ; tous les orages qui mugissent autour de lui ne le touchent pas ; on conçoit qu’il ait cette physionomie, mais on ne conçoit pas comment il peut la conserver. Son œil est ce qu’il y a au monde de plus impénétrable ; il regarde bien devant lui, mais le spectateur ne peut savoir s’il le considère ; son regard n’est pas tourné en lui-même comme celui d’un penseur ; il n’est pas dirigé non plus vers l’extérieur, comme celui de l’homme qui examine un certain objet ; l’œil repose en lui-même et sur lui-même, semblable au personnage tout entier, qui n’a pas l’air de s’occuper de lui-même et de se plaire en lui-même, mais qui, cependant, semble n’avoir aucun lien avec tout ce qui est en dehors de lui. — C’est assez ; nous pourrions faire ici de la physiognomonie et tirer toutes les inductions qui nous plairaient ; notre pénétration est trop courte, notre expérience trop pauvre, notre imagination trop bornée pour pouvoir nous faire une idée suffisante d’un tel être. Tel est l’effet qu’il produira sans doute un jour sur l’historien, qui pourra trouver un secours dans ce portrait. — Nous rappelons pour les amateurs qu’il y a une comparaison intéressante à faire entre ce portrait et celui qui se trouve sur la grande gravure du congrès de Vienne, d’après Isabey.
FERDINAND IMECOURT,
OFFICIER D’ORDONNANCE DU MARÉCHAL LEFÈVRE, TUÉ DEVANT DANTZIG EN 1807
(PEINT EN 1808).
Par conséquent de mémoire ou d’après une esquisse. Ce portrait renferme une opposition curieuse. La carrière militaire de cet homme indique une âme avide d’activité utile ; sa mort prouve sa bravoure ; or tous ces traits de caractère, sous le vêtement civil, conservent l’incognito. Son air, son vêtement sont ceux d’un élégant ; il se dispose à monter l’escalier d’un pavillon de jardin ; sa main gauche inclinée porte son chapeau ; sa main droite s’appuie sur une canne ; il semble qu’il vient d’apercevoir un de ses amis qui s’approche. Les traits du visage sont ceux d’un homme intelligent et calme ; il est d’une taille moyenne, mince, délicate. — Dans le monde nous l’aurions pris pour un diplomate, et c’est une heureuse pensée d’avoir placé au milieu de ces hommes célèbres qui appartiennent à l’histoire la noble et belle prose du jour qui passe.
LE COMTE ET LA COMTESSE FRIESE (PEINTS EN 1804).
Ce portrait de famille fait parfaitement suite à celui que nous venons de voir ; le personnage précédent pourrait entrer ici, il y serait très-bien accueilli. Le mari, assis sur une table à trois angles, a une pose d’un abandon naturel très-heureux. Une cravache dans la main droite, il parle de départ ou d’arrivée, et la manière négligente dont il est assis s’explique ainsi très-bien. Sa femme, vêtue d’une simple robe blanche, les genoux cachés par un châle à dessins variés, est assise et suit le regard de son mari, dirigé vers la porte d’entrée. Nous pouvons croire que nous sommes ces personnes que l’on s’apprête à recevoir avec tant de politesse et d’amitié. Le bras gauche de la dame est appuyé sur le berceau d’un petit enfant qui paraît sommeiller avec un bonheur complet. Un mur orné de pilastres, une galerie que l’on aperçoit par une croisée, un paravent placé derrière le lit de l’enfant, composent un arrière-plan varié, gracieux, vaste, et qui cependant convient à une maison d’habitation. L’ensemble de la composition est excellent, et le tableau, peint de grandeur naturelle dans les tons indiqués, doit être très-agréable.
CATHERINE,
PRINCESSE ROYALE DE WURTEMBERG, REINE DE WESTPHALIE
(PEINTE EN 1813).
Ce tableau est celui qui nous dit le moins, pour employer l’expression usitée dans le langage de la conversation. Une belle dame habillée avec goût, mais avec luxe, est assise sur un siège de marbre d’un dessin sévère, couvert de tapis et de coussins ; dans sa main droite abaissée est un petit livre que son pouce tient entrouvert comme si elle venait de suspendre sa lecture ; le bras gauche, appuyé sur un coussin, a une pose qui semble indiquer qu’il soutenait la tête quelques instants auparavant. Le visage et les yeux sont tournés vers le spectateur, mais il y a dans le regard et dans la mine quelque chose de mécontent, d’étrange, qu’on ne pénètre pas ; une vue ouverte sur une montagne et une vallée, un lac, une cascade, un rocher et des bouquets de bois peuvent rappeler les jardins de Wilhelmshœhe ; cependant il y a dans la composition générale un grandiose par trop sauvage, et on ne conçoit pas comment cette dame, avec sa belle toilette, a pu venir se reposer dans ce site féerique. Un personnage accessoire, fort singulier, ne s’explique pas davantage. Pourquoi cette dame pose-t-elle ses jolis petits pieds sur la tête et le bec d’une cigogne esquissée légèrement sur le tapis ?
En laissant de côté ces objections, on peut vanter l’excellente composition de ce portrait et il est parfaitement disposé pour recevoir un beau coloris [2].
ÉLISA, EX-GRANDE-DUCHESSE DE TOSCANE
ET SA FILLE NAPOLÉON ÉLISA, PRINCESSE DE PIOMBINO (PEINTES EN 1811).
Le portrait le plus riche de tous, et qui offre les occasions les plus variées d’oppositions dans le coloris.
Une dame fort belle, d’une physionomie orientale, intelligente, nous regarde avec aisance. — La tête est trés-ornée ; le diadème, le voile, les boucles de cheveux frisés, le collier, un petit châle autour du cou, donnent à cette partie une grande importance ; toute la jupe ne sert vraiment que de tapis à une charmante petite fille ; sa mère a une main posée sur son épaule droite. La gentille enfant tient par un ruban un joli petit chien, de forme élancée et bizarre, qui se blottit sous le bras gauche de la mère. Celle-ci repose commodément sur les coussins épais d’un large canapé de marbre blanc, orné de têtes et de pattes de lions, qui donne de la richesse à l’ensemble. Des coussins pour les pieds, les larges plis de la robe de la mère, un massif de fleurs et une végétation vigoureuse que l’on aperçoit dans le voisinage indiquent la variété des teintes. Au dernier plan, tenu sans doute dans un ton clair aérien, se dressent des arbres élevés et épais ; quelques colonnes brisées, un escalier rustique qui conduit dans des bosquets, montrent que jadis on voyait là un site romantique, effacé depuis par une végétation envahissante, et nous consentons volontiers à nous croire transportés dans une résidence d’été du grand-duché florentin.
MADAME RÉCAMIER (PEINTE EN 1805).
Pour conclusion nous voyons le portrait d’une belle femme dont la renommée nous est parvenue depuis déjà vingt ans. Dans une salle de bain, ornée de colonnes, fermée par un rideau et par un buisson de fleurs, on aperçoit la plus belle et la plus séduisante personne, étendue, sans doute après le bain, sur les coussins d’un canapé ; la poitrine, les bras et les pieds sont nus, le reste du corps n’est caché que par une étoffe légère, mais sans violer les convenances ; sous le bras gauche passe un châle destiné à servir au besoin de surtout. Nous ne pouvons rien dire de plus de cette aimable et coquette gravure. Comme la beauté ne se divise pas, et donne le sentiment d’une harmonie parfaite, elle ne se laisse pas peindre par des mots. Nous estimons heureux ceux qui ont pu voir le tableau lui-même à Berlin, où il doit être maintenant. Nous nous contentons de cette esquisse qui montre très-bien l’intention générale ; et au fond n’est-ce pas là ce qui fait la valeur d’une œuvre d’art ? L’intention première est antérieure au tableau, et c’est elle que l’exécution la plus soignée finit à la fin par rendre vivante. — Reconnaissons que ce tableau, comme tous les précédents, est bien conçu, plein d’effet, caractéristique, et animé d’une juste expression.
S’il n’est pas en notre puissance d’exprimer par des mots les avantages extérieurs d’une personne, le langage, du moins, peut conserver le souvenir de ses qualités morales et sociales ; aussi nous ne pouvons nous refuser de citer ce que disent sur elle après vingt ans les journaux actuels. (Suit une longue citation.)
Ces portraits nous sont traduits par une pointe remplie d’esprit. On doit penser que M. Gérard a dû choisir un excellent collaborateur pour un ouvrage qui doit fonder sa réputation comme artiste penseur. Il est très-important que l’auteur soit sûr de son traducteur, et, sans contestation, M. Adam mérite tous les éloges. Sa pointe a un sentiment si juste et un don de transformation si remarquable que nulle part on ne trouve un objet qui ne soit rendu avec son vrai caractère ; depuis les points et les hachures si fines qui lui servent pour les visages, depuis les traits si doux avec lesquels il indique les lumières et les teintes locales claires jusqu’aux traits énergiques qu’il emploie pour les ombres et les teintes foncées, tout montre son habileté ; il sait également, avec un art qui semble magique, indiquer les différentes étoffes par la nature de son travail, et il donne les plus grands plaisirs à tous ceux qui ont l’œil et l’esprit exercés à ces hiéroglyphes. Nous croyons donc très-fermement que l’on a bien fait de préférer à la lithographie ce genre de gravure, qui consiste à tracer à la pointe une esquisse assez détaillée. Nous souhaitons seulement que l’impression soit conduite avec soin, pour que tous les amateurs soient contents de leurs épreuves.
- ↑ Pendant le pillage de Weimar, après la bataille d’Iéna.
- ↑ On a entendu Goethe, dans la conversation du 21 février 1830, dire que la beauté du coloris d’un tableau dépend de sa composition.