Contes secrets Russes/Le paysan et le diable
XXVI
LE PAYSAN ET LE DIABLE
n paysan avait semé des navets. Quand il jugea
venu le moment de les arracher, il se rendit
dans son champ, mais les navets n’étaient pas encore
levés. « Que le diable vous emporte ! » s’écria
dans sa colère le moujik, et il retourna chez lui.
Un mois après, sa femme lui dit : « Va donc voir
s’il s’est pas temps de tirer les navets. » Le paysan
alla de nouveau visiter son terrain, qu’il trouva
cette fois couvert de navets superbes ; mais, au
moment où il se disposait à les arracher, un petit
vieillard s’élança tout à coup vers lui en criant :
« Pourquoi voles-tu mes navets ? — Comment, tes
navets ? — Mais sans doute ! Est-ce que tu ne
me les as pas donnés avant qu’ils fussent levés ?
J’en ai eu soin, je les ai arrosés. — Et moi je
les ai semés. — Soit, » reprit le diable, « tu les
as semés, je ne dis pas le contraire, mais c’est
moi qui les ai arrosés. Tiens, voici ce que nous
allons faire : rendons-nous ici, toi et moi, chacun
en tel équipage qu’ils nous plaira. Si tu devines
quelle est ma monture, les navets seront à toi, et
ils m’appartiendront si je reconnais sur quoi tu es
monté. » Le moujik accepta cet arrangement.
Le lendemain, il prit sa femme avec lui ; quand il fut près du champ, il la fit mettre à quatre pattes, releva ses jupons, lui fourra une carotte dans le κυλ et lui cacha le visage avec ses cheveux dénoués. Pour ce qui est du diable, il attrapa un lièvre, monta dessus et, en arrivant, demanda au moujik : « Sur quoi suis-je venu ? — Qu’est-ce qu’il mange ? » interrogea le paysan. — « Des pousses de tremble. — Alors, c’est un lièvre. » De son côté, le diable essaya de reconnaître la monture du paysan et se mit à tourner autour. « Ces crins, » observa-t-il, « c’est la queue, et voici la tête, mais elle mange une carotte ! » Ce détail dérouta complètement le diable, et il s’avoua vaincu. Le paysan tira les navets, les vendit et commença dès lors à prospérer.