Contes populaires de Basse-Bretagne/Texte entier/Tome3
IL y avait une fois un enfant orphelin, bas d’esprit, et regardé généralement comme un innocent (idiot). Comme il n’avait ni père ni mère, ni aucun parent qui s’intéressât à lui, il allait mendier, de porte en porte, dans les fermes et les manoirs du pays. Il n’était rien qu’il aimât comme les bonnes crêpes de sarrasin de nos campagnes de Lannion et de Tréguier, et, pour cette raison, on l’avait surnommé Crampouez, c’est-à-dire Crêpe. Il était le bienvenu des ménagères et des servantes, parce qu’il leur rendait une foule de petits services, comme casser le menu bois, dans la cuisine, aller prendre de l’eau à la fontaine, et en retour, il recevait d’elles de bonnes crêpes bien beurrées, et quelquefois même avec un œuf dessus.
Quand il fut arrive à l’âge de dix-huit ans, comme il était vigoureux et bien portant, et qu’il continuait néanmoins de mendier, on commençait à l’accueillir un peu moins bien, et on lui disait souvent :
— Il est grand temps que tu ploies ton corps au travail ; n’as-tu pas honte de continuer de faire ainsi le fainéant, pendant que tout le monde travaille, autour de toi ?
Comme on ne le recevait plus guère que par ces paroles, et d’autres semblables, partout où il se présentait, il songea à quitter le pays. Il alla donc trouver sa douce Marie (car il avait aussi une maîtresse, comme tout jeune homme de son âge doit en avoir une), pour lui annoncer sa résolution et faire ses adieux. Marie était servante, dans une bonne ferme du pays, et elle lui avait donné, maintes fois, en cachette, de bonnes crêpes aux œufs, et des tranches de lard. Le voyant bien résolu à partir, elle lui dit :
— Je veux te donner quelque petite chose, pour que tu te souviennes de moi ; je ne suis pas riche, comme tu le sais, et je ne puis te faire un riche cadeau. Tiens, voici un morceau de la chemise de ma grand’mère, qui était sorcière.
Crampouès détourna la tête, en faisant un geste de dédain.
— Ne méprise pas mon présent, reprit Marie, et ne t’en dessaisis jamais, car il te sera plus utile que tu ne le penses ; ainsi, quand tu voudras manger ou boire, ou que tu désireras quelque autre chose, quoi que ce puisse être, étends le linge sur une table, sur une pierre ou sur la terre nue, suivant le lieu où tu te trouveras, puis dis : « Par la vertu de la chemise de la grand’mère de Marie, je désire que telle ou telle chose soit ! » et tu verras tes souhaits accomplis, sur-le-champ.
Crampouès prit alors le chiffon et le mit dans sa poche. Puis, il fit ses adieux à Marie et partit, à la grâce de Dieu. Vers le soir, l’appétit lui vint, et, comme il n’avait pas emporté de provisions et que, d’un autre côté, il n’avait pas le sou, il n’était pas sans inquiétude, car il n’avait pas grande confiance dans le prétendu talisman de Marie. Il voulut cependant l’éprouver, afin d’être fixé à son endroit. Il tira donc le chiffon de sa poche, retendit sur le gazon, au bord de la route, et dit :
— Par la vertu de la chemise de la grand’mère de Marie, je désire avoir de quoi manger : du lard, des saucisses, du pain blanc, de bonnes crêpes, comme en fait Marie, et aussi une bouteille de bon cidre !
Et lard, saucisses, crêpes, pain blanc et cidre arrivèrent aussitôt, tout fumants et ayant un aspect des plus appétissants. Crampouès ouvrait tout grands les yeux et la bouche, et resta d’abord immobile d’étonnement. Puis, il prit une saucisse, timidement, et comme s’il eût craint que ce ne fût pas une vraie saucisse, mais seulement l’apparence d’une saucisse. Il la porta à sa bouche : c’était une vraie saucisse, et elle était délicieuse ! De même du lard, des crêpes, du pain blanc et du cidre ; tout était excellent, et il n’avait jamais fait un aussi bon repas.
— À la bonne heure, se disait-il, en pliant le chiffon avec soin et en le remettant dans sa poche, voilà un présent comme je les aime, et ma douce Marie est la meilleure et la plus belle fille du monde ! Je puis voyager, à présent, sans avoir souci de rien.
Et il se remit en route, en chantant et en sifflant, tour à tour. Il rencontra bientôt un vieillard à grande barbe blanche et qui lui parut être tellement ivre, qu’il avait grand’peine à se tenir sur ses jambes.
— Vous êtes joliment ivre, grand-père ! lui dit-il ; appuyez-vous sur mon bras et je vous conduirai, un bout de chemin.
— Ce n’est pas la boisson, mon fils, dit le vieillard, qui me fait trébucher et chanceler de la sorte, mais bien la faim ; je meurs de faim.
— Si ce n’est que cela, grand-père, je puis vous soulager ; vous allez voir.
Et il retira son chiffon de sa poche, l’étendit sur le gazon et dit :
— Par la vertu de la chemise de la grand’mère de Marie, je désire tout ce qui est nécessaire pour faire un excellent repas, afin que ce pauvre vieillard puisse se réconforter.
Et aussitôt des mets de toute sorte arrivèrent par enchantement, et aussi du cidre doré et pétillant et de bon vin de Bordeaux. Quand ils eurent mangé et bu, à discrétion, le vieillard dit à Crampouès :
— Cède-moi ton chiffon, et je te donnerai mon bâton en échange.
— Moi, céder un trésor si précieux ! jamais, jamais ! Et puis, ma douce Marie m’a bien recommandé de ne pas m’en dessaisir.
— Si tu savais ce que c’est que mon bâton ! C’est une merveille comme il n’en existe pas une autre monde. Il contient cinq cents petits compartiments dont chacun renferme un cavalier armé de toutes pièces. Toutes les fois que tu auras besoin d’aide ou de protection, tu n’auras qu’à dire : « Bâton, ouvre-toi ; sortez, cavaliers ! » Et aussitôt, tu verras sortir les cinq cents cavaliers de leurs niches, pour venir te saluer, en te demandant : « Qu’y a-t-il pour votre service, maître ? »
— Est-ce bien vrai ?
— Aussi vrai que ta serviette nous a donné un excellent repas.
Crampouès fut séduit par la pensée de pouvoir commander cinq cents cavaliers, et il céda sa serviette (désormais nous appellerons ainsi son chiffon), en échange du bâton du vieillard. Puis, ils s’en allèrent, chacun de son côté.
Tout en marchant, Crampouès se disait à lui-même :
— J’ai peut-être mal fait de céder ma serviette ; Marie m’avait bien recommandé de ne jamais m’en dessaisir ; je crains qu’il m’en arrive malheur. J’en ai du regret, et je voudrais bien la ravoir. Mais, comment faire pour cela ? Car je voudrais bien, en même temps, garder mon bâton, qui peut m’être si utile pour voyager… Mais, j’y songe : si ce que le vieillard m’a dit est vrai, je n’ai qu’à envoyer les cinq cents cavaliers me chercher ma serviette ! Voyons un peu : « Bâton, ouvre-toi ; cavaliers, sortez ! »
À peine eut-il prononcé ces mots, que cinq cents petites portes s’ouvrirent, dans le bâton, et il en sortit cinq cents cavaliers, magnifiquement montés et équipés. Leur chef demanda à Crampouès, qui était immobile d’étonnement, la bouche et les yeux grands ouverts :
— Maître, qu’y a-t-il pour votre service ? Commandez, et comme vous direz il sera fait !
— Allez me chercher ma serviette, que le vieillard a emportée, balbutia le pauvre garçon.
Et les cinq cents cavaliers partirent aussitôt, au grand galop. Ils eurent bientôt atteint le vieillard, et ils lui enlevèrent la serviette, et la rapportèrent à Crampouès.
— À merveille ! dit celui-ci, tout heureux de retrouver sa serviette : rentrez à présent dans vos niches, jusqu’à ce que j’aie encore besoin de vous.
Et les cinq cents compartiments du bâton se rouvrirent, et chaque cavalier y reprit sa place.
Crampouès se remit alors en route, tout joyeux, et se disant à lui-même :
— Avec ma serviette et mon bâton, je n’ai plus rien à craindre de personne, et je puis marcher hardiment, en tout lieu.
Il arriva bientôt auprès d’un moulin. Le meunier était sur le seuil de sa porte, jouant du biniou, et sa femme et ses enfants dansaient. Crampouès se sentit pris d’une envie irrésistible de faire comme eux ; et le voilà aussi de sauter et de gambader, avec un entrain extraordinaire. Cependant, la meunière criait à son mari, tout en dansant :
— Assez ! assez ! malheureux ! Donne-nous du pain à manger, au lieu de nous faire danser !
Puis, s’adressant à Crampouès :
— « Ce méchant nous laisse mourir de faim, moi et mes enfants, et quand nous lui demandons du pain, il prend son biniou du diable et nous fait danser, malgré nous ; et c’est la seule nourriture qu’il nous donne !… »
Quand il plut au meunier, il cessa de souffler dans son biniou, et la meunière, ses enfants et Crampouès purent prendre un peu de repos : ils étaient tout en nage. Crampouès, qui avait l’âme bonne et compatissante, dit à la meunière :
— Puisque nous avons dansé ensemble, ma brave femme, je veux vous régaler, à présent, vous et vos enfants.
Et, prenant sa serviette, il l’étendit par terre, là même où ils avaient si bien dansé, et dit :
— Serviette, fais ton devoir : sers un bon repas pour nous tous !
Et la serviette se couvrit sur-le-champ de mets de toute sorte, tout fumants et appétissants à voir : lard, saucisses, boudins, rôti de veau ; et du cidre, et du vin aussi !
— À table ! dit alors Crampouès à la meunière et à ses enfants, qui ne se firent pas prier, vous pouvez le croire, et firent honneur au festin improvisé. Le meunier aussi n’en fut pas exclus.
Il fallait voir comme saucisses, boudins et lard disparaissaient, dans ces bouches affamées !
Quand chacun eut mangé et bu son content, et un peu plus, peut-être, le meunier dit à Crampouès :
— Cède-moi ta serviette, en échange de mon biniou ?
— Pas si sot ! répondit Crampouès ; que ferai-je de ton biniou ?
— Mais songe donc que ce biniou n’a pas son pareil au monde ; il fait danser les gens, malgré eux, et même les morts, qu’il ressuscite !
— Bien vrai, qu’il fait danser aussi les morts ?
— Aussi vrai que tu viens de me faire faire un excellent dîner.
Crampouès hésita, un peu, se gratta la tête, derrière l’oreille, puis il dit :
— Eh bien ! j’y consens, faisons échange.
Et il donna sa serviette au meunier, qui, de son côté, lui céda son biniou, puis, il se remit en route.
Mais, il n’était pas encore loin du moulin, qu’il se dit :
— J’ai encore donné ma serviette ! Et pourtant, ma douce Marie m’avait bien recommandé de ne jamais m’en séparer. Heureusement que j’ai encore mon bâton, et je vais envoyer mes cinq cents cavaliers me la reprendre.
Et il dit : — Bâton, ouvre-toi ; cavaliers, sortez !
Et les cinq cents cavaliers sortirent aussitôt, et le chef demanda à Crampouès :
— Qu’y a-t-il pour votre service, maître ? Commandez, et comme vous direz il sera fait.
— Allez, vite, me reprendre ma serviette, qui est entre les mains du meunier, dont vous voyez le moulin là-bas.
Et il leur montra le moulin du doigt.
Les cinq cents cavaliers partirent au galop, et revinrent bientôt, avec la serviette. Puis, sur l’ordre de Crampouès, ils rentrèrent, chacun dans sa niche.
Crampouès continua sa route, sifflant et chantant tour à tour, tant il était heureux, et persuadé qu’il n’avait pas son pareil sur la terre.
Il arriva alors à la porte d’une grande ville. Au moment où il allait y entrer, il en sortait un grand convoi funèbre. C’était un riche marchand que l’on portait en terre. Les prêtres chantaient devant le cercueil, et les parents et les amis du défunt, avec tous les pauvres de la ville (car c’était un homme charitable), pleuraient, derrière, ou du moins faisaient semblant. Ce n’était que larmes et gémissements. En voyant tout cela, l’idée vint à Crampouès d’essayer l’effet de son biniou sur tout ce monde-là.
— Ce sera drôle, se dit-il.
Et il se mit à souffler dans son biniou.
Aussitôt voilà tout le monde en branle ; hommes, femmes, jeunes et vieux, les prêtres, les chantres et jusqu’aux écloppés et aux béquillards, tournaient, sautaient, gambadaient et levaient la jambe, à qui mieux. Mais, voici bien une autre affaire : le mort lui-même sort de son cercueil, et, enveloppé de son suaire pour tout vêtement, il se met à se trémousser et à se démener, au milieu des autres, comme un vrai possédé ! Tout le monde en était effrayé, et de tous côtés, on criait à Crampouès :
— Assez ! assez ! Grâce ! grâce !…
Mais Crampouès continuait de souffler dans son biniou, et les danseurs se trémoussaient avec un entrain toujours croissant. Enfin, au bout d’une heure de ce manège, quand il fut fatigué, il cessa de souffler dans son instrument, et l’infernale ronde s’arrêta. Aussitôt, le mort rentra dans son cercueil, et on le porta au cimetière, où on l’enterra promptement et profondément, puis on mit sur lui une lourde pierre, de peur qu’il n’en revînt, car il laissait une très belle succession.
Quand tout fut terminé, le recteur (le curé) s’approcha de Crampouès, et lui dit :
— Quel merveilleux instrument tu as là, mon garçon !
— Oui sûrement, Monsieur le Recteur, c’est un précieux instrument.
— N’importe, j’ai mieux que cela, moi.
— Quoi donc. Monsieur le Recteur ?
— J’ai un bonnet, moi, et quand je le mets sur ma tête, avec la houppe par derrière, je n’ai qu’à dire : « Je veux qu’il y ait ici un beau château, plus beau que celui du roi ! » et c’est fait aussitôt que dit ; puis, quand je mets le bonnet sur ma tête, avec la houppe par devant, je deviens le plus bel homme du monde.
— Vraiment oui, c’est là un merveilleux bonnet. Monsieur le Recteur.
— Eh bien ! si tu veux me céder ton biniou, je te donnerai mon bonnet, en échange ; je ressusciterai avec lui les morts, au lieu de les enterrer, et toi, tu n’auras pas ton pareil, sous le ciel.
— Volontiers, Monsieur le Recteur, répondit Crampouès, en songeant qu’il pouvait recouvrer son biniou, aussi facilement que sa serviette.
Et l’échange fut fait. Puis, Crampouès se remit en route, emportant le bonnet du recteur. Mais, il n’alla pas loin, sans avoir recours à ses cavaliers. Ceux-ci lui rapportèrent son biniou, à son commandement, puis il se remit à marcher.
Il arriva, peu de temps après, dans un grand bois, au milieu duquel il y avait un palais magnifique. C’était un palais royal, et le roi y venait souvent, pendant la belle saison ; il s’y trouvait, en ce moment. Crampouès se cacha dans un buisson, pour attendre la nuit. Quand il remarqua que toutes les lumières étaient éteintes, dans le palais, et qu’il n’y entendit plus aucun bruit, il se leva, prit son bâton, et dit :
— Bâton, ouvre-toi ; cavaliers, sortez !
Et les cinq cents cavaliers sortirent aussitôt de leurs niches, et le chef demanda :
— Qu’y a-t-il pour votre service, maître ! Commandez, et comme vous direz il sera fait.
— Il faut abattre des arbres, et me préparer ici l’emplacement d’un palais, qui aura les dimensions de celui du roi, mais, qui sera beaucoup plus beau. Allons, vite, au travail !
Et les cinq cents cavaliers se mirent aussitôt à abattre des arbres, et ils eurent bientôt déblayé le terrain. Puis, chacun d’eux rentra tranquillement dans sa niche.
Alors Crampouès se mit sur la tête le bonnet du recteur, avec la houppe par derrière, et il dit :
— Par la vertu de mon bonnet, je veux qu’il y ait ici, avant le jour, un palais, vis-à-vis du palais du roi, et bien plus beau que lui.
Ce qui fut fait aussitôt. Un palais, comme on n’en a jamais vu, sortit de terre, par enchantement. Tout y était argent, or et diamants.
Le lendemain matin, quand le soleil levant l’éclaira, personne ne pouvait le regarder ; les yeux en étaient éblouis. Les courtisans coururent à la chambre du roi, pour lui annoncer la merveille. Le roi courut à la fenêtre de sa chambre à coucher et vit, en face de son palais, un autre palais, si resplendissant de lumière, qu’il paraissait être tout en feu. Et sur le balcon du milieu, il aperçut un jeune prince, si beau, si distingué, qu’il n’avait jamais vu son pareil. C’était Crampouès, qui avait mis son bonnet magique sur la tête, avec la houppe devant.
— Qui donc ose me faire un pareil affront ? s’écria le roi, furieux. Qu’on aille dire à ce jeune présomptueux de venir me parler, à l’instant !
Un courtisan s’empressa d’exécuter l’ordre. Il se rendit, en toute hâte, au palais improvisé et annonça au prince inconnu la volonté de son roi.
— Allez dire à votre maître, lui répondit Crampouès, d’un air dédaigneux, que, s’il veut me parler, il vienne me trouver, chez moi.
Le courtisan revint, fort étonné, car jamais il n’avait vu accueillir de cette façon un ordre de son maître.
— Eh bien… ? lui dit le roi, en le voyant revenir, seul.
— Sire, il refuse de venir.
— Qu’a-t-il répondu ?
— Sire… je n’ose vous le dire.
— Allons ! parlez, vite ; je vous l’ordonne.
— Sire, il a eu l’insolence de me répondre que, si vous voulez lui parler, il faut aller le trouver, dans son palais.
Le roi, comprenant qu’il avait affaire à plus puissant que lui, répondit tranquillement, et au grand étonnement de toute sa cour :
— C’est bien ; je vais y aller, à l’instant.
Et en effet, il s’y rendit, sur-le-champ, et presque seul.
Crampouès le reçut aussi poliment qu’il le put, et le roi, après avoir visité tout son palais, le pria de venir dîner avec lui, le lendemain. Crampouès accepta, avec empressement.
Il y eut un festin magnifique. Les douze pairs de France s’y trouvaient, avec des princes, des princesses, des ducs, des barons, des généraux, enfin, les premiers personnages du royaume. Crampouès fut placé à table à côté de la fille unique du monarque, une jeune princesse d’une beauté merveilleuse. Il était venu sous ses traits ordinaires, quoique richement vêtu en prince ; aussi, produisit-il d’abord assez peu d’effet. Mais, pendant le repas, il tira son bonnet magique de sa poche, et se le mit sur la tête, avec la houppe devant. Aussitôt, tout le monde resta ébahi à sa vue.
— Dieu, le beau prince ! s’écrièrent ceux qui n’en avaient pas perdu l’usage de la parole.
La jeune princesse devint sur-le-champ follement amoureuse de lui. Crampouès tira alors son biniou de sa poche, et se mit à en jouer, tranquillement. Et aussitôt tout le monde de se lever de table, et de se mettre à danser, avec un entrain qui les étonnait eux-mêmes. Hommes, femmes, jeunes et vieux, maigres et gras, faisaient des sauts, des entrechats, des gestes et des cabrioles, comme s’ils étaient tous ivres.
— Assez ! assez ! grâce ! crièrent bientôt les plus vieux et les ventrus.
— Allez toujours ! criaient les jeunes, de leur côté.
Et l’on se prenait la main, et la ronde tournoyait, avec un entrain irrésistible. Enfin, Crampouès cessa de souffler dans son biniou, quand il lui plut, et tout s’arrêta aussitôt. Tous les danseurs étaient en nage ; les gens âgés se laissaient tomber dans des fauteuils, épuisés, rompus et aussi un peu confus de s’être livrés à un pareil exercice avec une ardeur qui ne convenait pas à leur âge.
La jeune princesse courut à son père, qui avait dansé, comme tout le monde, et lui dit, avec une vivacité qui ne lui était pas habituelle :
— Mon père, je veux ce jeune prince pour époux !
— Nous verrons cela, ma fille ; laissez-moi respirer un peu, lui répondit le roi.
Quand le vieux sire eut repris haleine, il alla à Crampouès, et lui dit, sans autre préparation :
— Jeune prince, je suis si ravi de votre beauté et si émerveillé de vos talents, que je veux vous marier avec la princesse, ma fille unique, qui est douce comme un agneau et belle comme une étoile.
— Bien fâché de vous refuser, sire, lui répondit brusquement Crampouès, mais, mon choix est déjà fait ; j’ai, dans mon pays, une douce jolie, que j’aime, et c’est celle-là qui sera ma femme.
— De quel pays êtes-vous donc ?
— De la Basse-Bretagne.
— Il n’y a pas là de fille qui soit digne de vous, ni qui approche de la princesse, ni en sagesse ni en beauté.
— Vous vous trompez, sire, et pour vous le trouver, je veux vous présenter ma douce Marie.
— Je le veux bien ; je suis curieux de voir cette beauté de Basse-Bretagne, qui vous fait dédaigner la princesse, ma fille, et si elle est aussi belle que vous le dites, je consens à faire les frais le vos noces.
— Bien merci, sire, mais, je me charge de faire moi-même les frais de mes noces.
Et Crampouès dit alors à son bâton, dont il ne se séparait jamais :
— Bâton, ouvre-toi ! Cavaliers, sortez !
Et les cinq cents cavaliers parurent aussitôt, au grand étonnement et à l’effroi de tous les assistants, et le chef, s’avançant respectueusement vers Crampouès, lui demanda :
— Qu’y a-t-il pour votre service, maître ? Commandez, et comme vous direz il sera fait.
— Rendez-vous auprès de Marie, ma douce jolie, et amenez-la-moi ici ; et que ce ne soit pas long !
Et les cinq cents cavaliers partirent, au galop.
Quand ils arrivèrent à la ferme où servait Marie, celle-ci portait à manger aux pourceaux, et vous pouvez vous imaginer dans quelle toilette ! Elle eut grand’peur, en voyant tout d’un coup la cour pleine de beaux cavaliers ; elle voulut fuir et s’aller cacher. Mais, le chef de la petite armée s’avança vers elle, et lui dit fort poliment :
— Bonjour à vous, belle Marie. C’est votre bon ami, le prince Crampouès, qui nous a dépêchés ici, pour vous conduire auprès de lui.
— Vous vous moquez de moi, répondit Marie, en rougissant, et je ne vous croirai que si vous me montrez le présent que je lui fis, quand il partit.
— Qu’à cela ne tienne, répondit le chef ; voici ce présent.
Et il montra la serviette, que Crampouès lui avait confiée.
Marie se rendit à cette marque. Le chef des cavaliers la prit alors en croupe, sans lui laisser le temps de faire un peu de toilette, comme elle l’aurait voulu, et ils partirent, au galop.
Quand la douce jolie de Crampouès arriva à la cour du roi, dans son négligé de servante de ferme, grand fut l’étonnement du monarque et de ses courtisans, et il leur fallut faire de grands efforts, pour ne pas en rire ; mais, ils n’osaient, par crainte des cinq cents cavaliers. Crampouès n’en rougit pas, et, prenant Marie par la main, il la présenta au roi et à toute la cour, et les pria tous de venir, le lendemain, prendre part à son repas de noces. Puis, il se rendit à son palais, avec sa fiancée.
Le lendemain, à midi, le roi arriva, avec sa cour. Il était venu autant par crainte que par curiosité, car il sentait bien qu’il y avait du surnaturel dans l’affaire de ce singulier inconnu, et qu’il fallait bien se garder de lui manquer. Tout était prêt, ce qui leur parut encore extraordinaire, à cause du peu de temps. Marie n’était plus la servante de ferme de la veille, sale et mal tournée. Elle était couverte de soie, d’or, de perles et de diamants ; et ainsi décrottée et parée, elle pouvait rivaliser en beauté avec la fille du roi et même la surpasser.
Le festin, grâce aux prodigalités de la serviette, qui, ce jour-là, fit son devoir avec une complaisance et une abondance inaccoutumées, fut tout ce qu’on peut imaginer de meilleur et de plus délicat, en fait de mets et de vins de toute sorte.
J’étais là, cuisinière ;
J’eus un morceau et une goutte,
Puis un coup de cuiller à pot sur la bouche.
Et depuis, je n’y suis pas retournée.
Si j’avais cinq cents écus et un cheval blanc,
J’y serais retournée, demain ;
Avec cinq cents écus et un cheval brun,
J’y serais allée, demain en huit[1].
Pluzunet (Côtes-du-Nord).
Selaouit holl, mar hoc’h eus c’hoant,
Hag e cleofot eur gaozic koant.
Ha na eûs en-hi netra gaou
Mes, marteze, eur gir pe daou :
Écoutez tous, si vous voulez,
Et vous entendrez un joli petit conte,
Dans lequel il n’y a pas de mensonge,
Si ce n’est peut-être un mot ou deux.
IL y avait une fois un vieux paysan Breton, qui avait trois fils. Il avait fait un prêtre de l’aîné, un cultivateur du second, et le troisième était clerc. À son lit de mort, il les appela près de lui et leur parla de la sorte :
« — Mes chers enfants, Dieu m’appelle, mon heure est venue et je vais vous quitter. Je ne suis pas riche, vous le savez bien, et il m’a fallu travailler pour vous élever et vous donner de l’instruction. Je ne m’en irai pourtant pas de ce monde sans vous faire à chacun un présent.
« À toi, mon fils clerc, qui es le plus jeune, et qui auras souvent besoin d’argent, je donne ma vieille bourse. Elle n’est pas belle, mais, elle est bonne, et, chaque fois que tu y mettras la main, tu en retireras cent écus.
« À toi, mon fils le cultivateur, qui auras besoin de beaucoup d’hommes, pour défricher tes terres incultes et labourer tes champs, je donne cette serviette, — et il lui présenta une serviette, — qui te sera utile, pour les nourrir. En effet, il te suffira de l’étendre sur une table, ou même par terre, et de dire : Par la vertu de ma serviette, je désire un repas pour tant d’hommes, composé de tels et tels plats ! et aussitôt tu verras ton souhait accompli.
« Et toi, mon fils le prêtre, que les devoirs de ton ministère obligent à voyager souvent de nuit, pour voir les malades et administrer les agonisants, et qui, par conséquent, cours souvent des dangers, je te donne ce manteau (et il lui présenta un manteau), qui possède cette vertu que, quand tu le mettras sur tes épaules, tu deviendras invisible ; de plus, il te transportera à volonté par les airs, partout où tu voudras aller. »
Les trois fils reçurent en pleurant les présents de leur père, et le vieillard mourut. Ils lui rendirent les derniers devoirs, honorablement, puis ils se séparèrent, et chacun d’eux alla de son côté.
Suivons d’abord le plus jeune, le clerc, lequel avait la bourse merveilleuse qui donnait cent écus, chaque fois qu’on y mettait la main.
Il se rendit à Paris. Il descendit dans un des meilleurs hôtels de la ville, et, comme il avait de l’argent à discrétion, il faisait de grandes dépenses. Il acheta de beaux habits, des bijoux, des chevaux, et, au train qu’il menait, on le prenait pour un prince. Il finit même par croire qu’il l’était réellement, et l’idée lui vint d’aller faire visite au roi, dans son palais.
Il mit donc ses plus beaux habits, se para de ses bijoux et de ses diamants et alla frapper à la porte du palais royal.
— Qu’y a-t-il pour votre service, mon prince ? lui demanda le portier.
— Je désire parler au roi, répondit-il.
— Veuillez me dire votre nom, et je vais lui demander s’il veut vous recevoir.
— Pas tant de cérémonies, portier ; prenez ceci et laissez-moi passer.
Et il donna cent écus au portier. Celui-ci s’inclina, jusqu’à terre, en demandant excuse, et le laissa passer. Il pénétra dans la cour, entra dans la première porte qu’il trouva ouverte, monta un escalier et se trouva face à face avec un soldat, qui était en faction à une porte.
— Où allez-vous ? lui demanda le soldat.
— Voir le roi, répondit-il.
— On ne pénètre pas ainsi jusqu’à Sa Majesté ; dites votre nom d’abord, on le lui portera, et, s’il veut bien vous recevoir, vous passerez.
— Bah ! trop de cérémonies, soldat ; prenez ceci et laissez-moi passer.
Et il lui offrit aussi cent écus.
— C’est ma consigne, répondit le soldat, en repoussant l’argent, et je ne vous laisserai pas passer comme cela.
— Vous trouvez que ce n’est pas assez, sans doute ; qu’à cela ne tienne, tenez !
Et il lui offrit trois fois cent écus.
Le soldat ne put rester insensible à tant de générosité ; il prit l’or et laissa passer le prince inconnu. Celui-ci arriva alors jusqu’au roi, sans autre obstacle. Il se montra si aimable, si spirituel et surtout si flatteur, que le monarque l’invita à revenir, le lendemain. Il n’eut garde d’y manquer, et, partout où il passait, il distribuait des poignées d’or aux valets, aux femmes de chambre, aux cuisiniers. Si bien qu’il n’était bruit que de lui, dans le palais, et tout le monde chantait ses louanges, vantant sa beauté, son esprit et sa générosité.
La femme de chambre de la princesse, fille unique du roi, avait aussi reçu quelques poignées d’or, et elle fit un tel éloge du prince inconnu à sa maîtresse, que celle-ci désira le voir. Le roi l’invita à dîner, et la princesse fut charmée par son esprit et son amabilité, comme tout le monde. Le roi ne pouvait plus se passer de sa société, et, presque tous les jours, il le retenait à dîner. Il distribuait toujours l’or autour de lui, avec une prodigalité étonnante. La femme de chambre de la princesse, qui l’observait avec curiosité, soupçonna quelque magie ou sorcellerie là-dessous. Un jour, elle dit à sa maîtresse :
— Ce prince possède une bourse enchantée, qui lui fournit de l’or à discrétion ! Il faudrait lui dérober cette bourse.
— Mais comment s’y prendre pour cela ? demanda la princesse.
— Il est ordinairement à côté de vous, à table ; versez-lui dans son verre, sans qu’il s’en aperçoive, un soporifique ; il s’endormira, et nous lui enlèverons sa bourse.
La princesse trouva le moyen bon, et elle promit de le mettre en pratique.
Elle s’y prit si adroitement, que personne ne se douta de rien. Vers la fin du repas, notre homme fut pris d’un sommeil si irrésistible, que sa tête tomba lourdement sur la table, et il s’endormit. Les convives, étonnés, se levèrent de table et quittèrent la salle à manger. Alors, la femme de chambre de la princesse s’approcha de lui, sur la pointe du pied, prit la bourse, dans sa poche et courut la porter à sa maîtresse.
Quand le dormeur s’éveilla, il fut étonné de se trouver ainsi où il était. Il courut, tout honteux, à son hôtel, et ce ne fut que là qu’il s’aperçut que sa bourse lui avait été dérobée.
— Je suis pris ! se dit-il, et il ne me reste plus qu’à m’en retourner dans mon pays, au plus vite ; mais, je reviendrai.
Il conta son aventure à son hôte, et, bien qu’il lui dût quelque argent, celui-ci le laissa partir, sans difficulté, car il promettait de revenir, sans tarder, pour payer ses dettes et prendre sa revanche.
Il se rendit tout droit chez son frère le laboureur.
— Te voilà donc de retour, mon frère ? lui dit celui-ci.
— Oui, mon frère, je viens te voir.
— Je suis heureux de te revoir ; tu me raconteras tes voyages et tes aventures. Et ta bourse, tu l’as toujours ?
— Hélas ! non, je ne l’ai plus.
— Qu’en as-tu donc fait, malheureux ?
— Je me la suis laissé prendre sottement, mon frère.
Et il lui raconta comment le tour avait été joué,
— C’est bien fâcheux, reprit le laboureur ; mais, puisque la chose est faite et que nous n’y pouvons rien, reste avec moi, ici, où tu seras comme chez toi.
— Il faut que je recouvre ma bourse ; je n’aurai de repos que lorsque je la tiendrai de nouveau, et tu peux m’y aider beaucoup.
— Comment cela, mon frère ?
— En me prêtant ta serviette.
— Te prêter ma serviette ! Mais, songe donc qu’elle m’est indispensable, pour nourrir mes gens.
— Rends-moi ce service, je t’en prie ; prête-la-moi, pour quelques jours seulement, et sois sans inquiétude, je te la rendrai, sûrement.
Le laboureur donna sa serviette au clerc, et celui-ci partit aussitôt pour Paris.
Il descendit au même hôtel que la première fois. Il fit merveille avec sa serviette, et, grâce à lui, son hôte n’eut plus besoin de s’occuper de sa cuisine, ni de sa cave, la serviette merveilleuse pourvoyait à tout.
Au bout de quelques jours, le clerc manifesta l’intention de retourner au palais du roi.
— N’allez pas commettre cette imprudence, lui dit son hôte, ou du moins laissez-moi votre serviette.
— Non, répondit-il, j’irai et j’emporterai ma serviette.
Et il alla, en effet, non pas vêtu comme un prince, cette fois, mais, comme un cuisinier qui cherche condition.
Il demanda au portier :
— N’a-t-on pas besoin d’un bon cuisinier, au palais ?
— Ma foi si ! répondit le portier, qui ne le reconnut pas ; il en est parti un, ce matin même, et je pense qu’on ne demande pas mieux que de le remplacer promptement. Allez parler au maître cuisinier.
Il se rendit à la cuisine, parla au chef et fut reçu à l’essai. On le mit à l’épreuve immédiatement, et on n’était guère content de lui. On allait même le congédier, quand un jour qu’il devait y avoir un grand repas au palais, et que tout le monde était sur les dents et perdait la tête, dans les cuisines royales, il dit au chef et à tous ses employés, jusqu’aux simples marmitons :
— Allez tous vous promener, et laissez-moi seul ; je me charge de tout, et le repas que je servirai n’en sera pas plus mauvais, croyez-m’en.
— Pauvre imbécile ! répondit le chef, en haussant les épaules.
Mais, comme il insistait :
— Réponds-tu de tout, sur ta tête ? lui demanda-t-il.
— Je réponds de tout, sur ma tête.
— Eh bien ! soit, et tire-toi d’affaire comme tu pourras.
Et chefs et marmitons allèrent se promener en ville, et le laissèrent seul à la cuisine.
Un peu avant l’heure du dîner, le clerc se rendit à la salle à manger, étendit sa serviette sur la table et dit :
— Serviette, fais ton devoir ! Je désire voir, à l’instant, sur cette table, un repas magnifique et dont le roi et ses convives seront émerveillés.
Ce qui fut fait aussitôt que dit. La table se couvrit par enchantement d’une profusion de mets exquis, qui répandaient dans la salle et tout le palais un parfum délicieux, et des meilleurs vins et liqueurs de tous les pays. Jamais le roi ne dîna aussi bien que ce jour-là. Aussi, fit-il venir son maître d’hôtel, pour le féliciter, devant tout le monde. Celui-ci reçut les compliments, comme s’ils lui étaient dus, et désormais, il abandonna au nouveau venu le soin de la table royale, puisqu’il s’en tirait si bien, et lui en laissait tout le mérite. Ce fut alors, tous les jours, des festins copieux et exquis, si bien que le roi et toute la cour mangeaient énormément, sans avoir jamais d’indigestion, pourtant.
Cependant, la femme de chambre de la princesse avait cru reconnaître l’homme à la bourse enchantée dans le nouveau cuisinier. Elle l’observa de près et, s’étant cachée, un jour, dans la salle à manger, elle le vit servir la table et surprit son secret. Elle courut faire part de sa découverte à sa maîtresse.
— L’homme à la bourse est encore dans le palais ! lui dit-elle.
— Est-ce vrai ?
— Oui, je l’ai vu, et c’est à lui que vous devez tous ces excellents repas que vous faites, depuis quelque temps. Il a, cette fois, une serviette merveilleuse, et il lui suffit de l’étendre sur la table et de dire : « Serviette, fais ton devoir ! » pour que aussitôt la table soit magnifiquement servie, sans qu’il s’en mêle autrement.
— En vérité ?… Il faut lui dérober aussi sa serviette.
— Je m’en charge, car je sais où il la met. La nuit, quand tout le monde fut couché et dormait, au palais, la femme de chambre descendit tout doucement dans la salle à manger, prit la serviette magique, dans un tiroir où le clerc l’enfermait, en mit une autre à sa place, et la porta à sa maîtresse. Alors, pour s’assurer de leur réussite, les deux femmes étendirent la serviette sur une petite table, et demandèrent qu’on leur servît un petit souper fin pour deux. Ce qui fut fait, aussitôt que dit. Le tour était encore bien joué, et leur joie était extrême.
Le lendemain matin, à l’heure du déjeûner le clerc, qui ne se doutait de rien, vint, comme à l’ordinaire, pour préparer la table. Mais, il eut beau dire : « Serviette, fais ton devoir !… » rien ne venait.
— Hélas ! se dit-il, en voyant cela, je suis encore joué ! Ma foi, tant pis ! Le roi déjeûnera ou ne déjeûnera pas, aujourd’hui, peu m’importe, et je vais déguerpir, au plus vite.
Et il partit, sans rien dire à personne, et se rendit, cette fois, chez son autre frère, le prêtre.
— Bonjour, mon frère le prêtre, lui dit-il, en arrivant chez lui.
— Bonjour, mon frère le clerc, je suis bien aise de te revoir ; as-tu réussi, dans tes voyages et reviens-tu riche ?
— Hélas ! non, mon frère ; jusqu’à présent, je n ai pas eu de chance, et je viens te prier de me venir en aide.
— Que puis-je pour toi, mon frère ?
— J’ai été à la cour du roi, et on m’y a volé ma bourse, d’abord, puis, la serviette de notre frère le laboureur, qui avait bien voulu me la prêter. Je viens te prier de me prêter aussi ton manteau, afin de reconquérir avec lui et ma bourse et la serviette de notre frère.
— Je ne te prêterai pas mon manteau ; tu te le ferais aussi prendre, comme la bourse et la serviette. Je l’ai reçu de notre père, à son lit de mort, comme tu le sais, et je ne m’en dessaisirai pas, pendant que je serai en vie.
Mais, le clerc insista et pria si bien le prêtre, que celui-ci finit par lui confier son manteau, en lui faisant promettre de le lui rendre, sans tarder.
Il se rend encore à Paris, et va tout droit au palais du roi. Cette fois, il n’a pas besoin de la permission du portier, pour entrer. Il met son manteau sur ses épaules, et, devenu aussitôt invisible, il pénètre jusqu’à la chambre de la princesse. Celle-ci était seule. Il lui met un pan de son manteau sur la tête et dit :
— Par la vertu de mon manteau, je désire que nous soyons transportés tous les deux dans une île, au milieu de la mer, à cinq cents lieues d’ici.
Et aussitôt ils partent, à travers l’air, plus vite que le vent, et sont déposés dans une île, au milieu de la mer.
La princesse, se voyant jouée, à son tour, feignit de se résigner à son sort et même de se plaire en la société de son ravisseur ; mais, c’était afin de pouvoir le trahir plus facilement. Elle remarqua qu’il ne se séparait jamais de son manteau, et qu’il le plaçait toujours sous sa tête, quand il dormait. Elle pensa que ce manteau devait être un manteau magique, comme la bourse et la serviette, et que c’était par sa vertu qu’ils avaient été transportés dans cette île. Elle conçut le projet de le lui dérober aussi et de retourner chez son père, par la même voie qu’elle était venue. Une nuit donc qu’il dormait profondément, elle enleva le manteau de dessous sa tête, se le mit sur les épaules, et dit :
— Par la vertu de mon manteau, je désire être transportée, sur-le-champ, au palais de mon père.
Et aussitôt elle s’éleva en l’air, et fut bientôt rendue dans sa chambre, au palais de son père.
Quand le clerc s’éveilla et se vit seul et ne retrouva pas son manteau, sous sa tête :
— Hélas ! s’écria-t-il, elle m’a encore joué !… Pour cette fois, je suis perdu !…
Et il se mit à pleurer.
Il passa trois mois dans cette île, qui était inhabitée, n’ayant pour toute nourriture que quelques fruits sauvages et les coquillages qu’il recueillait sur le rivage.
Un jour, en parcourant son île, il trouva des pommiers, qui portaient des fruits rouges, d’un aspect fort appétissant. Il cueillit une pomme et la mangea. Mais aussitôt, deux longues cornes lui poussèrent sur le front.
— Que signifie ceci ? se dit-il, en tâtant ses cornes ; me voici un joli garçon, à présent !
Il était très contrarié. Cependant, comme il avait trouvé les pommes bonnes, il en cueillit une autre, à un autre arbre, la mangea aussi, et ses cornes disparurent.
— Voici qui est à merveille ! se dit-il, tout joyeux, et ces pommes pourront me servir, un jour.
Et il en cueillit quatre de chacun des deux arbres, et les mit dans ses poches. Puis, il retourna au rivage. Il aperçut un bâtiment, qui passait, sous ses voiles. Il monta sur un rocher élevé, attacha son mouchoir au bout d’un bâton et l’agita en l’air, pour faire signe au bâtiment d’approcher. Son signal fut aperçu et compris. Le bâtiment se dirigea sur l’île, et le capitaine prit notre homme à son bord, et le débarqua à Brest. Il s’empressa de se rendre encore à Paris, et descendit au même hôtel que précédemment.
Le lendemain de son arrivée, qui était un dimanche, il fit placer une petite table près du porche de l’église où la princesse avait l’habitude d’aller à la messe, la couvrit d’une serviette blanche et posa dessus quatre des pommes qu’il avait rapportées de l’île, celles qui faisaient pousser des cornes. C’étaient des pommes magnifiques, et telles qu’on n’en avait jamais vu d’aussi belles, à Paris. Quand la princesse vint à passer, accompagnée de sa femme de chambre, elle les remarqua et les admira ; mais, elle ne reconnut pas le marchand. Elle entra sous le porche et dit à sa femme de chambre :
— Allez m’acheter ces pommes ; je n’en ai jamais vu de semblables.
La femme de chambre alla au marchand et lui demanda :
— Combien vos pommes, marchand ?
— Quatre cents écus.
— Combien dites-vous ?
— Quatre cents écus.
— Quatre cents écus pour quatre pommes ! Est-ce que vous vous moquez de moi ?
— Nullement, mais, je ne les donnerai pas à moins ; c’est à prendre ou à laisser, comme vous voudrez.
La femme de chambre revint vers sa maîtresse :
— Eh bien ! lui demanda celle-ci, avez-vous les pommes ?
— Non, il en demande beaucoup trop cher,
— Qu’en demande-t-il donc ?
— Quatre cents écus ! Il faut qu’il soit fou.
— C’est déraisonnable, en effet, et ce n’est pas moi qui donnerai jamais quatre cents écus de quatre pommes.
Et elles entrèrent dans l’église.
Durant toute la messe, la princesse ne fit que songer aux pommes. En sortant, elle s’arrêta encore pour les admirer, puis elle s’éloigna un peu et dit à sa femme de chambre :
— Allez m’acheter les quatre pommes, pour quatre cents écus.
La femme de chambre revint et dit au marchand :
— Donnez-moi les pommes, marchand, voici quatre cents écus.
— Excusez-moi, Madame, ce n’est plus quatre cents écus, mais bien huit cents, qu’il m’en faut, à présent.
— Comment, mais vous me les aviez laissées pour quatre cents, et c’est déjà bien cher, je pense.
— Il fallait les prendre, alors, car, à présent, vous ne les aurez pas pour moins de huit cents écus.
La femme de chambre revint vers sa maîtresse et lui dit :
— Voilà qu’il ne veut plus donner ses pommes, à présent, pour moins de huit cents écus !
— Huit cents écus, pour quatre pommes ! Il se moque de nous, cet homme.
— Donnez-les-lui, ma maîtresse ; qu’est cela pour vous ? N’avez-vous pas votre bourse enchantée, qui vous fournit de l’argent à discrétion ?
— Eh bien ! voilà huit cents écus ; portez-les-lui, vite, et revenez avec les pommes.
Et la princesse tira huit cents écus de sa bourse et les remit à la femme de chambre. Celle-ci alla les porter à notre homme et lui dit :
— Voici les huit cents écus, marchand ; donnez-moi les pommes.
— Je suis bien fâché. Madame, répondit le marchand, mais c’est mille écus qu’il me faut de mes pommes.
— Vous m’avez dit huit cents écus, tout à l’heure.
— Il fallait les prendre, quand je vous les laissais pour huit cents écus ; à présent, j’en veux mille.
Cette fois, la femme de chambre prit sur elle de conclure le marché, sans plus consulter sa maîtresse, et elle donna les mille écus et emporta les pommes.
Pendant le dîner, au palais, les pommes étaient sur la table, et faisaient l’admiration de tout le monde. Au dessert, le roi en prit une, en donna une autre à la reine, une autre à sa fille, et la quatrième il ne savait à qui la donner, quand la princesse la réclama pour sa femme de chambre. On attaqua les pommes aussitôt et on les trouva délicieuses. Mais, voici bien une autre affaire. On s’aperçut bientôt que deux cornes poussaient, à vue d’œil, sur le front de chacun des mangeurs de pommes, et elles montaient si rapidement, qu’elles atteignirent bientôt le plafond de la salle. Les cornards se regardaient d’abord avec étonnement et en riant les uns des autres ; puis, ils s’inquiétèrent, ils pleurèrent et poussèrent des cris. Ce ne fut qu’avec peine et en baissant la tête, qu’ils purent passer par la porte de la salle à manger, pour se rendre chacun dans sa chambre. On fit venir des médecins ; mais, ils ne comprenaient rien à un pareil phénomène. On publia alors, par toute la ville, que quiconque guérirait la famille royale et ferait disparaître les cornes obtiendrait la main de la princesse, ou une très forte somme d’argent, s’il était déjà marié. Les médecins, les chirurgiens, les magiciens, les sorciers, arrivaient de tous côtés, mais, tous y perdaient leur latin et leurs remèdes.
Le clerc avait, à dessein, laissé passer tout le monde avant lui. Il se présenta aussi, quand il jugea à-propos, ayant au bras un panier recouvert d’une serviette blanche et rempli d’orties et d’autres herbes. Il dit au portier :
— Je m’engage à guérir le roi et les autres porteurs de cornes.
— Entrez, entrez, vite ! lui dit le portier.
On le conduisit d’abord dans la chambre du roi et de la reine. Ils faisaient pitié à voir.
— C’est vous, docteur, lui demanda le roi, qui promettez de nous guérir ?
— Je l’ai promis, sire, répondit-il, et je le ferai, si vous me payez comme le mérite une pareille cure.
— Que demandez-vous ?
— Une barrique d’argent pour chaque cure.
— Vous l’aurez ; commencez par moi, et sans perdre de temps.
— À l’instant même, sire, car j’ai ici mes remèdes.
Il pria le roi de mettre bas culotte et chemise, puis, de sa main droite, qui était gantée, prenant dans son panier une poignée d’orties, il se mit à l’en fouetter, à tour de bras, par derrière et par devant. Le pauvre sire criait et trouvait le remède étrange ; mais, le médecin n’en prenait cure et frappait toujours. Au bout d’une demi-heure de cette médication, il s’occupa aussi de la reine, et la traita de la même manière.
— Assez ! assez ! grâce ! criait-elle ; mais, il frappait toujours, à tour de bras.
Quand il eut terminé cette première partie de son traitement, il prit deux pommes dans sa poche et les présenta à ses malades, en leur disant :
— Mangez ceci.
Mais, ils détournèrent la tête, et firent une horrible grimace, en voyant ces fruits maudits, cause de leur malheur.
— Mangez, vous dis-je, reprit le médecin, et ne craignez rien.
Ils prirent les pommes et y mirent les dents, en tremblant. Mais, à peine y eurent-ils mordu, qu’ils sentirent leurs cornes diminuer, et quand ils eurent fini de les manger, il n’en restait plus trace sur leurs fronts.
Les voilà bien contents, et de remercier le médecin, avec effusion.
— Allez, à présent, traiter notre fille, lui dirent-ils.
— Assez, pour aujourd’hui, répondit-il, car la princesse et sa femme de chambre seront plus difficiles à traiter, et je suis fatigué. Je reviendrai demain, et je m’occuperai d’elles.
— Guérissez ma fille, avant sa femme de chambre, dit le roi.
— Je ne puis ; la princesse doit passer la dernière, car c’est avec elle que j’aurai le plus de mal et qu’il me faudra passer le plus de temps.
Il retourna là-dessus à son hôtel.
Le lendemain, il revint au palais, avec son panier rempli d’ortie. Il se fit conduire auprès de la fille de chambre et demanda qu’on le laissât seul avec elle. Bientôt on entendit des gémissements et des cris. Le traitement commençait. Le médecin la fouetta avec de l’ortie, pendant une demi-heure, puis il s’en alla, en disant qu’il reviendrait le lendemain, pour la continuation du traitement.
Il revint, en effet, comme il l’avait dit, et bientôt tout le palais retentit de cris : — Assez !… Grâce !… Vous me tuerez !…
C’était la continuation du traitement de la femme de chambre, et le médecin cinglait à tour de bras le corps nu de sa malade.
Quand il l’eut assez battue, il lui présenta une pomme en disant :
— Mangez cette pomme.
Elle détourna la tête, avec horreur.
— Mangez, vous dis-je, reprit-il ; c’est indispensable.
Elle prit la pomme, y mordit en tremblant, et sentit aussitôt ses cornes diminuer ; quand elle finit de la manger, les cornes avaient complètement disparu.
Le médecin s’en alla alors, bien que le roi et la reine insistassent pour qu’il commençât immédiatement le traitement de la princesse.
— Cela m’est impossible, pour aujourd’hui, répondit-il, mais, je m’occuperai d’elle, demain !
Le lendemain donc il se fit conduire à la chambre de la princesse, et demanda qu’on le laissât seul avec elle. Il la fouetta, pendant une demi-heure, avec de l’ortie, puis il s’en alla, en disant qu’il reviendrait, le lendemain. Il revint, en effet, et continua le traitement avec un nerf de bœuf, dont il cingla le corps nu de la princesse, pendant une autre demi-heure. Le sang coulait, à chaque coup, et la princesse poussait des cris à fendre l’âme. Le roi et la reine, qui l’entendaient, ne pouvaient retenir leurs larmes et disaient :
— Il la tuera ! il faut lui dire de cesser… Quand le médecin sortit de la chambre, il les trouva tous les deux dans l’escalier, qui montaient.
— Est-ce terminé, docteur ? lui demandèrent-ils.
— La princesse est très difficile à traiter, répondit-il ; cependant, je ne désespère pas d’elle. Je reviendrai, dans trois jours, pour terminer le traitement.
Et il s’en alla.
II laissait la princesse dans un état pitoyable.
La veille du jour où il devait retourner au palais, notre médecin alla trouver un prêtre, qu’il connaissait, et lui dit :
— Demain, vous irez au palais, pour confesser la princesse, qui est bien malade.
— Je n’ai pas l’honneur d’être le confesseur de la princesse, répondit le prêtre.
— Cela n’y fait rien, c’est vous que l’on demande ; présentez-vous au palais, à midi juste.
Le prêtre promit.
Le médecin retourna au palais, au bout de trois jours, comme il l’avait dit. Il alla d’abord trouver le roi et la reine et leur dit :
— C’est aujourd’hui que je dois terminer le traitement de la princesse, et, comme elle pourrait succomber…
— Jésus, mon Dieu ! interrompit la reine.
— Je ne crois pas, reprit le médecin, que nous ayons à déplorer un pareil malheur ; mais, enfin, je ne puis répondre de rien, et, par mesure de prudence, j’ai dit à un prêtre de venir la confesser ; il arrivera, à midi ; en attendant, je vais encore administrer un remède à la malade.
Et il monta à la chambre de la princesse. Elle faisait pitié à voir. Il lui dit :
— Je vais vous administrer aujourd’hui le dernier remède ; mais, comme j’en crains les suites, j’ai dit à un prêtre de venir vous confesser.
La pauvre princesse frémit de frayeur et dit qu’elle aimait mieux porter ses cornes, toute sa vie, que de voir continuer le traitement de cette façon.
Le prêtre arriva, en ce moment. Le médecin se retira dans un cabinet, à côté, et lui dit d’y venir le trouver, quand il aurait rempli son devoir.
La princesse se confessa, et le confesseur se rendit ensuite près du médecin, qui lui dit :
— Il faut me céder, pour un moment seulement, votre soutane et votre surplis.
— Je ne ferai pas cela, répondit le prêtre.
— Bah ! laissez-moi donc là vos scrupules ; il le faut, pour compléter la cure de la princesse ; tenez, prenez ceci.
Et il lui glissa cent écus dans la main.
Le prêtre prit l’argent et donna sa soutane et son surplis. Le médecin les revêtit, se rendit auprès de la princesse et lui parla de la sorte :
— Je crains que vous n’ayez oublié quelque chose, princesse, et, avant de me retirer, je viens vous prier de compléter votre confession, si vous avez encore quelque chose sur la conscience ; songez que vous êtes peut-être sur le point de paraître devant votre Juge suprême.
La princesse sanglotait.
— Voyons, reprit le faux prêtre, je vais vous aider : N’avez-vous rien dérobé, rien volé, quelque petite chose ?…
— Oui, mon père, répondit-elle, tout bas, j’ai dérobé sa bourse à un prince étranger, qui vint à la cour, il y a quelque temps.
— Il faut la restituer ; confiez-moi-la, et je la rendrai à son propriétaire.
Elle prit la bourse dans une cassette, et la remit au confesseur.
— C’est bien, dit celui-ci, mais, est-ce tout ? N’avez-vous pas encore dérobé quelque autre chose ?…
— Oui, une serviette.
— Donnez-moi aussi la serviette, pour que je la restitue à son propriétaire.
Et la princesse prit la serviette, dans la même cassette, et la donna aussi au faux prêtre.
— Continuez… et après ?… demanda encore le confesseur.
— C’est tout, mon père, répondit la princesse.
— Cherchez bien… N’auriez-vous pas encore dérobé quelque objet pareil… un manteau, par exemple ?…
— Oui, répondit-elle, après un assez long silence.
— Il faut me rendre encore ce manteau, pour le restituer.
Et elle lui donna aussi le manteau.
— C’est bien, dit alors le confesseur ; prenez cette pomme, à présent, et mangez-la, cela vous fera du bien.
Et il lui présenta une pomme.
À la vue de ce fruit, cause de tout son malheur, elle détourna d’abord la tête et fit une grimace. Mais, sur l’insistance de son confesseur, elle la prit et y mordit, à belles dents. Ses cornes disparurent aussitôt, par enchantement, et en même temps, les plaies de son corps se cicatrisèrent aussi. Alors, le faux prêtre, se dépouillant de sa soutane et de la perruque dont il s’était affublé, lui dit :
— Regardez-moi, ne me reconnaissez-vous pas ? La princesse se jeta à ses pieds, en criant :
— Grâce ! grâce ! Je suis assez punie.
Le roi et la reine, qui étaient à la porte de la chambre, ayant entendu leur fille crier grâce, entrèrent subitement, et, voyant que ses cornes avaient disparu, comme les leurs :
— Je vous donne la main de ma fille ! s’écria le roi, en se jetant au cou du médecin, pour l’embrasser.
— Merci ! sire, répondit celui-ci ; je la connais trop bien, pour en vouloir pour femme ; donnez-moi les quatre barriques d’argent que vous m’avez promises, et gardez votre fille.
Le vieux monarque eût préféré donner sa fille et garder son argent ; il s’exécuta pourtant d’assez bonne grâce et vida ses caisses, parce qu’il craignait le retour des cornes.
Le clerc donna une de ses barriques d’argent à son hôte, qui s’était toujours montré bienveillant et complaisant pour lui, et une autre, aux pauvres de la ville de Paris. Puis, il revint dans son pays, et rendit sa serviette à son frère le laboureur et son manteau à son frère le prêtre. Il leur donna encore les deux barriques d’argent qui lui restaient, en reconnaissance du] service qu’ils lui avaient rendu.
Ensuite, il alla voyager au loin. Il avait gardé sa bourse, qui lui donnait toujours cent écus, chaque fois qu’il y mettait la main ; nous n’avons donc pas d’inquiétude à avoir à son endroit,… à moins qu’il ne se la laisse encore dérober.
Ah ! si je pouvais, un jour, trouver une bourse semblable !…
à Plouaret. — 1869.
IL y avait une fois un jardinier qui avait deux fils. Un jour du mois de mai, comme il travaillait dans son jardin, il remarqua un petit oiseau comme il n’en avait jamais vu.
— Voilà un bien bel oiseau ! se dit-il à lui-même ; si je pouvais le prendre !
Il réussit à prendre le petit oiseau, et le mit dans une cage, avec l’intention d’en faire cadeau à son seigneur. L’oiseau y pondit un œuf, qui était jaune comme l’or.
Le lendemain, la femme du jardinier devait aller en ville, pour porter des œufs à son seigneur. Il lui en manquait un pour achever ses trois douzaines. Elle prit l’œuf du petit oiseau et le mit parmi les autres ; puis, elle se rendit à la ville.
Quand le seigneur aperçut l’œuf jaune d’or, il fut étonné, et il dit à la femme du jardinier :
— Qu’est-ce que cet œuf-ci ?
— Ma foi ! Monseigneur, il m’en manquait un pour achever mes trois douzaines, et alors j’ai pris cet œuf jaune, qui a été pondu par un petit oiseau que nous avons à la maison.
— Comment avez-vous eu cet oiseau-là ?
— Notre homme l’a pris, dans le jardin.
— Dites à votre homme de venir me voir, dimanche prochain, et d’apporter le petit oiseau.
— Je le lui dirai, Monseigneur…
Le dimanche matin, le jardinier se rendit à la ville, emportant l’oiseau, dans sa cage. Il emmena aussi avec lui ses deux jeunes fils. Aussitôt que le seigneur vit le petit oiseau, il s’écria :
— Dieu, le bel oiseau ! Mais, que vois-je donc écrit autour de sa tête ?
Et le seigneur lut alors, autour de la tête de l’oiseau, que celui qui mangerait son cœur trouverait, chaque matin, cent écus sous son oreiller.
— Holà ! pensa-t-il, voici une merveille ! Il faut me céder votre oiseau ? dit-il au jardinier.
— Volontiers, Monseigneur, puisqu’il vous plaît.
L’heure de la grand’messe était venue, et, avant de se rendre à l’église, le seigneur recommanda à sa cuisinière de lui faire cuire le petit oiseau pour son dîner, et de bien prendre garde de perdre son cœur, ou de le laisser manger au chat, car c’était là le meilleur morceau.
Le seigneur va alors à la messe, et le jardinier l’accompagne. Les deux fils de celui-ci étaient allés voir les bateaux, au bord du quai. Quand ils se furent promenés assez, ils retournèrent chez le seigneur. En arrivant dans la cuisine, ils n’y trouvèrent que la cuisinière. Ils virent, sur la table, le petit oiseau plumé, et, sur un plat, à côté, était son cœur. Les deux gars s’appelaient l’un, François, et l’autre, Allain. François, voyant le cœur du petit oiseau sur le plat, le prit pour une cerise rouge, et l’avala. Puis, ils allèrent jouer tous les deux dans le jardin.
À dîner, quand l’oiseau fut servi sur la table, le seigneur s’empressa de chercher le cœur, et comme il ne le trouvait pas :
— Où est le cœur de l’oiseau, cuisinière ? demanda-t-il.
— Comment, est-ce que vous ne le trouvez pas. Monseigneur ?
— Non sûrement, je ne le trouve pas ; prenez garde de l’avoir mangé !
— Moi, Monseigneur ! Par exemple, le chat pourrait bien l’avoir mangé, car je me suis absentée un instant de la cuisine.
Et voilà le seigneur désolé, furieux ; et il se leva de table, ne pouvant finir de dîner.
Le soir, le vieux jardinier s’en retourna chez lui, avec ses deux fils. Ceux-ci vont se coucher, chacun dans son lit, comme à l’ordinaire. Le lendemain matin, leur mère, en faisant leurs lits, trouva cent écus en or, sous l’oreiller de François.
— Tiens ! se dit-elle, tout étonnée, d’où vient cet or ?
Elle l’emporta, et n’en dit rien à ses enfants ; mais, elle le dit à son mari, qui en fut aussi étonné qu’elle. Le lendemain matin, elle trouva encore cent écus, sous l’oreiller de François ; et ce fut, dans la suite, tous les matins ainsi. Si bien qu’ils devinrent riches promptement, et personne ne savait comment cela était arrivé ; les deux fils eux-mêmes l’ignoraient. Mais, ils voulurent voyager. Leur père et leur mère eurent beau les prier de rester avec eux à la maison, puisqu’ils n’y manquaient de rien, ce fut inutile, il fallut les laisser faire à leur tête. On leur donna de l’argent (car l’argent ne manquait plus dans la maison), et ils se mirent en route.
Arrivés à Guingamp, ils descendirent dans une auberge, et demandèrent à loger.
— Oui sûrement, Messeigneurs, leur répondit l’hôtesse, nous vous traiterons de notre mieux.
Ils soupent bien, puis, ils vont se coucher. Le lendemain matin, l’hôtesse, en faisant leur lit (car ils avaient couché dans le même lit), trouva cent écus en or sous leur oreiller, et n’en dit rien à personne. Le surlendemain matin, elle en trouva encore autant. Quand les deux frères parlèrent de continuer leur route et de payer leur écot, l’hôtesse et son mari les prièrent si instamment de rester encore quelque temps, et les traitèrent si bien, qu’ils finirent par rester là un mois entier. L’hôte était alors devenu riche, car sa femme continuait de trouver, chaque matin, ses cent écus, et elle ne laissait personne faire le lit des deux frères ; elle y courait toujours elle-même, dès qu’ils étaient levés. Nos deux gars se trouvaient très bien à Guingamp ; cependant, quand le mois fut fini, ils demandèrent encore à payer leur écot, afin d’aller plus loin. On insista de nouveau pour les faire rester ; mais, ce fut inutilement, cette fois.
— Faites-nous notre compte, hôtesse, dirent-ils, afin que nous partions.
— Quand vous retournerez, vous paierez, Messeigneurs ; que cela ne vous inquiète pas, et venez encore loger dans notre maison, si vous y avez été bien.
Ils promirent de descendre encore là, au retour. Au moment de partir, l’hôtesse appela François un peu à l’écart, et lui dit tout bas :
— Vous m’avez fait beaucoup de bien, et, pour vous en témoigner ma reconnaissance, je veux vous dire une bonne parole : Chaque matin, en vous levant de votre lit, regardez sous votre oreiller, et vous y trouverez cent écus en or.
François sourit, persuadé que l’hôtesse plaisantait, et il n’en dit rien à son frère. Cependant, tout le long de la route, ces paroles ne sortaient pas de son esprit, et il se disait :
— Est-ce que, par hasard, l’hôtesse aurait dit vrai ?
Quand vint la nuit, ils couchèrent dans une auberge, au bord du chemin. Le lendemain matin, François s’empressa de regarder sous son oreiller.
— Cent écus en or ! L’hôtesse est sûrement sorcière, pensa-t-il.
Il mit, vite, les cent écus dans sa poche, et n’en dit rien à son frère. Puis, ils se remirent en route, se dirigeant vers Paris. Et chaque matin, en quelque lieu qu’il couchât, François trouvait désormais cent écus en or sous sa tête.
Ils arrivèrent à Paris. Ils se séparèrent alors, et chacun d’eux alla de son côté chercher fortune.
François, qui avait ses poches pleines d’or, descendit dans un grand hôtel. Il prit un maître d’école, pour lui apprendre à lire et à écrire, car il ne savait rien. Il s’habilla comme un prince, et fit des dépenses en conséquence, puisqu’il avait de l’or à discrétion. De plus, il était assez beau garçon. La fille du roi le vit, un jour, et devint aussitôt amoureuse de lui. Le vieux roi ne voulait pas donner sa fille à un homme qu’il ne connaissait pas ; mais, la princesse insista tant, qu’il finit par consentir, et ils furent fiancés, et puis mariés A partir de ce moment, François mena une vie de désordre. Tous les jours, il ne faisait que boire, jouer et courtiser les filles ; on ne le voyait jamais avec sa femme. La pauvre princesse en était désolée.
— Comment fait-il ? se disait-elle à elle-même ; il dépense beaucoup, et pourtant, il ne demande jamais d’argent ni à moi, ni à mon père. Il y a quelque chose là-dessous, et il faut que je sache ce que c’est.
Elle va trouver une vieille sorcière et lui conte son cas.
— Hélas ! ma pauvre enfant, lui dit la sorcière, celui-là a mangé le cœur du petit oiseau à l’œuf d’or, et, depuis ce jour, il trouve, chaque matin, cent écus en or sous son oreiller ! Si tu pouvais avoir le cœur de l’oiseau, quelle femme tu serais, alors !
— Et comment l’avoir, s’il l’a mangé ?
— Fais comme je vais te dire, et peut-être viendras-tu encore à bout de le posséder. Toutes les nuits, tu es obligée de te lever, pour lui donner à boire : mélange, dans un même verre, du cidre, du vin, de l’eau-de-vie, du sel et du poivre, et fais-lui boire ce mélange. Il l’avalera, sans regarder, et aussitôt il rejettera le cœur de l’oiseau. Prends-le alors et l’avale.
La princesse revient à la maison. Vers minuit, son mari rentra aussi, ivre comme un ménétrier. À peine est-il au lit, qu’il demande à boire. Sa femme lui présente alors le mélange, qu’elle avait préparé avant de se coucher. Il l’avale d’un trait. Mais, il commence aussitôt à tousser, puis il vomit et rejette le cœur du petit oiseau à l’œuf d’or. La princesse s’en saisit et l’avale. Le lendemain matin, il y avait cent écus en or sous son oreiller, et rien sous celui de François. Celui-ci en fut étonné.
— Qu’est-ce à dire ? pensa-t-il. Si je n’ai plus d’or, par exemple !…
Le lendemain, la princesse trouva encore ses cent écus, et lui, rien encore ! Il en était tout attristé. Ses compagnons de débauche vinrent le chercher au palais, mais, il refusa de les suivre. Personne ne savait ce qui était arrivé, excepté sa femme. Comme il n’avait plus d’or, il devint méchant, au point que personne ne pouvait le supporter, dans le palais. Le roi en était bien embarrassé, et la princesse aussi. Celle-ci retourna auprès de la vieille sorcière, et lui dit :
— J’ai fait comme vous m’aviez recommandé, et le cœur du petit oiseau à l’œuf d’or est, à présent, dans mon estomac. Mais, depuis qu’il ne trouve plus ses cent écus, chaque matin, sous son oreiller, mon mari est devenu si méchant, que personne ne peut le supporter, dans le palais ; il ressemble à un démon enragé.
— C’est bien ; prends cette baguette, et, quand tu seras de retour chez toi, dis : « Par la vertu de ma baguette, je désire que mon mari soit transporté à cinq cents lieues d’ici, dans une île, au milieu de la mer ! » Et ce sera fait, sur-le-champ.
La princesse revint à la maison, avec sa baguette. Quand elle arriva, son mari faisait le diable, pis que jamais. Elle attendit qu’il fût dans son lit et qu’il dormît. Alors, elle s’approcha de lui, tenant sa baguette à la main, et dit :
— Par la vertu de ma baguette, je désire que mon mari soit transporté à cinq cents lieues d’ici, dans une île déserte, au milieu de la mer !
Et aussitôt, il fut enlevé de là et porté, à travers l’air, dans une île, au milieu de la mer. Il dormait, pendant le trajet, qui ne dura pas longtemps, du reste. Quand il se réveilla, il fut bien étonné.
— Où diable suis-je ici ? s’écria-t-il ; ah ! sorcière maudite (c’est de sa femme qu’il parlait ainsi), tu m’as joué un mauvais tour ; mais, n’importe, je te retrouverai encore !
Il se met alors à parcourir son île ; il ne voit ni maisons ni habitants. La faim le prend, et, comme il ne trouve rien autre chose à manger, il se met à chercher des coquilles de patelles (brinig) et d’autres coquillages, sur le rivage. Pendant longtemps, il n’eut pas d’autre nourriture.
Un jour, le temps étant clair et beau, il fut étonné de voir l’obscurité survenir, tout d’un coup.
— Qu’est ceci ? se demanda-t-il à lui-même. Et, un moment après, il vit s’abattre sur la grève un aigle, qui se mit aussi à chercher des coquillages.
— Quel grand oiseau ! se dit-il. Si je pouvais lui monter sur le dos, il me porterait hors de cette île.
Et il s’approcha de lui, doucement, doucement, en se cachant derrière les rochers. Il réussit à lui sauter sur le dos ! Aussitôt, l’aigle l’emporta en l’air, bien haut, bien haut, si haut qu’il ne voyait plus la mer. Quand il fut fatigué de voler, il descendit au milieu d’un grand bois, sur un chêne. François quitta alors sa monture, et descendit à terre. Il avait grand’faim. En se promenant par le bois, il trouva un cerisier qui portait de belles cerises rouges. Et le voilà de manger des cerises ! Mais, il n’en avait pas encore mangé beaucoup, qu’il se trouva changé en un cheval entier ! Et il se mit à hennir et à courir par le bois, sous cette forme. Et, bien que cheval, il se disait en lui-même :
— Me voilà bien pris ! pensa-t-il, si j’allais rester cheval, par exemple !…
Il voit un autre cerisier, qui portait des cerises d’une autre couleur.
— Ma foi ! à présent, je peux bien en manger ! se dit-il.
Et il se met à manger des cerises de cet autre arbre. Et aussitôt il redevient homme !
— À merveille ! se dit-il ; je saurai, à présent, à quoi sont bonnes ces cerises !
Et il remplit ses poches de cerises du premier arbre ; mais, il n’en prit pas du second. Il se dirigea alors sur Paris.
En arrivant à Paris, il alla aussitôt se placer près de la porte de l’église où la princesse, sa femme, avait l’habitude de venir entendre la messe. Il posa ses cerises sur une serviette, comme pour les vendre. La messe était commencée. Quand elle fut terminée, il vit sa femme sortir de l’église, accompagnée de sa femme de chambre. Elle remarqua les cerises, et les trouva si belles, qu’elle voulut en manger. Elle ne regarda seulement pas le marchand. Elle envoya donc sa femme de chambre lui acheter des cerises.
À la première cerise que mangea la princesse, elle fut changée en jument ! Et la voilà de hennir, de ruer, et de parcourir, au grand galop, les rues de la ville, comme une bête affolée. Tout le monde fuyait, épouvanté, et personne n’osait essayer de l’arrêter.
— Donnez-moi une bride, dit le marchand de cerises, je saurai bien en venir à bout, moi !
On lui donne une bride, il la lui met facilement en tête, puis il lui monte sur le dos, et lui fait parcourir la ville, au galop. Avec un bâton, qu’il avait à la main, il battait la bête, sans pitié, si bien que tout le monde disait, sur son passage :
— La pauvre bête ! il finira par la tuer ! Enfin, il courut et maltraita la jument, tant et tant, qu’elle s’abattit sur le pavé, n’en pouvant plus. Alors, il tira son couteau, et lui ouvrit l’estomac. Il y retrouva le cœur de l’oiseau à l’œuf d’or, et l’avala sur-le-champ.
Il revint aussitôt dans son pays. À présent, il avait encore de l’or, à discrétion ; tous les matins, il trouvait, comme devant, ses cent écus sous son oreiller.
En passant par le bourg de Plounevez-Moëdec, il entra dans une auberge, et, comme le cidre y était bon, il en but avec excès. Il y avait là des maquignons, qui revenaient d’une foire de Bré, et on se prit de querelle, et on en vint bientôt aux coups de poing. François fut battu, volé et jeté hors de la maison, presque nu. Il n’avait plus d’or, car on lui avait tout enlevé, et ne pouvait par conséquent s’acheter des vêtements. Comment faire ? Il ne pouvait pourtant pas rentrer chez son père, dans cet état. Il passa la nuit dans un champ. Le lendemain matin, quand le soleil se leva, il s’éveilla et trouva, comme à l’ordinaire, ses cent écus sous sa tête. Il acheta alors des vêtements, et revint à la maison.
Son père et sa mère étaient redevenus pauvres ; son frère, qui était aussi de retour à la maison, n’avait pas fait fortune non plus. Il était temps que François arrivât !
À partir de ce jour, il y eut un changement de train de vie, chez le vieillard ; on n’y manqua plus de rien. On bâtit une belle maison neuve ; on acheta des champs, des chevaux, des bœufs, des vaches, et François se maria, tôt après, à la plus riche héritière du pays.
Depuis, je n’ai pas entendu parler de lui ; mais, s’il continua de trouver, tous les matins, ses cent écus en or, sous son oreiller, nous n’avons pas lieu d’être inquiets à son sujet.
IL y avait une fois un tailleur et sa femme. Les femmes des tailleurs sont ordinairement paresseuses, et celle-ci l’était comme les autres. Elle avait nom Jeanne ar Balc’h, et son mari, Iann-troad-scarbet[2]. Sitôt que Iann était parti, le matin, pour son ouvrage, Jeanne se remettait au lit, et, quand elle en sortait, vers les onze heures ou midi, elle allait faire la commère dans le village et jaser de porte en porte, comme une pie borgne. Lorsque Jean rentrait, le soir, elle était toujours à son rouet ; si bien qu’il croyait qu’elle ne l’avait pas quitté, de toute la journée. Un matin, Jean dit à Jeanne :
— Aujourd’hui, femme, je n’irai pas en journée, et nous irons tous les deux vendre le fil, au marché, car vous devez en avoir beaucoup, à présent.
Voilà Jeanne bien embarrassée ; comment faire ? Elle n’avait pas trois bobines de fil. Elle courut chez une commère, sa voisine, et lui conta la chose.
— Dites à votre mari, lui répondit la commère, qu’après avoir lavé votre fil, vous l’aviez mis à sécher dans le four du fournier, et que celui-ci, n’étant pas averti, a allumé son four, comme à l’ordinaire, et le feu a consumé le fil.
Jeanne revint à la maison, et rapporta mot à mot à son mari la réponse de la commère.
— Sotte ! s’écria Jean, en colère ; il faut que vous ayez complètement perdu le peu de raison que vous aviez, et je ne serai jamais que pauvre avec vous ! À présent, pour vous punir, vous sèmerez dans le courtil un demi-boisseau de graine de lin, que nous avons là ; et il faudra que, pour ce soir, quand je rentrerai à la maison, le lin soit mûr, tiré, roui, séché et mis en bottes sur le grenier.
— Mais, mon pauvre homme, répondit Jeanne, comment pouvez-vous parler de la sorte ? Personne au monde n’est capable de faire cela ; et comment voulez-vous que je le fasse, moi ?
— Vous vous y prendrez comme vous l’entendrez, répondit Jean ; mais, il faut que ce soit fait, quand j’arriverai, ce soir, ou gare à vous !
Et il partit là-dessus, comme à l’ordinaire. Jeanne courut aussitôt chez sa commère, fort inquiète.
— Si vous saviez, ma commère, ce que me demande mon homme ! Il faut qu’il ait complètement perdu la tête.
— Que vous demande-t-il donc, ma commère ?
— Ce qu’il me demande ?… Il veut que, pour ce soir, quand il rentrera de sa journée, j’aie semé, dans notre courtil, un demi-boisseau de graine de lin, et que, de plus, le lin soit mûr, tiré, roui, séché et mis en bottes, sur le grenier ! Je vous demande s’il ne faut pas qu’il ait absolument perdu la tête, pour me demander une chose si impossible ?
Et elle pleurait en disant cela.
— Consolez-vous, ma commère, lui dit l’autre ; nous saurons bien trouver encore quelque moyen de tromper ce Jean, qui se croit un finaud, et qui n’est qu’un imbécile. Voici ce qu’il faudra faire : J’ai là un peu de lin, sur mon grenier, depuis l’an dernier. Vous en prendrez deux ou trois bottes, que vous répandrez par les champs et les prés des environs, et accrocherez aux haies et aux buissons, et quand Jean rentrera, ce soir, vous lui direz que vous aviez fait tout ce qu’il avait ordonné, mais, qu’un ouragan est survenu, pendant que le lin séchait sur le pré, qui a tout emporté, et, pour preuve, vous lui ferez voir ce qu’il en sera resté accroché aux buissons et aux arbres.
Le moyen parut excellent à Jeanne, Elle emporta donc trois bottes de lin sec de chez sa commère, et alla les disséminer par les champs et les prés, et les accrocher aux buissons et aux branches des arbres.
Quand Jean rentra, le soir, il demanda tout d’abord :
— Eh bien ! femme, avez-vous fait ce que je vous ai dit, ce matin ?
— Certainement, j’avais fait de point en point tout ce que vous m’aviez commandé ; mais, nous n’avons aucune chance, mon pauvre homme.
— Qu’est-il donc arrivé encore ?
— Ce qui est arrivé ? Imaginez-vous que comme le lin, au sortir de l’étang où il avait été roui, séchait sur le pré, et que je m’apprêtais à le ramasser et à le lier en bottes, pour le monter sur le grenier, un ouragan est survenu, qui a tout emporté !…
— Ta, ta, ta ! Je ne crois pas de pareils contes, répondit Jean.
— Mais, mon homme, ce n’est pas là un conte, du tout ; venez avec moi, et je vous ferai voir que c’est la pure vérité.
Et elle le conduisit dans la prairie, où elle prétendait avoir étendu son lin à sécher, et lui en fit voir de tous côtés disséminé par le pré et les champs environnants, ou accroché aux buissons et aux branches des arbres. Jean crut alors, et il s’écria :
— Eh bien ! puisque c’est l’Ouragan qui a causé le dommage, c’est aussi lui qui le paiera, et je vais, à l’instant, me plaindre au maître des Vents.
Et il rentra à la maison, prit son penn-baz[3], une tourte de pain d’orge avec quelques galettes, et partit.
Il marcha pendant longtemps ; à force d’aller devant lui, toujours plus loin, plus loin, il arriva un jour au pied d’une colline, sur laquelle était assise une vieille femme, grande comme une géante. Ses cheveux blancs flottaient au vent, et une dent noire et longue, la seule qui lui restât, branlait dans sa bouche.
— Bonjour, grand’mère, lui dit Jean.
— Bonjour, mon fils, répondit la vieille ; que cherchez-vous ?
— Je cherche la demeure des Vents.
— Alors, mon fils, vous êtes au terme de votre voyage, car c’est ici la demeure des Vents, et je suis leur mère. Que leur voulez-vous ?
— Je viens me plaindre du dommage qu’ils m’ont causé.
— Quel dommage vous ont-ils causé ? dites-le-moi, et je vous dédommagerai, s’il y a lieu.
— Votre fils l’Ouragan m’a ruiné…
Et il conta toute l’affaire à la vieille. Celle-ci lui dit :
— Entrez dans ma maison, mon fils, et quand mon fils l’Ouragan rentrera, je le forcerai à vous dédommager.
Et elle descendit alors de la colline, et introduisit Jean dans sa maison, qui était au pied. C’était une hutte faite de branchages et de mottes de terre, et où le vent entrait en sifflant de tous côtés. Elle lui servit à manger, et lui dit de n’avoir pas peur de son fils, quand il rentrerait, bien qu’il menaçât de le manger, car elle saurait venir à bout de lui. Bientôt on entendit un bruit épouvantable : les arbres craquaient, les petites pierres volaient en l’air, et les loups hurlaient.
— Voici mon fils l’Ouragan, qui arrive, dit la vieille.
Jean eut si grand’peur, qu’il se cacha sous la table. L’Ouragan entra en mugissant, huma l’air et s’écria :
— Je sens odeur de chrétien ! il y a un chrétien ici, et il faut que je le mange !
— Ne croyez pas cela, mon fils, que je vais vous le laisser manger, ce joli petit chrétien ; mais, songez plutôt à le dédommager du mal que vous lui avez fait, — dit la vieille.
Et, prenant Jean par la main, elle le fit sortir de dessous la table. L’Ouragan, en le voyant, ouvrit une bouche énorme et voulut se précipiter sur lui, pour l’avaler. Mais, sa mère lui dit, en lui montrant du doigt un sac, qui était suspendu à une poutre de la hutte :
— Voulez-vous être mis en prison ?
Et il se calma aussitôt. Alors le tailleur s’enhardit et lui dit :
— Bonjour, Monseigneur l’Ouragan ; vous m’avez ruiné.
— Comment cela, mon brave homme ? répondit l’Ouragan, avec douceur.
— Vous avez enlevé tout mon lin de la prairie où ma femme l’avait étendu pour sécher.
— Cela n’est pas vrai, et ta femme est une menteuse et une paresseuse. Mais, comme tu es un honnête homme, toi, et un bon travailleur, et que, malgré tout le mal que tu te donnes, tu ne seras jamais que pauvre, avec ta femme, je veux te récompenser de la peine que tu as eue en venant jusqu’ici, et de ta confiance en ma justice.
Tiens, voilà un mulet, et, quand tu auras besoin d’argent et d’or, tu n’auras qu’à étendre une serviette blanche sous sa queue et lui dire : — Mulet, fais ton devoir ! — et il te fournira de l’or et de l’argent, à discrétion. Mais, prends bien garde de te le laisser voler, ou tu te retrouveras pauvre, comme devant.
Et l’Ouragan lui présenta un mulet, qui était là, dans un coin de la hutte, et qui ne différait en rien d’un mulet ordinaire. Le tailleur remercia l’Ouragan, lui fit ses adieux, ainsi qu’à sa mère, et partit alors, en emmenant avec lui le précieux animal.
Quand il fut à quelque distance de là, comme il traversait une grande lande, il voulut s’assurer si son mulet avait, en effet, la vertu qu’on lui avait annoncée. Il étendit son mouchoir sous sa queue et dit :
— Mulet, fais ton devoir !…
Et aussitôt voilà les pièces d’or et d’argent de tomber sur son mouchoir, jusqu’à ce qu’il ne pût plus en contenir. Il en remplit ses poches, puis, il se remit en route, en chantant, en riant, en dansant et sautant de joie, comme un fou.
Vers le coucher du soleil, il s’arrêta, pour passer la nuit, dans une auberge, au bord de la route. En livrant son mulet au valet d’écurie, il lui recommanda d’en avoir bien soin, et de ne pas lui dire de faire son devoir. Le pauvre Jean, comme on le voit, n’était pas des plus fins. Après avoir bien soupe, mangé et bu de ce qu’il y avait de meilleur, dans la maison, il alla se coucher et dormit sans souci du lendemain.
Le valet d’écurie s’étonna de la recommandation de Jean de ne pas dire à son mulet de faire son devoir ; aucun voyageur ne lui avait jamais dit pareille chose.
— Il y a quelque chose là-dessous, se dit-il. Cette pensée l’empêchant de dormir, il alla en faire part à son maître. Quand tout le monde fut couché, dans la maison, l’hôtelier, sa femme et le valet se rendirent à l’écurie, et s’étant approchés du mulet, le valet lui dit :
— Mulet, fais ton devoir !
Et voilà les pièces d’or et d’argent de tomber aussitôt, en rendant de joyeux sons. Ils n’en revenaient pas de leur étonnement. Après avoir rempli leurs poches, tous les trois, ils mirent un autre mulet à la place de celui du tailleur, et cachèrent le sien dans une chambre bien close, loin de l’écurie.
Le lendemain matin, Jean déjeûna bien, paya, puis, il se remit en route, emmenant le mulet que lui remit le valet d’écurie, et ne se doutant pas du tour qu’on lui avait joué. Comme il avait ses poches remplies d’or et d’argent de la veille, il n’eut pas besoin, durant le reste du voyage, de dire à son mulet de faire son devoir. Quand il arriva à la maison, sa femme et ses enfants étaient près de mourir de faim. Jeanne, en le voyant, se mit à l’agonir d’injures :
— Te voilà enfin, méchant homme, sans cœur, qui vas courir on ne sait où, et qui laisses ta femme et tes enfants mourir de faim, à la maison !
Et elle lui montrait le poing.
— Taisez-vous, femme, lui dit Jean tranquillement, et comme un homme sûr de son fait ; vous ne manquerez plus de pain, ni d’autres choses ; nous sommes riches, à présent, comme vous l’allez voir ! Otez votre tablier et étendez-le, là par terre, sous la queue de mon mulet.
Jeanne étendit son tablier par terre, et Jean dit alors :
— Mulet, fais ton devoir !
Mais rien ne tombait sur le tablier, ce qui l’étonna. Il dit une seconde fois, plus haut, pensant qu’il n’avait peut-être pas entendu :
— Mulet, fais ton devoir !
Rien encore ! Puis, une troisième fois, il cria plus haut encore :
— Mulet, fais ton devoir !
Cette fois, il tomba quelque chose sur le tablier, mais, ce n’était ni de l’or ni de l’argent !
Quand Jeanne vit cela, elle cria plus fort, persuadée que son mari se moquait d’elle, et, prenant un bâton, elle s’avança sur lui. Le pauvre Jean, pour l’éviter, se mit à courir, et n’osant plus rentrer chez lui, et ne sachant bien au juste où son mulet lui avait été volé, il se décida à aller de nouveau trouver l’Ouragan.
Quand celui-ci le vit revenir, tout triste, il lui dit :
— Je sais pourquoi tu reviens ; tu t’es laissé enlever ton mulet, dans la première auberge où tu as logé, en t’en retournant chez toi. Voici, à présent, une serviette, et quand tu l’étendras sur une table ou même sur la terre, en lui disant : — « Serviette, fais ton devoir ! » elle te fournira aussitôt à manger et à boire, tout ce que tu souhaiteras. Mais, prends bien garde de te la laisser aussi enlever ;
— Soyez tranquille, répondit Jean, on m’enlèvera plutôt la vie.
Et il fit ses adieux à l’Ouragan et à sa mère, et se remit en route. Il logea, la première nuit, dans la même auberge que l’autre fois. Il y avait un repas de noces, quand il y arriva. On lui fit bon accueil et on le pria de s’asseoir à la table des nouveaux mariés, ce qu’il accepta avec plaisir. Trouvant le repas peu de son goût, ou peut-être aussi désireux d’exciter l’étonnement des convives et de passer auprès d’eux pour un grand savant, un magicien, il tira sa serviette de sa poche, l’étendit sur la table et prononça fièrement les mots : « Serviette, fais ton devoir !… » Et voilà aussitôt un repas magnifique, des mets délicieux comme on n’en voit qu’à la table des rois, et des vins fins, de tous les pays.
Enivré, autant par les louanges que par le vin, Jean se laissa encore enlever sa serviette, et, le lendemain, il se retrouva aussi pauvre et aussi embarrassé que jamais. Cette fois, il n’osa pas se présenter devant sa femme, dans cet état, et il pensa que la seule chose qu’il eût à faire, c’était de retourner chez la mère des Vents. Il y alla donc encore, mais, bien honteux et peu rassuré, cette fois. Quand l’Ouragan le vit, il lui dit :
— Tu t’es encore laissé dérober ta serviette, malheureux !
— Ayez pitié de moi, Monseigneur l’Ouragan, dit humblement le pauvre tailleur ; ma femme et mes enfants meurent de faim, à la maison, et je ne puis y retourner, sans leur apporter quelque chose.
— Je consens à te venir en aide, une dernière fois, car tu n’es pas un méchant homme.
Et lui présentant un bâton :
— Voici un bâton, et quand celui qui l’aura en main lui dira : « Bâton, fais ton devoir ! » il se mettra à battre les ennemis de son maître, sans que rien puisse l’arrêter, jusqu’à celui-ci lui dise assez ! Avec ce bâton, tu peux recouvrer ton mulet et ta serviette.
Jean remercia, et partit. Il logea à la même auberge que précédemment. On l’accueillit on ne peut mieux, dans l’espoir de lui enlever encore quelque talisman. Il invita l’hôtelier et sa femme et aussi le valet d’écurie à souper avec lui. Vers la fin du repas, il dit à son bâton, qu’il avait constamment tenu dans sa main, sans vouloir s’en séparer :
— Bâton, fais ton devoir !
Et aussitôt voilà le bâton de se mettre en mouvement et de frapper, à tour de rôle, sur l’hôtelier et sa femme et le valet d’écurie. Tous leurs efforts pour l’arrêter étaient vains, et ils avaient beau se cacher sous la table et ailleurs, le bâton les atteignait partout, et Jean riait et plaisantait.
— Grâce ! miséricorde ! lui criaient-ils. Et lui disait :
— Cela vous apprendra à voler des mulets et des serviettes !
— Grâce ! Nous vous rendrons tout ! Vous allez nous faire tuer !…
— Assez ! cria Jean, au bout d’une demi-heure de cet exercice.
Et le bâton cessa de frapper, et Jean revint à la maison avec le mulet, la serviette et le bâton.
S’il a su les conserver, il n’est pas à plaindre. Quant à moi, je n’ai pas eu de ses nouvelles, depuis.
(Côtes-du-Nord). — 1870.
IL y avait une fois deux soldats, à l’armée, qui étaient amis. Ils étaient de la même commune, de Plounévez-Moïdec ; ils étaient camarades de lit et on les voyait presque toujours ensemble. L’un s’appelait Iann Pendir, et l’autre, Iouenn Dagorn. Ils étaient en garnison dans la ville de Nantes. Iann, qui était un beau garçon, avait fait une jolie maîtresse. Un jour, son capitaine le vit se promener avec sa douce Yvona, et il la trouva si jolie, qu’il s’arrêta à la regarder et la désira, dans son cœur. Il s’informa où elle demeurait, et, une nuit que Iann Pendir était de faction, il alla chez elle. Mais, Iann, qui ne faisait que songer à sa douce, jour et nuit, se fit remplacer par son ami Iouenn Dagorn, et courut chez Yvona. Il arriva au moment où on l’attendait le moins, et frappa à la porte : Toc ! toc !
— Qui est là ? demanda Yvona.
— Eh bien ! c’est moi, parbleu !
— Qui çà ? Moi n’est pas un nom.
— Mais tu sais bien, Iann, ton bon ami.
— Malheureux ! tu as donc quitté ton poste ? Retournes-y vite, ou tu seras fusillé, demain ; tu sais que ton capitaine ne plaisante pas là-dessus.
— Je me suis fait remplacer par mon ami Iouenn Dagorn ; ouvre-moi, vite, te dis-je, et ne me laisse pas me morfondre ainsi, à ta porte.
— Je ne t’ouvrirai pas, retourne à ton poste, Iann, impatienté, enfonça la porte, d’un coup de pied, et entra. Jugez de son étonnement, quand il se trouva devant son capitaine ! Ils dégainèrent tous les deux et se précipitèrent l’un sur l’autre. Le capitaine fut bientôt étendu à terre, baigné dans son sang. Iann lui coupa la tête et la jeta sur le pavé ; puis, il battit de conséquence sa douce jolie, et retourna vers son ami Iouenn et lui raconta tout.
— Malheureux ! lui dit Iouenn, ton affaire est claire ; tuer son capitaine ! Demain, sans plus tarder, tu seras fusillé.
— Et tu crois que je vais leur donner cette satisfaction ?
— Que vas-tu donc faire ?
— Décamper, sur-le-champ ; n’as-tu rien à me donner ? car je n’ai pas le sou.
— Mon pauvre ami, je n’ai qu’un seul sou, une chique de tabac et un morceau de pain de munition.
— Donne, c’est toujours autant.
Les deux amis se firent leurs adieux, et Iann partit.
Le lendemain, après le coucher du soleil, il s’arrêta, harassé de fatigue, dans une auberge, au bord de la route, et demanda à manger et à loger.
Il mangea et but, à discrétion, et dormit dans un excellent lit. Le lendemain matin, il déjeuna encore, puis, il demanda son compte.
— C’est quinze francs, lui dit l’hôtelier.
Voilà notre homme bien embarrassé ; comment faire ? Enfin, après bien des hésitations, il se décida à avouer son cas, et il conta toute son aventure à l’hôtelier.
— N’est-ce que cela ? lui dit celui-ci : moi aussi, j’ai été à l’armée, et je sais ce que c’est que la vie de soldat ; plus d’une fois, je me suis trouvé dans le même cas que vous. Ne vous inquiétez donc pas, pour si peu. Plus tard, si vous devenez riche, un jour, vous me paierez ; en attendant, trinquons ensemble à votre bonne chance.
Et ils trinquèrent et burent ensemble, puis, Iann se remit en route. Après avoir marché toute la journée, sous un soleil brûlant, à la chute du jour, il entra encore dans une auberge, au bord de la route, et demanda à manger et à loger, comme la veille. Il soupa bien et dormit dans un bon lit ; il déjeûna encore, le lendemain matin, et demanda son compte, avant de se remettre en route.
— C’est quinze francs, lui répondit l’hôtelier.
— Je suis un pauvre soldat, qui revient du service, et la paye du soldat, vous le savez, est bien peu de chose ; j’ai pour toute fortune, en ce moment, un sou, une chique de tabac et un morceau de pain de munition, et je vous les offre, pour prix de votre hospitalité.
— Je ne me paie pas de cette monnaie-là, répliqua l’hôtelier ; tous les jours, il passe par ici des gens de votre sorte, et si je n’avais pas d’autres pratiques, je serais bien vite réduit à aller mendier mon pain. Payez-moi, en bon argent, comme je vous ai servi de ce que j’avais de meilleur.
— Je vous offre tout ce que je possède, mon sou, ma chique de tabac et mon morceau de pain de munition.
— Ta ! ta ! ta ! cela ne se passera pas ainsi, et je vous trouverai un logement gratis, pour la nuit, mon garçon.
Puis, s’adressant à ses deux domestiques :
— Surveillez-moi ce drôle-là pendant que j’irai chercher les archers.
Et il partit, pour aller chercher la police. Mais, Iann ne jugea pas à propos d’attendre son retour, et, tirant son sabre, il se jeta sur les deux valets qui avaient reçu pour mission de le garder, et les coucha à terre, baignant dans leur sang. Puis, il s’enfuit, au plus vite.
Jugez du désappointement et de la colère de l’hôtelier, quand il revint, accompagné de deux archers !
Mais, suivons Iann Pendir, qui courait toujours. Il était entré dans un grand bois, pour mieux dérouter la poursuite à laquelle il s’attendait. La nuit le surprit dans ce bois, où il s’égara, sans pouvoir en sortir. La faim vint aussi. Le voilà bien embarrassé. Il monta sur un arbre et aperçut une petite lumière, au loin. Cela lui donna quelque espoir de trouver à souper et un gîte pour la nuit. Il descendit de l’arbre et se dirigea vers la lumière. Au bout de quelque temps, il arriva à une hutte construite de branchage et de fougères, au pied d’un grand chêne. La lumière filtrait à travers les fentes de la porte. Il frappa à cette porte ; elle s’ouvrit et il se trouva devant une petite vieille, au chef branlant et aux dents longues, aiguës et noires, comme celles d’une crémaillère.
— Que voulez-vous, mon fils ? lui demanda la vieille.
— L’hospitalité pour la nuit, s’il vous plaît, graud’mère, répondit Iann.
— Vous voyez, mon fils, comme je suis pauvre. Je n’ai qu’un lit, fait de feuilles et d’herbes sèches, et si peu de provisions, que je crains, en vérité, que vous ne puissiez vous en contenter.
— Je suis un soldat, revenant du service, grand’mère, par conséquent peu habitué à la bonne chère ; et quant à la couche, la pierre du foyer m’en servira, si vous le permettez.
— Entrez alors, mon fils ; je partagerai avec vous tout ce que je possède.
Iann entra. Il alla s’asseoir sur la pierre du foyer. La vieille posa deux plats de bois sur cette même pierre, car il n’y avait ni table, ni aucun autre meuble, dans la hutte ; dans chaque plat, elle mit quelque chose de la grandeur d’une noisette, et à côté, un vase en forme d’écuelle, contenant quelques gouttes d’un liquide jaunâtre, Iann la regardait faire, en silence, et il pensait en lui-même :
— Si c’est là tout le repas, elle ne mentait pas, en me disant que je ferais triste chère !
Quand la vieille eut terminé ses préparatifs, elle marmotta une oraison, en étendant ses mains osseuses au-dessus des plats, et aussitôt ceux-ci se remplirent par enchantement d’un mets fumant de la meilleure apparence, et répandant une odeur délicieuse ; le vase aussi était plein, à présent, d’une liqueur vermeille et odorante. Iann, tout à l’heure triste et morose, était devenu tout à coup joyeux et souriant, et quand la vieille lui dit : — Soupons, mon fils, il ne se le fit pas dire deux fois. Il mangea et but à discrétion, et ne fit jamais de meilleur repas. Il s’étendit alors sur la pierre du foyer, pour dormir. Le sommeil vint vite, et il lui sembla qu’il était dans un lit de plumes.
Le lendemain matin, il déjeûna encore, on ne peux mieux ; après quoi, la vieille lui parla de la sorte :
— Je veux faire quelque chose pour toi, mon fils ; écoute-moi donc, et si tu m’obéis, tu ne manqueras jamais de rien, sur la terre.
— Parlez, grand’mère ; je suis prêt à faire tout ce que vous me direz, pourvu, cependant, que vous ne me demandiez pas l’impossible. Jusqu’à présent, je n’ai guère connu que misères et peines de toute sorte, dans cette vie, et je serais bien aise, avant de mourir, de savoir aussi un peu ce que c’est que la richesse et le bonheur.
— Il y a, reprit la vieille, dans le bois, non loin d’ici, un vieux château. Dans la troisième salle de ce château est un homme de fer, un géant, debout au milieu de la salle, et tenant dans sa main droite un flambeau allumé, dont la lumière est bleue. À l’heure de midi, il dort, tous les jours, en tenant son flambeau allumé. Si tu peux pénétrer jusqu’à lui, lui enlever son flambeau, pendant qu’il dormira, l’éteindre et me l’apporter ici, rien ne te manquera plus jamais, durant ta vie, tous tes désirs seront accomplis, aussitôt que formés, et tu n’auras pas ton pareil au monde !
— Je veux tenter l’aventure, arrive que pourra, répondit Iann.
— Pour arriver à la salle où se tient l’Homme de fer, il te faudra traverser la cour du château, qui est remplie de bêtes venimeuses de toute sorte, vipères, crapauds, salamandres, scorpions, araignées énormes. Mais, ne t’en effraie pas, tout cela s’endort aussi, de midi à une heure, et tu pourras marcher au milieu d’eux, en toute sûreté. Avant d’arriver à la salle où est l’Homme de fer, tu trouveras deux autres salles, où tu ne verras rien de nature à t’effrayer. Mais, ne perds pas de temps, dans ces salles, car si, au moment où sonnera une heure, tu n’es pas hors de la cour du château, emportant le flambeau, les bêtes venimeuses dont je t’ai parlé se précipiteront sur toi, de tous côtés, et tu n’en reviendras jamais. Réfléchis bien, et vois si tu veux tenter l’aventure.
— Je veux la tenter, et si je ne réussis pas, je doute qu’aucun autre puisse s’en tirer mieux que moi, car je ne suis pas un peureux.
Iann Pendir partit donc, d’un air résolu. Au moment où sonnait le dernier des douze coups de midi, il entrait dans la cour du château. Comme le lui avait dit la vieille, cette cour était toute remplie de bêtes venimeuses de toute nature. Heureusement, qu’elles dormaient profondément. Leurs corps, tout gonflés et humides de poison, exhalaient une odeur suffocante ; le cœur de Iann se soulevait de dégoût, et il faillit tomber asphyxié. Il atteignit pourtant la porte de la première salle, et y rentra. Là, ce fut un tout autre spectacle ; la salle était pleine de pièces d’argent toutes neuves et brillantes.
— À la bonne heure ! dit-il, à cette vue ; je vais commencer par me remplir les poches (la vieille ne me l’a pas défendu), et de la sorte, mon voyage n’aura pas été sans profit, car quant au flambeau, je m’en moque.
Et il se remplit les poches d’argent. Puis, il pénétra dans la seconde salle. Là, il resta quelque temps, la bouche béante, ébloui qu’il était par ce qu’il voyait. Cette seconde salle était remplie de belles pièces d’or, toutes neuves et luisantes. Jamais il n’avait vu pareil spectacle ; il croyait rêver. S’étant pourtant assuré que c’était de l’or bel et bien, il jeta l’argent qui remplissait ses poches, et les remplit d’or, tant qu’il put en porter.
Puis, il pénétra dans la troisième salle. Il vit alors l’Homme de fer, debout au milieu de la salle ; il dormait, mais, il tenait néanmoins, dans sa main droite, son flambeau, qui brûlait et remplissait la salle d’une belle lumière bleuâtre. Il le considéra, quelque temps, en se disant :
— Quel bel homme ! s’il se réveillait ! Hâtons-nous de lui enlever son flambeau et de déguerpir.
Et il lui enleva facilement le flambeau, l’éteignit et partit aussitôt. Il traversa de nouveau la salle remplie d’or, puis la salle remplie d’argent, et enfin la cour, sans éprouver ni dégoût, ni nausées, cette fois, en passant parmi les bêtes venimeuses (sans doute par la vertu du flambeau) ; et, juste au moment où une heure sonnait, il franchissait le seuil de la porte de la cour, qui se referma sur ses talons, avec un grand bruit. Il entendit alors, derrière lui, des sifflements et un vacarme épouvantables. C’étaient les bêtes venimeuses qui se réveillaient et s’apercevant qu’elles étaient trompées et que le flambeau de l’Homme de fer lui avait été dérobé, elles étaient furieuses, se précipitaient contre la porte et essayaient de sortir, par-dessus les murs. Iann fut si effrayé de tout ce bruit, de ces cris inconnus sur la terre et qui semblaient sortir de l’enfer, qu’il s’évanouit et tomba à terre. Heureusement, qu’il était dehors !
Quand il revint à lui, il se dirigea vers la hutte de la vieille femme. Mais, il avait perdu son flambeau, ou plutôt, dans son trouble, il ne se rappelait pas qu’il l’avait caché dans la doublure de sa veste. Le voilà bien embarrassé : comment se présenter devant la vieille, sans le flambeau ? Il pensa qu’il n’y avait qu’une chose à faire. C’était de passer par le village le plus voisin et d’y acheter un gros cierge, qu’il ferait teindre en bleu. C’est ce qu’il fit, en effet. Puis, il se présenta avec assurance devant la vieille. Celle-ci ne s’attendait plus guère à le voir revenir, tant il était en retard. Quand elle le revit, elle lui dit d’un air joyeux :
— Te voilà donc de retour, mon fils ; je craignais beaucoup pour toi. As-tu réussi dans ton entreprise ?
— Oui, sûrement, grand’mère.
— Et tu m’apportes le flambeau de l’Homme de fer ?
— Oui, grand’mère, je vous l’apporte.
— Donne-le, alors, donne vite !
— Le voilà !
Et Iann lui présenta le cierge qu’il avait acheté au village voisin et fait teindre en bleu.
— Tu me trompes ! dit aussitôt la vieille ; ce n’est pas là le flambeau de l’Homme de fer : tu n’as donc pas été au château ?
Voyant qu’il ne lui servait de rien de mentir, Iann prit le parti de dire la vérité.
— J’ai bien été au château, grand’mère, et j’ai pénétré jusqu’à l’Homme de fer, et je lui ai enlevé son flambeau ; mais, au moment où je sortais de la cour, j’entendis, derrière moi, un tel bruit et des cris si effrayants, que je crus que tous les monstres de l’enfer étaient à mes trousses ; je perdis connaissance, je tombai à terre, et, quand je revins à moi, je n’avais plus le flambeau ! Alors, n’osant me présenter devant vous, j’allai au village le plus voisin, et j’y achetai ce cierge, que fis teindre en bleu, espérant vous tromper ainsi : pardonnez-moi, je vous prie.
— Non, je ne te pardonnerai pas, et retire-toi, vite, de devant mes yeux ! répondit la vieille, en fureur.
Iann ne se le fit pas dire deux fois, et il partit. Comme il avait de l’or, plein ses poches, il n’avait plus souci de rien, et il voyageait à son aise et gaîment, s’arrêtant où bon lui semblait, et menant joyeuse vie. À force d’aller toujours devant lui, il finit par arriver à Londres. Il descendit dans un des meilleurs hôtels de la ville. Jusqu’alors, il avait conservé ses habits de soldat ; mais, à partir de ce moment, il s’habilla en Monsieur. Il dépensait beaucoup, faisait bonne chère, jouait, avait des maîtresses et ne se refusait aucun plaisir.
Cependant, à force de mener ce train, l’argent finit par lui manquer. Il fit alors des dettes. Quand il dut à son hôte une somme qui commençait à alarmer celui-ci, d’autant plus qu’il s’apercevait que d’autres créanciers venaient tous les jours réclamer, à son hôtel, et qu’ils s’en retournaient tous mécontents, on lui présenta son compte. Voilà notre homme bien embarrassé. En fouillant les poches de son vieil habit de soldat, pour voir s’il n’y retrouverait pas quelque pièce d’or oubliée, il sentit quelque chose, dans la doublure.
— Si c’était un rouleau d’or ! se dit-il.
Il déchira, vite, la doublure, et fut bien étonné d’y retrouver le flambeau de l’Homme de fer, dont la perte l’avait tant contrarié.
— Je suis sauvé ! s’écria-t-il aussitôt ; la vieille m’a dit que celui qui posséderait ce flambeau verrait tous ses désirs accomplis, aussitôt que formés ! Voyons donc.
Et il alluma le flambeau. Aussitôt l’Homme de fer apparut devant lui et dit :
— Bonjour, mon maître ; comme vous ordonnerez, il sera fait.
— Je désire voir ce bahut rempli d’or.
Et il lui montrait un vieux bahut de chêne, qui se trouvait là.
Aussitôt voilà le bahut rempli d’or, à déborder, et l’Homme de fer disparut, alors.
Iann ne se possédait pas de joie.
— À merveille ! se disait-il ; me voici un gaillard, à présent !
Il paya toutes ses dettes, et reprit la même vie qu’auparavant, et même pire encore. Rien ne lui était plus impossible ; tous ses désirs, toutes ses fantaisies, même les plus extravagantes, étaient réalisées aussitôt que formées, et l’Homme de fer ne manquait jamais à son appel. Aussi en usait-il largement, et en abusait même, quelquefois[4].
Un jour, il aperçut la fille du roi des Anglais, et il la trouva si belle, qu’il la désira pour maîtresse.
Il alluma le flambeau bleu, et aussitôt l’Homme de fer apparut :
— Bonjour, mon maître ; comme vous ordonnerez, il sera fait.
— Je désire que la fille du roi d’Angleterre me rende visite, cette nuit, dans ma chambre.
— Il sera fait selon votre désir, maître, répondit l’Homme de fer.
Et il disparut.
Et en effet, à minuit, la jeune princesse était dans la chambre de Iann. Elle y avait été transportée tout endormie, et le lendemain matin, quand elle s’éveilla, elle se retrouva dans son lit, au palais de son père, sans avoir conscience du voyage qu’elle avait fait, pendant la nuit. Et, à partir de ce jour, toutes les nuits, elle était ainsi transportée, tout endormie, auprès de Iann, et chaque matin, elle s’éveillait, dans son lit, au palais de son père ; et personne, dans le palais, ne se doutait de ces voyages nocturnes, car on ne la voyait jamais ni sortir, la nuit, ni rentrer, le matin.
Enfin, on s’aperçut que sa taille s’arrondissait sensiblement, et elle resta malade, dans son lit. On appela tous les médecins de la ville, et aucun d’eux ne connaissait rien à sa maladie, ou peut-être n’osaient-ils pas dire ce qu’ils en savaient. On fit venir aussi une vieille sorcière, qui demeurait dans un bois voisin, et celle-ci déclara nettement que la princesse était enceinte. Jugez de la colère du vieux roi. Il fit surveiller sa fille de près, et on acquit la certitude qu’elle s’absentait, la nuit, de sa chambre, au moment où l’on croyait qu’elle dormait tranquillement, dans son lit. Mais On avait beau la surveiller, on ne savait comment elle disparaissait, ni où elle allait, et elle-même, paraît-il, n’en savait pas davantage. Tout le monde en perdait la tête, à la cour, et le vieux roi en était au désespoir.
On consulta encore la vieille sorcière, et elle dit :
— Il faudra remplir de farine un petit sac, y pratiquer un petit trou, au fond, puis l’attacher au bras de la princesse, quand elle se mettra au lit. De cette façon, partout où elle ira, elle laissera après elle une traînée de farine, et on pourra la suivre, à la piste.
Le moyen indiqué par la vieille sorcière parut excellent, et on le pratiqua, de point en point. Mais, la nuit venue, lorsque Iann alluma son flambeau, selon son habitude, pour invoquer l’Homme de fer, celui-ci l’instruisit de ce qui se tramait contre lui, puis il ajouta :
— Rassurez-vous, pourtant, je saurai déjouer cette ruse et rendre nulles toutes les précautions. Je ferai que toutes les rues de la ville soient recouvertes, cette nuit, d’une couche de farine, et nul ne saura par où aura passé la princesse.
Cette nuit, là princesse quitta le palais, comme à l’ordinaire, et lorsqu’on voulut rechercher ses traces, on fut étonné de trouver une couche de farine uniforme sur toutes les rues de la ville.
— Il y a de la sorcellerie là-dedans ! s’écria le roi.
On eut encore recours à la vieille sorcière du bois.
— J’ai affaire, dit alors celle-ci, à forte partie ; mais, laissez-moi faire, car je prétends que personne ne me vaincra, en fait de sorcellerie.
La nuit suivante, la sorcière fit suivre la princesse par une boule rouge enchantée, qui devait marquer la porte de la maison où elle entrerait. Le lendemain matin, les gardiens préposés à la surveillance de la princesse se mirent en quête, et ils découvrirent une croix rouge au bas de la porte de la neuvième maison de la grand’rue.
— C’est ici ! s’écrièrent-ils, à cette vue. C’était, en effet, l’hôtel où était logé Iann Pendir… Ils pénétrèrent dans la maison, la fouillèrent, et, ne trouvant d’autre personne suspecte que lui, ils le garottèrent et l’amenèrent au palais du roi.
Le pauvre Iann fut condamné à être décapité, le lendemain, à dix heures, sans autre forme de procès.
Le lendemain matin donc, comme il marchait à la mort, il remarqua dans la foule des curieux son camarade, son pays, Iouenn Dagorn, celui qui lui avait donné un sou, une chique de tabac et un morceau de pain de munition, au moment de déserter. Il fit en sorte de passer près de lui et lui dit en breton :
— Va, vite, à l’hôtel du Cheval blanc, grand’-rue, no 9, et apporte-moi ma pipe, ma blague à tabac et un bout de cierge bleu, que tu trouveras dans les poches de ma veste, car je veux encore fumer une pipe, avant de mourir.
L’ami courut à l’hôtel du Cheval blanc, et revint promptement avec les objets demandés. Iann montait déjà à l’échelle. À chaque degré, il se détournait pour voir s’il ne verrait pas venir son ami. Arrivé sur l’échafaud, il l’aperçut qui accourait en toute hâte. Alors, il demanda, pour dernière grâce, qu’on lui permît de fumer une dernière pipe, avant de mourir. Le roi, qui était présent, fit signe qu’il y consentait. Iann cria alors à Dagorn de lui apporter sa pipe, sa blague à tabac et son bout de cierge. Quand il les tint, il se sentit soulagé. Il bourra tranquillement sa pipe, en regardant la foule, puis, il alluma son bout de cierge bleu, et aussitôt l’Homme de fer se montra à côté de lui, au grand étonnement de tout le monde, et dit :
— Bonjour, mon maître ; comme vous ordonnerez, il sera fait !
— Je désire que tout ce monde, qui est venu ici pour jouir du plaisir de me voir couper la tête, — à l’exception de la princesse et de mon ami Dagorn, — s’enfonce en terre, jusqu’au cou, afin qu’avec ce grand sabre, je puisse moi-même leur couper la tête à tous !
Aussitôt tous les spectateurs, à l’exception de la princesse et de Dagorn, s’enfoncèrent en terre, jusqu’au cou.
Iann Pendir descendit de l’échafaud, armé d’un grand sabre, et, en brandissant cette arme redoutable, il criait :
— Vous allez périr tous !
Il se dirigea d’abord vers le roi, qui faisait des grimaces horribles et criait :
— Grâce ! grâce !
— Point de grâce, lui dit Iann, à moins pourtant que tu ne veuilles m’accorder la main de la princesse, ta fille ?
— Et comment accorderai-je la main de ma fille à un homme que personne ne connaît, et qui déjà a abusé d’elle ?
— Fais ton compte, alors, de mourir, à l’instant, et j’épouserai ta fille, quand même.
— Je le l’accorde ! cria alors le vieux roi, en voyant le grand sabre levé sur sa tête.
— Il était temps ! dit Iann ; sors, à présent, de ton trou, toi et tous les autres ; c’est là le cadeau de noces que je vous donne.
Et aussitôt, tout le monde sortit de terre, et chacun s’empressa de courir vers sa demeure.
Les noces de Iann Pendir avec la princesse furent célébrées, les jours suivants. Iouenn Dagorn fut son garçon d’honneur. Il y eut des festins magnifiques et des réjouissances publiques, pendant huit jours.
La princesse n’aimait pas son mari, elle le trompait avec un jeune prince, qui lui faisait la cour, dès avant son mariage. Un jour que Iann était absent et chassait avec ses amis, sa femme reçut son amant, dans sa chambre, et ils s’entretinrent des moyens de se débarrasser de lui.
— Il faut qu’il ait quelque talisman, se disaient-ils, pour faire ce qu’il fait ; car il fait à peu près tout ce qu’il veut. Cherchons bien ; peut-être aura-t-il oublié d’emporter l’objet où réside tout son pouvoir.
Et ils se mirent à chercher partout et à tout bouleverser, dans sa chambre. Sa femme finit par découvrir, dans la poche de l’habit qu’il portait habituellement, le flambeau de l’Homme de fer.
— Tiens, dit-elle, que signifie ce bout de cierge bleu, dans sa poche ?
— C’est le même qu’il avait sur l’échafaud ! dit son amant, après l’avoir examiné.
— C’est peut-être son talisman ! Mettons-y le feu, pour le détruire.
Et ils allumèrent le bout de cierge bleu, et aussitôt, l’Homme de fer se montra devant eux, et dit, d’un air courroucé, qui les fit trembler de frayeur :
— Que me veux-tu, traîtresse maudite ? Parle, et ce que tu demanderas sera fait.
— Je désire que mon mari soit transporté à cinq cents lieues d’ici, dans une île, au milieu de la mer Rouge !
L’Homme de fer disparut alors, et, le lendemain matin, Iann Pendir se réveilla dans une île, au milieu de la mer Rouge, sans savoir comment il avait été transporté là ; mais, il se doutait bien que c’était un tour de sa femme.
Il se mit à parcourir son île, pour voir si elle était habitée, et il rencontra bientôt trois hommes, qui se disputaient avec beaucoup d’animation. Il s’approcha d’eux. Un des trois hommes avait un manteau magique, et quand il le mettait sur ses épaules, à l’endroit, il devenait le plus bel homme qu’il fût possible de voir, et quand il le mettait à l’envers, personne ne le voyait, il était invisible.
Le second avait un chapeau, qui avait cela de particulier que, quand il le mettait sur sa tête et disait : « Par la vertu de mon chapeau, que telle ou telle chose soit ! » tous ses désirs étaient aussitôt accomplis.
Enfin, le troisième avait un bâton, et quand il le tenait à la main et dirait : « Bâton, fais ton devoir ! » il faisait cent lieues, à chaque fois.
Il s’agissait de s’entendre sur la possession de ces trois talismans, et de faire la part de chacun ; et ils ne pouvaient y réussir. Dès qu’ils aperçurent Iann, ils tombèrent d’accord pour le faire l’arbitre de leur différence.
— Voici un chrétien, se dirent-ils ; il y a trois ans que nous n’en avons vu aucun ; prenons-le pour arbitre.
Ils allèrent à lui tous les trois, et lui expliquèrent le sujet de leur désaccord, en le priant de mettre la paix entre eux.
— Rien n’est plus facile, comme vous allez le voir, leur répondit Iann. Mais, pour juger en connaissance de cause, il faut d’abord que j’aie le manteau sur mes épaules, le chapeau sur la tête et le bâton à la main.
Et les trois inconnus lui donnèrent le manteau, le chapeau et le bâton.
— À merveille ! se dit-il alors. Adieu, imbéciles ! Attendez-moi-là !
Il avait mis le manteau à l’envers, et il était invisible.
Puis, par la vertu de son chapeau et de son bâton, il fut transporté en un instant à Londres. Il se rendit, la nuit, devant le palais du roi, et dit :
— Chapeau, fais ton devoir ! Je désire voir s’élever ici, à l’instant même, un château-fort, garni de cinq cents canons, de manière à pouvoir détruire en un instant le palais du roi, s’il lui prend envie de me résister.
Et un château-fort, garni de canons énormes, s’éleva sur-le-champ, en face du palais royal.
Le lendemain matin, toute la ville et la cour étaient en alarmes. On craignait de voir les canons tonner, d’un moment à l’autre, et réduire tout en ruines et en cendres. Le vieux roi alla lui-même parlementer avec le maître du château. Quand il reconnut son gendre, il se crut perdu sans rémission. Mais Iann le rassura et lui dit :
— Que votre fille, ma femme, me rapporte seulement le bout de cierge bleu, qu’elle a trouvé dans la poche de ma veste, et je ne vous ferai aucun mal, ni à elle non plus.
La princesse, toute tremblante, vint apporter le bout de cierge bleu à Iann. Celui-ci le prit, l’alluma, et aussitôt l’Homme de fer apparut devant lui, et dit d’un ton joyeux :
— Bonjour, mon bon maître ; comme vous commanderez, il sera fait,
— Je désire, répondit lann, que l’ami de ma femme soit transporté, à l’instant, dans une île, au milieu de la mer Rouge, li où il m’avait envoyé lui-même !
Ce qui fut fait, à l’instant.
Les trois hommes dont nous avons parlé plus haut y étaient toujours, et se disputaient pis que jamais. Dès qu’ils aperçurent l’étranger, ils crièrent tous à la fois :
— Voilà le voleur !
Et ils se précipitèrent sur lui, furieux, et le mirent en pièces.
Iann Pendir vécut désormais heureux, avec sa femme. Le vieux roi mourut, peu de temps après, et il le remplaça sur le trône, et, après lui, ses enfants régnèrent aussi sur l’Angleterre[5].
Haye, en Plouaret. — Novembre 1870.
Selaouit holl, mar hoc’h eus c’hoant,
Setu aman eur gaozic koant,
Ha na eus en-hi netra gaou,
Mès, marteze, eur gir pe daou.
Écoutez, si vous voulez,
Voici un joli petit conte,
Dans lequel il n’y a pas de mensonge,
Si ce n’est, peut-être, un mot ou deux.
IL y avait une fois une riche veuve, qui s’était mariée à un veuf, riche aussi.
L’homme avait, de sa première femme, une fille jolie, gracieuse et sage, nommée Lévénès ; la veuve avait aussi, de son premier mari, une fille laide, disgracieuse et méchante, qui s’appelait Margot.
La fille de l’homme, comme il arrive souvent, en pareil cas, était haïe et détestée de sa marâtre. Ils habitaient un beau manoir, à Guernaour, aux environs de Coathuël. Au carrefour de Croaz-ann-neud[6], qui est sur la route qui mène de Guernaour au bourg de Plouaret, on voyait, dit-on, assez fréquemment, en ce temps-là, les Danseurs de nuit, et quiconque venait à passer par là, pendant qu’ils menaient leurs rondes, au clair de la lune, et ne voulait pas danser avec eux, était victime de quelque mauvais tour de leur part.
La dame de Guernaour le savait bien, et, un dimanche soir, après souper, elle dit à Lévénès :
— Allez me chercher mon livre d’heures, que j’ai oublié à l’église, dans mon banc.
— Oui, mère, répondit la jeune fille.
Et elle partit, seule, bien que la nuit fût déjà venue.
Il faisait un beau clair de lune. Quand elle arriva au carrefour de Croaz-ann-neud, elle vit une foule de petits hommes, qui dansaient en rond, en se tenant par la main. Elle eut peur, la pauvre enfant, et voulut d’abord retourner sur ses pas. Mais, elle songea que si elle revenait, sans le livre, sa marâtre la gronderait et la battrait peut-être, et elle se résolut à passer outre. Un des danseurs courut après elle et lui demanda :
— Voulez-vous danser avec nous, la belle enfant ?
— Volontiers, répondit-elle, en tremblant. Et elle entra dans la ronde et dansa.
Un des danseurs demanda alors aux autres :
— Quel cadeau ferons-nous à cette charmante enfant, pour avoir bien voulu danser avec nous ?
— Elle est bien jolie, mais qu’elle devienne beaucoup plus jolie encore, dit un des danseurs.
— Et qu’à chaque parole qu’elle prononcera, une perle lui tombe de la bouche, dit un second.
— Et que tout ce qu’elle touchera de la main se change aussitôt en or, si elle le désire, dit un troisième.
— Oui ! oui ! crièrent tous les autres, ensemble.
— Grand merci. Messieurs, je vous suis bien obligée, dit Lévénès, en faisant la révérence.
Puis, elle continua sa route.
En arrivant au bourg, elle se rendit chez le sacristain, car les portes de l’église étaient fermées, et lui fit part du motif de sa visite.
Le sacristain l’accompagna et lui ouvrit la porte de l’église. Elle toucha cette porte de la main, et elle devint d’or, et, à chaque parole qu’elle disait, une perle lui tombait de la bouche. Le sacristain ne pouvait en croire ses yeux et restait tout ébahi. Il ramassa les perles et les mit dans sa poche. Lévénès entra dans l’église, prit le livre de sa marâtre, dans son banc, et s’en retourna, vite, à la maison.
Les Danseurs de nuit n’étaient plus dans le carrefour de Croaz-ann-neud, quand elle repassa.
— Tenez, mère, voici votre livre d’heures, dit-elle à sa marâtre, en lui présentant un livre d’or.
— Comment, lui demanda celle-ci, étonnée de la voir revenir sans mal, tu n’as pas vu les Danseurs de nuit ?
— Si fait, répondit-elle ; je les ai vus à Croaz-ann-neud.
— Et ils ne t’ont pas fait de mal ?
— Non, bien au contraire ; ils sont très aimables, ces petits hommes ; ils m’ont invitée à danser avec eux.
— Et tu l’as fait ?
— Oui, j’ai dansé avec eux.
— C’est bien ; va te coucher.
La marâtre avait bien remarqué la beauté extraordinaire de Lévénès et aussi les perles qui tombaient de sa bouche, à chaque mot qu’elle prononçait, et le changement de son livre d’heures en or ; mais elle feignit de ne pas s’en apercevoir, seulement elle pensa :
— C’est bien ! Je vois ce que c’est ; demain soir, j’enverrai aussi ma fille aux Danseurs de nuit ; ces petits hommes cachent, parmi les rochers et sous terre, des trésors inépuisables d’or et de perles fines.
Le lendemain, à la même heure, elle dit à sa fille Margot :
— Il faut aller, Margot, me chercher un autre livre d’heures, dans mon banc, à l’église.
— Non vraiment, je n’irai pas, répondit Margot.
— Je le veux et vous irez, répondit la mère, et quand vous passerez au carrefour de Croaz-ann-neud, si vous y rencontrez les Danseurs de nuit et qu’ils vous invitent à danser avec eux, faites-le, et n’ayez pas peur, ils ne vous feront point de mal, mais, bien au contraire, ils vous donneront quelque beau cadeau.
Margot répondit par une grossièreté, si bien que sa mère fut obligée de la menacer de son bâton, pour la décider à partir.
Quand elle arriva au carrefour de Croaz-ann-neud, les Danseurs de nuit y menaient encore leurs rondes, au clair de la lune[7]. Un d’eux courut à Margot et l’invita poliment à danser avec eux.
— Merde ! lui répondit-elle.
— Quel cadeau ferons-nous à cette fille, pour la manière dont elle a accueilli notre proposition ? demanda le nain à ses camarades.
— Elle est bien laide, mais, qu’elle devienne bien plus laide encore, répondit un d’eux.
— Qu’elle ait un œil unique, au milieu du front, dit un autre.
— Qu’un crapaud lui tombe de la bouche, à chaque parole qu’elle prononcera, et qu’elle souille d’ordures tout ce qu’elle touchera, dit un troisième.
— Qu’il soit fait ainsi ! crièrent tous les autres, en chœur.
Margot se rendit ensuite à l’église, prit le livre de sa mère, dans son banc, et le lui rapporta.
— Voilà votre livre ! dit-elle, en le lui jetant, tout puant et souille d’ordures.
Et trois crapauds lui tombèrent en même temps de la bouche.
— Que t’est-il donc arrivé, ma pauvre fille ? s’écria la mère, désolée ; dans quel état tu me reviens !… Qui t’a rendue ainsi ? As-tu vu les Danseurs de nuit, et as-tu dansé avec eux ?
— Moi danser avec des êtres si laids ! Merde pour eux !
Et elle rejeta encore autant de crapauds qu’elle prononça de mots.
— Allez vous coucher, ma fille, lui dit sa mère, furieuse de ce qu’elle voyait, et se promettant de s’en venger sur Lévénès.
Et en effet, il n’est pas d’humiliation ni de misère qu’elle ne lui fît subir. Heureusement, qu’elle se maria, peu après, à un jeune gentilhomme du pays, qui l’emmena avec lui à son château, et la marâtre et sa fille faillirent en mourir de dépit et de jalousie[8].
La jeune femme se trouva bientôt enceinte. Son père était mort. Elle donna le jour à un fils et lui choisit pour marraine sa marâtre, car elle n’avait conservé ni haine ni ressentiment des humiliations et des mauvais traitements dont elle l’avait abreuvée. La méchante se rendit auprès d’une sorcière de ses amies, et la consulta sur la manière dont elle pourrait substituer sa propre fille à la jeune mère, sans que le mari de celle-ci s’en aperçût. La sorcière lui dit :
— Traversez d’une aiguille noire la tête de la mère, et aussitôt elle sera métamorphosée en cane et s’envolera par la fenêtre de sa chambre, pour aller se mêler aux canards de l’étang. Vous mettrez alors votre fille dans son lit, et fermerez les fenêtres de la chambre et direz au mari qu’elle est malade et ne peut supporter la lumière.
Elle fit ainsi, et l’effet annoncé se produisit.
Voilà donc la jeune mère devenue cane, sur l’étang, pendant que la belle Margot occupait sa place, dans son lit.
Lorsque le mari de sa femme vint au lit de sa femme, demander de ses nouvelles, il trouva toutes les fenêtres closes.
— Comment êtes-vous, mon petit cœur ? lui demanda-t-il.
— Merde ! lui répondit une voix grossière, avec une puanteur insupportable.
— Hélas ! s’écria-t-il, ma pauvre femme est bien malade ; elle délire. Ouvrez les fenêtres, belle-mère, pour que je puisse la voir, car on ne voit goutte ici.
— La lumière lui ferait mal, dit la sage-femme, gagnée par la marâtre.
Voilà le mari désolé. Il ne veut quitter sa femme, ni le jour ni la nuit ; il couche dans la même chambre qu’elle, mais, on lui donne un soporifique, et il dort comme un rocher.
Pendant que tout le monde dormait au château, à l’exception de la nourrice, qui veillait près du berceau de l’enfant, la mère arriva par la fenêtre, qu’on avait ouverte pour renouveler l’air. Elle était sous la forme d’une cane, et se mit à voltiger autour du berceau, en disant :
— Que je plains ton sort, mon pauvre enfant ! Je viendrai te visiter, deux fois encore, sous cette forme, et si l’on n’arrache, avant la fin de la troisième nuit, l’épingle noire dont est traversée ma tête, je resterai cane, jusqu’à ma mort. Et ton père, hélas ! qui est là couché, à côté de celle qui a pris ma place, l’ignore et ne m’entend pas. Hélas ! hélas !…
Puis, elle s’en alla par la fenêtre, et retourna à l’étang.
La nourrice, qui avait tout vu et entendu, n’en dit pourtant rien à personne, tant elle trouvait la chose étrange.
Quand le mari s’éveilla, le lendemain matin, il demanda à celle qu’il croyait toujours être sa femme comment elle se trouvait. Mais, elle lui répondit encore par une grossièreté, et sa douleur n’en fit que s’accroître.
— C’est sans doute l’effet d’une fièvre de lait, lui dit la marâtre, et cela passera, sans tarder.
Avant de se mettre au lit, le mari but encore un soporifique, sans le savoir, et il dormit aussi profondément que la veille.
À l’heure où tout dormait, dans le château, la cane arriva encore dans la chambre où était l’enfant avec sa nourrice, et fit entendre les mêmes plaintes :
— Hélas ! mon pauvre enfant, ton père dort encore et ne m’entend pas ! Je viendrai encore, demain soir, pour la dernière fois, et si l’on ne me retire pas l’aiguille noire que j’ai dans la tête, il me faudra te quitter, toi et ton père, et pour toujours !
Et elle s’en alla encore, après avoir longtemps voltigé autour du berceau.
La nourrice vit et entendit tout, comme la veille, et se dit en elle-même :
— Arrive que pourra, il faut que je prévienne le maître de ce qui se passe ici ; mon cœur ne peut rester insensible aux plaintes de cette cane ; il y a là-dessous quelque mystère.
Le lendemain matin, quand le père vint voir son enfant, elle lui dit donc :
— J’ai quelque chose sur le cœur, que je veux vous déclarer. Vous ne savez pas ce qui se passe ici, la nuit.
— Quoi donc, nourrice ? Parlez, je vous prie.
— On vous fait boire un soporifique, au moment de vous coucher, et vous n’entendez rien de ce qui se dit et se passe autour de vous ; on vous trompe, et celle que vous croyez être votre femme est Margot, la fille de la marâtre de Lévénès. Celle-ci a été métamorphosée en cane, par une sorcière, à la prière de sa marâtre, et elle est, à présent, là-bas, sur l’étang, avec les canards et les oies. Mais, la nuit, quand tout le monde dort au château, excepté moi, elle vient voir son enfant, sous la forme d’une cane. Elle est déjà venue deux fois. Elle viendra, cette nuit encore, pour la dernière fois, et si vous arrachez une aiguille noire dont on lui a traversé la tête, elle reviendra aussitôt à sa forme première ; mais, si l’aiguille n’est pas arrachée, cette nuit, elle restera toujours cane.
— Je me doutais bien, dit le mari, qu’il se passait quelque chose de mystérieux, au château ; mais, cette nuit, je ne boirai pas le soporifique et je serai sur mes gardes, et nous verrons bien.
Le soir, quand l’heure fut venue de se coucher, la marâtre versa encore le soporifique au mari de Lévénès. Il feignit de le boire, comme précédemment, et le jeta sous la table, sans qu’on s’en aperçût.
Vers minuit, quand tout le monde dormait, au château, excepté lui et la nourrice, la cane arriva encore, par la fenêtre, dans la chambre de l’enfant et parla ainsi :
— C est pour la dernière fois, mon pauvre enfant, que je viens te voir, sous cette forme, et ton père dort encore, sans doute…
À ces mots, celui-ci sauta hors du lit, où il feignait de dormir, et s’écria :
— Non, je ne dors pas, cette fois !
Et il prit la cane, qui voltigeait au-dessus du berceau de l’enfant, retira l’aiguille de sa tête, et aussitôt elle revint à sa forme première et se jeta sur le berceau, pour embrasser son enfant.
— Allumez de la lumière, nourrice, et appelez la marâtre ! cria le mari de Lévénès.
La méchante vint ; mais, quand elle vit la tournure que prenaient les choses, elle voulut s’enfuir avec sa fille.
— Holà ! s’écria le jeune seigneur, en voyant cela, attendez un peu, car chacun doit être payé selon ses œuvres.
Et il fit chauffer un four à blanc et l’on y jeta la marâtre et sa fille.
Quant à Lévénès, elle vécut heureuse, le reste de ses jours, avec son mari et ses enfants.
IL y avait une fois une dame riche, qui demeurait dans un beau château, et qui avait une fille et une belle-fille. Sa fille s’appelait Catho, et était laide, sale et méchante. Sa belle-fille, nommée Jeanne, était jolie, gracieuse, sage et bonne.
La dame n’aimait que sa fille Catho, à qui elle donnait tout ce qu’elle désirait, de beaux habits et des bijoux, et elle détestait Jeanne, qui était habillée et traitée comme une servante.
Il y avait, dans le bois qui entourait le château, une vieille chapelle, où revenait, disait-on, chaque nuit, un prêtre mort depuis longtemps, pour essayer de dire une messe qu’il ne pouvait jamais dire, faute de trouver un répondant. Plusieurs personnes prétendaient aussi avoir aperçu de la lumière dans la chapelle, à l’heure de minuit, et entendu et vu des fantômes effrayants.
Pour aller à la chapelle, il fallait passer par un carrefour, où l’on disait que les Danseurs de nuit prenaient fréquemment leurs ébats, et personne ne se souciait de rencontrer ces êtres-là, une fois le soleil couché.
La méchante marâtre cherchait le moyen de se défaire de Jeanne, afin que sa fille Catho héritât des biens de son premier mari.
Un dimanche soir du mois de décembre, qu’elle était restée tard auprès du feu, à entendre ses serviteurs chanter des gwerziou et conter des contes merveilleux, au moment de réciter les prières du soir en commun, avant d’aller se coucher, elle s’écria :
— Voyez donc ! J’ai oublié mon livre d’heures à la chapelle ! Allez, vite, me le chercher, Jeanne.
— Oui, mère, répondit la pauvre enfant. Mais, elle avait peur, et elle dit à une servante :
— Venez avec moi, Marguerite.
— Non, non ! vous irez seule, reprit la marâtre ; vous avez donc peur ?… à votre âge !… Allez !…
Jeanne trempa son doigt dans le bénitier, fit le signe de la croix et partit. Son petit chien Fidèle, qui l’accompagnait partout, s’apprêtait à la suivre. Mais Catho courut après lui, lui donna un coup de pied et ferma la porte, pour l’empêcher de sortir.
Le chien sauta par la fenêtre, en brisant un carreau, et rejoignit sa maîtresse. Sa présence la rassura un peu et elle le caressa et lui dit de ne pas la quitter.
Il faisait un beau clair de lune. Quand elle arriva au carrefour, elle aperçut sept petits hommes avec de larges chapeaux, sept nains, qui y dansaient en rond, en chantant. Elle s’arrêta, n’osant aller plus loin. Mais, tous les danseurs, à l’exception d’un seul, s’approchèrent d’elle et l’enveloppèrent dans leur ronde, en criant :
— Dansez avec nous, jeune fille ; dansez avec nous, dansez avec nous !…
— Volontiers, Messieurs, dit Jeanne gracieusement, si cela peut vous faire plaisir.
Et elle entra dans la ronde, et la danse et les chants continuèrent, avec un nouvel entrain.
Puis, le nain qui tenait Jeanne par la main droite dit :
— Oh ! l’aimable et gracieuse jeune fille !
— Qu’elle soit la moitié plus aimable et plus gracieuse encore ! répondit celui qui la tenait par la main gauche.
— Oh ! la sage jeune fille ! dit le troisième.
— Qu’elle soit la moitié plus sage encore ! dit le quatrième.
— Oh ! la belle jeune fille ! dit le cinquième.
— Qu’elle soit la moitié plus belle encore ! dit le sixième.
— Belle comme les étoiles ! ajouta le septième, celui qui n’avait pas dansé avec les autres[9].
Puis, les nains embrassèrent la jeune fille, à l’exception du septième encore, et disparurent ensuite.
Jeanne se rendit alors à la chapelle, et n’y vit, ni entendit rien d’effrayant ou d’extraordinaire. Elle trouva le livre d’heures de sa marâtre sur son banc, et le lui rapporta.
Si elle était belle, auparavant, à présent, elle l’était encore bien plus, et sa beauté éclairait le chemin où elle passait, comme le soleil, au mois de mai.
— Voilà votre livre, ma mère, dit-elle en présentant son livre d’heures à sa marâtre.
Celle-ci la regardait, muette d’étonnement et la bouche ouverte, tant elle était éblouie par sa beauté. Quand elle put enfin parler, elle demanda :
— Que vous est-il donc arrivé, pour être ainsi ?
— Il ne m’est rien arrivé, mère, répondit Jeanne.
Elle ne savait pas qu’elle était si belle.
— Vous n’avez pas rencontré les Danseurs de nuit, au carrefour ?
— Si vraiment, mère, je les ai rencontrés, et j’ai même dansé avec eux.
— Et ils ne vous ont pas fait de mal ?
— Non, ils ont même été fort aimables avec moi.
— Vraiment ?… Et dans la chapelle, qu’avez-vous vu ?
— Je n’ai vu rien d’extraordinaire, mère.
— Vraiment ?… Eh bien ! allez vous coucher. Toute la nuit, la marâtre fut préoccupée de l’aventure de Jeanne.
— Ce sont, sans doute, les Danseurs de nuit qui l’ont ainsi changée, se disait-elle. Demain, j’irai à la chapelle, dans l’après-midi, en me promenant, et j’y laisserai encore mon livre d’heures, et le soir, j’enverrai aussi ma fille me le chercher, pour voir…
Le lendemain, elle dit à Catho qu’elle deviendrait aussi belle que Jeanne, et même davantage, si elle voulait aller aussi, pendant la nuit, lui chercher son livre d’heures à la vieille chapelle du bois.
Catho ne s’en souciait guère, car elle était peureuse et poltronne ; cependant, elle consentit à y aller, sur la promesse que lui fit sa mère qu’elle deviendrait aussi belle que Jeanne, ou même davantage.
Quand onze heures sonnèrent, sa mère lui dit :
— Voici le moment de partir, ma fille ; allez donc et ne craignez rien, il ne vous arrivera pas de mal.
Elle avait peur ; mais, d’un autre côté, elle désirait ardemment être belle.
— Fidèle viendra aussi avec moi, dit-elle.
Et elle appela le petit chien de Jeanne. Mais, il s’enfuit vers Jeanne, et elle lui donna un coup de pied, en disant :
— Eh bien ! vilaine bête, je n’ai aucun besoin de toi.
Elle partit.
Quand elle arriva au carrefour, elle vit les nains qui y dansaient en rond, tout en chantant. Elle s’arrêta pour les regarder, et ils s’approchèrent d’elle et lui dirent ;
— Voulez-vous danser avec nous, jeune fille ?
— Crottin de cheval ! répondit-elle, je ne danse pas avec de sales bêtes comme vous ; fi donc !…
— Oh ! la vilaine fille ! dit un des nains.
— Qu’elle soit plus vilaine de moitié ! dit un second.
— Oh ! la sotte fille ! dit un troisième.
— Qu’elle soit plus sotte de moitié ! dit un quatrième.
— Oh ! la mauvaise fille ! dit le cinquième.
— Qu’elle soit plus mauvaise de moitié, dit le sixième.
— Et qu’elle vomisse du crottin de cheval, à chaque parole qu’elle prononcera, dit le septième.
Et ils s’en allèrent.
La belle Catho aussi s’en retourna à la maison, sans aller jusqu’à la chapelle.
Quand la mère vit sa fille, elle s’écria :
— Dieu ! que t’est-il donc arrivé, ma pauvre fille ? Tu n’as pas rapporté mon livre d’heures ?
— Non certainement ; allez vous-même le chercher, si vous voulez.
Et elle vomit un tas de crottin de cheval.
— Qu’est-ce à dire ? N’as-tu pas rencontré les Danseurs de nuit ?
— Je les ai bien vus, les vilains monstres !
Et elle vomit encore un tas de crottin de cheval. Elle empestait, et sa figure ressemblait à un crapaud gonflé de venin. Si elle était sotte, auparavant, à présent, elle était bien plus sotte encore, et méchante comme une chienne enragée.
Sa mère l’enferma dans une chambre, où personne ne pouvait la voir, et jura de se venger sur Jeanne.
Le bruit de la beauté et de la sagesse de Jeanne s’était vite répandu dans tout le pays, et il venait, de tous côtés, des gens riches et puissants pour la voir et la demander en mariage. Mais, la marâtre les éconduisait tous. Un jour, il vint aussi un jeune prince, qui fut tellement charmé de la beauté et des vertus de la jeune fille, qu’il la demanda sur-le-champ en mariage. La diablesse de marâtre voulut lui jouer un tour de sa façon. Elle songea à substituer Catho à Jeanne, et dit au prince que c’était un trop grand honneur pour elle d’avoir un tel gendre, pour qu’elle ne s’empressât pas de l’agréer, et sa fille pareillement. Les fiançailles furent donc faites promptement, et l’on prit jour pour le mariage. Le prince envoya à sa fiancée des bagues, des diamants et de riches parures.
Quand vint le jour du mariage, il se présenta avec un nombreux cortège de princes et d’hommes et de dames de qualité.
Catho avait été surchargée des joyaux et des parures donnés par le prince, et la pauvre Jeanne fut enfermée, sous clef, dans un grand coffre, afin que personne ne la vit.
Le jeune prince était venu dans un superbe carrosse doré. La mère y monta, pour aller à l’église, avec sa fille, dont la figure était voilée, et quand les portières furent fermées sur eux trois, ils se trouvèrent dans l’obscurité. On recommanda au prince de ne pas parler à sa fiancée, jusqu’au retour de la cérémonie, parce qu’elle était très timide.
Le carrosse prit le devant. Le petit chien Fidèle courait après en jappant : « Hep hi ! hep hi !… » c’est-à-dire : « Sans elle ! sans elle ! »
— Que signifie cela ? demanda le prince, étonné.
— Rien, mon gendre, répondit la mère ; ne faites pas attention aux jappements de ce petit roquet ; il voudrait monter aussi dans le carrosse, mais, il nous salirait.
Comme il traversait le bois qui entourait le château, un petit oiseau vint se poser sur le haut du carrosse, et il disait, dans son langage :
Hélas ! hélas ! la joliette,
La charmante et douce Jeannette,
Seule est restée à la maison.
Au fond d’un coffre, sa prison ;
Et la méchante et laideronne,
Prenant sa place et sa couronne.
Déjà se croit reine des cieux…
O prince, prince, ouvrez les yeux !
— Qu’est-ce qu’il chante donc, cet oiseau ? demanda le prince, étonné.
— Rien, mon gendre, répondit la mère de Catho ; n’y faites pas attention.
— Oh ! il se passe quelque chose d’extraordinaire, et il faut que je sache ce que c’est.
L’oiseau reprit sa chanson, et le prince fit arrêter le carrosse et descendit. Il ouvrit les portières du carrosse, souleva le voile de sa fiancée, et, quand il vit le monstre de laideur qu’il allait épouser, il poussa un cri d’horreur et dit :
— Dehors, vilaines bêtes ! Serpents et crapauds ! Descendez, vite, et que je ne vous revoie plus jamais.
Le prince et sa suite partirent alors, au galop, abandonnant la belle Catho et sa mère, sur la route.
Et quand il fut rentré au château, il allait de chambre en chambre en criant :
— Jeanne, ma chérie, où êtes-vous ?
— Ici ! dit Jeanne, du fond du coffre.
Le prince prit une cognée, brisa le coffre et en retira Jeanne.
Puis, il la fit monter dans son beau carrosse doré, sans faire de toilette, comme elle était, et la conduisit à l’église et l’épousa, au grand étonnement de tout le monde. Et le petit chien Fidèle, qui n’avait jamais quitté sa maîtresse, la suivit aussi, jusqu’au pied de l’autel.
Quand le cortège passa, Catho et sa mère étaient encore sur la route, pleurant de colère et pataugeant dans la boue.
Il y eut ensuite de grands festins et de belles fêtes, et les deux époux vécurent heureux ensemble et eurent beaucoup d’enfants.
domestique. — Plouaret.
IL y avait une fois une jeune fille sage et jolie, qui avait une marâtre, laquelle ne lui voulait aucun bien. Elle se nommait Annaïc. Son père l’aimait, mais sa femme faisait tout ce qu’elle pouvait pour l’amener à la détester aussi. Elle alla, un jour, trouver sa sœur, qui était sorcière, et lui demanda conseil pour se débarrasser d’Annaïc.
— Dis à son père, répondit la sorcière, qu’elle mène une vie scandaleuse, et il la renverra.
Mais, le père ne voulut rien croire de tout le mal qu’on lui disait de sa fille, et la marâtre retourna consulter sa sœur la sorcière.
— Eh bien ! lui dit celle-ci, voici un gâteau de ma façon, que vous ferez manger à la jeune fille ; dès qu’elle l’aura mangé, son ventre gonflera, comme celui d’une femme enceinte, et alors le père sera obligé de croire ce que vous lui direz de la mauvaise conduite de sa fille.
La méchante s’en retourna avec le gâteau de la sorcière, et dit à Annaïc, en le lui présentant :
— Tenez, mon enfant, mangez ce gâteau de miel, que j’ai fait moi-même exprès pour vous.
Annaïc prit le gâteau et le mangea, sans défiance et avec plaisir, persuadée que c’était enfin une marque d’affection de sa marâtre. Mais, peu après, son ventre se gonfla tellement que tous ceux qui la voyaient la croyaient enceinte, et la pauvre fille en était tout honteuse et ne savait qu’en penser.
— Je vous avais averti, disait alors la marâtre triomphante au père, que votre fille se conduisait mal ; voyez dans quel état elle est !
Alors, le père mit Annaïc dans un tonneau, et l’exposa sur la mer, à la grâce de Dieu. Le tonneau alla se briser sur des rochers. Annaïc en sortit, sans mal, et se trouva dans une île aride et qu’elle crut déserte. Elle se retira dans une grotte souterraine, creusée dans la falaise, et fut étonnée d’y trouver une petite chambre, toute meublée, avec un lit, quelques vases de terre grossiers, et du feu au foyer. Elle pensa qu’elle devait être habitée ; mais, après avoir attendu longtemps, comme personne ne se montrait, elle se coucha dans le lit et dormit tranquille.
Le lendemain matin, en s’éveiilant, elle se trouva encore seule. Elle se leva et alla chercher des coquillages, parmi les rochers, pour son déjeûner ; puis, toute la journée, elle parcourut l’île et n’y rencontra aucune habitation ni aucun être humain. Le soir, elle rentra dans sa grotte et y dormit encore, tranquille ; et ainsi de suite, les jours suivants.
Quand le temps fut venu, elle accoucha d’un… petit chat. Grande fut sa douleur, quand elle vit l’être à qui elle avait donné le jour ; mais, elle finit par se résigner, en disant :
— Puisque c’est la volonté de Dieu !
Et elle éleva et soigna son petit chat, comme elle l’aurait fait d’un enfant.
Un jour, qu’elle se plaignait de son sort et pleurait, elle fut bien étonnée d’entendre le chat prendre la parole, dans le langage des hommes, et lui parler de la sorte :
— Consolez-vous, ma mère, j’aurai soin de vous, à mon tour, et je ne vous laisserai manquer de rien, ici.
Et le chat prit un sac, qui se trouvait dans un coin de la grotte, le mit sur son épaule et sortit. Il parcourut toute l’île, et découvrit un château et y entra. Les habitants du château furent bien étonnés de voir un chat qui marchait droit sur ses deux pieds de derrière et portait un sac sur l’épaule, comme un homme. Il demanda du pain, de la viande et du vin, et on n’osa pas le refuser, tant la chose paraissait étrange. On lui remplit son sac, et il s’en alla. Il revint ensuite, tous les deux jours, au château, et chaque fois, il s’en retournait avec son sac plein, de façon que sa mère ne manquait de rien, dans sa grotte.
Un jour, le fils du château eut une querelle, dans un pardon, y perdit ses papiers et fut mis en prison. Tout le monde était désolé, au château, et quand le chat y vint, selon son habitude, il demanda la cause de la tristesse et de la douleur qu’il remarqua. On la lui fit connaître ; puis, on lui remplit son sac, comme d’ordinaire, et il s’en retourna. En arrivant à la grotte, il dit à sa mère :
— La tristesse et la désolation règnent au château.
— Qu’y est-il donc arrivé ?
— Le jeune seigneur a eu une querelle, dans un pardon ; il y a perdu ses papiers, et on l’a mis en prison ; mais, j’irai le trouver, demain, dans sa prison, et je lui dirai que, s’il veut épouser ma mère, je retrouverai ses papiers et les lui rendrai.
— Comment peux-tu croire qu’il consente jamais à me prendre pour sa femme, mon enfant ?
— Peut-être, mère ; laissez-moi faire.
Le lendemain, le chat se rendit donc à la prison et demanda à parler au jeune seigneur. Mais, le geôlier prit son balai, pour le chasser. Le chat lui sauta à la figure et lui arracha un œil, puis, il grimpa sur le mur et entra par la fenêtre dans la prison et dit au prisonnier :
— Mon bon seigneur, vous nous avez nourris, ma mère et moi, depuis que nous sommes dans votre île, et, en reconnaissance de ce service, je vous retirerai de prison et vous ferai retrouver vos papiers, si vous voulez me promettre d’épouser ma mère.
— Comment, pauvre bête, vous parlez donc aussi ? demanda le jeune seigneur, étonné.
— Oui, je parle aussi, et je ne suis pas ce que vous croyez ; mais, dites-moi, voulez-vous épouser ma mère ?
— Épouser une chatte, moi, un chrétien ! Comment pouvez-vous me faire une pareille proposition ?
— Épousez ma mère, et vous ne le regretterez pas, c’est moi qui vous le dis. Je vous laisse jusqu’à demain pour y réfléchir ; je reviendrai demain.
Et il s’en alla.
Le lendemain, il revint, muni des papiers du jeune seigneur, et lui dit, en les lui montrant :
— Voici vos papiers ; promettez-moi d’épouser ma mère, et je vous les rendrai, et de plus, je vous ferai remettre en liberté, sur-le-champ.
Le prisonnier promit, et il fut rendu à la liberté.
La mère du chat avait pour marraine une sorcière, qui connaissait bien leur situation. Elle vint la trouver, en l’absence du chat, et lui parla de la sorte :
— Ses papiers ont été rendus au jeune seigneur, qui a promis de vous épouser. Quand le chat rentrera, prenez un couteau et ouvrez-lui le ventre, sans hésiter, car aussitôt il deviendra un beau prince, et vous-même, vous deviendrez une princesse, d’une beauté merveilleuse. Alors, vous épouserez le jeune seigneur, et moi, je vous enverrai cinquante beaux chevaliers, pour vous faire cortège, le jour des noces.
Quand le chat rentra, sa mère lui ouvrit le ventre. Aussitôt un beau prince, magnifiquement paré, sortit de sa peau, et elle-même devint une princesse, d’une beauté merveilleuse. Les cinquante chevaliers arrivèrent aussi, et un beau carrosse tout doré descendit du ciel. Le prince et la princesse y montèrent, et se rendirent au château, accompagnés des cinquante chevaliers.
Le jeune seigneur, qui était à sa fenêtre, fut fort étonné de voir arriver un tel équipage, qu’il ne connaissait point. Il s’empressa de descendre, pour le recevoir. Le prince s’avança à sa rencontre, tenant la princesse par la main, et la présenta en ces termes :
— Voici ma mère, que vous m’avez promis d’épouser ; comment la trouvez-vous ?
Le jeune seigneur fut tellement troublé et bouleversé par tout ce qu’il voyait et entendait, qu’il en perdit la parole et ne put que balbutier ces mots :
— Dieu, la belle princesse !… Oui certainement !… Comment donc ?… Trop d’honneur !…
Le mariage fut célébré, sur-le-champ. Pendant le festin de noces, qui fut superbe, on entendit, sans rien voir, une musique ravissante et comme on n’en entend qu’au Paradis seulement. C’était la marraine de la nouvelle mariée, la sorcière, qui lui envoyait ses musiciens invisibles. Elle lui donna aussi son beau carrosse doré et lui dit :
— Vous n’aurez qu’à faire : Psiit… et mes chevaux enchantés s’élèveront avec vous dans les airs et vous porteront où vous voudrez. Mais, si vous retournez chez votre père, gardez-vous bien de vous laisser embrasser par votre marâtre ; par votre père, je ne dis pas, tant que vous voudrez.
Ils montèrent aussitôt dans le carrosse, qui s’éleva par-dessus les nuages, et les porta tout droit chez le père d’Annaïc. Celui-ci reconnut bien sa fille, et témoigna une grande joie de la revoir, et l’embrassa tendrement. La marâtre était furieuse ; pourtant elle dissimula, la méchante, et voulut l’embrasser aussi. Mais, le prince lui cria :
— Holà ! vous, vous n’embrasserez pas ma mère ! mais, vous serez récompensée selon vos mérites.
Et on alluma un grand bûcher et l’on y précipita la marâtre et sa fille et aussi la sorcière.
Puis, pendant huit jours entiers, ily eut de belles fêtes, avec des jeux de toute sorte, de la musique, des danses et de grands festins, tous les jours.
mars, 1869
IL y avait une fois un homme veuf, qui était marié à une veuve. Ils avaient chacun un enfant d’un premier lit, quand ils se remarièrent, deux filles à peu près du même âge. Celle de l’homme s’appelait Yvonne, et était douce, aimable et jolie, autant que l’autre, qui avait nom Louise, était laide, méchante et d’un caractère insupportable. Comme il arrive presque toujours, en pareil cas, chacun des deux époux préférait son enfant, et n’avait d’amour et de caresses que pour elle.
Les deux jeunes filles avaient déjà seize ou dix-sept ans, et, comme leurs parents avaient du bien, les jeunes gens du pays commençaient à fréquenter leur maison. La mère leur vantait toujours les talents et les qualités de sa fille Louise, et lui achetait sans cesse de nouvelles robes et des parures de prix, tandis qu’Yvonne était très simplement vêtue. Malgré tout, les galants n’avaient d’yeux et de compliments que pour Yvonne, qui était aussi modeste et aussi bonne qu’elle était jolie, et sa marâtre en crevait de jalousie et de dépit. Aussi, se décida-t-elle à l’éloigner et à la soustraire à la vue des prétendants, afin de pouvoir marier d’abord sa fille. Tous les jours, elle l’envoyait sur une grande lande, pour garder une petite vache noire, avec ordre de ne revenir qu’après le coucher du soleil. La pauvre enfant partait, chaque matin, aussitôt le soleil levé, ns se plaindre, et emportant un morceau de pain noir et une galette, pour toute pitance. À force d’être toujours avec sa vache et de n’avoir d’autre société, si ce n’est pourtant un petit chien nommé Fidèle, qui la suivait partout, elle la prit en affection et la regarda comme sa meilleure amie. Elle lui donnait à manger, dans sa main, des touffes d’herbes fraîches, qu’elle choisissait et cueillait elle-même ; elle la caressait, lui grattait le front, l’embrassait, lui contait mille petites histoires, lui chantait les chansons qu’elle connaissait, et la bête la regardait de ses grands yeux doux et fixes, et semblait la comprendre, et elle l’aimait aussi. Elle l’avait appelée : Mon petit cœur d’or.
La vache, maigre et chétive, quand elle fut confiée A Yvonne, devint grasse et luisante, en peu de temps, grâce aux soins de la jeune fille. La marâtre s’en aperçut, un jour, et aussi de l’amour d’Yvonne pour sa vache, et aussitôt elle dit que la bête serait tuée, pour un grand repas qu’elle voulait donner.
La vache fut donc tuée, et Yvonne en éprouva un grand chagrin. Quand on l’ouvrit, on trouva auprès de son cœur deux petits souliers d’or, faits avec un art merveilleux. La marâtre s’en saisit en disant :
— Ce sera pour ma fille, le jour de ses noces !
Quelques jours après, un prince très riche, qui avait entendu parler de la beauté et de la douceur d’Yvonne, se présenta pour la voir. La marâtre, méditant une noire trahison, s’empressa de l’habiller et de la parer avec les robes, les parures et les diamants de Louise, puis elle la présenta ainsi au prince. Celui-ci s’entretint avec elle, pendant quelque temps, et il fut si enchanté de sa beauté et de ses réponses, qu’il dit qu’il n’aurait jamais d’autre femme qu’elle. Et il demanda sa main. On se garda bien de la lui refuser, et le jour du mariage fut fixé immédiatement ; puis le prince s’en retourna dans son royaume.
Vous devinez sans doute la trahison que méditait la méchante femme, et qui consistait à substituer sa fille à celle de son mari. En effet, au jour fixé, dès le matin, la malheureuse Yvonne fut renfermée sous clef, dans la chambre d’une tourelle, pendant que l’on couvrait Louise, qui devait prendre sa place, des plus riches parures, sans pourtant parvenir à en faire une belle fiancée. Quand on voulut lui chausser les souliers d’or trouvés dans le corps de la vache noire, il fallut, pour y faire entrer ses pieds, les raccourcir des deux bouts, en lui rognant les orteils et les talons.
Le jeune prince arriva, avec un nombreux et brillant cortège. On lui présenta sa prétendue fiancée ; mais, la lumière qui brillait sur l’or et les diamants dont elle était toute couverte l’éblouit et l’empêcha de reconnaître la fraude. Il s’empressa de monter avec elle dans un beau carrosse doré, qu’il avait amené à cet effet, et aussitôt le cortège partit pour l’église, en brillant équipage. Le petit chien Fidèle, qui accompagnait Yvonne sur la grande lande, quand elle y menait paître sa vache noire, était sur le perron, et en voyant le prince monter dans le carrosse, avec sa fiancée supposée, il se mit à japper de la sorte : Hep-hi ! hep-hi ! hep-hi ! — c’est-à-dire : « Sans elle ! sans elle ! sans elle !» — Et quand le carrosse sortit de la cour, il courut après, en disant dans son langage :
C’est la laide, aux traits renfrognés.
Aux talons, aux orteils rognés ;
Hélas ! hélas ! et la jolie
Dans sa prison pleure et s’ennuie !
Mais personne ne faisait attention au pauvre animal.
Quand on fut à la porte de l’église, la fausse fiancée dut descendre du carrosse ; mais, hélas ! elle ne pouvait plus marcher, et, à chaque pas qu’elle essayait de faire, elle poussait des cris de douleur. Alors, le prince, la regardant en pleine lumière, ne put retenir un cri d’étonnement et d’indignation et, se reculant comme à la vue d’un monstre, il s’écria :
— Trahison ! ce n’est pas là celle que j’ai vue et que j’aime : retournez chez vous quand vous voudrez ; ôtez ce monstre de devant mes yeux !
Jugez de l’étonnement et du trouble qu’il y eut alors.
Le prince était fort en colère, et il partit aussitôt, avec toute sa suite. La mère de Louise s’en retourna aussi avec sa fille, qui pleurait à chaudes larmes de revenir de la sorte, après avoir été si près d’épouser un prince. Elle écumait de rage, la méchante, et jurait de se venger, d’une façon terrible.
En effet, avant même de rentrer à la maison, elle alla trouver une vieille sorcière, son amie, qui habitait dans un bois voisin. Elle lui conta sa mésaventure, et la vieille diablesse la rassura et lui promit de mettre toute sa science à son service et de la traiter en amie.
— Retournez à la maison, lui dit-elle, tuez un chat noir, qui est dans votre château, arrangez-le comme un civet de lièvre, donnez-en à manger à la belle Yvonne, et ne vous inquiétez plus d’elle. Elle trouvera le mets délicieux, elle se couchera, sans se douter de rien, et le lendemain, vous la trouverez morte dans son lit.
— C’est bien, répondit la méchante.
Et elle embrassa son amie la sorcière, et revint à la maison.
En arrivant, elle attrapa elle-même le chat noir, le tua, l’écorcha, et le fit cuire en guise de civet de lièvre. Puis, quand elle le jugea cuit à point, elle mit le ragoût sur un plat, et alla elle-même le porter à Yvonne, dans sa chambre.
— Comment êtes-vous, ma fille ? lui dit-elle, d’un air hypocrite, et en simulant les meilleurs sentiments à son égard : nous avons aujourd’hui du lièvre à dîner, et, comme je sais que vous l’aimez, j’ai voulu que vous en ayez aussi votre part. Tenez, ma fille chérie, mangez cela, c’est moi-même qui l’ai préparé, et il doit être bon, car j’y ai mis tout mon savoir-faire.
La pauvre Yvonne, qui ne pensait jamais à mal, crut que sa marâtre avait peut-être quelque regret de l’avoir traitée si durement, jusqu’alors, et ne doutant pas de la sincérité des bons sentiments dont elle faisait présentement montre à son égard, elle s’en trouvait tout heureuse. Elle mangea du ragoût, sans hésiter, et le trouva excellent. La marâtre s’en alla alors, satisfaite et jouissant par avance de sa vengeance. Presque aussitôt, la jeune fille se trouva indisposée, au point d’être obligée de se coucher, avant son heure ordinaire. Toute la nuit, elle fut malade à mourir. Elle rejeta tout ce qu’elle avait pris, et ce fut là, sans doute, ce qui la sauva.
Le lendemain matin, de bonne heure, la marâtre courut à sa chambre, et fut bien étonnée de la trouver encore en vie. Mais, dissimulant son désappointement et sa haine, elle lui dit, d’un ton câlin :
— Comment avez-vous passé la nuit, mon enfant chérie ? Vous êtes toute pâle, et je crains que vous n’ayez eu une indigestion, pour avoir trop mangé du ragoût d’hier ?
— Ah ! ma mère, répondit Yvonne, j’ai été bien malade, bien malade, et j’ai failli mourir, cette nuit.
— Pauvre enfant ! heureusement que ce ne sera rien, et vos belles couleurs vous reviennent déjà.
Et la méchante, la maudite couleuvre[10], ne pouvant cacher plus longtemps sa rage, sortit et courut chez son amie la sorcière. Elle lui conta comment son ragoût de chat avait manqué son effet, puisque la jeune fille vivait encore. L’autre couleuvre (la sorcière) fut étonnée d’apprendre cela, car jamais ce moyen ne lui avait encore failli.
— Que faire à présent ? Il faut me trouver autre chose, et vite ! dit la marâtre.
— Eh bien ! je ne vois d’autre moyen que de rendre la vie avec vous insupportable à votre mari et à sa fille. Soyez toujours de mauvaise humeur, grondez, menacez, frappez même ; nourrissez-les mal, et de ce qu’ils aiment le moins. Enfin, faites que votre maison soit un enfer pour eux, et ils finiront par la quitter et partir volontairement, pour quelque pays lointain.
La marâtre revint avec les instructions de son amie, et elle commença à les mettre immédiatement en pratique. Il est vrai que ni son mari, ni sa fille n’avaient jamais eu à se louer de son caractère ni de ses procédés à leur égard ; mais, à partir de ce moment, ce fut une véritable furie, et il leur fallut songer à fuir loin d’elle. Le père et sa fille s’entendirent donc pour passer la mer, et aller aussi loin qu’ils pourraient. Ils s’assurèrent d’une embarcation et, une nuit, ils partirent secrètement, et se dirigèrent vers le rivage le plus voisin. Mais, au moment où ils s’apprêtaient à mettre à la voile, ils virent la méchante femme accourir vers eux, en faisant des signes avec ses mains et criant à son mari :
— Arrête ! arrête ! où prétends-tu aller, si follement ? Tu ne vois donc pas, étourdi, que tu as oublié d’emporter ton petit livre rouge ? Tu sais cependant bien que tu ne peux rien sans lui : retourne le prendre à la maison, pauvre écervelé, puis je te laisserai aller où tu voudras, avec ta fille.
Le pauvre homme, habitué depuis longtemps à obéir aveuglément à sa femme et à ne jamais la contredire, n’osa pas continuer sa route, et ne vit pas le piège qu’on lui tendait. Il revint donc au rivage, amarra sa barque à un poteau, et retourna au château pour prendre son petit livre rouge. Sa femme lui promit de l’attendre auprès du bateau, où Yvonne était restée seule. Mais, à peine l’eut-elle perdu de vue, qu’elle dénoua l’amarre, et la barque, poussée par une bonne brise de terre, s’éloigna promptement, emportant la pauvre fille, malgré ses cris et ses lamentations. Suivons-la et laissons la méchante marâtre et sa fille ; nous les retrouverons plus tard.
Après avoir erré plusieurs jours et plusieurs nuits, au gré des flots et des vents, l’embarcation aborda enfin à une petite île. Yvonne, qui se croyait perdue, reprit espoir, et elle se mit à parcourir l’île, à la recherche de quelque habitation. Mais, elle ne trouva ni habitation, ni habitant ; l’île était déserte. Comme elle marchait, triste, sur le rivage, elle aperçut, parmi les rochers, quelque chose qui ressemblait à la porte d’une habitation humaine. Elle s’en approcha, y heurta d’un bâton qu’elle avait à la main, et la porte céda facilement. Elle vit alors une grotte, qui paraissait habitée, avec quelques ustensiles indispensables, comme une marmite et un pot à eau, une écuelle et des plats de bois, et enfin un lit assez convenable ; mais, aucun être vivant, par ailleurs.
— C’est sans doute un ermitage, se dit-elle.
Et elle s’assit sur un escabeau, pour attendre l’ermite, qu’elle présumait s’être retiré dans cette solitude, pour faire pénitence. Mais, après avoir attendu assez longtemps, comme personne ne venait et qu’elle avait faim, elle alla se promener sur le rivage. Elle y trouva en abondance des coquillages de toute sorte, qu’elle mangea tout crus. Puis, au coucher du soleil, elle revint à la grotte, et n’y trouva personne encore. Comme elle était fatiguée, elle se résolut alors à se coucher tout habillée sur le lit. Elle dormit, toute la nuit, d’un fort bon sommeil, et lorsqu’elle s’éveilla, le lendemain matin, elle était toujours seule.
— Décidément, se dit-elle, l’ermitage est abandonné, et je n’ai rien de mieux à faire que de m’y établir.
Toute la journée, elle explora son île, et put s’assurer qu’elle était complètement inhabitée. Elle recueillit des coquillages sur le rivage et les cuisit, pour son repas. Puis, elle se coucha, plus rassurée que la veille, et dormit jusqu’au lendemain matin, sans que rien vînt encore troubler son sommeil.
L’île produisait aussi quelques fruits, de sorte qu’elle trouva assez facilement sa nourriture de chaque jour ; d’un autre côté, elle n’y avait aperçu ni entendu aucune bête fauve, qui pût lui inspirer de la crainte. Elle était donc réellement maîtresse et reine de l’île, et, n’était la solitude complète dans laquelle elle se trouvait, elle ne croyait pas avoir lieu de regretter la maison de sa marâtre.
Au bout de trois semaines de cette existence, un jour elle se sentit bien malade. Elle attribua son mal aux coquillages ou aux fruits qu’elle avait mangés. Mais, quel ne fut pas son étonnement, lorsqu’elle découvrit qu’elle était enceinte ! Elle ne pouvait s’expliquer son état. Elle accoucha avec de grandes douleurs, et donna le jour… à un petit Chat noir. Elle n’osait d’abord en croire ses yeux ; cependant, lorsqu’il lui fut bien démontré que c’était bien un chat et non un enfant, elle dit avec résignation :
— C’est Dieu qui me l’a donné ; je dois donc le recevoir, sans me plaindre, comme venant de lui, et le traiter comme mon enfant, puisque c’est sa volonté.
Elle présenta le sein au petit Chat, et il téta, tout comme un enfant. Elle s’habitua promptement à le considérer comme son fils, et elle l’aima tout de même. Elle jouait et se promenait avec lui, dans son île, et c’était pour elle une distraction et une société, dans sa solitude. Le Chat grandissait vite et faisait preuve de beaucoup d’intelligence. Au bout de deux ou trois mois, c’était un magnifique Chat noir, comme il était rare d’en voir. Un jour, au grand étonnement de sa mère, il lui parla de la sorte, tout comme un homme :
— Je sais, ma pauvre mère, tout ce que vous avez souffert jusqu’aujourd’hui, pour moi, et la peine que vous éprouvez encore de me voir fait de cette façon ; mais, consolez-vous, car bien que votre fils soit un Chat noir, ou que du moins il en ait l’apparence, vous n’aurez pas toujours honte de moi, et, un jour, il saura reconnaître toutes vos bontés et votre amour, et il vous vengera de celles qui vous ont fait tant de mal et voulu en faire davantage encore. En attendant, ma mère, faites-moi un bissac, que je mettrai sur mes épaules, et j’irai quêter pour vous, à la ville la plus voisine, et je vous en rapporterai quelque chose de meilleur que les moules, les brinics (patèles), les palourdes et autres coquillages qui, depuis que vous êtes dans cette île, composent votre unique nourriture.
— Jésus ! mon pauvre enfant, s’écria Yvonne, de plus en plus étonnée, comment se fait-il que tu parles ainsi, tout comme un homme, bien qu’ayant toutes les apparences d’un Chat ?
— Je ne puis vous le dire, à présent, ma mère, mais, un jour, vous le saurez.
— Je sais, mon enfant, que Dieu fait tout ce qu’il veut, et que nous devons trouver bon ce qu’il fait. Mais, je crains de te laisser aller seul hors de notre île ; il pourrait t’arriver quelque malheur. Et puis, comment traverseras-tu la mer ?
— Ne craignez rien, ma mère, il ne m’arrivera pas de mal, parce que c’est par amour pour vous que je m’exposerai ; et quant à ce qui est de traverser la mer, cela ne me sera pas difficile, car je sais nager comme un poisson.
Yvonne se laissa convaincre par les instances du Chat, et elle lui confectionna un bissac, comme il le désirait. Le Chat le mit alors sur ses épaules, se jeta à la mer, et, comme il l’avait dit, il nageait comme un poisson, ce qui rassura sa mère, qui le suivait des yeux, du rivage.
Il prit terre, sans mal, et arriva à un port, situé sur la mer, comme qui dirait Lannion, ou Tréguier. Comme il se dirigeait vers l’intérieur de la ville, le long des quais, des écoliers l’aperçurent :
— Tiens ! tiens ! vois donc le drôle de Chat, qui porte un bissac sur ses épaules, comme un chercheur de pain (un mendiant) ! se dirent-ils les uns aux autres, en se le montrant du doigt.
Et les voilà de courir après le Chat, et de lui lancer des pierres. L’animal entra dans la première porte qu’il trouva ouverte. C’était celle de la maison du seigneur Rio, un des plus riches habitants de la ville. Il s’arrêta au seuil de la porte de la cuisine, et se mit à crier : Miaou ! miaou ! La cuisinière, voyant ce gros Chat noir, qu’elle ne connaissait pour appartenir à aucun des voisins, prit son balai et se mit en devoir de le chasser ; mais, elle fut bien étonnée de l’entendre lui demander, sans s’émouvoir :
— Monseigneur Rio est-il à la maison ?
Elle laissa son balai tomber à terre, d’étonnement, puis, comme le Chat renouvelait sa demande, elle répondit :
— Non, il n’est pas à la maison, pour le moment, mais il rentrera bientôt, pour dîner.
— Je n’ai pas le temps d’attendre, reprit le chat, aussi, je vous prie de me mettre, vite, dans mon bissac, ce poulet que je vois à la broche, avec une bonne tranche de lard.
— Comment, comment, vous donner ce poulet, qui est le dîner de mon maître ? N’espérez pas cela, monsieur le chat.
— Il me le faut pourtant ; et de plus, je veux aussi du pain blanc et une bouteille de vin vieux, et vous voudrez bien me mettre tout cela dans mon bissac.
Comme la cuisinière hésitait, le Chat débrocha lui-même le poulet, puis il prit une bonne tranche de lard cuit, qui était dans un plat, sur la table de la cuisine, avec une bouteille de vin vieux, qui était à côté, mit le tout dans son bissac, le chargea sur ses épaules et partit, en disant au revoir à la fille, tout ébahie de ce qu’elle voyait et entendait, — car il comptait revenir. Il se glissa le long des murs des jardins et derrière les haies, arriva sans accident sur le rivage, se jeta à la mer, et ne tarda pas à se retrouver dans l’île, auprès de sa mère. Celle-ci l’attendait, sur le rivage, et n’était pas sans inquiétude. Aussi, quand elle l’aperçut, qui nageait vers elle, poussa-t-elle un cri de joie.
— Que je suis heureuse de te revoir, mon fils ! lui dit-elle, en l’embrassant tendrement, quand il prit terre.
— Voyez, mère, lui dit le Chat, en entr’ouvrant son bissac, je vous apporte des provisions, comme je vous l’avais promis, et ceci est un peu meilleur, je pense, que les brinic (patèles), les moules et autres coquillages qui, depuis trop longtemps, font notre unique nourriture ; régalons-nous donc, et, quand il n’y en aura plus, je sais où il y en a encore.
Et ils se régalèrent, en effet, pendant que durèrent les provisions.
Cependant, quand le seigneur Rio rentra chez soi, pour dîner, voyant qu’il n’y avait rien ni sur la table, ni au feu, il demanda avec humeur à sa cuisinière, qui n’était pas encore revenue de son ébahissement :
— Comment, le dîner n’est donc pas prêt ? Et moi qui craignais d’être en retard ! À quoi avez-vous donc passé votre temps ?
— Ah ! mon maître, répondit la pauvre fille, si vous saviez ce qui s’est passé ici ?
— Quoi donc ? qu’est-il arrive d’extraordinaire ?
— Il est venu ici un gros Chat noir, portant un bissac sur ses épaules, et il m’a dit (car c’est un sorcier ou un magicien, pour sûr) qu’il lui fallait le poulet qui était à la broche, pour votre dîner, avec une bonne tranche de lard, du pain blanc et une bouteille de vin vieux ; et, comme j’avais pris mon balai pour le chasser, il sauta sur le poulet, le débrocha lui-même, et le mit dans son bissac ; puis, il y mit encore une tranche de lard cuit, une bouteille de vin vieux, et partit ensuite, emportant le tout et en me promettant qu’il reviendrait, sans tarder.
— Comment, comment ? Quel conte me faites-vous là ? Vous me prenez donc pour un imbécile ?
Et voilà le seigneur Rio en colère. Mais, la cuisinière affirma avec tant d’assurance qu’elle ne disait rien qui ne fût rigoureusement vrai, et elle pleura tant, que son maître se calma, et, comme le Chat avait promis de revenir, sans tarder, il ne quitta plus la maison, afin de pouvoir s’assurer par lui-même de ce qu’il fallait croire d’une si singulière aventure.
Quand les provisions furent épuisées, dans l’île, ce qui ne tarda pas à arriver, le Chat remit son bissac sur ses épaules et se dirigea de nouveau vers la ville où demeurait le seigneur Rio. Sa mère le vit partir, cette fois, avec moins d’appréhension. Il arriva dans la ville, sans encombre, et alla tout droit à la maison du seigneur Rio. Il s’arrêta à la porte de la cuisine, comme la première fois, et se mit à faire Miaou ! miaou ! — Maître ! maître ! cria la cuisinière, qui le reconnut aussitôt, descendez vite, car voici le Chat noir qui est revenu !
Rio descendit de sa chambre, tenant à la main son fusil chargé. Le Chat ne s’effraya pas pour le voir, et il le regarda fixement, en continuant de crier : Miaou ! miaou !
— Ah ! c’est toi, vilain matou ! cria Rio, tu vas avoir affaire à moi, tout à l’heure !
— Je n’ai pas peur de vous, répondit le Chat, sans s’émouvoir ; mais, prenez garde à vous !
Et voilà Rio tout ébahi d’entendre un Chat lui parler comme un homme, et le menacer.
— Que veux-tu ? lui demanda-t-il alors, se calmant et radoucissant le ton.
— Je demande, comme la première fois, de la viande, du pain blanc et du vin, pour ma mère et pour moi.
— Ah ! il te faut de la viande, du pain blanc et du vin vieux, seigneur Chat, reprit Rio, honteux d’avoir peur d’un chat, puisqu’il avait un fusil chargé dans ses mains : Eh bien ! sois tranquille, au lieu de rôti, de pain blanc et de vin vieux, je vais te donner du plomb dans le corps, et nous verrons alors les grimaces que tu feras !
Et il le coucha en joue. Mais, le Chat lui sauta à la figure et lui enfonça ses griffes et ses dents dans les chairs.
— Grâce ! grâce ! lâche-moi, et je te donnerai tout ce que tu voudras ! criait Rio.
— Je le veux bien, dit le Chat, en sautant à terre, et pour vous prouver que je ne vous veux pas de mal, je vais même vous donner un conseil, qui vous sera utile. Je connais vos tours, seigneur Rio. Je sais que vous avez une maîtresse, que vous allez voir souvent, et dont vous vous croyez aimé, parce qu’elle vous le jure. Mais, cette femme ne vous aime pas, et elle médite même contre vous, en ce moment, une infâme trahison, avec l’aide d’un autre amant qu’elle aime plus que vous. Écoutez-moi bien, et si vous faites exactement ce que je vous dirai, vous pourrez échapper au piège qu’elle vous prépare. Un de ces jours, la dame que vous fréquentez donnera une partie de chasse, qui sera suivie d’un grand repas. Vous y serez invité, cela va sans dire ; mais, votre rival sera là aussi. Vous abattrez plus de gibier qu’aucun autre chasseur, et tout le monde vous en félicitera ; mais, la dame et son galant en crèveront de dépit et de jalousie. Comme il n’y aura pas un lit pour chacun des chasseurs, on les mettra à coucher deux à deux. Vous aurez pour compagnon de lit votre rival même. Prenez bien garde, je vous le répète, ou vous y laisserez votre vie, cette nuit-là. Après le repas, où tout le monde boira copieusement, quand l’heure d’aller se coucher sera venue, vous monterez à votre chambre, avec votre ennemi. Celui-ci, qui aura bu abondamment, sera pressé de se coucher ; il se mettra le premier au lit, prendra le côté du mur et s’endormira aussitôt. Vous vous coucherez vous-même, sans avoir l’air de vous défier de rien ; mais, gardez-vous bien de vous endormir. Lorsque votre compagnon de lit aura commencé à ronfler, vous changerez de place avec lui, en le poussant sur le devant, pour vous mettre du côté du mur, et alors vous éteindrez la lumière et ferez semblant de ronfler vous-même. Quand la dame du château vous croira profondément endormis tous les deux, elle entrera dans votre chambre, tout doucement, sur la pointe du pied, et, avec un grand coutelas, qu’elle aura bien affilé, dans la journée, elle coupera le cou au dormeur qui sera sur le devant du lit, persuadée que c’est vous. Puis, elle s’en ira, en donnant un coup de pied à la tête coupée, qui roulera sur le plancher. Vous avez bien entendu, n’est-ce pas ? Eh bien ! soyez sur vos gardes, à présent, et faites bien exactement ce que je viens de vous dire, autrement, malheur à vous !… Il vous arrivera encore autre chose, après ; mais, ayez confiance en moi, et je vous viendrai en aide, en temps utile.
Rio fut bien étonné et bien effrayé aussi de ce qu’il entendait. Il n’en remercia pas moins le Chat, et remplit son bissac de ce qu’il put trouver de meilleur, et lui dit de revenir, quand ses provisions seraient épuisées. Le Chat retourna alors dans son île, auprès de sa mère.
Quant à Rio, il réfléchit beaucoup à ce qu’il avait entendu, et il songea même à refuser l’invitation à la partie de chasse, au château de sa maîtresse. Il y alla pourtant, se disant qu’il serait bien sot de se rendre aux menaces d’un Chat, et que, sans doute, il était halluciné et avait rêvé tout cela, tant il lui paraissait étrange et surnaturel qu’un Chat pût parler et raisonner ainsi.
Tous les honneurs de la journée furent pour lui, et il abattit une quantité prodigieuse de gibier de toute sorte. Le repas fut magnifique, le soir, et la châtelaine ne tarit pas de compliments et de gracieusetés de toute sorte à son adresse. On lui porta aussi force santés, de sorte que, lorsque l’heure fut venue d’aller se coucher, les têtes étaient un peu échauffées, et l’on parlait beaucoup et fort. Rio monta à sa chambre, avec le compagnon de lit que la châtelaine elle-même lui désigna, et qui n’était pas de ceux qui avaient bu le moins. Aussi, se mit-il promptement au lit, et, quelques minutes après, il ronflait comme un tuyau d’orgue. Rio se coucha aussi, sur le devant du lit, et faillit s’endormir aussitôt. Heureusement qu’il se rappela à temps les recommandations du chat. Il changea de place avec son compagnon de lit, sans l’éveiller (il dormait comme un rocher), le tira sur le devant, prit sa place du côté du mur, puis il souffla la lumière, et feignit de dormir et de ronfler aussi.
Tôt après, il entendit ouvrir la porte de la chambre, avec précaution, et il vit la châtelaine, sa maîtresse, entrer et s’avancer vers le lit, sur la pointe du pied, tenant d’une main un chandelier, et de l’autre un grand coutelas de chasse. Quand elle fut contre le lit, sans hésiter un seul instant, elle trancha la tête au dormeur qui était sur le devant, pensant que c’était Rio, la laissa rouler sur le plancher et la poussa du pied, en s’en allant, et ferma la porte, à double tour.
Voilà Rio fort embarrassé, comme bien vous pensez. Il songea à s’enfuir, par une fenêtre, par la porte, ou par telle autre issue qu’il trouverait.
Mais, les fenêtres étaient garnies de grosses barres de fer, entre lesquelles il lui était impossible de passer, et la porte était fermée à clef. Il lui fallut donc passer la nuit avec un cadavre décapité et baigné dans son sang. Grande était son inquiétude, au sujet de ce qui se passerait le lendemain, et il se disait en lui-même :
— Si le Chat noir ne vient pas encore à mon secours, je suis perdu, et il ne me servira de rien d’avoir sauvé ma tête, cette nuit, car sûrement cette diablesse de femme ne manquera pas de m’accuser d’avoir assassiné cet homme !
Le lendemain matin, le soleil était levé depuis longtemps et tout le monde était sur pied, dans le château, et Rio et son compagnon de lit ne descendaient pas. Au moment de se mettre à table, pour déjeûner, la châtelaine, feignant d’en ignorer la cause, demanda de leurs nouvelles, et on lui répondit que personne ne les avait vus, depuis la veille.
— Les paresseux ! dit-elle. Allons les chercher, dans leur chambre, et nous informer auprès d’eux de la manière dont ils ont passé la nuit ; ils sont peut-être indisposés ?
Et elle monta à leur chambre, suivie d’une demi-douzaine de chasseurs. Quand elle ouvrit la porte et qu’elle reconnut son erreur, en voyant Rio debout, attendant qu’on vînt lui ouvrir, et la tête de l’autre noyée dans son sang, et son corps étendu à côté, elle poussa un cri sauvage et faillit s’évanouir. Mais, maîtrisant sa douleur et ne perdant pas de vue sa vengeance :
— Ah ! le misérable ! s’écria-t-elle ; il a assassiné, en traître, son compagnon de lit ? Qu’on le garrotte, qu’on le jette en prison, et, demain matin, il périra sur l’échafaud !
Des domestiques furent appelés, et le pauvre Rio fut garrotté, maltraité et jeté au fond d’une basse-fosse, pour de là être conduit à la mort, le lendemain matin.
Un échafaud fut dressé, au milieu de la cour du château, et le lendemain matin, à dix heures, on tira Rio de sa prison et on l’y fit monter. La châtelaine était à son balcon, entourée de ses convives de la veille, et toutes les fenêtres étaient garnies de spectateurs. En promenant ses yeux de tous côtés, d’un air désespéré, Rio aperçut le Chat noir sur un toit, et aussitôt une lueur d’espoir éclaira son visage, et, se tournant vers l’animal, il dit :
— Puisque je n’ai plus rien à espérer des hommes, si du moins ce Chat noir, que je vois là-haut, voulait bien me venir en aide et faire connaître la vérité, je ne mourrais pas encore aujourd’hui !
Aussitôt tous les regards se tournèrent vers le Chat. Celui-ci sauta alors sur l’échafaud, auprès de Rio, et parla ainsi au bourreau, qui, sa hache sur l’épaule, n’attendait que le signal pour frapper :
— Holà ! mon ami, arrête ! Ce n’est pas cet homme, qui est innocent, qu’il faut frapper, mais, bien la vraie coupable, celle qui a commis le crime, et la voilà !…
Et il désigna la châtelaine, qui était à son balcon, parée comme pour une fête et entourée de ses galants. Elle pâlit, poussa un cri et s’évanouit. Jugez de l’étonnement de tous les assistants !
Rio descendit alors de l’échafaud, et on y fit monter la châtelaine, qui fut décapitée à sa place, malgré ses cris et ses prières, car personne n’osa la défendre ni parler en sa faveur, tant on avait peur du Chat noir ! Quand tout fut terminé, Rio s’en retourna chez lui, heureux de pouvoir s’en tirer ainsi, et le Chat noir rentra aussi dans son île.
Quelques jours après, le Chat dit à sa mère :
— Il faut vous marier, ma mère.
— Comment, me marier ? Qui voudrait de moi, mon fils ?
— Je vous trouverai un mari, ma mère ; vous épouserez le seigneur Rio, à qui j’ai sauvé la vie. Laissez-moi faire, et ayez confiance en moi.
Le lendemain, le Chat se rendit chez le seigneur Rio, et lui dit, sans autres compliments :
— Bonjour, seigneur Rio ; il vous faut épouser ma mère.
— Epouser votre mère, mon ami, une Chatte !…
— Oui, il vous faut l’épouser.
— Je reconnais que je vous dois la vie ; pourtant, quelque obligation que je vous en aie, si, pour prix de ce service, il me faut prendre pour femme une chatte…
— Croyez-moi, seigneur Rio, ma mère vous vaut tous les jours ; épousez-la, et vous ne le regretterez pas, je vous l’assure.
— Quand je l’aurai vue, peut-être… Enfin, nous verrons…
— Je vous l’amènerai, demain.
Et le Chat partit, là-dessus, laissant Rio dans un grand embarras. Il craignait de lui déplaire et de se montrer ingrat, et, d’un autre côté, il ne pouvait se faire à l’idée de prendre pour femme une chatte.
Le Chat, avant de quitter la ville, se glissa de la gouttière dans la chambre d’une riche marquise, et y déroba des robes de soie et de velours, avec des parures de toute sorte et des diamants, et, mettant le tout dans son bissac, il retourna dans son île. Cette fois, il s’y fit conduire par un batelier, afin de ramener sa mère, le lendemain.
Yvonne, malgré ses infortunes, n’avait rien perdu de sa beauté. Elle revêtit les belles robes et les riches parures que le Chat lui avait apportées, et jamais œil humain n’avait vu une princesse plus belle, plus gracieuse et plus distinguée. Le Chat la conduisit alors chez le seigneur Rio, comme il l’avait promis, et il la lui présenta, en disant :
— Seigneur Rio, voici ma mère, que je vous présente : Consentez-vous à la prendre pour épouse ?
Le seigneur Rio fut tellement ébloui par la beauté, les grâces et aussi la toilette d’Yvonne, qu’il ne put d’abord répondre, la voix lui manquant. Mais, il se remit bientôt, et dit :
— Oui, de très bon cœur, je consens à prendre votre mère pour mon épouse, et je m’en trouverai le plus heureux des hommes.
Les fiançailles eurent lieu, le jour même, et l’on fixa les noces à huit jours de là, afin d’avoir le temps nécessaire pour faire les préparatifs et les invitations. Il y eut, à cette occasion, des jeux et des festins magnifiques, et tous les habitants de la ville et des environs y prirent part, les pauvres comme les riches ! Le Chat noir suivait partout la nouvelle mariée, et, comme personne n’était dans le secret, à l’exception de Rio et d’Yvonne, cela paraissait assez singulier à tout le monde.
Quand les solennités, les jeux et les festins furent terminés, le Chat dit à sa mère :
— Je ne connais encore ni mon grand-père, ni ma grand’mère, ni ma sœur Louise, et j’ai hâte de les voir ; il faudra aller, tous les trois, leur faire notre visite de noces.
Le lendemain matin donc ils montèrent tous es trois dans un beau carrosse, et ils partirent.
Le père d’Yvonne, sa marâtre et sa fille Louise vivaient encore et habitaient ensemble. Son père es reçut avec une joie et un bonheur bien sincères ; sa marâtre et sa fille, qui était toujours à marier, feignaient aussi d’être enchantées de les revoir ; mais, en réalité, elles en crevaient de dépit et de jalousie. Quoi qu’il en soit, on prépara un grand festin, en signe de réjouissance, et l’on invita beaucoup de monde. La vieille sorcière du bois ne fut pas oubliée. Mais, pendant le repas, ayant reconnu le Chat noir, qui rôdait autour de a table, elle pâlit tout à coup, prétexta une indisposition et sortit de la salle du banquet. Le Chat noir sauta alors sur la table, la queue roide et les yeux flamboyants.
— Dehors, vilaine bête ! lui cria la marâtre.
— Holà ! répondit le Chat ; que celle qui parle ainsi vienne donc me faire sortir, pour voir !
La vieille se tint coi. Tous les convives étaient étonnés et effrayés, excepté le seigneur Rio et sa femme.
— Il manque une personne ici> reprit alors le chat.
— Qui donc ? demanda la marâtre.
— Votre amie la sorcière, qui a simulé une indisposition et qui est sortie. Qu’on coure après elle et qu’on la ramène, sur-le-champ.
Les valets coururent après la vieille, et ils l’eurent bientôt atteinte et ramenée dans la salle du banquet, malgré sa résistance, ses supplications et ses menaces.
— Silence, vieille couleuvre, tison d’enfer ! lui cria le Chat ; et elle trembla de tous ses membres.
Le Chat reprit :
— Le jour de la justice est venu pour vous : à présent, il vous faudra lutter contre moi, et vous savez ce qui vous attend, si vous perdez.
— Je lutterai, quand vous voudrez, répondit la sorcière, en feignant quelque assurance, et je ne vous crains ni par eau, ni par vent, ni par feu !
— C’est ce que nous verrons bien.
— Quand vous voudrez.
— Eh bien ! descendons dans la cour ; tous ceux qui sont ici présents assisteront à la lutte, du haut des balcons et des fenêtres du château, et jugeront de quel côté sera la victoire.
Et le Chat noir et la vieille sorcière descendirent dans la cour, et tout le monde se mit aux fenêtres.
— Par où commencerons-nous ? demanda la sorcière, quand ils furent dans la cour, en présence l’un de l’autre.
— Par où vous voudrez, répondit le Chat.
— Eh bien ! commençons par l’eau.
Et les voilà de vomir de l’eau l’un contre l’autre, à qui mieux mieux. Mais, pour une barrique d’eau que vomissait la sorcière, le Chat en vomissait trois. Si bien qu’elle fut bientôt réduite à demander grâce et à s’avouer vaincue, à ce jeu.
— Allons par vent, à présent, dit-elle.
— Et les voilà de souffler l’un sur l’autre, avec furie. Mais, le vent que produisait la sorcière était peu de chose auprès de celui du Chat, qui lançait la vieille comme une paille, à droite, à gauche, contre les murailles, si bien qu’elle cria encore, sans tarder :
— Grâce ! grâce !
La voilà donc vaincue, deux fois.
— Au tour du feu, à présent ! dit le Chat noir. Et ils se mirent alors à vomir du feu l’un contre l’autre, comme deux dragons furieux, ou deux diables de l’enfer. Mais, pour une barrique de feu que vomissait la sorcière, le Chat noir en vomissait trois, si bien qu’elle fut complètement réduite en cendres[11].
— C’est bien ! dit alors le Chat, tu n’as que ce que tu as mérité !
Et il se rendit dans la salle du banquet. Les spectateurs quittèrent les balcons et les fenêtres, et l’y suivirent.
— En voilà une de payée, dit-il ; mais, il en reste une autre, et je ne veux pas l’oublier.
Et s’adressant à la marâtre, qui pâlissait et tremblait de tous ses membres, car elle sentait que son heure était aussi venue :
— Il faut que je vous récompense aussi, à votre tour. Madame.
— De quoi, s’il vous plaît, seigneur Chat ?
— De tout le bien que vous avez fait à ma mère.
— À votre mère ?
— Oui, à ma mère, ici présente (et il lui désigna Yvonne). Ne vous souvenez-vous donc plus de votre ragoût de lièvre ?
La méchante aurait voulu être, en ce moment, à cent pieds sous terre. Le Chat la couvrit alors de feu, qu’il vomit contre elle, comme dans son combat contre la sorcière, et la réduisit aussi en cendres, en un instant.
Puis, s’avançant vers Louise, qui, croyant son heure venue, était aussi dans des transes mortelles :
— Quant à vous, ma fille, lui dit-il, je ne vous ferai pas de mal ; vous étiez trop jeune pour comprendre ce qu’on vous faisait faire, et c’est votre mère, seule, qui était la coupable.
Enfin, il dit au seigneur Rio :
— À présent, seigneur Rio, mettez-moi sur le dos, sur la table, et, avec votre épée, ouvrez-moi le ventre.
— Je ne ferai pas cela, répondit le seigneur Rio.
— Faites-le, puisque je vous le dis, et ne craignez rien.
Et le seigneur Rio prit le Chat noir, l’étendit sur le dos sur la table, et, avec son épée, il lui ouvrit le ventre.
Il en sortit aussitôt un beau prince, qui parla de la sorte :
— Je suis le plus grand magicien qui ait jamais existé sur la terre !
On se remit alors à boire, à chanter et à danser, et les festins, les jeux et les réjouissances durèrent pendant huit jours entiers.
de Plouaret. — Décembre 1869.
IL y avait une fois neuf frères et leur sœur, restés orphelins. Ils étaient riches, du reste, et habitaient un vieux château, au milieu d’un bois. La sœur, nommée Lévénès, qui était l’aînée des dix enfants, prit la direction de la maison, quand le vieux seigneur mourut, et ses frères la consultaient et lui obéissaient en tout, comme à leur mère. Ils allaient souvent chasser, dans un bois qui abondait en gibier de toute sorte.
Un jour, en poursuivant une biche, ils se trouvèrent près d’une hutte construite avec des branchages entremêlés de mottes de terre. C’était la première fois qu’ils la voyaient. Curieux de savoir qui pouvait habiter là-dedans, ils y entrèrent. sous prétexte de demander de l’eau, pour se désaltérer. Ils ne virent qu’une vieille femme, aux dents longues comme le bras, et dont la langue faisait neuf fois le tour de son corps. Effrayés à cet aspect, ils voulurent s’enfuir, quand la vieille leur dit :
— Que désirez-vous, mes enfants ?… Avancez, et n’ayez pas peur, comme cela ; j’aime beaucoup les enfants, surtout quand ils sont gentils et sages, comme vous.
— Nous voudrions un peu d’eau, s’il vous plaît, grand’mère, répondit l’aîné, qui se nommait Goulven.
— Certainement, mes enfants, je vais vous donner de l’eau toute fraîche et claire, que j’ai été puiser, ce matin, à ma fontaine. Mais, avancez donc, et ne craignez rien, mes pauvres chéris.
Et la vieille leur donna de l’eau, dans une écuelle de bois, et, pendant qu’ils buvaient, elle les caressait, et prenait dans ses mains les boucles de leurs cheveux blonds et frisés, et, quand ils voulurent partir, elle leur dit :
— À présent, mes enfants, il faudra aussi me payer le petit service que je vous ai rendu.
— Nous n’avons pas d’argent sur nous, grand’mère, répondirent les enfants, mais, nous en demanderons à notre sœur, et vous l’apporterons demain.
— Oh ! ce n’est pas de l’argent que je veux, mes amis ; mais, il faut qu’un de vous, l’aîné, par exemple, car les autres sont encore bien jeunes, me prenne pour femme. Et, s’adressant à Goulven :
— Veux-tu, Goulven, me prendre pour femme ?
Le pauvre garçon ne sut que répondre, d’abord, tant cette demande lui parut étrange.
— Réponds donc, veux-tu que je sois ta petite femme ? lui demanda encore l’horrible vieille, en l’embrassant.
— Je ne sais pas… dit Goulven, interdit… Je demanderai à ma sœur…
— Eh bien ! demain matin, j’irai moi-même au château, pour avoir la réponse.
Les pauvres enfants s’en retournèrent à la maison, tout tristes et tout tremblants, et se hâtèrent de raconter à leur sœur ce qui leur était arrive.
— Serai-je donc obligé d’épouser cette horrible vieille, ma sœur ? demanda Goulven, en pleurant.
— Non, mon frère, tu ne l’épouseras pas, lui répondit Lévénès ; je sais que nous aurons à en souffrir tous ; mais, nous souffrirons ce qu’il faudra, et ne t’abandonnerons pas.
La sorcière vint au château, le lendemain. comme elle l’avait promis. Elle trouva Lévénès et ses frères dans le jardin.
— Vous savez, sans doute, pourquoi je viens } dit-elle à Lévénès.
— Oui, mon frère m’a tout raconte, répondit la jeune fille.
— Et vous voulez bien que je devienne votre belle-sœur ?
— Non, cela ne peut pas être.
— Comment, non ? Mais vous ne savez donc pas qui je suis, et ce dont je suis capable ?
— Je sais que vous pouvez nous faire beaucoup de mal, à mes frères et à moi ; mais, vous ne pouvez pas me faire consentir à ce que vous me demandez.
— Songez-y bien, et revenez vite sur cette sotte résolution, pendant qu’il en est temps encore, ou malheur à vous ! cria la sorcière, furieuse, et les yeux brillants comme deux charbons ardents.
Les neuf frères de Lévénès tremblaient de tous leurs membres ; mais, elle, calme et résolue, répondit à ces menaces :
— C’est tout songé, et je n’ai rien à changer à ce que j’ai dit.
Alors, l’horrible vieille tendit vers le château une baguette qu’elle tenait à la main, prononça une formule magique, et aussitôt le château s’écroula, avec un grand bruit. Il n’en resta pas pierre sur pierre. Puis, retournant la baguette vers les neuf frères, qui se cachaient derrière leur sœur, saisis d’épouvante, elle prononça une autre formule magique, et les neuf frères furent aussitôt métamorphosés en neuf moutons blancs. Elle dit ensuite à Lévénès, qui avait conserve sa forme naturelle :
— Tu peux, à présent, aller garder tes moutons, sur cette lande. Et encore ne dis jamais à personne que ces moutons sont tes frères, ou il t’arrivera comme à eux. Puis elle partit, en ricanant.
Les beaux jardins du château et le grand bois qui l’entourait avaient été changés aussi, instantanément, en une grande lande, aride et désolée.
La pauvre Lévénès, restée seule avec ses neuf moutons blancs, les faisait paître sur la grande lande, et ne les perdait pas de vue, un seul instant. Elle leur cherchait des touffes d’herbe fraîche, qu’ils mangeaient dans sa main, et jouait avec eux, et les caressait, les peignait, et leur parlait, comme s’ils la comprenaient. Et ils paraissaient la comprendre, en effet. Un d’eux était plus grand que les autres ; c’était Goulven, l’aîné de ses frères. Lévénès avait construit, avec des pierres, des mottes de terre, de la mousse et des herbes sèches, un abri, une sorte de hutte, et, la nuit, ou quand il pleuvait, elle s’y retirait avec ses moutons. Mais, quand le temps était beau, elle courait et bondissait au soleil avec eux, ou chantait des chansons et récitait ses prières, qu’ils écoutaient attentivement, rangés en cercle autour d’elle. Elle avait une fort belle voix, claire et juste.
Un jour, un jeune seigneur, qui chassait dans ces parages, fut étonné d’entendre une si belle voix, dans un pays si désert. Il s’arrêta, pour l’écouter ; puis, se dirigeant vers elle, il se trouva bientôt devant une belle jeune fille, entourée de neuf moutons blancs, qui paraissaient l’aimer beaucoup. Il l’interrogea, et fut si frappé de sa douceur, de son esprit et de sa beauté, qu’il voulut l’emmener avec lui, à son château, elle et ses moutons. Elle refusa. Mais, le jeune seigneur ne rêvait plus que de la jolie bergère, et, tous les jours, sous prétexte de chasser, il allait la voir et causer avec elle, sur la grande lande. Enfin, il l’emmena avec lui à son château, et ils se marièrent, et il y eut de grands festins et de belles fêtes.
Les neuf moutons avaient été introduits dans le jardin du château, et Lévénès y passait presque toutes ses journées, à jouer avec eux, à les caresser, à les couronner de fleurs ; et ils semblaient être sensibles à toutes ces attentions. Son mari était étonné de les voir si intelligents, et il se demandait si c’étaient bien là des moutons véritables.
Lévénès devint enceinte. Elle avait une suivante, dont le jardinier du château était l’amant, et qui se trouvait aussi enceinte, sans que sa maîtresse en sût rien. C’était la fille de la vieille qui avait changé ses frères en moutons, et elle l’ignorait également. Un jour, que Lévénès se penchait sur le rebord d’un puits, qui était dans le jardin, pour en voir la profondeur, sa suivante la prit par les pieds et la précipita dans le puits. Après quoi, elle courut à la chambre de sa maîtresse, se coucha dans son lit, ferma les rideaux des fenêtres et ceux du lit, et feignit d’être malade, en peine d’enfant. Le seigneur était absent, pour le moment. Mais, à son retour, ne trouvant pas sa femme dans le jardin, au milieu de ses moutons, comme d’habitude, il se rendit à sa chambre.
— Qu’avez-vous, mon petit cœur ? lui de-manda-t-il, croyant la trouver couchée,
— Je suis bien malade, répondit la traîtresse. Et, comme il voulait entr’ouvrir les rideaux :
— Je vous en prie, n’ouvrez pas les rideaux, je ne puis supporter la lumière.
— Pourquoi restez-vous seule ainsi ? Où est votre suivante ?
— Je ne sais ; je ne l’ai pas vue, de toute la journée.
Le seigneur la chercha partout, dans le château, puis dans le jardin, et, ne la trouvant pas, il revint auprès de sa femme, et lui dit :
— Je ne sais ce qu’est devenue votre suivante, je ne la trouve nulle part. Avez-vous besoin de quelque chose ? Vous avez peut-être faim ?
— Oh ! oui, j’ai grand’faim ?
— Que désirez-vous manger ?
— Il me faut un morceau du grand mouton blanc qui est dans le jardin.
— Quel caprice ! vous qui aimiez tant vos moutons, et celui-là par-dessus les autres !
— Il n’y a que cela qui puisse apporter quelque soulagement au mal affreux dont je souffre. Mais, ne vous trompez pas, c’est du grand mouton blanc que je veux manger, et non d’aucun autre.
Le mari descendit au jardin, et donna l’ordre au jardinier de prendre le grand mouton blanc, pour être aussitôt tué et mis à la broche.
Et voilà le jardinier, qui était de connivence avec la suivante, de courir après le mouton blanc. Mais, celui-ci courait si rapidement, autour du puits, en bêlant tristement, qu’il ne pouvait l’attraper. Le seigneur, voyant cela, veut lui venir en aide et s’approche du puits. Il est étonné d’entendre des plaintes et des gémissements, qui semblent en sortir. Il se penche sur l’ouverture, et demande :
— Qui est-là ? Y a-t-il quelqu’un dans le puits ?
Et une voix plaintive, et qu’il connaissait bien, lui répondit :
— Oui, c’est moi, votre femme Lévénès.
Le seigneur, sans attendre d’autre explication, descendit, vite, le seau dans le puits, et en retira sa femme. La frayeur de la pauvre Lévénès avait été telle, qu’elle en accoucha aussitôt d’un fils beau comme le jour.
— Il faut faire baptiser l’enfant, sur-le-champ, dit-elle ; vous lui donnerez la marraine que vous voudrez, mais, je veux que le parrain soit mon grand mouton blanc.
— Quoi ! donner un mouton pour parrain à votre fils !…
— Je le veux ainsi, je vous le répète ; obéissez-moi, et ne vous inquiétez de rien.
Pour ne pas contrarier la jeune mère, et de crainte d’aggraver son mal, le père consentit, quoique à contre-cœur, à ce que le grand mouton blanc fût le parrain de son enfant.
On se rendit à l’église. Le grand mouton blanc, tout joyeux, marchait de front avec le père et la marraine, une jeune et belle princesse. Les huit autres moutons, ses frères, les suivaient. Tout ce cortège entra dans l’église, au grand étonnement des habitants du village. Le père présenta l’enfant au prêtre. Celui-ci regarda la marraine, mais, ne voyant pas de parrain, il demanda :
— Où est donc le parrain ?
— Le voici, répondit le père, en lui montrant le grand mouton blanc.
— Comment, un mouton !…
— Oui, selon l’apparence ; mais, ne vous arrêtez pas à la forme, et procédez sans crainte à la cérémonie. Le prêtre ne fit pas d’objections, les métamorphoses de ce genre étant, sans doute, communes, de son temps, et il se mit en devoir de baptiser l’enfant.
Le mouton se leva alors sur ses deux pieds de derrière, prit son filleul avec ses deux pieds de devant, aidé par la marraine, et tout se passa pour le mieux.
Mais, aussitôt la cérémonie terminée, le mouton parrain devint un beau jeune homme. C’était Goulven, le frère aîné de Lévénès. Il raconta comment ses frères et lui avaient été changés en moutons, par une vieille sorcière, parce qu’il avait refusé de l’épouser. Sa sœur, la mère de l’enfant, qui avait été témoin de la métamorphose, ne pouvait en rien dire, sous peine d’éprouver le même sort ; mais, à présent, le charme était rompu, et la sorcière n’avait plus aucun pouvoir sur eux,
— Ces moutons sont donc vos frères ? demanda alors le prêtre.
— Oui, ce sont mes frères ; et le moment est venu, pour eux aussi, d’échapper au pouvoir de la sorcière et de recouvrer leur forme humaine. Posez sur eux votre étole, récitez une oraison, et vous les verrez redevenir hommes, comme moi.
Le prêtre suivit ce conseil : il posa son étole sur les moutons, successivement, récita une oraison, à chaque fois, et aussitôt ils revinrent à leur forme première.
Goulven raconta alors la trahison dont sa sœur avait été victime, de la part de sa suivante, la fille de la sorcière.
On retourna au château, et l’on songea à récompenser chacun selon qu’il l’avait mérité.
On envoya chercher la vieille sorcière, dans le bois qu’elle habitait, et quand elle fut arrivée, sa fille et elle et le jardinier furent écartelés, chacun entre quatre chevaux, puis ils furent jetés dans un grand bûcher et réduits en cendres.
Goulven et Lévénès vécurent alors heureux et tranquilles, et eurent, dit-on, beaucoup d’enfants.
près Lorient, le 10 mars 1874.
Kement-man hol oa d’an-amzer,
Ma ho defoa dennt ar ier.
Tout ceci se passait du temps,
Où les poules avaient des dents.
ON dit qu’autrefois, dans les temps anciens, il y avait un beau château, là où se voit à présent la ferme de Kerodern, dans la commune de Louargat, près de la montagne de Bré, et que ce château appartenait à un riche et puissant seigneur, qui avait un fils et trois filles, d’une beauté remarquable.
Mais, des géants, laids et méchants, habitaient un autre château, situé à quelque distance de là, au milieu d’une forêt, et ils enlevaient les bœufs, les vaches, les moutons et les chevaux du vieux seigneur, qui avait grand’peur que, quelque jour, ils ne lui enlevassent aussi ses filles. Aussi, les surveillait-il et ne les laissait sortir que rarement du jardin du château, qui était entouré de hautes murailles.
Son fils, qui se nommait Malo, allait chasser, tous les jours, dans la forêt.
Un jour, en rentrant de la chasse, il trouva toute la maison dans la désolation. Sa sœur aînée avait été enlevée par les géants.
Cela ne l’empêcha pourtant pas de retourner le lendemain à la forêt, après avoir recommandé à son père de bien veiller sur ses deux sœurs cadettes.
Quand il rentra, le soir, la seconde de ses sœurs avait aussi disparu.
Cependant, il retourna encore, le lendemain, à la forêt, après avoir recommandé à son père de redoubler de surveillance, attendu qu’il ne lui restait plus que sa fille cadette.
— Oh ! celle-là, dit le vieillard, ne me sera pas enlevée, dussé-je y perdre la vie.
Hélas ! quand Malo rentra, sa troisième sœur avait aussi disparu, et son père était mort. Sa douleur fut grande. Il resta plusieurs jours sans sortir et s’enferma pour pleurer.
Cependant, au bout de quelque temps, il reprit son fusil et retourna à la forêt. Il y rencontra un beau Lièvre au poil argenté, qui, assis sur son derrière, le regardait et ne paraissait pas le craindre. Il voulut essayer de le prendre, sans le tuer. Mais, au moment où il croyait mettre la main dessus, le Lièvre s’enfuit un peu plus loin et s’arrêta encore à le regarder. Il le poursuivit et le manqua encore. Ce manège dura longtemps, l’animal paraissant assez disposé à se laisser prendre, et s’échappant toujours, au moment où le chasseur croyait être sûr de lui. Si bien que le soir survint, et que Malo, dépité et ne voulant pourtant pas tuer un si beau Lièvre, s’en retourna à la maison, d’assez mauvaise humeur.
Le lendemain, il retourna à la forêt et retrouva le Lièvre argenté, au même endroit que la veille.
— Pour le coup, dit-il, si tu ne veux pas te laisser prendre, je te tuerai, comme un Lièvre ordinaire.
Et il recommença sa poursuite, mais, sans plus de succès. Enfin, impatienté, il se dit :
— Ah ! bast, je suis bien bon de me donner tant de mal pour un lièvre !
Et il coucha l’animal en joue et fit feu. Le Lièvre ne bougea pas.
— Je l’ai manqué, pensa-t-il.
Et il fit feu une seconde fois. Le Lièvre ne bougea toujours pas.
— Il faut que je l’aie tué raide, du premier coup, se dit-il alors, car je ne suis pas si maladroit que cela.
Et il s’avança pour le prendre. Mais, au moment où il allait mettre la main dessus, le Lièvre s’enfuit encore, et s’arrêta à une cinquantaine de pas plus loin. Malo, honteux de sa maladresse, fit alors pleuvoir sur lui une véritable grêle de plomb. Le Lièvre ne bougeait pas et le regardait tranquillement. Malo finit par s’apercevoir que le plomb s’aplatissait sur lui, sans lui faire du mal.
— C’est un Lièvre enchanté ! se dit-il alors, et je perds mon temps et ma peine à essayer de le prendre ! Il ne me reste qu’à m’en retourner à la maison ; mais, j’en suis loin, ici, et la nuit vient ; je crains fort qu’il ne me faille coucher sous les linceuls de l’alouette !
— Non, si vous voulez, lui dit le Lièvre, dans le langage des hommes.
— Comment cela, s’il vous plaît ? demanda Malo, étonné.
— Descendez tout du long cette avenue de vieux chênes que voilà, et vous trouverez, à l’extrémité, un château où vous pourrez passer la nuit et voir votre sœur aînée.
— Je serais heureux de revoir ma sœur, pensa-t-il, et de la ramener à la maison, si je le puis, car je la soupçonne de n’être pas bien, là où elle est.
Et il suivit le conseil du Lièvre, descendit l’avenue de vieux chênes et se trouva devant un vieux château, ceint de hautes murailles. Il frappa à la porte avec la crosse de son fusil et une voix, qu’il reconnut facilement pour être celle de sa sœur aînée, demanda de l’intérieur :
— Qui est là ?
— C’est moi qui viens te voir, sœur chérie ; ouvre-moi, vite.
— Comment ! c’est toi, frère chéri ? Que je suis donc heureuse de te revoir !
Et elle ouvrit la porte, et ils s’embrassèrent tendrement.
Malo entra dans le château, conduit par sa sœur, qui lui fit servir à manger. Puis, elle lui dit :
— J’aurais été bien heureuse, frère chéri, de te voir passer quelque temps ici, avec moi, mais, hélas ! cela ne se peut pas, sans grand danger pour ta vie. Le géant, mon mari, est parti depuis ce matin, comme tous les jours, pour la chasse aux hommes[12], car c’est là à peu près sa seule nourriture, et quand il rentrera, ce soir, je crains fort qu’il ne veuille te manger, aussi surtout si sa chasse n’a pas été bonne.
— Ah ! ton mari mange les hommes ! Il n’importe, je voudrais bien le voir. Cache-moi quelque part d’où je puisse le voir, sans être vu de lui ; derrière ces tonneaux que voilà, par exemple.
Malo se cacha derrière les tonneaux, au bas de la salle, et le géant arriva aussitôt. Il jeta quatre ou cinq hommes morts sur la table, en disant :
— Voilà pour mon souper !
Puis, ôtant de dessus ses épaules son manteau, qui pesait cinq cents livres, il le jeta sur les tonneaux, en disant :
— Je suis bien fatigué !
— Pourquoi aussi vous donner tant de mal, tous les jours ? lui dit sa femme.
— Il le faut bien, répondit-il : donnez-moi à boire, j’ai soif.
Et la sœur de Malo prit une grande pinte, tira du vin d’un tonneau et le posa sur la table, devant le géant. Celui-ci saisit aussitôt la pinte, et il s’apprêtait à la vider, lorsqu’il s’écria en reniflant :
— Que signifie ceci ? Ce vin sent le chrétien ! Il y a un chrétien ici ! Où est-il ? Je veux le voir, à l’instant !…
— C’est mon frère, qui est venu me voir ; ne lui faites pas de mal, je vous prie.
— Si c’est votre frère, je ne lui ferai pas de mal, dit le géant, en se calmant ; nous avons bien de quoi manger, d’ailleurs ; mais, où est-il ? Présentez-le-moi, pour que nous fassions connaissance.
Et la jeune femme le fit sortir de sa cachette, derrière les tonneaux, le prit par la main et le présenta au géant.
— Il est fort gentil, votre frère, dit celui-ci, et je ne lui ferai certainement pas de mal. Assieds-toi, beau-frère, à côté de moi, bois un coup de vin et causons ensemble, pendant que ta sœur nous préparera à manger. Comme tu t’es donné de la peine, depuis quelques jours, à courir après le Lièvre au poil d’argent, de la forêt !
— C’est vrai, répondit Malo ; j’aurais bien voulu le prendre !
— Ah ! mon pauvre ami, toi prendre le Lièvre argenté ! Songe donc que voici cinq cents ans que je cours inutilement après lui, et que je ne suis pas encore parvenu à savoir où il se retire, quand je perds sa trace.
— N’importe, dit Malo, je veux le poursuivre encore, pour voir.
— Crois-moi, tu ferais mieux de rester ici tranquille avec ta sœur, et de ne plus songer au Lièvre argenté.
— Non, je veux encore essayer de le prendre.
— Eh bien ! pour te venir en aide, autant que je le puis, prends ce cor d’ivoire, et quand tu auras besoin de secours, souffle dedans, et tu seras secouru de ma part.
Malo prit le cor d’ivoire, puis, ils soupèrent et allèrent ensuite se coucher.
Le lendemain, ils partirent tous les deux, de bon matin : le géant, pour la chasse aux hommes, selon son habitude, et Malo, pour poursuivre le Lièvre argenté.
Il le rencontra encore, dans la forêt, à la place accoutumée, et le poursuivit jusqu’au soir, croyant le prendre, à chaque moment, et le voyant s’échapper toujours, jusqu’à ce que, épuisé de fatigue, il se laissa tomber sur l’herbe, en disant :
— Le soir vient, je suis loin de la maison, et je crains qu’il ne faille passer la nuit sous les linceuls de l’alouette.
— Non, si vous voulez, dit encore le Lièvre argenté, qui le regardait tranquillement, assis sur son derrière.
— Comment cela donc ?
— Vous n’avez qu’à suivre cette avenue tout du long, — et le Lièvre lui désignait, d’une de ses pattes de devant, une belle avenue de grands châtaigniers, — et vous trouverez au bout le château où habite votre seconde sœur.
Malo suivit le conseil et se trouva, à l’extrémité de l’avenue, devant un beau château, entouré de hautes murailles. Il frappa à la porte, et une voix, qu’il reconnut pour être celle de sa seconde sœur, demanda :
— Qui est là ?
— C’est moi, répondit-il, qui viens te voir, ma sœur chérie ; ouvre-moi, vite.
— Comment ! c’est toi, mon frère chéri ! Que je suis donc heureuse de te voir !
Et elle lui ouvrit la porte, et ils s’embrassèrent tendrement.
Malo entra dans le château, et mangea et but, car il avait grand’faim. Puis, comme il paraissait vouloir passer quelques jours chez sa sœur, celle-ci lui dit :
— J’aurais été bien heureuse, frère chéri, de te voir passer quelques jours avec moi, dans ce château, mais, hélas ! cela ne se peut pas, sans grand danger pour ta vie. Le géant, mon mari, est parti depuis ce matin, comme tous les jours, pour la chasse aux hommes, car c’est là à peu près sa seule nourriture, et quand il rentrera, ce soir, je crains qu’il ne veuille te manger toi-même, surtout si sa chasse n’a pas été bonne.
— Ah ! ton mari aussi mange des hommes ? N’importe, je voudrais le voir. Cache-moi quelque part d’où je le verrai, sans être vu de lui ; derrière ces tonneaux que voilà, par exemple.
— Eh bien ! oui, cache-toi, vite, derrière ces tonneaux, car voici l’heure où il a coutume de rentrer.
Malo se cacha derrière des tonneaux, qui étaient entassés au bas de la salle, et le géant arriva presque aussitôt. Il jeta quatre ou cinq hommes morts sur la table, en disant :
— Voilà de quoi souper !
Puis, ôtant de dessus ses épaules son manteau, qui pesait sept cents livres et le jetant sur les tonneaux :
— Je suis bien fatigué, dit-il.
— Pourquoi vous donner aussi tant de mal à courir, tous les jours ? lui dit sa femme.
— Il le faut bien ; mais, donnez-moi à boire, car j’ai grand’soif.
Et la seconde sœur de Malo prit une grande pinte, tira du vin d’un tonneau et le posa sur la table. Le géant s’apprêtait à boire, quand il s’écria, en reniflant :
— Que signifie ceci ? Ce vin sent le chrétien ! Il y a un chrétien ici ! Où est-il ? Je veux le voir, à l’instant !
— C’est mon frère, qui est venu me voir, répondit la jeune femme ; ne lui faites pas de mal, je vous en prie.
— Si c’est votre frère, je ne lui ferai pas de mal ; nous avons de quoi souper, du reste ; présentez-le-moi, pour que nous fassions connaissance ensemble.
Et elle alla le chercher, au bas de la salle, l’amena par la main et le présenta au géant.
— Il est fort gentil, votre frère, dit le géant, et je ne lui ferai sûrement pas de mal. Et s’adressant à Malo : — Assieds-toi là, mon garçon, à côté de moi, bois un coup de vin, et causons. Comme tu t’es donné du mal, depuis quelques jours, à courir après le Lièvre argenté !
— C’est vrai, répondit Malo, et j’aurais bien voulu pouvoir le prendre.
— Ah ! mon pauvre ami, toi prendre le Lièvre argenté ! Songe donc que voici plus de sept cents ans que je cours inutilement après lui, et que je ne sais pas encore où il se retire, quand je perds sa trace !
— N’importe, dit Malo, je veux le poursuivre encore, pour voir…
— Crois-moi, tu ferais mieux de rester ici, avec ta sœur, et de ne plus songer au Lièvre argenté.
— Non, je veux encore essayer.
— Eh bien ! pour te venir en aide, autant que je le puis, prends ce bec d’oiseau, et, quand tu auras besoin de secours, souffle dedans, et tu seras secouru de ma part.
Malo prit le bec d’oiseau, et ils allèrent ensuite se coucher.
Le lendemain matin, ils partirent tous les deux, le géant, pour la chasse aux hommes, selon son habitude, et Malo, pour poursuivre le Lièvre argenté. Il le trouva au même endroit, dans la forêt, le poursuivit longtemps et inutilement, comme les jours précédents, si bien que le soir le surprit encore, harassé de fatigue et n’en pouvant plus.
— Il me faudra, sans doute, passer la nuit sous les linceuls de l’alouette, dit-il encore, en s’asseyant au pied d’un arbre.
Et le Lièvre argenté lui dit encore :
— Non, si vous voulez.
— Comment cela ?
— Suivez cette avenue de grands hêtres, jusqu’au bout, et vous arriverez au château qu’habite votre plus jeune sœur.
Malo suivit le conseil et se trouva, à l’extrémité de l’avenue, devant un vieux château, entouré de tous côtés de hautes murailles. Il frappa à la porte, et une voix, qu’il reconnut pour être celle de sa plus jeune sœur, demanda :
— Qui est là ?
— C’est moi, répondit-il, qui viens te voir, ma sœur chérie ; ouvre-moi, vite.
Et elle lui ouvrit, et ils s’embrassèrent tendrement.
Malo entra dans le château, et mangea et but, car il avait grand’faim. Puis, comme il paraissait vouloir passer quelques jours auprès de sa sœur, celle-ci lui dit :
— J’aurais été bien heureuse, mon frère chéri, de te voir passer quelques jours ici, avec moi, mais, hélas ! cela ne se peut pas, sans grand danger pour ta vie. Le géant mon mari est parti, ce matin, comme tous les jours, pour la chasse aux hommes, car c’est là à peu près sa seule nourriture, et quand il rentrera, ce soir, il aura faim, et je crains qu’il ne veuille te manger, surtout si sa chasse n’a pas été bonne.
— Ah ! ton mari mange aussi des hommes ? répondit Malo ; n’importe, je veux le voir. Cache-moi quelque part, d’où je le verrai, sans être vu de lui, derrière ces tonneaux que voilà, au bas de la salle, par exemple.
— Eh bien ! oui, cache-toi derrière ces tonneaux, car voici le moment où il rentre.
Malo se cacha derrière les tonneaux, au bas de la salle, et le géant arriva aussitôt. Il jeta une demi-douzaine d’hommes morts sur la table, en disant :
— Voilà de quoi souper !
Puis il ôta de dessus ses épaules un manteau qui pesait mille livres et s’assit, en disant :
— Je suis bien fatigué !
— Pourquoi aussi vous donner tant de mal, tous les jours ? lui dit la sœur de Malo.
— Il le faut bien ; mais, donnez-moi à boire, car j’ai grand’soif, reprit le géant.
Et la jeune femme prit une grande pinte, tira du vin d’un tonneau et le posa sur la table, devant le géant, qui s’apprêtait à boire, quand il s’écria, en reniflant :
— Que signifie ceci ? Ce vin sent le chrétien ! Il y a un chrétien ici ! Où est-il ? Je veux le voir, à l’instant !
— C’est mon frère, qui est venu me voir ; ne lui faites pas de mal, je vous en prie.
— Si c’est votre frère, je ne lui ferai pas de mal ; nous avons de quoi souper, du reste ; présentez-le-moi, pour que nous fassions connaissance ensemble.
Et elle alla le chercher, derrière les tonneaux, l’amena par la main et le présenta au géant.
— Il est fort gentil, votre frère, dit celui-ci, et je ne lui ferai sûrement pas de mal. Et s’adressant à Malo : — Assieds-toi là, beau-frère, à côté de moi, bois un coup de vin et causons. Comme tu t’es donné du mal, depuis quelques jours, à courir après le Lièvre argenté !
— C’est vrai, répondit Malo ; je voudrais bien pouvoir le prendre !
— Ah ! mon pauvre ami, toi prendre le Lièvre argenté ! Songe donc que voici plus de mille ans que je cours inutilement après lui, et que je ne suis pas encore parvenu à savoir où il se retire, quand je perds sa trace.
— N’importe, dit Malo, je veux le poursuivre encore, pour voir…
— Crois-moi, tu ferais mieux de rester ici tranquillement, avec ta sœur, et de ne plus songer au Lièvre argenté.
— Non, je veux encore essayer de le prendre.
— Eh bien ! pour te venir en aide, autant que je le puis, prends cette mèche de cheveux dorés, et quand tu auras besoin de secours, dis simplement ces mots, en la tenant à la main : — Par la vertu de cette mèche de cheveux dorés, je demande du secours ! et aussitôt tu seras secouru de ma part.
Malo prit la mèche de cheveux dorés, puis ils allèrent se coucher.
Le lendemain matin, le géant et Malo partirent de bonne heure ; le géant, pour se livrer à la chasse aux hommes, selon son habitude, et Malo, pour poursuivre le Lièvre au poil argenté. Il le rencontra, comme les jours précédents, au même endroit, dans la forêt, et le poursuivit jusqu’à un bras de mer, qui pénétrait sous le bois. Le Lièvre sauta lestement par-dessus l’eau, mais, Malo ne put faire comme lui, et le voilà bien embarrassé. Il aperçut sur le rivage, à l’angle de deux grands rochers, une pauvre hutte, dont la porte était ouverte. Il y entra. C’était l’habitation d’un vieux cordonnier.
— Dites-moi, mon brave homme, lui demanda-t-il, n’avez-vous pas vu un Lièvre au poil d’argent, passer par ici, il n’y a qu’un instant ?
— Chut ! chut ! Parlez plus bas, je vous prie, répondit le cordonnier, d’un air mystérieux ; ce n’est pas là un Lièvre, comme vous le croyez, mais bien une princesse, la fille du roi de Perse. Je suis son cordonnier. Tous les jours, je lui fournis une paire de souliers neufs, que je lui porte moi-même, dans son palais.
— Je voudrais bien y aller aussi avec vous, si vous le voulez bien ?
— Je le veux bien, mais, à la condition que vous ne direz pas que c’est moi qui vous y aurai conduit. Je voyage à volonté à travers les airs[13], et je traverse ainsi facilement la mer, pour me rendre au palais de la princesse. Je vous donnerai un manteau, qui vous rendra invisible ; vous monterez sur mon dos, et nous partirons, aussitôt que j’aurai terminé mes souliers.
Quand les souliers furent achevés, le vieux cordonnier mit sur les épaules de Malo le manteau qui rend invisible, lui dit de monter sur son dos, et ils partirent alors, avec la rapidité du vent. Ils traversèrent ainsi la mer, et arrivèrent promptement au château de la princesse. Ils descendirent dans la cour.
— Suivez-moi, dit le vieux cordonnier à Malo, et ne craignez rien, car personne ne pourra vous voir, tant que vous aurez le manteau sur les épaules ; gardez-vous donc de l’ôter.
Ils pénétrèrent jusqu’à la chambre de la princesse. Elle était absente. Le vieux cordonnier y déposa les souliers, et s’en alla. Malo y resta.
La princesse rentra, peu après, et dit à sa servante :
— J’ai bien couru par la forêt de Kerodern, espérant y rencontrer mon amoureux, comme d’ordinaire, et je ne l’ai pas vu ; aussi, suis-je bien fatiguée et bien en peine de lui.
— Consolez-vous, ma maîtresse, lui dit la servante, vous le reverrez, sans doute, demain. Mangez et buvez, pour réparer vos forces, et demain vous serez plus heureuse.
La princesse mangea et but, mais, moins que d’ordinaire, puis, elle se retira dans sa chambre, toute soucieuse. Malo, qui avait faim aussi, et qui, grâce à son manteau, avait pu entendre la conversation de la princesse et de sa servante, sans être vu d’elles, dit, quand la princesse arriva dans sa chambre, où il l’avait suivie :
— Vous avez mangé et bu, princesse, mais, moi, je suis à jeun, depuis longtemps, et je voudrais faire comme vous.
— Qui est là ? demanda la princesse, étonnée et effrayée d’entendre parler ainsi, à côté d’elle, et de ne voir personne.
— Le fils du seigneur de Kerodern, répondit Malo ; ne vous effrayez pas, je vous prie, princesse.
— Le fils du seigneur de Kerodern ?… Mais, où êtes-vous donc ? Montrez-vous, je vous prie.
Malo ôta son manteau, et redevint aussitôt visible. La princesse, transportée de joie, lui sauta au cou, pour l’embrasser. Puis, elle lui fit servir à manger et à boire, et ils passèrent la nuit ensemble. Malo resta au château, sans que personne en sût rien, et la princesse ne sortit plus.
Un jour, elle dit à son père :
— Il est temps de me marier, mon père.
— À qui veux-tu que je te marie, ma fille ? répondit le vieillard ; aucun prince ne m’a encore demandé ta main.
— J’ai moi-même choisi mon mari, mon père
— Qui est-ce donc, ma fille, et où est-il ?
— Il n’est pas loin, mon père ; je vais vous le faire voir.
Et elle se rendit à sa chambre et en revint aussitôt, en tenant Malo par la main.
— Voici, mon père, dit-elle, celui que je désire pour époux !
Le vieillard ne fit aucune difficulté d’accepter Malo pour son gendre, d’autant plus que le jeune Breton avait fort bonne tournure, et les noces furent célébrées promptement, et avec grande pompe et solennité.
Quelque temps après, la princesse recommença à sortir, toujours sous la forme d’un Lièvre au poil argenté. Chaque matin, avant de partir, elle remettait à son mari les clefs de toutes les chambres, de toutes les salles et de tous les cabinets du château, même celle de son trésor, le laissant libre d’entrer partout, à l’exception d’un petit cabinet, dont elle lui recommanda bien de ne jamais ouvrir la porte, sous peine des plus grands malheurs.
Malo, une fois la princesse partie, se promenait de tous côtés, dans les jardins et les salles et les chambres du château, et partout il voyait des trésors et des merveilles de tout genre. Il avait bien envie de visiter aussi le cabinet défendu, mais, il se rappelait la défense de la princesse, et n’osait pas. Un jour, pourtant, il succomba à la tentation : il ouvrit la porte, et aussitôt le diable s’élança hors du cabinet et dit :
— C’est très bien ; ta femme est à moi, à présent, et je vais l’emporter !
— Vous attendrez bien, au moins, jusqu’à dix heures, demain matin, répondit Malo.
— Oui, mais à dix heures précises, demain matin, je l’emporterai.
Quand la princesse rentra, le soir, elle trouva Malo tout embarrassé et tout triste.
— Je sais, lui dit-elle, ce qui est cause de ta tristesse ; tu m’as désobéi ; tu as ouvert la porte du cabinet défendu, et à présent, j’appartiens au diable, qui y était enfermé.
— J’ai commis une faute, je le reconnais, répondit Malo, mais, soyez sans inquiétude pourtant, car je saurai bien vous défendre contre le diable.
Le lendemain matin, le diable se présenta à Malo, à dix heures juste, et lui dit :
— Où est ta femme ? Je viens la chercher.
— Je vais vous la livrer, tout à l’heure. Rendez-vous là-bas, au milieu de la plaine, devant le château, et je vous la conduirai là, dans un instant.
Le diable se rendit au milieu de la plaine. Malo l’y vint rejoindre bientôt, accompagné de la princesse. Mais, au lieu de la lui livrer, il souffla dans le cor d’ivoire, que lui avait donné le géant, mari de sa sœur aînée, et aussitôt arrivèrent toutes les bêtes à cornes du pays, qui coururent sus au diable. Celui-ci aurait bien voulu s’échapper, mais de tous côtés, il se heurtait à des cornes aiguës, qui lui fermaient la retraite. Il perdit un œil et demanda quartier, jusqu’à dix heures, le lendemain matin ; ce qui lui fut accordé.
Le lendemain matin, à dix heures, on se trouva encore, de part et d’autre, dans la plaine, et le diable réclama encore la princesse.
— Oui, si tu la gagnes, lui répondit Malo, car il te faudra encore combattre.
Et aussitôt il souffla dans le bec d’oiseau, que lui avait donné le second géant, et tous les oiseaux du pays, petits et grands, arrivèrent de tous côtés, se précipitèrent sur le diable, et lui crevèrent l’œil qui lui restait. Si bien qu’il demanda encore quartier, jusqu’à dix heures, le lendemain matin.
— Je le veux bien, répondit Malo, mais, ce sera pour la dernière fois.
Le lendemain matin, à l’heure dite, on se retrouva dans la plaine, de part et d’autre, et le diable réclama encore la princesse. Malo, pour toute réponse, tira de sa poche la mèche de cheveux dorés, que lui avait donnée le troisième géant, lui commanda de faire son devoir, et aussitôt tous les animaux à poil du pays, petits et grands, accoururent, de tous côtés, et tombèrent sur le diable, l’attaquant chacun à sa manière. Le combat fut terrible, et le diable, quoique aveugle, se défendit comme un diable. Il poussait des cris épouvantables, sous les coups de dents et de griffes des assaillants… Enfin, il fut vaincu, abattu, foulé aux pieds et enchaîné.
On construisit un grand bûcher, au milieu de la plaine ; on y mit le feu et le diable fut jeté dans le brasier. Comme il était habitué au feu, il n’y mourait pas, mais, il poussait des cris, qui effrayaient tout ce qui vivait à plusieurs lieues à la ronde, et il essayait de s’échapper. Mais, les animaux faisaient cercle autour du bûcher, et l’y repoussaient. Voyant cela, il dit à Malo que, s’il voulait le laisser partir, il renoncerait à tout droit sur la princesse. Comme on ne pouvait venir à bout de lui, d’aucune manière, Malo y consentit, mais, à la condition qu’il signerait sa renonciation avec son sang. Il signa, et on le laissa partir, alors.
Et voilà pourquoi il vit encore, et fait tant de mal sur la terre. Si on avait pu en venir à bout, quand on le tenait, le pauvre monde serait, sans doute, plus heureux qu’il ne l’est.
Malo se maria alors à la princesse, et il y eut, à cette occasion, des fêtes magnifiques, des jeux et des festins, pendant quinze jours.
(Côtes-du-Nord). — 1869.
IL y avait, une fois, trois jeunes gens, trois frères, qui habitaient un vieux manoir, avec leur mère, qui était veuve. Depuis la mort de leur père, on entendait, chaque nuit, du bruit, dans la chambre où il était décédé, et on ne savait quelle pouvait en être la cause. Personne n’osait coucher dans cette chambre, et la veuve parlait d’abandonner le manoir. Mais, avant de prendre cette détermination, elle réunit, un jour, ses enfants et leur parla de la sorte :
— Nous ne sommes plus riches, mes pauvres enfants, et ce serait un grand dommage pour nous, s’il nous fallait abandonner cette maison, pour aller habiter ailleurs. Je voudrais auparavant qu’un de vous eût la hardiesse d’aller passer une nuit, dans la chambre où l’on entend le bruit, afin de savoir ce qui en est la cause.
— Moi, j’y irai, ma mère, dit l’ainé, nommé Fanch.
Et, après souper, et les prières faites en commun, Fanch se rendit à la chambre. C’était au mois de décembre, et il fit un bon feu, dans la vaste cheminée, et il se mit à fumer sa pipe, en buvant un verre de cidre, de temps en temps.
Dix heures étaient sonnées, qu’il n’avait encore entendu aucun bruit, si ce n’est quelques rats trotter dans le grenier. Onze heures sonnèrent, et toujours rien. Il s’endormit, dans son fauteuil, près du feu. Vers minuit, sa mère et ses frères, qui étaient en bas, entendirent le vacarme ordinaire. Fanch dormait profondément et n’entendit rien.
Le lendemain matin, quand il descendit, sa mère courut l’embrasser en disant :
— Dieu soit loué ! Tu es donc encore en vie, mon pauvre enfant ?
— Mais oui, ma mère, comme vous voyez ; pourquoi me demandez-vous cela ?
— C’est qu’il y a eu, cette nuit, tant de bruit et de vacarme, là-haut, que nous craignions pour ta vie.
— Je n’ai rien vu ni entendu, ma mère.
— Est-ce possible ? Nous n’en avons pas pu dormir, un instant.
— Quant à moi, j’ai bien dormi.
La nuit suivante, ce fut le second fils, nommé Jean, qui voulut veiller, dans la chambre hantée.
Il lui arriva absolument comme à son aîné. Il s’endormit aussi, et n’entendit ni ne vit rien, bien que le vacarme allât encore bon train.
— C’est mon tour, dit alors le cadet, nommé Alanic.
Et, la nuit venue, il monta aussi à la chambre ; mais, il n’emporta pas de cidre et ne s’endormit point.
Vers minuit, comme il lisait tranquillement, près du feu, il lui sembla entendre marcher derrière lui. Il tourna la tête, et fut bien étonné de voir son père, comme quand il était en vie. Il eut d’abord peur, puis il s’enhardit et dit :
— C’est vous qui êtes là, mon père ?
— Oui, mon enfant, c’est moi, répondit-il tristement.
— Puis-je quelque chose pour vous, mon père ? Parlez, je suis prêt à vous servir, quoi que vous puissiez me demander.
— Hélas ! mon enfant, quand je vivais encore sur la terre, j’ai promis, étant malade sur mon lit, d’aller en pèlerinage à Saint-Jean-de-Galice, si je recouvrais la santé. Je guéris et n’allai point à Saint-Jacques-de-Galice, et maintenant, je suis dans le Purgatoire, et je n’en puis sortir, que lorsqu’un de mes enfants aura accompli pour moi le pèlerinage promis.
— Je le ferai, mon père, et je partirai dès demain matin, dit Alanic.
— La bénédiction de Dieu soit sur toi, mon fils ! répondit le fantôme, qui s’évanouit aussitôt[14].
Le lendemain matin, quand Alanic descendit, sa mère lui demanda ;
— Est-ce que, comme tes frères, tu n’as aussi rien entendu ni rien vu, mon fils ?
— Si, ma mère, répondit-il, j’ai entendu et j’ai vu.
— Quoi donc, mon fils ? Dis-moi, vite.
— J’ai vu mon père, comme quand il était en vie, et il m’a parlé, ma mère.
— Grand Dieu !… Et que t’a-t-il dit, mon enfant ?
— Il m’a dit que c’est lui qui fait, chaque nuit, le bruit que vous savez, et qu’il est dans le Purgatoire, et n’en sortira que lorsqu’un de ses enfants aura fait pour lui le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Galice, qu’il avait promis de faire, étant gravement malade, et qu’il ne fit point, après sa guérison.
— Jésus mon Dieu !… Et que lui as-tu répondu, mon enfant ?
— Je lui ai répondu, ma mère, que je ferai le pèlerinage promis, à Saint-Jacques-de-Galice, et je veux me mettre en route aujourd’hui même.
— Nous t’accompagnerons, lui dirent ses deux aînés.
— Non, répondit-il, je veux être seul.
Et il prit son arc seulement et partit[15]. Il était bon tireur, et le gibier qu’il prenait suffisait à sa nourriture. Il avait fait vœu de ne s’arrêter dans aucune hôtellerie, pour manger ou pour dormir. Il marche et marche, mettant toujours un pied devant l’autre, et arrive à une grande forêt. Il y avait trois jours et trois nuits qu’il était dans cette forêt, sans pouvoir en sortir. Il arrive à un vieux château entouré de hautes murailles. Comme il considérait ce château et en cherchait la porte, un lièvre vint à passer près de lui. Il bande son arc, lance la flèche et abat le lièvre. Aussitôt un ramier passe au-dessus de sa tête, et il l’abat aussi à ses pieds.
— Voilà de quoi dîner, se dit-il.
Et, comme il s’apprêtait à ramasser son gibier, il vit tout à coup apparaître, à côté de lui, deux énormes géants. Cette vue le surprit et lui fit peur, un peu.
— Tu es un bon tireur, lui dit un des géants.
— On en peut trouver facilement de plus mauvais que moi, répondit-il.
— Ferais-tu d’un chat ce que tu as fait de ce lièvre et de ce pigeon ?
— Je pense que oui.
— Ce chat n’a qu’un œil, qui est au milieu du front, et il faudra le frapper dans cet œil, ou il te mettra en pièces.
— Alors, je préfère ne pas essayer.
— Si tu n’essaies pas, mon frère et moi nous te mettrons aussi à mort.
— Alors, j’essaierai. Où est le chat ?
— À midi juste, il paraîtra sur le mur du château et s’y promènera au soleil, pendant que sonneront les douze coups, et c’est dans cet intervalle que tu devras le tuer, sous peine d’être tué par lui.
— C’est bien !
Un moment après, frappa le premier coup de midi, et un grand chat blanc parut sur le mur et se mit à s’y promener, au soleil. Alanic tend son arc et vise ; la flèche part et le chat tombe du haut du mur, en criant : Miaou ! miaou !… d’une façon effrayante.
— C’est à merveille ! dit l’aîné des géants, et la princesse nous appartient, à présent. Cependant, il nous reste encore à pénétrer dans le château, ce qui n’est pas facile. Voici comment nous pourrons y arriver : Je vais m’adosser au nur, mon frère montera sur mes épaules, toi tu monteras sur les épaules de mon frère et atteindras ainsi le sommet, puis, tu descendras dans la tour par ce chêne qui est de l’autre côté et dont les branches touchent le mur, et alors tu nous ouvriras la porte.
Alanic pénétra, en effet, de cette façon, dans la cour du château. Mais, au moment où il allait ouvrir la porte, il aperçut, suspendu à un clou du mur, un beau sabre sur la lame duquel il lut ces mots :
« Celui qui pénétrera dans cette cour, et qui abattra avec moi les têtes des deux géants, deviendra le maître de ce château, où il trouvera de grands trésors. »
— C’est bien ! se dit Alanic, en s’emparant du sabre ; mais, je ne suis pas assez grand pour pouvoir frapper les géants à la tête ; comment faire ?
Il aperçut alors, au bas de la porte, un trou rond comme une chatière, et comme les géants qui criaient déjà : — « Ouvre-nous la porte, » il leur répondit :
— Je ne puis pas, je ne trouve pas la clef, mais, je vais, avec un sabre que je vois ici, agrandir la chatière, jusqu’à ce que vous puissiez passer par là.
Et il agrandit le trou et dit ensuite aux géants :
— Voyez si le trou est assez grand, à présent, et mettez-y la tête.
Et l’aîné des géants passa sa tête par la chatière. Alanic lui déchargea de toutes ses forces un coup de sabre sur la nuque, et la tête roula sur le pavé de la cour.
— En voilà toujours un, qui ne fera plus de mal à personne, se dit-il.
Et il se tint en silence près de la porte. L’autre géant, qui ne savait pas ce qui venait de se passer, criait à son frère :
— Passe donc, vite !
Et comme il ne bougeait pas, il le tira à lui, et quand il vit qu’il n’avait plus de tête, il poussa un cri épouvantable ; puis il tomba sur la porte à coups de poings et de pieds ; mais, la porte était solide et ne cédait pas. Alanic ne soufflait mot, de son côté ; si bien que le géant pensa qu’il s’était rendu près de la princesse, que le chat blanc retenait captive, dans le château. Il mit aussi la tête à la chatière, et Alanic l’abattit, comme celle de son frère.
— Voilà qui est fait ! dit-il ; voyons, à présent, ce qu’il y a dans le château.
Et il entra dans le château.
Dans une première salle, il vit une table toute servie. Il avait faim, et il but et mangea, sans que personne vînt le contrarier, ni qu’aucun être vivant se montrât. Au-dessus d’une porte, qui donnait sur cette salle, il lut ces mots :
« C’est dans la quatrième salle qu’est le plus beau trésor : quiconque pénétrera jusque-là et donnera un baiser à la princesse qu’il y verra couchée et endormie sur un lit, possédera le château, avec tout ce qu’il enferme, même la princesse. »
— Voyons, se dit Alanic, si nous pourrons aller jusqu’à cette quatrième salle.
Et il entra dans la seconde salle, où il vit des monceaux de pièces de monnaie d’argent, toutes neuves. Tout était d’argent, dans cette salle, jusqu’aux murs. Il remplit ses poches et songea d’abord à s’enfuir. Mais, il lut au-dessus d’une autre porte ces mots : « Encore plus beau ! » et il entra dans la troisième salle. Là tout était d’or, et il jeta les pièces d’argent qui remplissaient ses poches, et les remplaça par des pièces d’or, puis il songea encore à s’enfuir avec son or. Mais, ses yeux tombèrent sur cette inscription, au-dessus l’une quatrième porte : « Encore plus beau ! » et il se dit :
— Il faut que je voie tout, pendant que j’y suis ; c’est là, sans doute, qu’est la princesse.
Et il entra dans la quatrième salle, et resta immobile, la bouche ouverte, et comme pétrifié, à la vue de la merveille qui s’y trouvait. C’était une jeune princesse, belle comme le soleil béni de Dieu, quand il se lève, un beau jour de printemps, et qui sommeillait sur un lit en or massif, enchâssé de diamants et de perles. Il s’approcha d’elle, tout doucement et sur la pointe du pied, de peur de l’éveiller. Il posa un baiser sur une de ses mains, qui pendait hors du lit. Elle ne fit aucun mouvement. Il s’enhardit et se coucha à côté d’elle, et lui donna le baiser qu’il fallait. Elle s’éveilla alors, ouvrit peu à peu les yeux et lui sourit doucement, en disant : « Mon amour ! »
Mais Alanic, effrayé de son audace, sauta à bas du lit, et, dans son trouble, chaussa un de ses souliers et une des pantoufles de la princesse, et s’enfuit, au plus vite.
La princesse se leva aussi, et le poursuivit, à travers les salles, puis la cour, puis hors de la cour. Elle le perdit de vue, dans le bois sombre qui entourait le château, et en éprouva une grande douleur.
Sur la lisière du bois, était un grand chemin, par où passaient tous ceux qui se rendaient en Espagne. Elle se dit :
— Tôt ou tard, il passera par ce chemin, — car elle savait qu’il devait aller en Espagne.
Par son art magique, elle bâtit un château magnifique, au bord de la route, avec cette inscription, au-dessus de la porte principale :
« Ici l’on héberge gratuitement tous les passants, à la seule condition de dire à la maîtresse de la maison qui ils sont, d’où ils viennent, où ils vont, et enfin tout ce qui leur est arrivé d’extraordinaire, dans leurs voyages. »
Un jour, vers le coucher du soleil, Alanic arriva devant cette maison, en revenant de Saint-Jacques-de-Galice. Il était tout poudreux, exténué de fatigue, avait faim et point d’argent. Il lut l’inscription et s’écria :
— Dieu soit béni !
Il entra et fut bien accueilli par la princesse. Il ne la reconnut pas ; mais elle le reconnut, à première vue. Elle lui servit elle-même à manger et à boire et eut pour lui toutes les attentions possibles, ce qui l’étonna.
Quand il fut restauré et un peu remis de sa fatigue, il la regarda attentivement et eut un souvenir vague de l’avoir vue quelque part, mais, il ne pouvait se rappeler où. La princesse lui dit alors :
— Vous avez sans doute lu, jeune voyageur, l’inscription qui est au-dessus de la porte de ma maison.
— Oui, je l’ai lue, répondit Alanic, et je suis prêt à m’y conformer.
Et il raconta le motif de son départ de la maison paternelle, et son aventure du château du bois, mais, sans entrer dans tous les détails.
La princesse lui demanda :
— N’avez-vous pas aussi rencontré, dans une salle de ce château, une jeune princesse qui dormait sur un lit, et profitant de son sommeil, ne l’avez-vous pas embrassée ?
— Oui, répondit-il en rougissant.
— Reconnaîtriez-vous bien cette princesse, si vous la revoyiez ?
— Je pense que oui, dit-il, en la regardant plus attentivement.
— N’avez-vous rien emporté aussi du château ?
— Non…, si ce n’est pourtant une petite pantoufle d’or.
— Qu’avez-vous fait de cette pantoufle ?
— Je l’ai encore ; la voici !
Et, la tirant de sa poche, il la posa sur la table.
— Moi aussi, dit la princesse, j’ai une pantoufle d’or, de tout point pareille à la vôtre.
Et elle posa sur la table une seconde pantoufle, absolument semblable à la première. Les deux faisaient la paire. Puis elle les chaussa, et elles lui allaient parfaitement. Et elle sauta au cou d’Alanic et l’embrassa, en disant :
— C’est vous qui m’avez délivrée, en tuant le chat blanc qui me retenait enchantée, dans son château, au milieu du bois, et en me donnant le baiser qui m’a réveillée et a rompu le charme. Vous serez désormais mon époux, et ce château vous appartient, avec tous les trésors qu’il renferme.
Alanic fit venir sa vieille mère et ses deux frères, et son mariage avec la princesse fut célébré, avec pompe et solennité, et il y eut, à cette occasion, de grands festins et des fêtes et des réjouissances publiques, pendant quinze jours entiers.
La trisaïeule de ma bisaïeule était employée dans la cuisine du château, et c’est grâce à elle que le souvenir s’est conservé dans ma famille de cette belle histoire et que j’ai pu vous la raconter
Sans mensonge aucun,
Si ce n’est peut-être un mot ou deux[16].
Prat (Côtes-du-Nord). Septembre 1874.
Eur wech a oa, eur wich a vô
Commansament ann holl gaozo :
Na eus na mar na marteze
Hen eus tri droad ann trébez.
Il y avait une fois, il y aura un jour,
C’est le commencement de tous les contes :
Il n’y a ni si ni peut-être,
Un trépied a toujours trois pieds.
IL y avait une fois un vieux seigneur, qui avait deux fils, nommés Janvier et Février.
Comme vous le savez, Janvier vient toujours avant Février, de sorte qu’il était l’aîné.
Quand il fut à l’âge de dix-huit ou vingt ans, il s’ennuyait chez son père, et voulut voyager. Il partit donc, avec la bourse légère, car ils n’étaient pas riches.
Après avoir marché pendant trois jours, il se trouva dans une grande avenue de vieux chênes, au bout de laquelle était un beau château.
— Il faut, se dit-il, que je demande si l’on n’a pas besoin d’un domestique, dans ce château.
Et il frappa à la porte. Elle s’ouvrit aussitôt.
— Bonjour ! dit-il au portier ; n’a-t-on pas besoin d’un domestique ici ?
— Oui vraiment ; il vient d’en partir un, et il faut le remplacer ; suivez-moi, et je vais vous conduire au maître… Voici, maître, un homme qui cherche condition.
— Fort bien ! répondit le seigneur, j’ai précisément besoin d’un valet, dans le moment. Et s’adressant à Janvier : — Que savez-vous faire ?
— Je sais faire un peu de tout. Monseigneur.
— C’est bien, vous avez assez bonne mine, et vous me plaisez. Voici quelles sont mes conditions : Vous irez, tous les jours, travailler aux champs, au bois, au jardin, partout où l’on vous dira. Au coucher du soleil, vous viendrez à la maison, et alors, vous devrez prendre soin des enfants et faire tout ce qu’ils vous demanderont. Vous aurez de beaux gages, cent écus par an, et votre année finira, quand chantera le coucou.
— C’est à merveille, et je ne demande rien de plus, répondit Janvier.
— Il y a encore une chose que je ne dois pas vous laisser ignorer, reprit le seigneur : vous ne devrez jamais vous fâcher, quoi que l’on vous dise ou fasse, autrement, vous serez renvoyé sans le sou, et de plus, l’on vous taillera courroie, c’est-à-dire qu’on vous enlèvera un ruban de peau rouge, depuis la nuque jusqu’aux talons[17].
— Cela n’est plus aussi bien… Mais, vous-même, Monseigneur, si vous vous fâchez le premier ?…
— Si je me fâche le premier, c’est à moi qu’on enlèvera le ruban de peau rouge ; mais, je ne me fâche jamais, moi.
— À la bonne heure !
Le lendemain matin, on donna une faucille à Janvier et on lui dit d’aller couper de l’ajonc, sur la grande lande.
— Mais, je ne sais pas où est la grande lande, dit-il.
— Voici un chien, lui répondit-on, en lui montrant un grand boule-dogue, qui vous y conduira et restera avec vous, jusqu’au coucher du soleil.
Il se dirige donc vers la lande, conduit par le chien. Il se met à l’ouvrage. Quand il fut fatigué, il voulut se reposer un peu et fumer une pipe. Aussitôt le chien vint à lui, en grognant et en montrant les dents.
— Tiens ! tiens ! le beau chien ! lui dit-il, et il voulut le caresser.
Mais, le chien était toujours menaçant.
— Diable de chien ! s’écria Janvier.
Il lui fallut laisser sa pipe et se remettre au travail.
À midi, une servante vint lui apporter son dîner.
Il s’assit, sur le gazon, à l’ombre d’un hêtre, pour manger sa soupe. La servante avait apporté deux écuellées de soupe, dont l’une, de pain blanc, pour le chien, et l’autre, de pain noir, pour Janvier.
Janvier mangea sa soupe, d’assez mauvaise humeur, puis il voulut fumer une pipe. Mais, le chien grogna encore et montra les dents, et il lui fallut se remettre immédiatement à l’ouvrage.
Au coucher du soleil, le chien prit la route du château, et Janvier le suivit. On lui donna encore de la soupe de pain noir, pour son souper. Pendant qu’il la mangeait, les enfants se mirent à crier :
— J’ai envie de…
— Allons ! Janvier, dit la maîtresse, accompagnez les enfants dehors.
Il se leva et sortit avec les marmots. Quand il rentra, on avait fini de manger ; il n’y avait plus rien sur la table.
— N’aurai-je pas aussi un peu de lard ? de-manda-t-il, timidement.
— C’est trop tard ! répondit la maîtresse.
— Triste souper, après une si rude journée de travail ! murmura-t-il.
— Vous n’êtes pas content ? lui demanda le seigneur.
— Je ne suis pas fâché non plus ; je n’en mourrai pas, pour un mauvais souper, j’en ai fait bien d’autres.
Et il alla se coucher, là-dessus.
Le lendemain matin, il retourna à la lande, toujours accompagné du chien, et cette journée se passa comme la précédente. Quand il voulait se reposer un peu, le chien lui montrait les dents, et il fallait se remettre au travail. À midi, la même servante vint encore avec deux écuellées de soupe : l’une, de pain blanc, pour le chien, et l’autre, de pain noir, pour Janvier. Au coucher du soleil, le chien et le valet revinrent ensemble au château. Janvier était fatigué et avait faim. À peine avait-il entamé son écuelle, que les enfants se mirent encore à crier :
— J’ai envie de faire pipi, disait l’un ; j’ai envie de faire caca ! disait l’autre.
Janvier ne faisait pas semblant de les entendre.
— Allons ! Janvier, lui dit le seigneur, faites votre devoir, accompagnez les enfants dehors ; vous ne les entendez donc pas ?
— Je les entends bien, et dans un instant, quand j’aurai mangé un peu…
— Non, non, tout de suite ! tout de suite ! Et il lui fallut sortir, à l’instant.
— Vite ! allons, vite, petits ! disait-il aux enfants.
Mais, il eut beau les presser, quand il rentra, le souper était encore terminé, et il ne restait plus rien sur la table. Et comme personne ne lui offrait rien, il s’aventura à dire :
— J’ai bien travaillé aujourd’hui, maître, et j’ai faim.
— Tant pis, mon ami, car ici l’habitude est que celui qui arrive, quand la table est desservie, n’a plus droit à rien.
— Comment ! travailler toute la journée, sans un moment de repos, et n’avoir rien à manger, le soir ! Ce n’est pas là une vie à pouvoir en vivre…
— Vous n’êtes pas content ?
— Tout autre à ma place aurait lieu de n’être pas content.
— Vous savez nos conditions ; nous allons, alors, vous lever courroie. Allons, les gars !…
Et aussitôt quatre grands valets se jetèrent sur le pauvre Janvier, le dépouillèrent de ses vêtements, puis le couchèrent sur le ventre, sur la table et lui levèrent un ruban de peau rouge, depuis la nuque jusqu’aux talons. Après quoi, on lu renvoya, sans le sou.
Il s’en retourna à la maison, triste et malade. Son père, en le voyant revenir, lui dit :
— Tu n’as pas été loin, mon fils, et le bien-être n’a pas augmenté, chez nous.
Janvier conta tout à son frère Février, qui promit de le venger.
Il partit aussitôt, arriva au même château que son frère, et s’engagea au service du seigneur, aux mêmes conditions, c’est-à-dire qu’il travaillerait aux champs, dans la journée, aurait soin des enfants, après le coucher du soleil, aurait un ruban de peau rouge enlevé de la nuque aux talons, le jour où il se fâcherait, et enfin, que ses gages seraient de cent écus par an et que son année finirait, quand le coucou chanterait.
On l’envoya, dès le lendemain, couper de la lande, et le boule-dogue l’accompagna aussi. À midi, la servante vint, avec deux écuellées de soupe, l’une de pain blanc, l’autre de pain noir. Le chien mangea encore le pain blanc et Février, le pain noir. Quand il voulait se reposer un peu, le chien grognait, lui montrait les dents et le forçait de se remettre au travail, si bien qu’il se dit :
— Voici un camarade dont il faudra que je me débarrasse.
Au coucher du soleil, ils revinrent tous les deux au château. Quand ils arrivèrent, les autres valets avaient déjà presque fini de manger. Une servante donna sa soupe à Février. Mais, aussitôt les enfants se mirent à crier :
— J’ai envie de faire pipi ! J’ai envie de faire caca !…
Février ne bougeait pas. Mais, le maître lui dit :
— Eh bien ! vous n’entendez donc pas, Février ?
Et il se leva et sortit avec les enfants. Quand il revint, il n’y avait plus rien sur la table.
— Ici, lui dit le maître, l’habitude est que celui qui arrive, quand le repas est fini, n’a plus droit à rien.
— Vraiment ? C’est bon à savoir, répondit Février.
— N’êtes-vous pas content ?
— Je ne dis pas cela ; mais, à l’avenir, je ferai attention.
Et il alla se coucher, sans souper.
Le lendemain, il alla encore couper de la lande, et toujours avec le chien. Au bout de quelque temps, il voulut fumer une pipe. Le chien grogna et lui montra les dents, et, comme il n’en tenait aucun compte, le chien s’avança sur lui, pour le mordre.
— Doucement, camarade ! dit Février, qui lui coupa la tête avec sa faucille.
Puis il fuma sa pipe, tout à son aise.
À midi, la servante vint, comme à l’ordinaire, lui apporter à manger, et fut étonnée de voir le chien mort, et Février qui dormait, à l’ombre. Elle courut annoncer la chose à son maître.
Quand Février rentra, le soir, sans le chien :
— Tu as tué mon chien, misérable ! lui cria e seigneur, furieux.
— Oui, je l’ai tué, répondit-il tranquillement ; est-ce que vous n’êtes pas content ?
— Oh ! après tout, pour un chien, ce n’est pas la peine de se fâcher ; viens souper.
Et il dissimula sa colère.
Pendant que Février mangeait sa soupe, dans a cuisine, les enfants vinrent encore l’importuner en disant :
— J’ai envie ! Je veux sortir !…
— Eh bien ! allez au diable, et me laissez enfin manger, tranquille ! s’écria-t-il, impatienté.
Et il jeta les enfants par la fenêtre dans la cour.
— Que fais-tu, misérable ? Tu veux donc tuer les enfants ? s’écria le seigneur, furieux.
— Vous vous fâchez, maître ?
— Et qui ne se fâcherait pas ?… Puis se reprenant aussitôt :
— Mais, j’ai un si bon caractère, que je ne me fâche jamais, moi ; mais, il ne faut pas recommencer.
Voilà le seigneur et sa femme embarrassés de avoir comment se défaire de Février, car ils voyaient bien que celui-ci ne se laisserait pas duper, comme son frère.
Le lendemain, on ne l’envoya pas couper de la lande. Le seigneur lui dit :
— Venez avec moi faire un tour au bois ; on y coupe les plantes, on abat les arbres, et on me fait un tort considérable. Malheur à ceux que je surprendrai à me voler, car je ne les épargne pas !
Et ils partirent, portant chacun un fusil sur l’épaule. Dès en entrant dans le bois, ils vire une vieille femme qui ramassait quelques brins de bois sec, pour cuire les pommes de terre de son repas. Le seigneur ajusta, tira et la tua roide.
— Quel malheur ! s’écria Février ; je connais cette vieille et je sais qu’elle a trois fils qui la vengeront et ne vous manqueront pas ; en vérité, je ne voudrais pas être à votre place.
Voilà le seigneur bien embarrassé ; que faire ?…
— Va, vite, à la maison, dit-il à Février, et apporte deux pelles, que tu trouveras au fond du corridor, près de la chambre de ma femme, pour que nous enterrions la vieille, dans le bois, et personne ne saura ainsi ce qu’elle sera devenue.
Février court au château. En passant dans le corridor, il voit la dame et sa fille, âgée de dix-huit ans, dans une chambre, la porte grande ouverte. Il entre et dit :
— Mon maître m’a commandé de venir vous embrasser.
Et il se jette sur la dame et l’embrasse de force. Il veut en faire autant de la fille. Les deux femmes se débattent et crient à la violence. Février ouvre la fenêtre, et s’adressant au seigneur, qui l’attend en bas :
— Vous avez dit toutes les deux, n’est-ce pas, mon maître ?
— Oui, toutes les deux, et dépêche-toi, répond-il.
Et Février traite aussi la fille comme la mère, puis il s’en va, prend deux pelles dans le corridor et descend.
— Qu’ont donc ma femme et ma fille pour crier de la sorte ? lui demande le seigneur.
— C’est qu’elles ont vu un loup, répond-il tranquillement.
Ils enterrent la vieille femme et retournent au château.
La dame se jeta au visage de son mari en criant et pleurant de rage :
— Misérable ! infâme !… tu permets à ce manant, à ce démon, de faire violence à ta femme et à ta fille !…
— Est-il donc possible qu’il ait encore fait cela ?… s’écria le seigneur en se tournant, furieux, vers Février.
— Je ne l’ai fait qu’avec votre permission, maître, dit celui-ci ; je vous ai demandé, par la fenêtre, s’il fallait les embrasser toutes les deux, et vous m’avez répondu : — Oui, toutes les deux, et dépêche-toi ! N’est-ce pas vrai ? Votre femme et votre fille l’ont bien entendu,
— Je t’ai dit d’apporter les deux pelles, et pas autre chose, misérable !
— Pour le coup, il me semble que vous vous fâchez, maître ?
— Et qui ne serait pas fâché, monstre ?…
— Fort bien, mais, vous savez nos conditions, le ruban de peau rouge…
— Je n’ai pas dit que je suis fâché, mais, tout autre à ma place le serait, et avec raison.
Voilà le seigneur bien embarrassé, car il voyait clairement qu’il avait affaire à un drôle bien déluré, et qu’il ne duperait pas, comme son frère. La dame était d’avis qu’on le renvoyât tout de suite, le jour même.
— Alors, il faudra lui donner cent écus, répliquait le seigneur, puisque son année n’est pas terminée.
— Qu’on les lui donne tout de suite, et qu’il parte.
— Oui, mais le ruban de peau rouge, qu’il me faudra aussi me laisser enlever.
— Il a été convenu, n’est-ce pas, que son année finirait, quand le coucou chanterait ? Eh bien ! le coucou chantera demain ; je me charge de le faire chanter, moi.
Le lendemain matin, le seigneur dit à Février :
— Prenez un fusil et allons tous les deux à la chasse.
Au moment où ils sortaient de la cour, ils entendirent, dans un chêne, au-dessus de leurs têtes : Coucou ! coucou !
— Comment ! dit Février, ici les coucous chantent donc, au mois de février ? Jamais je n’avais encore entendu pareille chose ; mais, je vais apprendre à cet oiseau à attendre son heure pour chanter.
Et il tira dans l’arbre, et aussitôt quelque chose, qui ne ressemblait pas à un coucou, dégringola de branche en branche, et tomba lourdement à ses pieds. C’était la châtelaine elle-même, qui était montée sur l’arbre, pour faire chanter le coucou.
— Malheur à toi ! cria le seigneur, en couchant en joue Février.
Mais, celui-ci releva le canon du fusil, et le coup partit en l’air.
— Pour le coup, dit-il alors, vous voilà fâché, maître ?
— Oui, cria-t-il, fou de colère, je suis fâché, et tu me le paieras !…
— Non, maître, c’est vous qui paierez, car vous savez nos conditions, et il faut payer, quand on a perdu.
Hélas ! le seigneur dut, en effet, se laisser enlever un ruban de peau rouge, depuis la nuque jusqu’à la plante du pied, et, de plus, payer cent écus.
Février revint à la maison avec l’argent et les deux rubans de peau rouge, car il emporta aussi celui de son frère Janvier, qui était suspendue à un clou, au mur de la salle, parmi un grand nombre d’autres.
On fit alors un grand repas. La trisaïeule de ma grand’mère, comme elle était un peu parente de la mère de Janvier et Février, fut aussi du festin, et c’est ainsi que s’est conservé dans ma famille le souvenir de cette belle histoire, et que j’ai pu vous la conter, sans y rien ajouter de mon cru.
(Côtes-du-Nord). — Décembre 1868.
J’ai publié dans Mélusine, tome Ier, colonne 465 et suivantes, une autre version plus développée de ce conte.
AU temps jadis, — il y a longtemps, bien longtemps de cela, — il s’éleva, dit-on, une dispute entre l’Hiver et le Roitelet. Je ne sais pas bien à quel propos.
— J’aurai raison de toi, petit ! disait l’Hiver.
— Peut-être ; nous verrons bien, répondit le Roitelet.
Et il gela à pierre fendre, la nuit après.
Le lendemain matin, l’Hiver, voyant le Roitelet joyeux et pimpant, comme d’ordinaire, fut étonné et lui demanda :
— Où étais-tu, la nuit passée ?
— Dans la buanderie, où les lavandières fout la lessive, répondit-il.
— C’est bien, cette nuit, je saurai où te trouver.
Et il fit si froid, cette nuit-là, que l’eau gelait sur le feu.
Mais le Roitelet n’était pas où il gelait, et l’Hiver, le retrouvant, le lendemain matin, gai et chantant, lui demanda :
— Où donc étais-tu, la nuit dernière ?
— Dans l’étable aux bœufs, répondit-il.
— Bon ! tu auras de mes nouvelles, cette nuit, sois-en sûr.
Et il fit si froid et il gela si dur, cette nuit-là, que la queue des bœufs colla à leur derrière. Mais, le Roitelet sautillait et chantait encore, le lendemain matin, comme au mois de mai.
— Comment ! tu n’es pas encore mort ? lui demanda l’Hiver, étonné de le revoir ; où donc as-tu passé la nuit ?
— Près des nouveaux mariés, dans leur lit.
— Voyez donc où ! Qui aurait songé à l’aller chercher là ? Mais, tu n’y perdras pas pour attendre et, cette nuit, j’en finirai avec toi.
— C’est ce que nous verrons bien ! Et il se mit à chanter.
Cette nuit-là, il gela si fort, si fort, que le lendemain matin, on trouva le mari et la femme morts de froid, dans leur lit.
Le Roitelet s’était retiré au trou d’un mur, près du four d’un boulanger, et là, le froid ne l’atteignit pas[18]. Mais, il y rencontra une souris, qui cherchait aussi la chaleur, et il s’éleva une dispute fort vive entre eux. Comme ils ne purent pas s’entendre, pour vider le différend, il fut convenu qu’une grande bataille aurait lieu, dans la huitaine, sur la montagne de Bré, entre tous les animaux à plumes et les animaux à poil du pays. Avis en fut donné de tous côtés, et, au jour convenu, on vit tous les oiseaux du pays prendre leur volée vers la montagne de Bré ; les oies, les canards, les dindons, les paons, les poules et les coqs des basses-cours, les pies, les corbeaux, les geais, les merles, etc., prenaient tous cette direction, à la file les uns des autres, et aussi les chevaux, les ânes, les bœufs, les vaches, les montons, les chèvres, les chiens, les chats, les rats et les souris, et personne ne pouvait les en empêcher. Le combat fut acharné et avec des chances diverses. Les plumes volaient en l’air, les poils jonchaient le sol, et c’était partout des cris, des beuglements, des mugissements, des hennissements, des braiements, des miaulements… C’était épouvantable !
Les animaux à poil allaient enfin l’emporter, quand arriva aussi l’Aigle, qui était en retard. Il se jeta dans la mêlée et, partout où il passait, il abattait et éventrait tout. Il ramena promptement l’avantage du côté des siens.
Le fils du roi assistait au combat, à la fenêtre de son palais. Voyant que l’Aigle allait tout exterminer, comme il vint à passer au ras de sa fenêtre, il lui porta un coup de sabre et lui cassa une aile, si bien qu’il tomba à terre. La victoire resta dès lors aux animaux à poil, et le Roitelet, qui avait combattu comme un héros, fit entendre son chant de triomphe, au sommet du clocher de la chapelle de saint Hervé, que l’on voit encore sur le haut de la montagne.
L’Aigle, blessé et ne pouvant plus voler, dit au fils du roi :
— À présent, il te faudra me nourrir, pendant neuf mois, de chair de perdrix et de lièvres.
— Je le ferai, répondit le prince.
Au bout des neuf mois, quand l’Aigle fut guéri, il dit au fils du roi :
— À présent, je vais retourner chez ma mère, et je désire que tu viennes avec moi, pour voir mon château.
— Volontiers, répondit le prince, mais comment y aller ? Toi, tu voles dans l’air, et je ne pourrais te suivre, ni à pied ni à cheval.
— Monte sur mon dos.
Il monta sur le dos de l’Aigle, et ils partirent, par-dessus les bois, les plaines, les monts et la mer.
— Bonjour, ma mère, dit l’Aigle en arrivant.
— C’est toi, mon cher fils ? Tu as fait une longue absence, cette fois, et j’étais inquiète de ne pas te voir revenir.
— J’ai été bien malade, ma pauvre mère ; — et lui montrant le prince : — Voici le fils du roi de la Basse-Bretagne, qui vient vous faire visite.
— Un fils de roi ! s’écria la vieille, c’est un morceau délicat, et nous en ferons un bon repas.
— Non, ma mère, vous ne lui ferez pas de mal ; il m’a bien traité, pendant neuf mois que j’ai été malade chez lui, et je l’ai prié de venir passer quelque temps avec nous, dans notre château ; il faut lui faire bon accueil.
L’Aigle avait une sœur, qui était très belle, et le prince en devint amoureux, dès qu’il la vit. Cela ne plaisait pas à l’Aigle ni à sa mère non plus.
Un mois, deux mois, trois mois,… six mois s’écoulèrent, et le prince ne parlait pas de retourner chez lui. La vieille en était très mécontente, si bien qu’elle dit à son fils que si son ami ne songeait pas à s’en aller, sans retard, elle l’accommoderait à une bonne sauce, et ils le mangeraient à leur repas.
L’Aigle, voyant cela, proposa au prince une partie de boules dont l’enjeu devait être la vie de celui-ci, s’il perdait, et la main de sa sœur, s’il gagnait.
— C’est entendu, dit le prince ; où sont les boules ?
Et ils se rendirent dans une avenue de vieux chênes, large et très longue, où se trouvaient les boules. Hélas ! quand le prince vit ces boules-là !… Elles étaient en fer, et chacune d’elles pesait cinq cents livres. L’Aigle en prit une, et il la maniait, la jetait en l’air, très haut, et la recevait dans sa main, comme si c’eût été une pomme. Le pauvre prince ne pouvait seulement pas remuer la sienne.
— Tu as perdu et ta vie m’appartient ! lui dit l’Aigle.
— Je demande ma revanche, répondit le prince.
— Eh bien ! soit ; à demain la revanche.
Le prince va trouver la sœur de l’Aigle, les larmes aux yeux, et lui conte tout.
— Me serez-vous fidèle ? lui demande-t-elle.
— Oui, jusqu’à la mort ! répond-il.
— C’est bien ; voici ce qu’il faudra faire : J’ai là deux grandes vessies, que je peindrai en noir, de manière à les faire ressembler à des boules, puis je les mettrai parmi les boules de mon frère, dans l’avenue, et quand vous irez jouer, demain, vous aurez soin de prendre vos boules le premier et de choisir les deux vessies. Quand vous leur direz : — « Chèvre, élève-toi en l’air, bien haut, et vas en Égypte ; il y a sept ans que tu es ici, sans avoir mangé de fer[19] ! » elles s’élèveront aussitôt en l’air, et si haut, si haut, qu’on ne pourra les apercevoir. Mon frère croira que ce sera vous qui les aurez lancées, et, ne pouvant en faire autant, il s’avouera vaincu.
Les voilà de nouveau dans l’allée aux boules. Le prince prend ses deux boules, c’est-à-dire les deux vessies, et se met à jongler avec elles, et à les lancer en l’air, aussi facilement que si c’eussent été deux balles remplies de son, et cela au grand étonnement de l’Aigle.
— Que signifie ceci ? se demandait celui-ci, avec inquiétude.
Il lance le premier sa boule, et si haut, qu’elle mit un bon quart d’heure à tomber à terre.
— Bien joué ! dit le prince ; à mon tour.
Et il murmura ces mots tout bas :
Gavr, kers d’as bro,
Ez out aman seiz bloaz’zo,
Tam houarn na t’eus da zebri !…
c’est-à-dire : « Chèvre, retourne à ton pays ; il y a sept ans que tu es ici, sans avoir eu de fer à manger… »
Aussitôt sa boule s’éleva en l’air, si haut, si haut, qu’on ne l’aperçut bientôt plus, et ils avaient beau attendre, elle ne retombait pas à terre.
— J’ai gagné ! dit le prince.
— Cela fait à chacun une partie ; demain, nous jouerons la belle, à un autre jeu, dit l’Aigle.
Et il s’en retourna à la maison en pleurant et alla conter la chose à sa mère.
— Il faut le saigner et le manger, dit celle-ci ; pourquoi attendre plus longtemps ?
— Mais, je ne l’ai pas encore vaincu, ma mère ; demain, nous jouerons à un autre jeu, et nous verrons comment il s’en tirera.
— En attendant, allez me chercher de l’eau, à la fontaine, car il n’y en a goutte, dans la maison.
— C’est bien, mère ; demain matin, nous irons tous les deux vous chercher de l’eau, et je porterai un défi au prince à qui en apportera le plus, dans un tonneau.
L’Aigle va trouver le prince et lui dit :
— Demain matin, nous irons à la fontaine prendre de l’eau à ma mère, et nous verrons qui de nous deux en apportera le plus.
— Très bien, répondit le prince, mais montre-moi les pots.
Et l’Aigle lui montra deux tonneaux de cinq barriques chacun : il en portait facilement un, rempli d’eau, sur le plat de chaque main, — car il était aigle ou homme, à volonté.
Le prince va encore trouver la sœur de l’Aigle, plus inquiet que jamais.
— Me serez-vous fidèle ? lui demanda-t-elle encore.
— Jusqu’à la mort, répondit-il.
— Eh bien ! demain matin, quand vous verrez mon frère prendre son tonneau, pour aller à la fontaine, dites-lui : — « Bah ! à quoi bon des tonneaux ? Laissez-moi cela là, et me donnez une houe, une pelle et une civière. » — Pourquoi ? demandera-t-il. — Pourquoi ? Mais pour déplacer la fontaine et l’apporter ici, ce qui sera bien plus commode, pour y puiser de l’eau, à volonté.
En entendant cela, il ira seul chercher de l’eau, car il ne voudra pas voir défaire sa belle fontaine, ni ma mère non plus.
Le lendemain matin, l’Aigle dit au prince :
— Allons prendre de l’eau à ma mère.
— Allons-y, répondit le prince.
— Prends ce tonneau, voici le mien ; — et en même temps, il lui montrait deux énormes tonneaux.
— Des tonneaux ! à quoi bon ? pour perdre du temps ?
— Comment donc veux-tu apporter de l’eau ici ?
— Donne-moi tout bonnement une houe, une pelle et une civière.
— Pourquoi faire ?
— Pourquoi, imbécile ? Mais, pour apporter la fontaine ici donc, à la porte de la cuisine, afin de nous éviter la peine d’y aller si loin.
— Quel gaillard ! pensa l’Aigle ; puis il dit : — Eh bien ! reste là, j’irai seul chercher de l’eau à ma mère.
Ce qu’il fit, en effet.
Le lendemain, comme la vieille disait à son fils que le moyen le plus sûr de se débarrasser du prince était de le tuer, de le mettre à la broche, puis de le manger, l’Aigle répondit qu’il avait été bien traité chez lui, et qu’il ne voulait pas se montrer ingrat ; mais que, du reste, il allait lui imposer d’autres épreuves, d’où il aurait bien de la peine à se tirer à son honneur.
Et en effet, il dit encore au prince :
— Aujourd’hui, j’ai fait la besogne, tout seul, mais demain, ce sera aussi ton tour.
— Que faudra-t-il faire, demain ? demanda-t-il. — Ma mère a besoin de bois, pour faire du feu, dans sa cuisine, et il faudra abattre une avenue de vieux chênes qui est là, et les lui apporter, dans la cour, pour sa provision d’hiver, et tout cela avant le coucher du soleil.
— C’est bien, ce sera fait, répondit le prince, en simulant un air indifférent, bien qu’il ne fût pas sans inquiétude.
Il alla encore trouver la sœur de l’Aigle.
— Me serez-vous fidèle ? lui demanda-t-elle encore.
— Jusqu’à la mort, répondit-il.
— Eh bien ! demain, en arrivant dans la forêt, avec la hache de bois qu’on vous donnera, ôtez votre veste, jetez-la sur une vieille souche de chêne que vous verrez là, avec ses racines découvertes, puis frappez de votre hache de bois le tronc le plus voisin, et vous verrez ce qui arrivera.
Le prince se rend donc au bois, de bon matin, avec sa hache de bois sur l’épaule. Il ôte sa veste, la jette sur la vieille souche aux racines découvertes qu’on lui a désignée, puis il frappe de sa hache de bois le tronc de l’arbre le plus voisin, lequel s’abat aussitôt, avec un grand bruit.
— C’est bien, se dit-il ; si ce n’est pas plus difficile que cela, la besogne sera bientôt faite.
Il frappe ensuite un second arbre, puis un troisième, qui tombent aussi, au premier coup, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il ne restât plus un seul arbre debout, dans l’avenue.
Il s’en retourna alors tranquillement au château.
— Comment ! est-ce déjà fait ? lui demanda l’Aigle.
— C’est fait, répondit-il.
L’Aigle courut à son avenue, et quand il vit tous ses beaux chênes abattus à terre, il se mit à pleurer, puis il alla trouver sa mère.
— Hélas ! ma pauvre mère, je suis battu ! Tous mes beaux chênes sont à terre ! je ne puis lutter contre ce démon ; quelque puissant magicien le protège, sans doute.
Comme il faisait ainsi ses doléances à sa mère, arriva le prince, qui lui dit :
— Je t’ai vaincu, trois fois, et ta sœur m’appartient.
— Hélas ! oui, répondit-il ; emmène-la et va-t’en, vite.
Le prince emmena donc dans son pays la sœur de l’Aigle. Mais, celle-ci ne voulait pas l’épouser encore, ni même l’accompagner jusqu’à chez son père. Elle lui dit :
— Nous nous séparerons, à présent, pour quelque temps, car nous ne pouvons encore nous marier. Mais, restez-moi toujours fidèle, quoi qu’il arrive, et, lorsque le moment sera venu, nous nous retrouverons. Voici une moitié de mon anneau et une moitié de mon mouchoir ; gardez-les et ils vous serviront, au besoin, à me reconnaître, plus tard.
Le prince fut désolé. Il prit la moitié de l’anneau et la moitié du mouchoir et revint seul au palais de son père, où l’on fut heureux de le revoir, après une si longue absence. Quant à la sœur de l’Aigle, elle se mit en condition, chez un orfèvre de la ville, qui, par hasard, se trouvait être l’orfèvre de la cour. Cependant, le prince oublia vite sa fiancée. Il devint amoureux d’une princesse venue à la cour son père, d’un royaume voisin, et le jour fut fixé pour leur mariage. On fit de grands préparatifs et de nombreuses invitations. L’orfèvre de la cour, qui avait fourni les anneaux et autres bijoux, fut aussi invité avec sa femme, et même la femme de chambre de celle-ci, à cause de sa bonne mine et de sa distinction.
Celle-ci se fit fabriquer par son maître un petit coq et une petite poule en or, et les emporta, dans sa poche, le jour des noces. Elle fut placée à table vis-à-vis des nouveaux mariés. Elle posa sur la table, à côté d’elle, la moitié de l’anneau dont le prince avait l’autre moitié.
La nouvelle mariée la remarqua et dit :
— J’en ai une toute semblable (son mari la lui avait donnée) !
On rapprocha les deux moitiés l’une de l’autre, et elles se rejoignirent et l’anneau se retrouva complet. Il en fut de même pour les deux moitiés de mouchoir. Tous les assistants témoignèrent de leur étonnement. Le prince, seul, restait indifférent et semblait ne pas comprendre. Alors la sœur de l’Aigle posa sur la table, devant elle, son petit coq et sa petite poule en or, et jeta un pois sur son assiette. Le coq croqua aussitôt le pois
— Tu l’as encore avalé, glouton ! lui dit la poulette.
— Tais-toi, répondit le coq, le prochain sera pour toi.
— Oui, le fils du roi me disait aussi qu’il me serait fidèle, jusqu’à la mort, quand il allait joue aux boules avec mon frère l’Aigle.
Le prince dressa l’oreille. La sœur de l’Aigle jeta un second pois sur son assiette, et le coq le croqua encore.
— Tu l’as encore avalé, glouton ! répéta la poulette.
— Tais-toi, ma poulette, le premier sera pour toi.
— Oui, le fils du roi me disait aussi qu’il me serait fidèle, jusqu’à la mort, quand mon frère Aigle lui dit d’aller avec lui puiser de l’eau à la fontaine !
Tout le monde était étonné et intrigué ; le prince aussi était devenu très attentif. La sœur de Aigle jeta un troisième pois sur son assiette, et le coq le croqua comme les deux autres.
— Tu l’as encore avalé, glouton ! répéta la poulette.
— Tais-toi, ma gentille poulette, le premier sera pour toi.
— Oui, le fils du roi me disait aussi qu’il me serait fidèle, jusqu’à la mort, quand mon frère Aigle l’envoya abattre une grande avenue de vieux chênes, avec une hache de bois.
Le prince comprit enfin. Il se leva, et se tournant vers son beau-père, il lui parla de la sorte :
— Beau-père, j’ai un conseil à vous demander, j’avais un gentil petit coffret d’or, dans lequel était renfermé mon trésor. Je le perdis, et je m’en procurai un nouveau. Mais voilà que je viens de retrouver le premier, et j’en ai deux, à présent, lequel des deux dois-je conserver, l’ancien ou le nouveau ?
— Respect toujours à ce qui est ancien, dit le vieillard.
— C’est aussi mon avis, reprit le prince. Eh bien ! j’ai aimé une autre, avant votre fille, et je m’étais engagé envers elle ; la voici !
Et il alla à la servante de l’orfèvre, qui était la sœur de l’Aigle, et la prit par la main, au grand étonnement de tous les assistants.
L’autre fiancée, ainsi que son père, sa mère et ses parents et invités, se retirèrent, fort mécontents. Les festins, les jeux et les réjouissances n’en continuèrent pas moins, pour fêter le mariage du prince et de la sœur de l’Aigle.
Décembre 1868.
Le débat entre l’Hiver et le Roitelet par lequel commence ce conte semble étranger à la fable principale et n’avoir été introduit que pour motiver le combat entre les animaux à poil et les animaux à plumes. Le reste du conte, — les épreuves du héros, son oubli de l’héroïne et la reconnaissance finale, — appartient à un thème très répandu et riche en variantes.
Kement-man holl oa d’aun amzer
Ma ho defoa dennt ar ier.
Tout ceci se passait du temps
Que les poules avaient des dents.
IL y avait une fois un roi d’Espagne dont la femme venait de mourir. Il aimait beaucoup la reine, et fut si désolé de sa perte, qu’il jura de ne pas se remarier… à moins de trouver une jeune fille qui lui ressemblât, et à qui ses habits de noces iraient parfaitement. Or, la reine était d’une beauté si accomplie et de formes si parfaites, qu’il était convaincu qu’il resterait veuf, le reste de ses jours.
Il avait une fille, âgée de dix-huit ans, et qui était aussi d’une grande beauté, et ressemblait à sa mère. Un jour, en jouant, elle mit les habits de noces de sa mère, et ils lui allaient à merveille et comme s’ils avaient été faits pour elle. Son père survint et se jeta à son cou, en s’écriant :
— Ma femme ! ma femme !… J’ai retrouvé ma femme !…
La princesse rit, pensant que son père plaisantait. Mais, il ne plaisantait pas. Quelques-uns prétendent que la douleur qu’il avait éprouvée de la perte de sa femme avait troublé sa raison. Toujours est-il que le lendemain, il parla à la princesse de l’épouser et, pendant huit jours, il la poursuivit de ses instances, sans lui laisser un moment de tranquillité. La pauvre enfant était bien embarrassée.
Elle alla consulter une vieille femme, qui habitait une pauvre hutte, dans un bois voisin. La vieille lui dit :
— Consolez-vous, mon enfant ; je vous conseillerai, et cette sotte passion passera à votre père. Dites-lui que vous voulez avoir d’abord une robe de la couleur des étoiles.
La princesse retourna à la maison, et quand son père revint lui parler de son amour, elle lui dit :
— Commencez, mon père, par me procurer une robe de la couleur des étoiles, puis nous verrons.
Le roi envoie des messagers chez tous les marchands de draps et de tissus de la ville, puis par tout le royaume, avec ordre de lui apporter tout ce qu’ils trouveront de plus beau et de plus riche, sans regarder au prix. On finit par trouver un tissu de la couleur des étoiles. On le présenta à la princesse, et son embarras, loin de se dissiper, ne fit que s’accroître.
Elle alla encore trouver la vieille.
— Hélas ! lui dit-elle, on m’a trouvé un tissu pour faire une robe de la couleur des étoiles !
— Eh bien ! répondit la vieille, dites à présent, à votre père, que vous voulez aussi une robe de la couleur de la lune. Il ne trouvera pas cela aussi facilement, et, pendant qu’on cherchera, peut-être reviendra-t-il à son bon sens.
Le lendemain, quand son père vint lui faire sa cour, elle lui dit :
— Je veux, à présent, mon père, avoir aussi une robe de la couleur de la lune.
— Vous l’aurez, ma fille, répondit-il, quoi qu’il puisse m’en coûter.
Et il envoya encore des messagers, dans toutes les directions.
On finit par se procurer encore ce tissu précieux, au bout de quinze jours de recherches patientes, mais il coûta cher ! Le roi, radieux, alla le présenter à sa fille.
L’embarras de la princesse ne fit qu’augmenter, car son père devenait chaque jour plus pressant, et, la nuit venue, elle alla encore, secrètement, consulter la vieille du bois.
— Hélas ! lui dit-elle, il m’a encore trouvé une robe de la couleur de la lune !
— Vraiment ? Comment s’y prend-il donc ?… Mais, peu importe ; demandez-lui, à présent, une robe de la couleur du soleil, et nous verrons bien comment il s’en tirera, cette fois.
On envoya encore des messagers de tous les côtés, dans le royaume, et même hors du royaume, à la recherche d’un tissu de la couleur du soleil. Un mois, deux mois, trois mois se passèrent, et les messagers ne revenaient pas, et le roi était fort inquiet. On finit pourtant par le trouver aussi, ce tissu merveilleux, et le roi, ne se tenant pas de joie, courut le présenter à la princesse, en criant :
— Le voilà ! Il est trouvé !… Nous allons, à présent, faire les noces !…
— Oui, mon père, répondit-elle tranquillement, vous m’avez procuré tout ce que je vous ai demandé, et je dois tenir ma parole.
Mais, la nuit venue, elle sortit encore secrètement du palais, pour aller trouver la vieille du bois, et elle lui dit :
— Hélas ! c’en, est fait de moi ! Il m’a aussi procuré la robe de la couleur du soleil !
— Et comment diable a-t-il pu faire cela ! s’écria la vieille, étonnée… À présent, ma pauvre enfant, il vous faut quitter la maison de votre père. Mettez dans un coffre vos trois robes couleur des étoiles, de la lune et du soleil, et aussi la toilette de mariage de votre mère, et emportez-les, de nuit. Vous vous habillerez simplement, comme la fille d’un artisan, et ferez en sorte de vous placer comme servante, dans quelque ferme, à la campagne.
La princesse suivit les conseils de la vieille et quitta la maison de son père, en emportant un coffre contenant les trois robes merveilleuses et la toilette de mariage de sa mère.
Quand le roi s’aperçut, le lendemain matin, de la disparition de sa fille, il pleura comme un enfant, et il envoya des soldats partout à sa recherche. Elle allait être prise par une troupe de cavaliers, quand elle se cacha sous l’arche d’un pont, et les cavaliers passèrent, sans l’apercevoir. Ils repassèrent presque aussitôt, en s’en retournant à la maison, et elle les entendit qui disaient : — À quoi bon aller plus loin ? La princesse est beaucoup plus sage que son père !
Elle sortit alors de sa cachette et continua sa route. Au coucher du soleil, elle arriva à un vieux château, et y demanda logement, pour la nuit. On eut pitié d’elle, tant elle était exténuée de fatigue, et on la logea. Le château était habité par une veuve riche, et qui n’avait qu’un fils unique.
Le lendemain, la princesse demanda à être gardée comme servante dans la maison. On la prit pour garder les pourceaux. Elle passait toutes ses journées avec ses bêtes dans le bois qui entourait le château.
Un jour, que le temps était beau et le soleil clair, elle tira de son coffre, qu’elle ne quittait jamais, sa robe de la couleur des étoiles et la revêtit. Le jeune seigneur du château, qui chassait dans le bois, l’aperçut et s’approcha à la hâte. Mais, la princesse aussi l’avait aperçu de loin, et elle ôta vite sa robe et la serra dans son coffre, qu’elle cacha dans un buisson. Quand le jeune seigneur arriva près d’elle, et ne vit qu’une gardeuse de pourceaux, au lieu de la belle princesse qu’il s’attendait à trouver, il fut bien déçu, fit un geste de dépit et s’en retourna au château, sans rien dire.
Le lendemain, la princesse mit sa robe de la couleur de la lune. Le jeune seigneur l’aperçut encore et courut à elle. Mais, elle eut encore le temps d’ôter sa robe et de la serrer dans son coffre, qu’elle cacha dans un buisson, et le chasseur, désappointé, se trouva, comme la veille, en présence de la gardeuse de pourceaux.
— N’avez-vous pas vu une belle princesse par ici, tout à l’heure ? lui demanda-t-il.
— Non, Monseigneur, répondit-elle, je n’ai vu personne.
Et il tourna encore les talons, d’un air dépité, et en se disant :
— Cette gardeuse de pourceaux doit être autre chose que ce qu’elle paraît ; il faut que je la surveille.
Le lendemain, la princesse mit sa robe de la couleur du soleil, et elle était si belle, que les petits oiseaux sautillaient et chantaient d’allégresse, sur les branches, au-dessus de sa tête, et ses pourceaux eux-mêmes l’admiraient, en faisant : Oc’h ! oc’h !…
Le jeune seigneur, qui la guettait, caché derrière un tronc d’arbre, courut à elle. Mais, il trébucha et tomba dans une fosse recouverte de fougère et d’herbes folles. La jeune fille eut encore le temps d’ôter sa robe et de la serrer dans son coffre, qu’elle cacha dans un buisson, et quand le seigneur arriva près d’elle, il se trouva encore devant la gardeuse de pourceaux. Mais, il savait à quoi s’en tenir, à présent, et il retourna au château, en songeant à la manière dont il s’y prendrait, pour connaître toute la vérité.
Sa mère voulait le marier, et trois jeunes demoiselles devaient arriver au château, pour y passer quelques jours. La veille de leur arrivée, il prit son fusil et partit, plus tôt que d’ordinaire, pour la chasse, afin, disait-il, de prendre quelques pièces de gibier pour les demoiselles attendues. Il se rendit tout droit à une ferme, qui était sur la lisière du bois, et demanda à la fermière de lui permettre de passer trois ou quatre nuits et autant de jours dans un lit placé sous l’escalier, et où n’arrivait pas la lumière du jour.
— Jésus ! Monseigneur, s’écria la fermière, vous serez très mal là ! J’ai un bon lit de plume, dans la chambre, et vous y serez beaucoup mieux.
— Non, non ! répondit-il, c’est sous l’escalier que je veux être. Demain matin, vous irez au château, et vous demanderez un peu de bouillon frais pour une mendiante malade, à qui vous avez donné l’hospitalité. Si l’on vous demande si vous ne m’avez pas vu, vous direz que non.
Il se coucha donc dans le lit, sous l’escalier, et la fermière alla, le lendemain matin, au château et dit à la dame :
— Je viens, Madame, vous demander un peu de bouillon frais, pour une pauvre mendiante, à qui j’ai donné l’hospitalité, la nuit dernière, et qui est restée dangereusement malade, chez nous.
— Oui, certainement, fermière, et venez tous les jours en chercher, pendant que la malade sera chez vous. Mais, dites-moi, n’avez-vous pas vu mon fils, hier ?
— Nous le voyons, presque tous les jours, Madame, qui va à la chasse ou en revient, mais hier, nous ne l’avons pas vu.
— Il est parti, hier matin, pour la chasse, selon son habitude, et il n’est pas rentré, et je suis un peu inquiète. Si vous le voyez, dites-lui que les demoiselles que nous attendions sont arrivées, et qu’il revienne, vite, à la maison.
La fermière s’en retourna avec le bouillon, et accompagnée d’une des trois demoiselles, qui voulait voir la malade.
— Où est cette pauvre femme ? demanda-t-elle, en entrant dans la maison.
— La voici, dans ce lit, sous l’escalier.
— Dieu ! comme il fait noir là ! Apportez une lumière, pour que je puisse la voir.
— Hélas ! elle est si mal, qu’elle ne peut supporter la lumière.
La demoiselle s’approcha du lit, à tâtons, et demanda :
— Comment êtes-vous, ma pauvre femme ?
— Mal, répondit une voix si faible, qu’on l’entendait à peine ; hélas ! j’en mourrai, sans doute ; mais, ce qui me peine le plus, c’est de songer que j’ai laissé mourir, faute de soins, un petit enfant que j’ai eu…
— Que cela ne vous tourmente pas, ma pauvre femme ; moi aussi, j’ai eu un enfant, du jardinier de mon père, et personne n’en a jamais rien su.
Et elle lui donna une pièce d’or et s’en alla.
Le lendemain, la fermière alla encore chercher du bouillon au château, et une autre des trois demoiselles l’accompagna, pour voir la malade.
— Comment vous trouvez-vous, ma pauvre femme ? lui demanda-t-elle.
— Mal, fort mal ! répondit une voix d’une faiblesse extrême ; hélas ! j’en mourrai, sans doute ; mais, ce qui me peine le plus, c’est un enfant que j’ai eu, sans être mariée, et que j’ai laissé mourir, faute de soins.
— Bast ! que cela ne vous tourmente pas tant ; moi aussi, j’ai eu deux enfants, sans être mariée, et ils sont morts tous les deux, et personne n’en a jamais rien su.
Et elle lui donna aussi deux pièces d’or, et s’en alla.
— Tout ceci est bon à savoir, se disait le jeune seigneur.
Le troisième jour, quand la fermière alla encore chercher du bouillon, au château, pour la prétendue malade, la troisième demoiselle vint avec elle à la ferme.
— Comment allez-vous, ma pauvre femme ? demanda-t-elle, comme les autres.
— Mal, très mal ! et j’en mourrai, sans doute ; mais ce qui me tourmente le plus, en ce moment, c’est la pensée d’un enfant que j’ai eu, sans être mariée, et que j’ai laissé mourir, faute de soins.
— Bast ! ne vous tourmentez donc pas tant, pour si peu ; j’en ai eu trois, moi, et ils sont morts tous les trois, sans que personne en ait jamais rien su.
Et elle lui donna aussi trois pièces d’or, et s’en alla.
— Je me souviendrai de tout ceci… Et elles veulent encore m’avoir pour mari !… se dit le jeune seigneur.
Le lendemain matin, il dit à la fermière :
— Allez encore, pour la dernière fois, chercher du bouillon au château et demandez, de plus, un panier de salade et la gardeuse de pourceaux pour vous le porter jusqu’à la ferme.
La fermière se rendit au château, pour la quatrième fois, et en revint avec la gardeuse de pourceaux. Celle-ci demanda à voir aussi la malade.
— Comment êtes-vous, ma pauvre femme ? lui demanda-t-elle.
— Mal, très mal ! J’en mourrai, sans doute ; mais, ce qui me chagrine le plus, c’est que j’ai laissé mourir, faute de soins, un enfant que j’ai eu.
— Vous êtes mariée ?
— Hélas ! non.
— Dieu ! que me dites-vous là ? Et moi, qui suis la fille du roi d’Espagne, j’ai quitté le palais de mon père, habillée en servante, et je me suis faite gardeuse de pourceaux, pour ne pas tomber dans le péché !… Mais, peu importe, Dieu est bon et miséricordieux ; priez-le, du fond du cœur, je le prierai aussi, et il vous pardonnera.
Et elle s’en alla.
— Je sais, à présent, ce que je voulais savoir, se dit le jeune seigneur.
Il se leva alors et prit, joyeux, la route de la maison. Il tua une perdrix, et l’apporta au château. Quand il arriva, sa mère lui sauta au cou, pour l’embrasser, et les trois demoiselles firent comme elle. Il fit cuire la perdrix qu’il avait prise et dit à sa mère qu’il voulait souper seul avec les trois demoiselles, dans sa chambre.
Quand on servit la perdrix, il la découpa en six morceaux : en mit un dans l’assiette d’une des demoiselles, deux dans celle de la seconde, et ois dans celle de la troisième.
— C’est moi, pensa celle-ci, qui suis celle qu’il préfère et qui l’épouserai !
— À présent, Mesdemoiselles, dit-il alors, il faudra danser !
— Oui, répondirent-elles, après souper ; mais, nous n’avons qu’un danseur et pas de sonneur (ménétrier).
— Voici le ménétrier qui vous fera danser, mères dénaturées et sans cœur, dit-il en prenant un fouet pendu à un clou au mur.
Et il se mit à cingler les demoiselles, à tour de bras. Et des cris, des sanglots et des larmes.
— Pardon ! pitié ! miséricorde ! criaient-elles.
— Pitié, dites-vous ? Et avez-vous eu pitié, vous, de vos enfants, que vous avez fait mourir secrètement : vous, un ; vous, deux, et vous trois ?…
Ce n’est pas vrai ! criaient-elles.
Comment, ce n’est pas vrai ? Mais, c’est vous-mêmes qui me l’avez avoué ! Car sachez que je suis la prétendue malade à qui vous avez livré votre secret, dans la ferme. Retournez, vite, chez vos parents, et que je ne vous revoie plus !
Et les pauvres demoiselles s’en allèrent, toutes honteuses et tout en larmes.
Alors, le jeune seigneur fit appeler la gardeuse de pourceaux :
— Il faut, Mademoiselle, lui dit-il, que vous me disiez, à présent, la vérité et avouiez qui vous êtes, car je sais que vous êtes autre chose que ce que vous paraissez.
— Qui je suis ? répondit-elle, une pauvre fille sans père ni mère, ni aucun soutien au monde, et qui a été bien heureuse d’avoir été prise, dans votre maison, pour garder les pourceaux.
— À quoi bon dissimuler, plus longtemps ? Vous êtes la fille du roi d’Espagne, et je sais pourquoi vous avez quitté le palais de votre père.
— Qui donc vous l’a dit ?
— Vous-même.
— Moi ?… Quand donc et où ?
— Dans la maison de la fermière, car c’est moi qui étais la prétendue malade couchée dans l’obscurité, sous l’escalier.
— Est-ce vrai, mon Dieu ?
— C’est parfaitement vrai, comme je désire vous avoir pour femme, et non une autre.
On écrivit au roi d’Espagne, qui se hâta de venir, et on célébra le mariage, et il y eut des fêtes et des festins magnifiques.
J’étais là moi-même, comme tournebroche ; mais comme je trempais mon doigt dans toutes les sauces, un grand diable de cuisinier vint, qui me donna un coup de pied dans le c. et me lança jusqu’ici pour vous conter ce joli conte.
Plouaret, 1869.
Serait-ce ici le thème primitif d’après lequel Perrault aurait écrit son conte si connu de Peau d’Ane ? Dans ce cas, il l’aurait sensiblement modifié, dans sa seconde partie surtout, en substituant l’épisode du gâteau et de l’anneau à l’épreuve de la ferme, dans le nôtre, qu’il aura jugé trop cru et trop réaliste pour les jeunes lecteurs à qui il s’adressait.
IL y avait, une fois, un prince en Tréguier qui avait un fils unique. Ce fils, s’ennuyant à la maison, voulut voyager. Son père lui donna de l’or et de l’argent, à discrétion, plus un beau cheval et il partit.
Il dépensa tout son argent, au jeu et avec les femmes, vendit son cheval, et le voilà sans le sou, à pied, et ne connaissant aucun métier pour gagner sa vie. Que faire ? Il marcha à l’aventure.
Un soir, après une longue marche, il arriva, exténué de fatigue et de faim, à une pauvre chaumière, sur une grande lande aride et désolée. Un vieux tailleur y habitait, avec sa femme. Il demanda l’hospitalité, pour la nuit. La femme était seule à la maison (son mari était allé à sa journée), et elle lui répondit :
— Hélas ! mon fils, nous sommes si pauvres, Lie nous ne pouvons vous loger, et je le regrette ; nous n’avons qu’un seul lit et du pain d’orge et de la galette de sarrazin, pour toute nourriture.
— Au nom de Dieu, ayez pitié de moi, je suis faible, que je ne puis aller plus loin ; je passerai la nuit sur la pierre du foyer.
— Restez, alors ; nous partagerons avec vous, de bon cœur, le peu que nous avons.
Le tailleur rentra, peu après, et ne trouva rien à redire à la conduite de sa femme.
Le lendemain matin, le prince demanda à son hôte s’il ne connaissait pas, dans les environs, quelque bonne maison où il pourrait trouver à gagner sa vie, comme jardinier ou valet d’écurie.
— Je ne connais guère que des pauvres, par ici, lui répondit le tailleur ; cependant, à une bonne journée de marche, il y a un vieux château, au milieu d’un bois, et peut-être trouverez-vous là ce que vous cherchez.
Le prince remercia son hôte et se remit en route, à la grâce de Dieu.
Au coucher du soleil, il arriva sous les murs du château dont lui avait parlé le tailleur. Il paraissait inhabité et depuis longtemps abandonné.
Les ronces, les épines et les folles herbes l’envahissaient, de tous côtés, et grimpaient jusqu’au sommet des tours et sur les toits. Il eut toutes les peines du monde à se frayer un passage jusqu’à la porte. Il pénètre dans la cour et ne voit personne et n’entend aucun bruit. Il entre dans la cuisine, et là il aperçoit, accroupie sur la pierre du foyer, une vieille femme aux cheveux blancs en désordre, et aux dents longues comme celles d’un râteau.
— Bonsoir, grand’mère, lui dit-il.
— Bonsoir, mon fils ; que demandez-vous ? répondit la vieille.
— Je demande l’hospitalité et du travail.
— Approchez, mon enfant, venez vous chauffer un peu et me conter votre histoire.
Le prince mit la vieille au courant de sa situation, et elle se montra bien disposée pour lui. Elle le fit manger, puis le conduisit à sa chambre à coucher et lui dit :
— Dormez là, tranquille, mon enfant, et demain matin, je vous trouverai de l’occupation. Vous entendrez peut-être, dans la chambre à côté, quelque bruit, qui vous étonnera ; mais, quoi que vous entendiez, n’ouvrez pas la porte de cette chambre, ou vous aurez à vous en repentir.
Et elle s’en alla, là-dessus.
Le prince se coucha ; mais, il entendit bientôt, dans la chambre voisine, des plaintes et des gémissements, qui l’empêchèrent de dormir.
— Qu’est-ce que cela peut bien être ? se dirait-il ; il faut qu’il y ait là quelque malade, qui souffre beaucoup.
Et comme les plaintes et les gémissements continuaient et lui rendaient le sommeil impossible, il se leva et ouvrit la porte de la chambre défendue. Mais aussitôt il recula d’épouvante, à la vue d’un énorme serpent. Le serpent prit la parole, comme un homme, et lui dit :
— Sois le bienvenu, prince de Tréguier ! Je te plains cependant, car je crains que tu ne sois traité ici comme moi-même. Et pourtant, tu peux encore éviter ce malheur et te sauver, en me sauvant aussi. Promets-moi de faire exactement ce que je te dirai, et tout ira bien.
Le prince était tellement frappé de ce qu’il voyait et entendait, qu’il ne pouvait parler.
— Ne t’effraie pas et ne crains rien de moi, car je ne te veux que du bien, reprit le serpent ; me promets-tu de faire ce que je te dirai ?
— Oui, si je le puis, répondit-il enfin.
— Écoute bien, alors : va tout doucement au bois, coupes-y un fort bâton de houx ou de coudrier, apporte-le ici et je te dirai ce que tu devras faire, ensuite.
Le prince se rend au bois, y coupe un gros bâton de coudrier et revient avec. Le serpent lui dit alors :
— À présent, fourre-moi le bâton dans le corps, par la bouche, puis, me chargeant sur ton dos, pars en silence, pendant que la vieille dort, et emporte-moi hors d’ici. Tu marcheras tout droit devant toi, jusqu’à ce que tu trouves un autre château. Quand tu te sentiras faiblir, ou que tu auras faim ou soif, lèche l’écume que j’aurai à la bouche, et aussitôt tu te sentiras réconforté.
Le prince charge le serpent sur son dos et part, sans bruit. Il marche et marche. Quand il a faim ou soif, il lèche la bouche du reptile et continue sa route. Mais, à force de marcher, il se fatiguait et demandait souvent :
— Est-ce que c’est encore loin ?
— Courage ! lui répondait le serpent, nous approchons.
Et il allait encore.
— Je n’en puis plus, je vais vous jeter à terre, dit-il enfin.
— Ne vois-tu pas, devant toi, une haute muraille ?
— Si, mais c’est encore loin.
— Lèche-moi la bouche, et continue de marcher ; encore un effort, et nous sommes sauvés.
Enfin, avec bien du mal, le prince arrive au pied de la muraille : il franchit la porte, qu’il trouve ouverte, et le voilà dans la cour du château.
— Holà ! cria alors le serpent, tout va bien ! retire-moi le bâton du corps.
Le prince retira le bâton et se trouva aussitôt en présence d’un roi, avec la couronne en tête, au lieu d’un serpent.
— Ma bénédiction sur toi, prince de Tréguier, lui dit le roi ; il y a cinq cents ans que j’avais été métamorphosé en serpent par un méchant magicien. J’ai trois filles, d’une beauté remarquable, qui habitent dans ce château et que le même magicien y retenait aussi enchantées et endormies ; en me délivrant, tu les as également délivrées, et je te donne la main de celle des trois que tu préféreras. Les voilà, qui nous appellent, chacune à la fenêtre de sa chambre.
Et les princesses saluaient en effet leur père et tendaient vers lui leurs mains, en disant :
— Voilà notre père revenu ! Il y a cinq cents ans que nous ne l’avions vu ; courons à sa rencontre !
Et les trois princesses descendirent, et se jetèrent au cou du vieillard, en pleurant de joie ; puis le roi leur dit, en leur montrant le prince :
— Voici, mes enfants, le prince de Tréguier, à qui nous devons notre délivrance des charmes du magicien, et je désire qu’une de vous, celle qu’il choisira, le prenne pour époux.
— Le prince de Tréguier !… Qu’est-ce que cela ?… répondirent les deux aînées, d’un air dédaigneux.
— Moi, mon père, je le prendrai volontiers, puisque c’est à lui que vous devez votre délivrance, dit la cadette.
— Sotte ! lui dirent ses sœurs, qu’il montre du moins ce dont il est capable.
— C’est juste, répondit le vieux roi.
Et il donna au prince une épée enchantée et un beau cheval blanc et lui dit :
— Vas en Russie avec cette épée, et ce cheval. Le cheval connaît la route et te conduira, et pendant que tu tiendras l’épée, tu pourras être sans inquiétude, car elle n’a pas son égale au monde. Avec les deux, tu triompheras partout de tes ennemis. Quand tu seras dans une bataille, au milieu de la mêlée, tu n’auras qu’à lever l’épée en l’air, en disant : — Fais ton devoir, ma bonne épée ! et aussitôt, se démenant et frappant d’elle-même, comme une enragée, elle abattra et taillera en pièces tout ce qui se trouvera sur son chemin, excepté toutefois ce que tu lui diras d’épargner. Tu arriveras en Russie, au moment d’une grande bataille ; tu lanceras ton cheval au milieu de la mêlée et diras à ton épée de faire son devoir, et elle le fera, sois tranquille ; elle massacrera et tuera tout. De même, quand tu seras à la chasse, elle poursuivra et atteindra le gibier ; tu n’auras qu’à la regarder faire. L’empereur de Russie, pour reconnaître le service que tu lui auras rendu (car c’est pour lui que tu combattras), t’accordera la main de sa fille unique, qui est d’une beauté merveilleuse, et dont tu deviendras amoureux, sitôt que tu la verras. Ta femme te trahira avec un des généraux de son père, qui sera son amant. Ils viendront à bout de te dérober ton épée, et dès lors, tu ne pourras plus te défendre. Tu seras mis à mort et ton corps haché menu, comme chair à pâté. Mais, ne t’effraye pas, car, malgré tout, tu ressusciteras et épouseras un jour la fille du roi de Naples[20]. Avant de mourir, demande que l’on mette dans un sac ton corps, ainsi réduit en menus morceaux, et que le sac soit mis sur le dos de ton cheval, que l’on laissera aller en liberté. On te l’accordera facilement. Le cheval reviendra à la maison, et dès lors, tu seras sauvé, car avec de l’eau merveilleuse que je possède, de l’eau de vie, je te ressusciterai et reconstituerai ton corps, aussi entier et aussi sain qu’il le fut jamais.
Le prince se rend en Russie avec son bon cheval et sa bonne épée. Quand il y arrive, on est au plus fort d’une sanglante bataille. Il lance son cheval dans la mêlée, va se placer entre les deux armées et lève son épée en l’air en disant : — « Fais ton devoir, ma bonne épée ! » et en lui indiquant le côté où il faut frapper. L’épée se rue comme la foudre sur les ennemis et les couche tous à terre, en un clin-d’œil.
L’empereur de Russie, sauvé par une intervention si merveilleuse et si inattendue, emmena le prince de Tréguier à sa cour et le combla d’honneurs et de faveurs. Il vit la fille de l’empereur, qui était d’une beauté merveilleuse, et en tomba aussitôt amoureux. Il demanda sa main, l’obtint facilement, et le mariage fut célébré, avec pompe et solennité, de grands festins et de belles fêtes.
Cependant la princesse aimait peu son mari, et lui préférait un jeune et beau général des armées de son père. Le prince de Tréguier, qui en avait été prévenu et connaissait d’avance ce qui devait lui arriver, ne paraissait pas s’en soucier, et passait la plus grande partie de son temps à la chasse. Il prenait tant de gibier de toute sorte, grâce à son épée, — perdrix, bécasses, lièvres, chevreuils, loups, sangliers, ours, — que tout le monde en était étonné, et les princes et les courtisans furent bientôt tous jaloux de lui, mais principalement le jeune général qui se montrait si assidu et si empressé auprès de sa femme.
— Comment donc s’y prend-il ? se demandait celui-ci ; il doit y avoir quelque sorcellerie là-dessous, et je ferai en sorte de la découvrir.
Un jour, que le prince de Tréguier avait abattu une quantité incroyable de pièces de toute sorte, sa femme se montra plus aimable que d’ordinaire à son égard, feignit d’être fière de lui et lui dit :
— Quel chasseur vous faites, prince ! Jamais on n’a vu votre pareil, et si vous ne vous modérez, vous êtes capable de détruire tout le gibier de la Russie. Tous nos chasseurs sont dépités et humiliés de vos exploits, autant que j’en suis fière, moi. Mais, comment faites-vous donc, dites-moi, pour tuer tant de bêtes, tous les jours ? C’est vraiment merveilleux !
— Je vous le dirai, mais, à vous seule et en vous demandant le secret le plus absolu, répondit le prince. J’ai une épée enchantée, qui ne me quitte jamais, et quand je lui dis : — Fais ton devoir, ma bonne épée ! elle atteint et terrasse tout ce que je veux, à la chasse comme dans un combat entre deux puissances rivales.
— Je pensais bien qu’il y avait quelque magie là-dessous, répondit la princesse ; — et en même temps elle se disait à part soi : — C’est bon ! cette épée sera bientôt à moi ; je substituerai une autre épée à la sienne, pendant qu’il dormira, et le tour sera joué.
Et en effet, dès le lendemain matin, la substitution était opérée, sans que le prince en sût rien, et, en se levant, il prit l’épée qu’il trouva sous son oreiller, ne doutant pas que ce ne fût la sienne, parce qu’il la mettait là, tous les soirs, et partit à la chasse, comme d’ordinaire. Mais, il avait beau dire à cette épée : Fais ton devoir, ma bonne épée ! quand passaient les lièvres et les chevreuils, ou que les perdrix et les bécasses s’envolaient, elle n’en faisait rien.
— Hélas ! je suis trahi ! s’écria le prince, en voyant cela.
Et, pour la première fois, il rentra sans avoir rien pris, triste et la tête baissée.
Sa femme et son amant le firent saisir et enchaîner aussitôt, par leurs valets.
— Je n’ignore pas d’où me vient cette trahison, leur dit-il, mais, puisqu’on veut se défaire de moi, je demande, pour toute grâce, que mon corps soit découpé en morceaux, aussi menus que l’on voudra, et que tous ces morceaux, réunis dans un sac, soient chargés sur le dos de mon cheval blanc, que l’on laissera aller aussitôt en liberté.
On le lui promit, et on fît ce qu’il demandait. Le cheval se rendit tout droit, avec sa charge, à la cour du roi Serpent. Quand il entra dans l’écurie, les valets furent suffoqués par l’odeur infecte qui y entra avec lui, et sortirent tous. Un d’eux alla trouver le roi et lui dit :
— Le cheval blanc, qui était parti pour la Russie, vient d’arriver, sire, portant sur son dos un sac rempli de je ne sais quoi, mais qui répand une odeur si infecte, que ni homme ni bête ne peut la supporter.
— Apporte-moi, vite, le sac ici, répondit le roi.
Le valet apporta le sac au roi. Celui-ci l’ouvrit, répandit sur le contenu informe et puant quelques gouttes de son eau merveilleuse, et le prince de Tréguier en sortit, aussi sain de tous ses membres, qu’il l’avait jamais été.
Trois jours après, le roi Serpent dit encore au prince de Tréguier qu’il lui fallait retourner en Russie.
— Cette fois, ajouta-t-il, vous y irez sous la forme d’un beau cheval blanc. Je vous mettrai dans l’oreille gauche une fiole de mon eau de vie, car vous en aurez encore besoin. Quand vous arriverez à la cour de l’empereur, vous vous rendrez tout droit à l’écurie. Il y a, dans le palais, une jeune fille, dédaignée et méprisée par tout le monde, et que l’on emploie à garder les dindons, bien qu’elle soit de haute naissance. comme vous l’apprendrez plus tard. On l’appelle Souillon, et c’est elle qui vous viendra en aide. Quand elle vous verra arriver, elle dira à votre femme, qui s’est remariée à son ancien amant le général : — Ah ! Madame, le beau cheval qui vient d’arriver dans votre écurie, on ne sait d’où ! Votre femme se rendra aussitôt à l’écurie, et, en vous voyant, elle dira : — Ceci doit être quelque chose de la part de mon premier mari ! Et aussitôt, elle donnera l’ordre de vous tuer, de vous hacher en menus morceaux et de jeter le tout dans une fournaise ardente, pour y être consumé par le feu. En entendant cela, Souillon s’écriera : — Un si beau cheval ! c’est vraiment pitié de le tuer ! Et elle s’approchera de vous pour vous caresser de la main. Dites-lui alors, tout doucement, de prendre la fiole que vous aurez dans l’oreille gauche, et soyez sans inquiétude, car elle saura quel emploi elle devra en faire.
Le prince se rend donc une seconde fois en Russie, sous la forme d’un beau cheval blanc. Sa femme, dès qu’elle le voit, donne l’ordre de le mettre à mort, de le hacher en menus morceaux et de jeter le tout dans une fournaise ardente. Mais, Souillon s’est déjà emparée de la fiole d’eau de vie, qui était dans son oreille. Quand le cheval est tué et haché en menus morceaux, elle forme une petite boule de son sang caillé, la dépose sur une pierre, au soleil, et l’arrose de quelques gouttes de son eau merveilleuse. Aussitôt, il s’en élève un beau cerisier, portant de belles cerises rouges et dont le sommet atteint à la hauteur de la fenêtre de la chambre de la princesse. Celle-ci, à cette vue, s’écrie encore :
— C’est quelque chose de la part de mon premier mari !
Et elle fait abattre le cerisier et le jeter au feu. Mais, Souillon a eu le temps d’en cueillir auparavant une belle cerise rouge. Elle la dépose au soleil, sur la pierre d’une fenêtre basse, verse dessus quelques gouttes de son eau merveilleuse, et aussitôt un bel oiseau bleu en sort, qui s’envole au jardin, en faisant : Dric ! dric !… La princesse et son mari, qui se promènent dans le jardin, remarquent l’oiseau et s’écrient :
— Oh ! le bel oiseau ! essayons de le prendre ! Et ils se mettent à sa poursuite. L’oiseau vole de buisson en buisson, sans jamais aller loin, et de façon à leur laisser tout espoir de le prendre. Le mari de la princesse dépose son épée à terre, afin de pouvoir courir plus librement. Alors, l’oiseau se pose sur l’épée, et aussitôt il devient un homme, le prince de Tréguier ! Celui-ci saisit l’épée et la brandit en s’écriant :
— Holà ! tout va bien ! Fais ton devoir, ma bonne épée !
Et l’épée se jeta sur la princesse et son mari, et leur trancha la tête.
Le prince de Tréguier vit alors s’avancer vers lui, avec un gracieux sourire, une princesse d’une beauté merveilleuse. Qui était-ce ? La plus jeune des trois filles du roi de Naples ou du roi Serpent, qui l’avait suivi et secouru, dans toutes ses épreuves, et s’était faite gardeuse de dindons, à la cour de l’empereur de Russie, afin de n’être pas reconnue, car c’était la Souillon elle-même.
Ils revinrent alors à Naples, où leur mariage fut célébré, avec grande pompe et solennité, et il y eut, à cette occasion, de grandes fêtes et de grands festins. J’aurais bien voulu être aussi par là, quelque part, à la cuisine, par exemple, à laver la vaisselle ; assurément, j’aurais mieux soupé que je ne le fais ordinairement, avec des pommes de terre cuites à l’eau pour tout régal.
(Côtes-du-Nord). — Décembre 1868.
ET L’OISEAU DE VÉRITÉ
IL y avait une fois un vieux boulanger, qui était resté veuf avec trois filles. Un soir, après souper, elles devisaient, auprès du feu, de leurs amours.
— Qui aimes-tu, sœur aînée ? demanda la plus jeune.
— Le jardinier du roi, répondit l’aînée.
— Et toi ? demanda-t-elle à la seconde.
— Le valet de chambre du roi.
— Eh bien ! moi, c’est le fils du roi qui est mon amour !
— Le fils du roi ! tu plaisantes, s’écrièrent les deux autres.
— Non certainement, et je vous dirai même plus : j’aurai trois enfants du fils du roi, deux garçons, avec chacun une étoile d’or au front, et une fille, avec une étoile d’argent !
Le père, qui était dans son lit, et qui entendait la conversation de ses filles, leur dit alors :
— Quelle conversation vous avez là ! Il faut que vous ayez perdu la tête ; allez vous coucher, vite !
Et les trois filles allèrent se coucher.
Le fils du roi se promenait ce soir-là par la ville, accompagné de son valet de chambre et de son jardinier. Il vint une averse, et, pour se mettre à l’abri, ils se mirent sous l’auvent du boulanger, et entendirent la conversation des trois filles. Le prince prit le nom du boulanger, qui était sur son enseigne, et le lendemain matin, il envoya prier la fille aînée de venir lui parler au palais.
— Vous rappelez-vous, lui dit-il, ce que vous disiez hier soir, auprès du feu, dans la maison de votre père ?
La jeune fille fut bien surprise et eut peur.
— Ne craignez rien, ma fille, et parlez hardiment, car j’ai tout entendu ; vous rappelez-vous ce que vous disiez ?
— Oui, répondit-elle.
— Et vous épouseriez volontiers mon jardinier ?
— Oui.
— C’est bien ; retournez à la maison, et dites à votre sœur puînée de venir aussi me parler.
Quand celle-ci arriva au palais, le prince lui demanda, comme à sa sœur aînée :
— Vous rappelez-vous ce que vous disiez, hier soir, auprès du feu, chez votre père ?
— Oui sûrement, sire, répondit-elle.
— Et vous prendriez volontiers mon valet de chambre pour mari ?
— Oui, sire.
— C’est bien ; retournez à la maison et dites à votre plus jeune sœur de venir aussi me parler.
Celle-ci vient à son tour, et le prince lui demande comme aux deux autres :
— Vous rappelez-vous ce que vous disiez, hier soir, auprès du feu, dans la maison de votre père ?
— Je me le rappelle, sire, répondit-elle.
— Et vous m’épouseriez volontiers ?
— Oui, sire, de bon cœur.
— Et vous auriez trois enfants, comme vous le disiez, deux garçons, avec chacun une étoile d’or au front, et une fille, avec une étoile d’argent ?
— Oui, aussi vrai que je l’ai dit, sire.
— Eh bien ! vous serez alors ma femme. Retournez, à présent, à la maison, et dites à votre père de venir me parler.
La jeune fille s’en retourne à la maison, tout heureuse, et dit à son père d’aller parler au fils du roi, dans son palais.
— Pourquoi ? répondit le vieillard ; je vous l’avais bien dit : votre conversation frivole est arrivée jusqu’aux oreilles du prince, et maintenant il m’appelle pour me punir, sans doute.
— Non, non, mon père ; allez et ne craignez rien, lui dirent ses filles.
Le vieux boulanger se rendit au palais, triste et soucieux, comme s’il allait à la mort. Mais, quand il entendit le fils du roi lui demander ses trois filles en mariage : une pour son jardinier, une autre pour son valet de chambre, et la troisième pour lui-même, il en éprouva autant de bonheur et de joie qu’il avait eu d’abord d’inquiétude et de peur. Les trois noces furent faites immédiatement, et, pendant un mois entier, il y eut, tous les jours, des festins, des danses et toutes sortes de divertissements.
Le jardinier et le valet de chambre allèrent demeurer en ville, avec leurs femmes, et le jeune prince resta avec la sienne dans le palais de son père. Les deux autres étaient jalouses de celle-ci, parce qu’elle était maintenant princesse, et elles cherchaient tous les jours le moyen de la perdre. Quand elles la virent enceinte, elles allèrent consulter une vieille fée. Celle-ci leur dit qu’il fallait gagner la sage-femme de la princesse, pour lui faire substituer un petit chien à l’enfant nouveau-né, lequel serait exposé sur la rivière.
Elles recommandèrent donc à leur sœur une sage-femme qui était, disaient-elles, la meilleure de tout le royaume. La princesse demanda à la voir, et lui fit bon accueil. Quand son temps fut venu, elle donna le jour à un fils, un enfant magnifique, avec une étoile d’or au milieu du front. La sage-femme livra aussitôt la pauvre créature à un homme, qui attendait à la porte, pour aller l’exposer sur la Seine, qui, m’a-t-on dit, passe à Paris. Puis elle mit à sa place, dans le berceau, un petit chien qu’elle avait amené. Quand le prince demanda à voir son enfant, on lui montra le petit chien.
— Dieu, que me montrez-vous là ? s’écria-t-il.
— Hélas ! mon prince, répondit la sage-femme perfide. Dieu fait tout comme il lui plaît !
— Ah ! malheur à moi ! Mais, il ne sert de rien de me plaindre, puisque c’est la volonté de Dieu. Ayez toujours soin de cette pauvre créature.
Le mari de la fille aînée du boulanger, le jardinier du roi, avait un beau jardin, au bord de la rivière, et, comme il s’y promenait, un jour, il vit un panier qui suivait le cours de l’eau. Il monta dans son bateau, atteignit le panier, et fut bien étonné d’y trouver un bel enfant, avec une étoile d’or au milieu du front.
— Loué soit Dieu, dit-il, qui m’envoie un si bel enfant, à moi qui n’en ai point !
Et il le porta à sa femme, et celle-ci le reçut avec une grande joie et prit plaisir à l’élever, comme si ç’avait été son propre enfant.
Un an après, la princesse donna le jour à un second fils, ayant aussi une étoile d’or au front, comme le premier. La sage-femme perfide lui substitua encore un petit chien, et le pauvre enfant fut aussi exposé dans un panier sur l’eau, comme son frère.
Le roi (le prince était devenu roi, son père étant mort) demanda à voir son enfant nouveau-né.
— Ah ! encore un chien ! s’écria-t-il, dès qu’il le vit, et il détourna la tête, et se mit à pleurer. Mais, puisque c’est la volonté de Dieu ! reprit-il ; ce que Dieu fait est bien fait.
Le jardinier, qui était à pêcher à la ligne, dans son jardin, vit encore un panier qui descendait la rivière. Il le recueillit, comme l’autre, et accourut apporter à sa femme le bel enfant qu’il y trouva. Celle-ci l’accueillit encore avec joie, en disant :
— À merveille ! Nous en aurons à présent chacun un, vous et moi !
On chercha un parrain et une marraine, et l’enfant fut baptisé.
Cependant, la reine devint mère pour la troisième fois, et, cette fois, elle donna le jour à une fille, avec une étoile d’argent au milieu du front. La sage-femme perfide lui substitua encore un petit chien, et la pauvre créature fut exposée comme ses frères.
Cette fois, le roi se mit à jurer et à tempêter, comme un diable, quand on lui montra encore un petit chien.
— On m’appellera, dit-il, le père des chiens ! et ce ne sera pas sans raison. Mais, tout ceci n’est pas de la part de Dieu ; il y a quelque mystère là-dessous !
Et il fait enfermer la reine dans une tour, avec du pain et de l’eau, pour toute nourriture, et un petit livre pour lire.
Le jardinier trouve encore l’enfant, entraînée par l’eau, et la recueille et l’apporte à la maison, comme les deux autres.
— Assez d’enfants comme cela ! dit sa femme, en le voyant arriver avec le panier. Comment fais-tu donc pour trouver tant d’enfants ? Prends garde que tu n’en sois toi-même le père ?
— C’est bien, ma femme, calmez-vous ; je vais porter l’enfant où je l’ai trouvée, sur l’eau ; et pourtant c’est grand’pitié ; ô la jolie petite fille !
— C’est une fille, dis-tu ? Montre-la-moi. Oh ! le joli petit ange ! avec une étoile d’argent au milieu du front ! Nous la garderons, mon homme ; nous avons assez de biens, et puisque Dieu ne nous a pas donné d’enfants, ceux-ci nous en tiendront lieu[21].
Cependant la pauvre reine était dans sa tour, pleurant et gémissant, nuit et jour, et personne ne la visitait. Ses deux sœurs étaient heureuses avec leurs maris.
Le jardinier et sa femme vinrent à mourir. Le roi fit venir leurs trois enfants dans son palais, et, comme c’étaient de beaux enfants, et bien élevés, ils lui plaisaient beaucoup. Chaque dimanche, on les voyait dans son banc, à l’église, à la grand’messe, ayant chacun son bandeau sur le front, pour cacher les étoiles. Tout le monde était étonné de voir ces bandeaux, et on se demandait : — Qu’est-ce que cela veut dire ?
Un jour que le roi était à la chasse, une vieille femme arriva dans la cuisine du palais, en disant :
— Hou ! hou ! hou ! comme j’ai froid ! Et elle tremblait, et ses dents claquaient.
— Approchez-vous du feu, grand’mère, lui dit la jeune fille à l’étoile d’argent, qui se trouvait là.
— Ma bénédiction soit sur vous, mon enfant. Dieu, que vous êtes belle ! Ah ! si vous aviez l’Eau qui danse, la Pomme qui chante et l’Oiseau de Vérité, vous n’auriez pas votre pareille sur la terre !
— Oui, grand’mère ; mais, comment avoir ces merveilles-là ?
— Vous avez ici deux frères, qui peuvent vous les procurer.
Puis elle partit, sans rien dire de plus.
La jeune fille ne songeait, depuis ce moment, qu’aux paroles de la vieille femme ; elle ne rêvait que de l’Eau qui danse, de la Pomme qui chante et de l’Oiseau de Vérité, et elle était toute triste.
— Pourquoi es-tu triste ainsi ? lui demandaient ses frères.
— Ce n’est rien, répondait-elle.
— Si ! il y a quelque chose, et il faut que tu nous dises quoi.
— Il est venu une vieille femme se chauffer à la cuisine, et elle m’a dit : « Si vous aviez, mon enfant, l’Eau qui danse, la Pomme qui chante ci l’Oiseau de Vérité, vous n’auriez pas votre pareille sur la terre ! » Et depuis, je ne fais que rêver de l’Eau qui danse, de la Pomme qui chante et de l’Oiseau de Vérité. Mais comment se procurer ces merveilles-là ?
— Moi, petite sœur, je te les trouverai, si elles existent quelque part sur la terre, lui dit son frère aîné.
— Comment cela, frère chéri ?
— Laisse-moi faire, et sois sans inquiétude. Tiens, voilà un poignard que je te donne ; tire-le de son fourreau, plusieurs fois par jour, pendant un an et un jour ; aussi longtemps que tu pourras le tirer, il ne me sera arrivé aucun mal ; mais quand tu ne pourras plus le tirer, hélas ! alors j’aurai cessé de vivre[22] !
Il fait alors ses adieux à son frère et à sa sœur, et part.
Sa sœur tirait souvent du fourreau la lame du poignard, et elle en sortait facilement. Mais, hélas ! un jour, elle ne put pas la tirer, bien qu’elle s’efforçât de son mieux. Elle se mit alors à pleurer.
— Qu’as-tu, ma chère petite sœur ? lui demanda son second frère.
— Hélas ! pauvre frère, notre frère aîné a cessé de vivre !
Et les voilà de pleurer tous les deux.
— Il faut que j’aille à sa recherche !
— Oh ! non, ne va pas, mon frère, reste ici avec moi.
— Non, il faut que j’aille, et je ne cesserai pas de marcher que je n’aie retrouvé mon frère. Voici un chapelet que je te donne ; passes-en les grains continuellement ; quand il y en aura un qui s’arrêtera, alors, moi aussi, j’aurai cessé de vivre !
Et il fit ses adieux à sa sœur et partit.
Celle-ci, restée seule, était triste et soucieuse. Elle ne cessait de passer les grains de son chapelet, et elle voyait avec plaisir qu’ils passaient facilement. Mais, hélas ! un jour, il y en eut un qui s’arrêta.
— Mon Dieu, s’écria-t-elle, mon second frère est mort aussi ! Que ferai-je, à présent ? Il faut que j’aille à leur recherche, et je ne cesserai de marcher, que je ne les aie retrouvés, morts ou vifs.
Elle achète un cheval, s’habille en cavalier, et part, sans en rien dire à personne. Elle continue d’aller, d’aller, jusqu’à ce qu’elle arrive dans une grande plaine.
Là, elle vit, dans un vieil arbre creux, un petit vieillard, avec une barbe longue et blanche.
— Bonjour, la fille du roi de France ! lui dit le petit homme à la longue barbe.
— Bonjour, grand-père ; mais, vous me prenez sûrement pour une autre, car moi, je ne suis pas fille du roi de France.
— Non, non, je ne me trompe pas, car je vous connais bien.
— Comment, grand-père, est-ce que cette longue barbe ne vous incommode pas ?
— Si fait, ma pauvre enfant ; il y a cinq cents ans que je la porte, et j’en suis bien incommodé, assurément.
— Si vous voulez, je vous la couperai.
— Oh ! oui, faites donc.
Elle tira des ciseaux de sa poche et coupa la barbe du petit vieillard.
— Ma bénédiction soit sur vous, dit-il, fille du roi de France, car vous m’avez délivré ! Depuis cinq cents ans, il a passé bien du monde par ici, et personne n’avait eu pitié de moi, avant vous ; mais, vous n’aurez pas lieu de le regretter. Je sais où vous allez ; vous allez à la recherche de vos deux frères. Écoutez-moi bien, et faites exactement comme je vous dirai. À soixante lieues d’ici, vous trouverez une auberge, au bord du chemin. Descendez là, mangez, buvez, puis, laissez-y votre cheval et dites que vous payerez, au retour. Tôt après que vous aurez quitté cette maison, vous vous trouverez au pied d’une montagne très haute. Vous aurez beaucoup de peine à gravir cette montagne, et il vous faudra même vous aider des pieds et des mains. Un vent furieux se déchaînera bientôt ; la grêle, la neige, la glace et un froid cruel vous assailliront ; mais, gardez-vous bien de perdre courage, et continuez à monter, quand même. Des deux côtés de la route, vous verrez un grand nombre de piliers de terre. Ce sont autant de personnes qui, comme vous, ont essayé de gravir la montagne, mais qui ont perdu courage et ont été métamorphosées en piliers de pierre. Parvenue au sommet, vous verrez une plaine, avec un gazon émaillé de fleurs, comme en plein mois de mai. Puis, vous verrez encore un siège d’or, sous un pommier. Asseyez-vous sur ce siège et faites semblant de dormir, et vous verrez un merle descendre du pommier, de branche en branche, et entrer dans une cage, qui est sous l’arbre. Fermez vite la cage, alors, car c’est là l’Oiseau de Vérité. Puis, vous couperez le branche du pommier, avec une pomme sur la branche ; c’est là la Pomme qui chante. Enfin, vous puiserez plein une fiole de l’eau d’une fontainetaine, qui est sous l’arbre, car c’est là la fontaine de l’Eau qui danse. Alors, vous pourrez vous en retourner. À mesure que vous descendrez de la montagne, vous répandrez une goutte de l’eau de votre fiole sur chaque pilier de pierre, et de chaque pierre sortira un chevalier. Vos deux frères se lèveront aussi, comme les autres.
La jeune fille remercia le petit homme, et continua sa route. Elle fit tout exactement comme on lui avait recommandé. Elle mangea et but à l’auberge, y laissa son cheval, et commença à gravir la montagne. Mais, bientôt survint un froid si intense, que tous ses membres en furent presque gelés et qu’elle faillit rester là et être changée en pierre comme les autres. Elle arriva pourtant sur le sommet de la montagne. Là, le ciel était clair et l’air tiède, comme au milieu de l’été. Elle s’assit dans le siège d’or, sous le pommier, et feignit de dormir. Le merle descendit alors de l’arbre, de branche en branche, et entra dans la cage. Elle se leva aussitôt et ferma la cage, et le merle, se voyant pris, dit :
— Tu m’as pris, fille du roi de France ! Beaucoup d’autres avaient essayé de me prendre, avant toi, nul n’avait pu y réussir, jusqu’à présent. Mais, tu as été conseillée par quelqu’un.
Elle coupa ensuite une branche du pommier, avec une pomme dessus, remplit sa fiole de l’eau de la fontaine, puis elle partit. À mesure qu’elle descendait la montagne, elle répandait une goutte d’eau sur chaque pilier de pierre, et il en sortait des princes, des ducs, des barons, des chevaliers ; ses deux frères se levèrent aussi, les deux derniers ; mais, ils ne reconnurent pas leur sœur. Et tous se pressaient autour d’elle, lui disant :
— Donnez-moi l’Eau qui danse, jeune chevalier ; d’autres : donnez-moi la Pomme qui chante ; et d’autres : donnez-moi l’Oiseau de Vérité !
Mais, elle partit vite, emportant l’Eau, la Pomme et l’Oiseau. En passant par l’auberge où elle avait laissé son cheval, elle paya son écot, puis s’en retourna promptement à la maison, et y arriva longtemps avant ses frères. Quand ceux-ci arrivèrent aussi, ils embrassèrent leur sœur.
— Ah ! mes pauvres frères, leur dit-elle, que d’inquiétude vous m’avez causé ! Comme votre voyage a duré longtemps ! Mais, Dieu soit loué, puisque vous voici de retour !
— Hélas ! oui, ma pauvre sœur, nous sommes restés longtemps absents, et encore n’avons-nous rien fait de bien ; nous avons même eu de la chance de pouvoir revenir !
— Comment, vous ne rapportez donc pas l’Eau qui danse, la Pomme qui chante et l’Oiseau de Vérité ?
— Hélas ! non, pauvre sœur, un jeune chevalier, que nous ne connaissons pas, les a emportés ! Dieu ! le beau chevalier ! nous aurions voulu que tu eusses pu le voir.
Le vieux roi, qui n’avait pas d’enfants (du moins il le croyait), aimait les enfants de sa belle-sœur, et était heureux de les voir revenus. Il fit faire un grand repas, auquel il invita beaucoup de monde, des princes, des ducs, des marquis, des barons, des généraux. Vers la fin du repas, la jeune fille posa sur la table l’Eau qui danse, la Pomme qui chante et l’Oiseau de Vérité, et leur commanda de faire chacun son devoir. Et aussitôt l’Eau se mit à danser, la Pomme à chanter et l’Oiseau à voltiger, au-dessus de la table. Et tout le monde, en extase, la bouche et les yeux ouverts, regardait et écoutait ces merveilles. Jamais ils n’avaient vu ni entendu rien de pareil.
— À qui appartiennent ces merveilles ? demanda le roi, quand il put parler.
— À moi, sire, dit la jeune fille.
— Qu’est-ce que c’est ?
— L’Eau qui danse, la Pomme qui chante et l’Oiseau de Vérité.
— Et de qui les tenez-vous ?
— C’est moi-même, sire, qui ai été les quérir.
Alors, les deux frères reconnurent que c’était leur sœur qui les avait délivrés. Quant au roi, il était près de perdre la tête, de joie et d’admiration.
— Ma couronne et mon royaume, dit-il, pour merveilles, et vous, vous serez reine !
— Patientez un peu, sire, jusqu’à ce que vous ayez entendu mon oiseau parler, l’Oiseau de Vérité, car il a des choses importantes à vous révéler. Mon petit Oiseau, dites, à présent, la vérité.
— Je le veux bien, répondit l’Oiseau, mais, que personne ne sorte de la chambre.
Et l’on ferma toutes les portes. La vieille sorcière de sage-femme et une des belles-sœurs du roi se trouvaient là aussi, et elles n’étaient pas à leur aise, en entendant ces paroles.
— Voyons, mon oiseau, dites la vérité, à présent.
Et voici comme parla l’Oiseau :
— Il y a maintenant vingt ans, sire, que votre femme est enfermée dans une tour, abandonnée de tout le monde, et vous la croyez morte depuis longtemps. Mais, elle n’est pas morte, elle n’a même souffert aucun mal, car c’est injustement qu’elle a été accusée et jetée dans une sombre prison.
La sage-femme et la belle-sœur du roi se dirent indisposées, en ce moment, et voulurent sortir.
— Personne ne sortira encore, leur dit le roi ; continuez de dire la vérité, petit Oiseau.
— Vous avez eu deux fils et une fille, sire, reprit l’Oiseau, nés tous les trois de votre femme, et les voici ! Enlevez-leur leurs bandeaux, et vous verrez que chacun d’eux a une étoile au front.
On enleva les bandeaux, et l’on vit que chacun des deux jeunes gens avait une étoile d’or au front, et la jeune fille avait une étoile d’argent !
— Les auteurs de tout le mal, reprit l’Oiseau, sont vos deux belles-sœurs et la sage-femme, cette sorcière du diable ! Celles-là vous faisaient croire que votre femme ne donnait le jour qu’à des petits chiens, et vos pauvres enfants étaient exposés, aussitôt nés, sur la Seine. Quand la sage-femme, ce tison de l’enfer, apprit que les enfants avaient été recueillis, et qu’on les élevait dans votre palais, elle chercha encore le moyen de les perdre. Elle pénétra un jour dans le palais, déguisée en mendiante, prête de mourir de froid et de faim, et elle inspira à la jeune princesse l’envie de posséder l’Eau qui danse, la Pomme qui chante et l’Oiseau de Vérité. Ses deux frères allèrent, l’un après l’autre, les lui chercher, et la sorcière pensait bien qu’ils n’en reviendraient jamais. Et ils ne seraient pas revenus, hélas ! si leur sœur n’avait réussi à les délivrer, avec beaucoup de peine, et à rapporter l’Eau qui danse, la Pomme qui chante et l’Oiseau de Vérité.
Le roi s’évanouit, en entendant tout cela, quand il revint à lui, il alla lui-même chercher la reine, à la tour, et il revint avec elle dans la salle du festin, en la tenant par la main. Elle n’avait changé en rien ; elle était belle et gracieuse, comme devant. Elle mangea et but un peu ; puis, elle mourut aussitôt sur la place !
Le roi, comme fou de douleur et de colère, ordonna de chauffer un four, sur-le-champ, pour y jeter sa belle-sœur et la sage-femme, ce tison de l’enfer. Ce qui fut fait.
Je n’en sais pas plus long sur la princesse et ses deux frères. Je pense qu’ils firent de bons mariages, tous les trois. Et pour ce qui est de l’Oiseau, on ne dit pas s’il continua de dire toujours la vérité. Mais, je présume que oui, puisque ce n’était pas un homme !
Décembre 1868
IL y avait une fois un vieux seigneur, qui avait trois fils. Il avait aussi un peu de bien, pas beaucoup. L’aîné de ses fils, qui se nommait Fanch, dit un jour à son père :
— Je veux voyager, pour chercher fortune.
— J’y consens, répondit le vieillard ; mais, je ne puis te donner que dix écus.
— Donnez-moi-les et je tâcherai de faire en sorte de me tirer d’affaire.
Et le voilà parti avec ses dix écus.
En arrivant à Rennes, il vit un homme qui bannissait, au son du tambour, sur les places et dans les carrefours de la ville, que le roi cherchait un homme pour lui construire un navire qui irait par eau et par terre. Sa récompense serait la main de la princesse, sa fille unique, à la condition pourtant qu’il la prît à court avec trois paroles, de manière à ce qu’elle ne pût lui répondre.
— Si je pouvais faire cela !… se dit Fanch ; je veux toujours essayer ; qui ne risque rien ne gagne rien.
Et il cria au bannisseur : — Je suis votre homme !
On le conduisit au palais du roi.
Le lendemain matin, on lui donna une cognée pour abattre, dans la forêt voisine, le bois nécessaire pour la construction du navire. Arrivé dans la forêt, il vit qu’on y avait déjà abattu beaucoup de bois, mais, qu’on l’avait enlevé, et il se dit :
— Je vois que je ne suis pas le premier à tenter l’aventure, et que beaucoup d’autres m’ont précédé ici.
Il se mit pourtant courageusement à l’ouvrage.
À midi, il s’assit sur le gazon, à l’ombre d’un vieux chêne, pour manger un morceau, du pain et du beurre et une crêpe de sarrazin, avec une bouteille de cidre. Une pie sautillait de branche en branche, au-dessus de sa tête, en disant :
— Part pour moi aussi ! part pour moi aussi !
— Laisse-moi tranquille, Margot-la-Pie, lui dit Fanch, impatienté, et va ailleurs chercher ton dîner.
— Quel travail fais-tu là ? reprit la Pie.
— Des cuillères, peut-être !… répondit Fanch, ironiquement.
— Des cuillères ? soit. Des cuillères ! des cuillères ! !… répliqua la Pie.
Et elle s’envola.
Quand il eut terminé son frugal repas, Fanch se remit à la besogne. Mais, à chaque coup de cognée, il détachait, à présent, une cuillère de l’arbre qu’il voulait abattre.
— Voici qui est étrange ! se dit-il ; il faut qu’il y ait de la sorcellerie là-dedans !
Et il jeta sa cognée et s’enfuit, en courant, vers la maison de son père.
En le voyant revenir, le vieillard lui dit :
— Ton voyage n’a pas été long, mon fils.
— Non, mon père, j’ai réfléchi que je ferais mieux de rester à la maison avec vous, et je suis revenu.
Il ne dit rien à personne de ce qui lui était arrivé.
Le second fils, nommé Hervé, voulut partir aussi. Son père ne lui donna que cinq écus.
En arrivant à Rennes, il entend aussi bannir, dans les carrefours et les rues de la ville, que le roi promet la main de sa fille unique à l’homme, quel qu’il soit, qui lui construira un navire pour aller sur terre comme sur mer. Il veut tenter l’aventure, comme son aîné, et le lendemain, après avoir passé toute la matinée à abattre des arbres dans la forêt, comme il mangeait un morceau, assis contre le tronc d’un chêne, il entendit une voix qui disait, au-dessus de sa tête :
— Part pour moi aussi ! Part pour moi aussi !
Impatienté, il lui dit :
— Laisse-moi tranquille, Margot-la-Pie, et va-t’-en au diable.
— Qu’es-tu venu faire ici ? demanda la Pie.
— Des fuseaux, peut-être !… répondit Hervé.
— Des fuseaux ? soit, reprit l’oiseau, qui s’envola en criant : — Des fuseaux ! des fuseaux !…
Quand Hervé se remit au travail, à chaque coup de cognée dont il frappait le tronc d’un arbre, il en jaillissait un fuseau.
— C’est, pour sûr, de la sorcellerie ! s’écria-t-il, effrayé.
Et il jeta là sa cognée et s’en retourna aussi à la maison, comme son aîné.
Le plus jeune, un enfant chétif et maladif, et que l’on nommait Cendrillon (Luduenn), dit alors :
— Moi, je veux partir aussi.
— Mon pauvre enfant ! lui dit son père, tu espères réussir, là où tes deux aînés ont échoué ?
— Laissez-moi partir, mon père, à la grâce de Dieu ; peut-être serai-je plus heureux ; qui sait ?
On lui donna un écu de six livres, seulement, et il se mit en route.
À Rennes, il entendit aussi bannir ce qu’avaient entendu ses frères, et voulut, comme eux, tenter l’aventure.
Le voilà dans la forêt. Il travaille courageusement, toute la matinée, et à midi, il s’assit sur le gazon, contre le tronc d’un vieux chêne, pour manger un morceau et se reposer un peu. La Pie se fit encore entendre, au-dessus de sa tête :
— Part à moi aussi ! Part à moi aussi ! Il leva les yeux, l’aperçut et dit :
— Oui, chère bête du bon Dieu ; tu auras aussi ta part.
Et il lui jeta quelques miettes de pain, sur le gazon. La Pie les mangea, puis demanda :
— Qu’es-tu venu faire ici ? lui demanda la pie.
— J’ai entendu bannir, dans la ville voisine, que le roi donnerait sa fille en mariage à l’homme, quel qu’il fût, qui lui construirait un navire propre à aller par terre et par eau. J’ai voulu tenter l’aventure, pour venir en aide à mon père, qui n’est pas riche, et je mets ma confiance et mon espoir en Dieu.
— Bonne réussite et bon navire ! dit la Pie.
— Que Dieu t’entende, chère bête du bon Dieu !
Luduenn se remit à l’ouvrage, et, à chaque coup de cognée, il jaillissait des arbres qu’il frappait une pièce propre à entrer dans la confection d’un navire et admirablement travaillée. Et ces pièces se rapprochaient, s’ajustaient et prenaient d’elles-mêmes la place qui leur convenait, de telle sorte, qu’avant le coucher du soleil, le navire était terminé et parfait. Il monta sur son navire, et il le dirigeait à sa volonté, et sur terre et sur l’eau. Il rencontra sur sa route un homme qui léchait et rongeait des os, dans une douve.
— Que fais-tu là ? lui demanda-t-il.
— Je me meurs de faim, et je ronge ces os abandonnés ici par les chiens.
— Viens avec moi, et je te procurerai à manger.
— Je ne demande pas mieux.
Et l’homme monta dans le navire, et les voilà deux.
Un peu plus loin, ils rencontrèrent un autre homme, près d’une fontaine.
— Que fais-tu là ? lui demanda Luduenn.
— Je viens de tarir cette fontaine, en y buvant, répondit-il, et j’attends qu’elle se remplisse, pour la tarir de nouveau, car j’ai encore soif.
— Viens avec nous, et tu auras à boire, à discrétion.
— Je ne demande pas mieux, répondit il.
Et il monta aussi dans le navire, et les voilà trois, à présent.
Ils se remirent en route et rencontrèrent, un peu plus loin, un autre individu, qui avait une pierre meulière attachée à chacun de ses pieds, et qui courait néanmoins.
— Que signifie cet exercice ? lui demanda Luduenn.
— Je cherche à prendre un lièvre, qui va passer par ici.
— Et tu t’attaches des pierres meulières aux pieds, imbécile ?
— Oui, car je vais trop vite, et, malgré mes pierres meulières, je devance toujours le lièvre
— Veux-tu venir avec nous et partager notre sort ?
— Je ne demande pas mieux.
Et il entra aussi dans le navire, et les voilà quatre.
Ils se remirent en route, et rencontrèrent bientôt un autre individu tenant à la main un arc tendu et visant un objet invisible pour eux.
— Que fais-tu là ? lui demanda Luduenn.
— Je vise un lièvre que je vois là-bas, sur la montagne de Bré ; ne le voyez-vous pas vous-mêmes ?
— Comment veux-tu que nous voyions un lièvre, sur la montagne de Bré, à quatre lieues d’ici ?
En ce moment, la flèche partit et le tireur dit :
— Voilà ! je l’ai tué roide. Mais, il y a loin d’ici à la montagne, et je crains que le lièvre n’ait été emporté par un autre, quand j’arriverai, comme cela m’arrive presque toujours.
— Allons ! l’homme aux pierres meulières, dit Luduenn, va nous chercher le lièvre.
Et l’homme aux pierres meulières partit, plus rapide que le vent, et rapporta le lièvre, en un instant.
— Tu es un fin tireur, dit Luduenn ; viens avec nous et tu partageras notre sort.
— Je veux bien, répondit le tireur.
Et il monta sur le navire, et les voilà cinq. Plus loin, ils rencontrèrent un autre individu, l’oreille appliquée contre terre.
— Que fais-tu là, dans cette posture ? lui demanda Luduenn.
— J’ai semé de l’avoine par ici, hier, répondit-il, et je l’écoute pousser.
— Il faut donc que tu aies l’ouïe bien fine pour entendre l’herbe pousser ; si tu veux venir avec nous, tu partageras notre sort, et je crois que tu n’auras pas lieu à regrets, car six hommes comme nous doivent venir à bout de tout.
— Je veux bien, dit Fine-Oreille.
Et il monta aussi sur le navire.
Les voilà six, à présent, et six gaillards. Ils se remirent en route, et rencontrèrent bientôt une vieille femme, qui allait au marché vendre des œufs, qu’elle portait dans un panier.
— Combien la douzaine, grand’mère ? lui demanda Luduenn.
— Six sous, Messieurs, répondit la vieille.
— Donnez-m’en un, seulement, et prenez cet écu de six livres.
— Que Dieu vous bénisse, mon bon seigneur, répondit la vieille.
Tôt après, ils passèrent par un champ où des paysans traçaient des sillons, à la charrue. Luduenn leur demanda :
— Combien voulez-vous de votre évêque[23] ?
— Deux réales (dix sous), lui répondit-on.
— Donnez-le-moi, voilà un écu de six francs. Et il leur jeta un écu de six francs, et prit le bâton de charrue.
— Quand vous en voudrez d’autres, à ce prix, lui crièrent les laboureurs, vous n’aurez qu’à le dire.
Comme ils approchaient de la ville, ils virent un jeune garçon qui se disposait à faire (sauf votre respect) ce que le laquais du roi ne peut pas faire pour lui.
— Ponds là-dedans, mon garçon, lui dit Luduenn, en lui présentant son chapeau.
— Ne vous moquez pas de moi, répondit l’enfant.
— Je ne me moque pas de toi ; fais ce que je te dis, et je te donnerai un écu de six livres ; tiens le voilà !
Et il lui jeta un écu de six livres. Le gars, séduit par une telle générosité, fit ce qu’on lui demandait et dit, en tendant son chapeau à Luduenn : — Quand vous en voudrez d’autre, pour le même prix, songez à moi.
Les six compagnons se remirent en route et entrèrent, tôt après, avec leur navire, dans la cour du palais royal.
La première partie de l’épreuve était heureusement accomplie ; la seconde allait commencer.
La princesse était sur son balcon, l’air farouche, et toute rouge. Elle craignait peut-être que ce chétif et malingre rustre ne vînt à bout de son entreprise.
— Vous avez la crête bien rouge, là-haut, princesse, lui dit Luduenn.
— C’est que probablement j’ai le cul chaud, répondit-elle.
— Assez chaud pour y cuire un œuf ?
— Peut-être bien, si vous en aviez un ?
— Voici !…
Et il lui montra l’œuf qu’il avait achète à la vieille femme qui se rendait au marché.
— Et un bâton recourbé pour le retirer ? reprit la princesse.
— Aussi !… répondit Luduenn, en lui montrant le bâton de la charrue.
— Merde !… dit-elle, dépitée.
— À votre service, princesse !
Et il lui tendit son chapeau, qui ne contenait pas des roses, comme on sait.
La princesse ne trouva pas de réponse, cette fois, et, tournant le dos, elle rentra dans sa chambre, fort irritée.
— Votre fille m’appartient, sire, dit Luduenn au roi ; voici le navire que vous m’avez demandé, qui marche sur terre comme sur l’eau, et la princesse s’en est allée, vaincue et ne trouvant plus de réponse.
— Cela ne suffit pas, et il te faudra faire bien autre chose, avant d’avoir ma fille, répondit le roi, furieux.
— J’ai rempli toutes les conditions, sire ; à vous de tenir votre parole, à présent, car un roi ne doit jamais manquer à sa parole… Mais, je ne veux pas y regarder de si près ; que vous faut-il encore ? Dites, et ce sera fait.
— Eh bien ! j’ai dans mes étables quarante bœufs gras, et il faut que toi ou un de tes compagnons les mange, seul, en huit jours.
— Ce sera fait, sire, soyez tranquille à ce sujet.
Et s’adressant à son compagnon Mange-Tout :
— Tu as entendu, Mange-Tout ?
— Quarante bœufs en huit jours, s’écria Mange-Tout ; quelle chance ! Je vais donc enfin pouvoir manger mon content ! Il y a assez longtemps que je me serre le ventre ! Je veux commencer tout de suite.
Et il ouvrit une bouche large et profonde comme un antre, et munie de grandes dents, d’une blancheur éclatante. En quatre jours, les quarante bœufs eurent disparu dans ce gouffre, et il disait encore : — C’est déjà tout ?…
Le roi était très contrarié d’avoir ainsi perdu ses quarante bœufs gras, qu’il réservait pour un grand festin, qu’il devait donner.
— Ce n’est pas tout, dit-il à Luduenn ; après manger, il faut aussi boire. J’ai là cinquante tonneaux de vin aigri, dont je ne sais que faire, et il faut que toi ou un des tiens les boive, seul, en cinq jours, afin que j’en aie de meilleur.
— C’est ton affaire, Bois-Tout, dit Luduenn, en s’adressant à son second compagnon.
— Qu’on me mène à la cave, dit Bois-Tout, et vous allez voir si je me fais prier pour boire du vin !…
Pour le soir du troisième jour, les cinquante tonneaux étaient vides.
— Qu’est-ce donc que cet homme et ses compagnons ? se disait le roi, inquiet, et ne sachant comment s’en débarrasser. Un de ses ministres lui dit :
— Vous avez sire, dans votre cuisine, une servante qui n’a pas son égale au monde, à la course. En une demi-heure, elle va puiser de l’eau à une fontaine, qui est à trois lieues d’ici, et revient avec trois pichets pleins, un sur la tête et un autre à chaque main. Dites à cet homme qu’il lui faudra, demain matin, accompagner la servante à la fontaine, et être de retour aussitôt qu’elle, avec trois pichets pleins d’eau.
— C’est vrai, répondit le roi.
Et il fit appeler Luduenn et lui dit ce qu’il aurait à faire, le lendemain matin,
— Ce sera fait, répondit-il tranquillement,
Et il dit à son coureur, qui dormait, au pied d’une meule de foin :
— Allons, debout, Attrape-Tout ! Voici une occasion de te dégourdir les jambes.
— Qu’y a-t-il pour votre service, maître ? demanda-t-il, en se redressant de toute sa hauteur.
— Le roi a, dans sa cuisine, une servante qui est, paraît-il, une bonne coureuse. En une demi-heure, elle va puiser de l’eau à une fontaine, qui est à trois lieues d’ici, et s’en retourne avec trois pichets remplis d’eau. Demain matin, tu l’accompagneras à la fontaine, d’où tu rapporteras aussi trois pichets pleins d’eau, et j’espère bien que tu seras de retour avant elle, et ne te laisseras pas vaincre par une femme.
— Dormez tranquille, là-dessus, répondit le coureur.
Le lendemain matin, la servante et le coureur Attrape-Tout partirent ensemble pour la fontaine. Quand ils eurent rempli leurs pichets, la servante dit à son compagnon :
— Asseyons-nous, un peu, sur l’herbe, et causons ; nous avons bien le temps, n’est-ce pas ?
Et ils s’assirent. Mais, comme elle était sorcière, elle endormit Attrape-Tout, en le regardant, et partit, après lui avoir mis sous la tête, en guise d’oreiller, la tête décharnée et blanchie d’un cheval mort, qui se trouvait là, près de l’eau[24]. Fine-Oreille avait entendu les paroles de la servante, il entendait aussi ronfler Attrape-Tout, et il dit à Luduenn :
— La servante et Attrape-Tout se sont assis, pour causer, auprès de la fontaine, puis Attrape-Tout s’est endormi, et je l’entends ronfler.
— Vite, Bon-Œil, regarde un peu du côté de la fontaine, et dis-nous ce qui s’y passe.
Bon-Œil regarda du côté de la fontaine, et dit :
— Je vois Attrape-Tout qui dort, près de la fontaine, avec la carcasse d’une tête de cheval sous la tête, en guise d’oreiller ; je vois aussi la servante qui revient, en toute hâte, avec ses trois pichets pleins.
— Prends ton arc, lui dit Luduenn, et, d’un coup de flèche, chasse la tête de cheval qui est sous la tête d’Attrape-Tout, afin de le réveiller ; et vise bien, et prends garde de le tuer.
Et Bon-Œil, le bon tireur, prit son arc, visa et chassa, avec sa flèche, la tête de cheval de dessous la tête d’Attrape-Tout. Celui-ci se réveille du coup, saisit ses pichets pleins et part, avec une telle vitesse, qu’il arriva encore avant la servante, au grand étonnement du roi et de ses courtisans.
— J’ai encore gagné, sire, dit Luduenn au roi, et je réclame le prix de la victoire, la main de la princesse, votre fille.
— C’est juste, répondit le roi, et, comme j’aime mieux t’avoir pour ami que pour ennemi, tu seras mon gendre, et le mariage sera célébré, sans autre délai.
Les noces eurent lieu, en effet, dans la huitaine, et il y eut, à cette occasion, de grands festins et de belles fêtes.
Le vieux roi mourut, peu de temps après, et Luduenn lui succéda sur le trône. Il appela auprès de lui son vieux père et ses frères, et ils vécurent tous heureux ensemble.
à Plouaret. — Janvier 1869.
IL y avait une fois un seigneur, qui avait six enfants, six garçons, qui étaient si paresseux, si paresseux, qu’ils se seraient laissé mourir de faim, s’il leur avait fallu seulement se préparer à manger. Le vieux seigneur avait été riche, autrefois, mais, il avait perdu presque toute sa fortune, dans les guerres qui avaient ruiné son pays, et il lui fallait, à présent, vivre avec beaucoup d’économie, pour tenir son rang. Aussi, exhortait-il souvent ses enfants à apprendre quelque métier, leur représentant qu’ils seraient, un jour, obligés de travailler, pour vivre. Ils ne l’écoutaient pas, et disaient qu’il radotait. Voyant cela, il donna deux cents écus à chacun d’eux, et leur dit d’aller voyager, pendant un an, afin d’apprendre quelque chose. Il leur donnait rendez-vous, dans son château, au bout d’un an et un jour.
Les six frères partirent donc, heureux d’avoir tant d’argent dans leurs poches. Ils prirent tous des routes différentes.
Le premier arriva dans une ville où il vit beaucoup de monde rassemblé, sur une place. Il se mêla à la foule et demanda la raison de ce rassemblement.
— Vous ne voyez donc pas ? lui répondit l’homme à qui il s’était adressé, en lui montrant du doigt un homme qui grimpait sur un arbre avec la faclité d’un écureuil.
Cet homme grimpait avec la même facilité sur les maisons, sur les murailles et les tours les plus élevées. Notre voyageur en était émerveillé, et il se disait en lui-même :
— Ah ! si je savais grimper comme celui-là ! Quand le grimpeur eut terminé ses exercices,
il alla droit à lui et lui demanda :
— Veux-tu m’apprendre à grimper comme toi ?
— Oui, si tu me paies bien, répondit le grimpeur.
— Je te donnerai tout ce que j’ai d’argent.
— Et combien as-tu donc d’argent ?
— Deux cents écus.
— C’est entendu ; donne-moi tes deux cents écus, et je t’apprendrai mon métier.
Et il donna ses deux cents écus au grimpeur. qui l’emmena partout à sa suite, et lui apprit à grimper comme lui-même.
Le second des six frères rencontra un homme qui soudait et remettait dans leur état primitif toutes les choses cassées, tous les vases et ustensiles de terre, de verre, de bois et de différents métaux. Il s’arrêta à le regarder, et il admirait son travail et pensait en lui-même :
— Je voudrais bien savoir souder et raccommoder les objets comme cet homme-là !
Après l’avoir regardé et admiré longtemps, il lui demanda :
— Veux-tu m’apprendre à souder comme toi ?
— Oui, si tu me paies bien, répondit le soudeur.
— Je te donnerai tout ce que j’ai d’argent.
— Mais combien as-tu d’argent ?
— Deux cents écus.
— C’est entendu ; donne-moi tes deux cents écus, et je t’apprendrai mon métier.
Il donna ses deux cents écus au soudeur, et celui-ci l’emmena partout à sa suite et lui apprit à souder, comme lui-même.
Le troisième frère rencontra un chasseur, qui avait un arc et des flèches et qui atteignait tout ce qu’il visait, jusqu’aux mouches qui volaient en l’air. Il admira son adresse et souhaita la posséder lui-même. Il lui demanda donc :
— Veux-tu m’apprendre à tirer de l’arc comme toi ?
— Oui, si tu me paies bien, répondit le chasseur.
— Je te donnerai tout ce que j’ai d’argent.
— Mais combien as-tu d’argent ?
— Deux cents écus.
— C’est entendu ; donne-moi tes deux cents écus, et je t’apprendrai à tirer de l’arc, comme moi-même.
Il donna ses deux cents écus au chasseur, et celui-ci l’emmena partout à sa suite, et lui apprit à tirer de l’arc, comme lui-même.
Le quatrième frère rencontra un homme qui jouait du violon, et tous ceux qui entendaient le son de son instrument dansaient, bon gré, mal gré, jusqu’à ce qu’il cessât d’en jouer ; et quand il en jouait près d’un mort, ou dans les cimetières, les cadavres eux-mêmes se levaient et se mettaient à danser. Quand il eut dansé quelque temps, en compagnie de plusieurs autres, aux sons de ce merveilleux instrument, l’homme cessa de jouer, et alors il lui demanda :
— Veux-tu m’apprendre à jouer du violon, de manière à ce que tous ceux qui entendront les sons de mon instrument se mettent aussi à danser, et que je puisse ressusciter les morts ?
— Oui, si tu me paies bien, répondit l’homme au violon.
— Je te donnerai tout ce que j’ai d’argent.
— Mais combien as-tu d’argent ?
— Deux cents écus.
— C’est entendu ; donne-moi tes deux cents écus, et je t’apprendrai à jouer du violon, de manière à ce que tous ceux qui entendront les sons de ton instrument se mettent à danser, et que tu ressuscites aussi les morts.
Il donna ses deux cents écus à l’homme au violon, et celui-ci lui céda son violon, et lui apprit à en jouer, comme lui-même.
Le cinquième frère rencontra, dans un bois, un homme qui construisait des bâtiments qui allaient aussi bien par terre que par mer. Il resta longtemps à le considérer et à admirer son travail, puis il lui demanda :
— Veux-tu m’apprendre à construire aussi des bâtiments qui vont aussi bien par terre que par mer ?
— Oui, si tu me paies bien, répondit le constructeur de bâtiments.
— Je te donnerai tout l’argent que j’ai.
— Mais, combien as-tu d’argent ?
— Deux cents écus.
— C’est entendu ; donne-moi tes deux cents écus, et je t’apprendrai à faire des bâtiments qui vont aussi bien par terre que par eau.
Il donna ses deux cents écus au constructeur de bâtiments, et celui-ci le garda avec lui et lui apprit son métier.
Le sixième frère arriva dans une ville où il vit, sur une place publique, un vieillard qui avait sa tête dans un sac, et qui faisait profession de deviner des énigmes et toutes sortes de problèmes, de prédire l’avenir, de retrouver les objets perdus, enfin de répondre à toutes les questions qu’on lui adressait. Il admira sa science et désira prendre des leçons de lui. Il lui demanda donc :
— Veux-tu m’apprendre à être devineur et savant comme toi ?
— Oui, si tu me paies bien, répondit le vieillard.
— Je te donnerai tout ce que j’ai d’argent.
— Mais, combien as-tu d’argent ?
— Deux cents écus.
— C’est entendu ; donne-moi les deux cents écus, et je t’apprendrai mon métier.
Il donna ses deux cents écus au vieux savant, et celui-ci l’emmena à sa maison, lui mit ses livres entre les mains, lui révéla ses secrets et lui apprit à prédire l’avenir, à résoudre les problèmes, les énigmes et toutes les questions qui lui seraient posées, sur toutes sortes de sujets.
Au bout d’un an et un jour, les six frères se retrouvèrent sur la grande lande où ils s’étaient séparés et où ils s’étaient donné rendez-vous. Le grimpeur arriva le premier, puis successivement, le soudeur, le tireur, ie joueur de violon et le devineur, et ils s’embrassaient, à mesure qu’ils arrivaient, et étaient heureux de se revoir. Seul, le constructeur de bâtiments était en retard, et les cinq autres frères commençaient à craindre qu’il eût eu plus mauvaise chance qu’eux, qu’il fût peut-être mort, lorsqu’ils entendirent, tout à coup, un grand bruit et virent venir, à travers les champs, les bois, renversant tout sur son passage, un beau bâtiment, sur lequel ils reconnurent le retardataire.
— Le voici ! le voici ! s’écrièrent-ils. Quel beau bâtiment il amène ! et quel singulier bâtiment, qui va sur la terre, comme les autres sur l’eau !
Quand les six frères se retrouvèrent réunis, ils s’interrogèrent sur leurs voyages et sur les choses qu’ils avaient apprises. Chacun d’eux était content de son sort.
— Moi, dit l’aîné, j’ai appris à grimper, comme un chat, sur les arbres, les maisons, les murailles et les tours les plus élevées.
— Moi, dit le second, j’ai appris à souder toutes les choses cassées et rompues, et à les remettre dans leur premier état, de manière à tromper l’œil le plus exercé.
— Moi, dit le troisième, j’ai un arc et des flèches avec lesquels j’atteins tout ce que je vise ; tenez, voyez cette hirondelle qui passe.
Et il lança une flèche, et l’hirondelle tomba à ses pieds.
— Moi, dit le quatrième, j’ai là un violon comme vous n’en avez jamais vu. Lorsque j’en joue, tous ceux qui l’entendent sont forcés de danser, bon gré, mal gré ; les morts mêmes ressuscitent et se mettent en mouvement.
— Moi, dit le cinquième, j’ai appris à faire des bâtiments qui vont aussi bien par terre que par eau, comme vous le voyez.
Et il leur montrait le bâtiment sur lequel il était venu.
— Et moi, dit le sixième et dernier, j’ai étudié, pendant toute l’année, chez un vieux savant, un magicien, et j’ai appris à résoudre toutes les énigmes, tous les problèmes, à retrouver les objets perdus, à prédire l’avenir, et mille autres choses encore. D’après ce que je vois, mes frères, nous avons tous profité à voyager, et notre père, qui nous accusait toujours de paresse et d’ignorance, sera bien étonné, quand il verra tout ce que nous avons appris, en si peu de temps. Mais, avant de rentrer à la maison, je suis d’avis que nous devrions nous associer, pour mener à bonne fin quelque entreprise difficile, car je suis persuadé qu’en réunissant notre science et nos talents, il est peu de choses que nous ne puissions faire.
Les cinq autres frères approuvèrent l’avis du plus jeune, le devineur, et celui-ci reprit alors :
— Eh bien ! je vous propose d’entreprendre la délivrance de la Princesse aux Cheveux d’Or, qui est retenue captive par un serpent, un monstre hideux, dans son château d’or, suspendu par quatre chaînes d’or au-dessus d’une île, qui est au milieu de la mer.
— Allons délivrer la Princesse aux Cheveux d’Or ! crièrent les cinq frères sans hésiter.
— Pendant mon séjour chez le magicien, reprit le devineur, j’ai appris dans ses livres comme il faut s’y prendre, pour réussir dans une entreprise si difficile. Écoutez-moi donc bien et je vais indiquer à chacun de vous quel sera son rôle et ce qu’il devra faire. Notre frère le constructeur de bâtiments nous conduira dans l’île, au-dessus de laquelle est suspendu le château. Il y a là, entre les quatre chaînes d’or qui retiennent le château, une grande cloche, qui sonne d’elle-même, dès que quelqu’un débarque dans l’île. Quand le serpent entend sonner la cloche, il quitte son château et vient planer au-dessus de l’île (car il a des ailes), et s’il y aperçoit un être animé, homme ou bête, il lance contre lui des torrents de feu, et, en un instant, il le réduit en cendres. Notre premier soin, en débarquant dans l’île, sera donc de remplir la cloche d’étoupe, afin de l’empêcher de sonner. Notre frère le grimpeur montera alors jusqu’au château, le long d’une des chaînes d’or. Il y arrivera de nuit et pénétrera jusqu’à la princesse, par la fenêtre de sa chambre à coucher, qu’elle laisse ordinairement ouverte. Il la trouvera couchée sur un beau lit de soie et de dentelle, et il l’enlèvera lestement et nous l’amènera dans l’île. Si cette première partie de l’entreprise réussit, comme je l’espère, le plus difficile sera fait, et je dirai, en temps et lieu, à nos frères le tireur, le soudeur, le joueur de violon et le constructeur de bâtiments, ce qu’ils auront à faire, car nous aurons aussi besoin de leur secours.
Les six frères montèrent alors sur le bâtiment, qui partit aussitôt, naviguant tantôt sur terre, tantôt sur mer, et les conduisit, sans encombre, jusqu’à l’île. Ils débarquèrent, coururent aussitôt à la cloche et la remplirent d’étoupe, avant qu’elle eût sonné. Le grimpeur monta alors le long d’une des chaînes d’or, arriva jusqu’au château, pénétra jusqu’à la princesse, l’enleva et redescendit avec elle dans l’île. Tout cela fut fait rapidement et adroitement. La princesse était si belle, si belle, que les six frères restèrent quelque temps à la regarder, silencieux, la bouche ouverte, et immobiles comme des statues. Heureusement que le devineur, qui connaissait le péril de leur situation, cria bientôt :
— Allons, frères, remettons, vite, à la voile. Le serpent se réveillera avec le soleil, et quand il s’apercevra que la Princesse a quitté son château, il se mettra aussitôt à sa poursuite. En route donc, car nous avons déjà perdu un temps précieux.
Et l’on partit, sans autre délai.
Quand le soleil se leva, au matin, le serpent, qui ne se doutait de rien, se rendit, comme d’habitude, à la chambre de la Princesse. Quand il vit qu’elle avait disparu, il poussa un cri épouvantable et partit aussitôt à sa poursuite.
Cependant, nos navigateurs avançaient, poussés par un vent favorable. Le ciel était clair et le soleil montait, radieux, à l’horizon. Tout à coup le ciel s’obscurcit.
— C’est le serpent qui arrive ! s’écria le devineur.
Et, levant les yeux en l’air, ils}purent, en effet, apercevoir le monstre, qui s’avançait rapidement sur eux.
— À toi, tireur ! cria alors le devineur ; prends ton arc et tes flèches, et, quand le monstre sera au-dessus du bâtiment, tu apercevras dans son corps, à l’endroit du cœur, un petit point blanc et rond comme un bouton. Il faudra l’atteindre juste en cet endroit, ou nous sommes perdus !
— Sois tranquille, mon frère, répondit le tireur en ajustant une flèche à son arc.
Quand le serpent fut au-dessus du bâtiment, il visa ; la flèche partit et toucha droit au but, car le corps du monstre, privé de vie, tomba aussitôt sur le bâtiment, qui fut rompu et partagé en deux par cette masse énorme. La Princesse tomba dans l’eau et coula au fond.
— À ton tour de travailler, soudeur ! cria le devineur, qui plongeait en même temps sur la princesse.
Le soudeur fit son devoir, vite et bien, et le devineur retrouva aussi la Princesse, au fond de l’eau, avec beaucoup de peine, car la mer était très profonde, en cet endroit, et il la ramena sur le bâtiment. Mais, hélas ! ce n’était plus qu’un cadavre, elle avait cessé de vivre !
— Vite, à ton violon ! et travaille bien ! cria le devineur au joueur de violon.
Et celui-ci se mit à jouer de son instrument, en y mettant tout son savoir-faire, et ses cinq frères se mirent aussitôt à danser, et la Princesse aussi se mit bientôt en mouvement, et tourna et sauta et gambada avec eux.
Voilà donc l’entreprise heureusement terminée, et les six frères retournèrent alors chez leur père, triomphants et fiers d’une conquête aussi précieuse que la Princesse aux Cheveux d’Or.
Le vieillard fut heureux de les revoir tous en vie et en bonne santé, et de plus, ayant chacun un métier dont il pouvait vivre, et il ne les appela plus paresseux.
Les six frères étaient amoureux de la Princesse, et chacun d’eux prétendait avoir le plus de droits à obtenir sa main. Comme ils ne pouvaient s’entendre à ce sujet, ils convinrent de s’en rapporter au jugement de leur père. Chacun d’eux exposa donc ses raisons et ses prétendus droits au vieux seigneur, assis sur un fauteuil, comme un juge sur son tribunal, et ayant à côté de lui la Princesse.
L’aîné, le grimpeur, parla d’abord et dit :
— C’est moi, qui, au péril de ma vie, ai enlevé la Princesse du château où le monstre la retenait captive.
— C’est moi, dit le constructeur de bâtiments, qui ai construit le bâtiment qui vous a conduits à l’île et vous en a ensuite ramenés.
— Et c’est moi, dit le soudeur, qui ai soudé et refait le bâtiment, rompu et partagé en deux par la chute du monstre, et, sans moi, vous étiez tous perdus.
— Et qui est-ce qui a tué le monstre, si ce n’est moi ? dit le tireur.
— Et la Princesse, qui est-ce qui l’a ressuscitée ? N’est-ce pas moi ? dit le joueur de violon ; et, sans moi, nous n’aurions plus besoin de nous la disputer aujourd’hui, puisqu’elle était morte.
— Tout cela est bel et bien, dit à son tour le devineur ; mais, n’est-ce pas moi qui ai conseillé chacun de vous et lui ai dit ce qu’il avait à faire, et comment il devait s’y prendre ? N’est-ce pas encore moi qui ai retiré la Princesse du fond de la mer.
Le vieux seigneur était fort embarrassé et ne savait en faveur duquel de ses fils se prononcer, leur trouvant à tous des droits incontestables, si bien que l’on finit par décider, et c’était bien le plus sage, que ce serait la Princesse elle-même qui ferait son choix.
L’histoire ne dit pas auquel des six frères elle donna la préférence ; mais, moi, je croirais volontiers que ce fut au devineur, parce qu’il était le plus instruit, le plus jeune et surtout le plus joli garçon.
(Côtes-du-Nord).
Rapprochement : Les facétieuses Nuits de Straparole, VIIe nuit, fable V.
IL y avait une fois un roi de France, qui avait une fille, laquelle était une très habile devineresse. La princesse passait tout son temps à résoudre des énigmes et des problèmes de toute sorte, et elle en était arrivée à n’en plus trouver d’assez difficiles, de sorte que tout ce qu’on lui proposait de plus compliqué et de plus obscur n’était qu’un jeu pour elle.
Elle fit publier, dans tout le royaume, qu’elle prendrait pour époux l’homme, quel qu’il fût, qui lui proposerait une énigme dont elle ne fournirait pas la solution, dans trois jours ; mais, en revanche, à chaque problème qu’elle résoudrait, celui qui l’aurait proposé serait aussitôt mis à mort.
De tous les points du royaume, et même des pays étrangers, il vint une foule de prétendants, des gens de toute condition, depuis des princes jusqu’à des charbonniers et des tailleurs de campagne, avec des énigmes et des problèmes qu’ils regardaient tous comme insolubles. La princesse les recevait, du haut d’un balcon, dans la cour du palais de son père, tout habillée de rouge, une couronne d’or sur la tête, une étoile de diamant au front, une baguette blanche à la main, et l’air hautain et cruel comme une tyranne (evel eun dirantès). Tout autour de la cour, on voyait suspendus aux murailles et à des poteaux patibulaires, les cadavres et les squelettes décharnés de ses victimes. Elle donnait ordinairement ses réponses, séance tenante, et aussitôt le pauvre prétendant vaincu était saisi par quatre valets, à mine féroce, et pendu impitoyablement.
Il y avait au pays de Tréguier un jeune seigneur nommé Fanch de Kerbrinic, pas des plus fins, et qui pourtant voulait aller aussi proposer une énigme à la princesse. Il habitait son manoir de Kerbrinic, seul avec sa vieille mère. Celle-ci faisait tout son possible pour détourner son fils de son téméraire projet ; mais, c’était en vain.
Un jour que Fanch de Kerbrinic était allé à la chasse, il rencontra, sur la grand’route, un soldat revenant de la guerre, et qui avait nom Petit-Jean. Le soldat salua le chasseur, ils lièrent conversation ensemble et entrèrent dans une auberge, au bord de la route, pour boire quelques chopines de cidre et faire plus ample connaissance. Petit-Jean, qui était un malin, eut bientôt jugé le degré d’intelligence de son nouveau camarade, et il lui parla beaucoup de ses voyages, de ses combats et lui vanta, en termes pompeux, les beautés, les merveilles et les plaisirs des villes et des pays lointains qu’il avait visités. Fanch de Kerbrinic, qui n’était jamais allé plus loin que Tréguier ou Lannion, écoutait, tout ébahi et ébloui, les récits et les descriptions du soldat.
— Comment donc, Monseigneur, lui dit Petit-Jean, n’avez-vous pas songé à aller aussi proposer votre énigme à la fille du roi ? Beau garçon et rempli d’esprit comme vous l’êtes, je suis persuadé que vous viendriez à bout d’elle ; car, jusqu’à présent, elle n’a eu affaire qu’à des imbéciles.
— J’y ai bien songé, répondit le jeune seigneur de Kerbrinic, mais, ma mère ne veut pas me laisser partir.
— Ah ! vous y avez songé ? Mais, alors, vous avez sans doute quelque bonne énigme toute prête ?
— Oh ! oui ; j’en ai même deux.
— À la bonne heure ; ne voudriez-vous pas m’en faire part ?
— Je le veux bien, mais, n’en dites rien à personne, je vous en prie, car un autre pourrait arriver avant moi avec mes énigmes, et enlever la princesse.
— Ne craignez rien, foi de brave soldat, je vous garderai le secret le plus absolu.
— Eh bien ! voici la première :
Devinn a dolan dreist ann ti.
Ha me krog’n etir penn anezhi.
Devine ce que je jette pardessus la maison,
Tout en en ayant un bout dans la main.
— Une pelotte de fil ; c’est trop facile cela ; un enfant de cinq ans n’en serait pas embarrassé. Voyons l’autre :
A dolan unan dreist an ti,
Pa ’z an da welet, kavan tri.
Je jette un par-dessus la maison ;
Quand je vais voir, j’en trouve trois.
— Un œuf ! quand il est cassé, on trouve le blanc, le jaune et la coque, ce qui fait trois. Ce n’est vraiment pas fort, et il faudra mieux que cela, pour se présenter devant la princesse. Mais, emmenez-moi avec vous, suivez de point en point mes instructions, et je vous réponds du succès ; vous vaincrez la princesse, vous l’épouserez et vous serez roi de France.
— Bien vrai ? demanda le seigneur de Kerbrinic, émerveillé.
— J’en réponds sur ma tête, dit le soldat.
— Eh bien, venez avec moi dîner et coucher au manoir de Kerbrinic, parlez à ma mère, et faites en sorte qu’elle me laisse partir avec vous.
— Je le veux bien, si vous me promettez de me suivre, demain matin, que votre mère le veuille ou non.
— Je vous le promets ; nous partirons ensemble, demain matin, arrive que pourra.
Ils se rendirent là-dessus au manoir de Kerbrinic, déjà les meilleurs amis du monde. La vieille châtelaine reçut bien l’hôte que lui amenait son fils, et prit plaisir à l’entendre raconter ses voyages et ses aventures. On parla aussi de la fille du roi, la fameuse devineresse. Petit-Jean dit qu’il n’était bruit que d’elle, dans tout le royaume, qu’elle était d’une beauté merveilleuse, qu’il l’avait vue et qu’il s’étonnait que le jeune seigneur ne tentât pas l’aventure, ayant toutes les chances possibles de réussir, jeune et beau et spirituel comme il l’était.
La vieille dame ne l’entendait pas ainsi, et elle dit au soldat :
— Je vous prie de ne pas tourner la tête à mon fils, avec de semblables folies ; je le lui ai dit, plus d’une fois, et je le répète, jamais je ne lui permettrai de tenter une aventure si périlleuse.
— Je réponds de tout, sur ma tête, répliqua Petit-Jean ; laissez votre fils partir avec moi, demain matin, et je vous le ramènerai roi de France.
— Jamais ! répondit la mère, et j’aimerais mieux le voir mourir, sous mes yeux.
Et elle se leva de table et quitta la salle à manger. Fanch de Kerbrinic et Petit-Jean y restèrent encore, quelque temps, à causer et à boire, puis ils allèrent se coucher, bien résolus à prendre ensemble la route de Paris, dès le lendemain matin.
En quittant la salle à manger, la vieille dame, qui sentait bien que son fils partirait, quoi qu’elle pût faire pour essayer de le retenir, s’était rendue chez une vieille sorcière, qui habitait une masure, près du manoir de Kerbrinic, et elle lui demanda une potion pour faire mourir sur-le-champ deux personnes dont elle voulait se débarrasser. La sorcière lui remit, dans une fiole de verre, la liqueur désirée, en lui disant qu’elle pouvait y avoir toute confiance ; l’effet en était foudroyant. La dame de Kerbrinic alla alors se coucher, sans rien dire à personne.
Le lendemain, Fanch de Kerbrinic et Petit-Jean se levèrent, de bonne heure, et firent leurs préparatifs de départ. Au moment où ils montaient à cheval, la vieille dame vint à eux, tenant d’une main une fiole, et, de l’autre, deux verres, sur un plat. Elle s’approcha de son fils et lui dit :
— Puisque tu restes sourd aux conseils de ta mère et persistes à vouloir la quitter, accepte encore d’elle un peu de cette liqueur généreuse, qu’elle a préparée elle-même, et qui te soutiendra dans le périlleux voyage que tu vas entreprendre.
Et elle lui versa du poison préparé par la vieille sorcière, et en présenta également à Petit-Jean ; puis elle baissa les yeux vers la terre et fit mine de pleurer. Petit-Jean, ayant remarqué l’aspect étrange de la liqueur, flaira une trahison, et il dit doucement à son compagnon, dont le cheval touchait le sien :
— Ne buvez pas ! faites semblant de boire seulement, et laissez la liqueur tomber dans l’oreille de votre cheval.
Ils vidèrent tous les deux leurs verres dans les oreilles de leurs chevaux, sans que la vieille s’en aperçût, puis ils partirent, au galop.
— Au revoir, mon fils, et bonne chance ! dit la dame de Kerbrinic, tout en s’étonnant qu’ils ne fussent pas tombés foudroyés sur place ; mais, ils n’iront pas loin, pensait-elle.
Nos deux compagnons allèrent bon train, jusqu’au soir ; mais, vers le coucher du soleil, leurs chevaux s’abattirent et moururent. Alors, les deux voyageurs revinrent un peu sur leurs pas, et demandèrent à loger dans une auberge, au bord de la route. Ils passèrent la nuit dans cette auberge, et, le lendemain matin, ils se remirent en route, aussitôt le soleil levé. Quand ils repassèrent à l’endroit où leurs chevaux étaient tombés morts, ils virent sur eux quatre pies, également mortes.
— Voyez l’effet du poison ! dit Petit-Jean à son compagnon.
Et il prit deux des pies et dit à Fanch Ker-brinic de prendre les deux autres, ajoutant qu’il saurait en tirer parti ; puis ils continuèrent leur route.
Ils arrivèrent, tôt après, sur la lisière d’un grand bois, et, comme ils ne connaissaient pas le pays, ils entrèrent dans un fournil banal, pour demander la route la plus courte pour se rendre à Paris. Il y avait là beaucoup de femmes, venues des habitations avoisinantes, et qui préparaient leur pâte pour la mettre au four. Le fournier répondit aux deux voyageurs que le plus court était de passer par les bois ; mais il ajouta qu’il y avait là une bande de voleurs, qui détroussaient les voyageurs. Il y avait une autre route, plus sûre, mais, beaucoup plus longue, qui contournait le bois et que suivaient ordinairement les gens prudents.
— Nous irons par le plus court, nous traverserons le bois, dit Petit-Jean.
Puis il pria les femmes qui étaient là de lui donner chacune un morceau de sa pâte, afin d’en faire des gâteaux, qu’ils mangeraient dans le bois, dans le cas où ils se verraient obligés d’y passer la nuit. Les femmes lui donnèrent de la pâte, et il en fit huit petits gâteaux, dans chacun desquels il mit une moitié de pie, de celles qu’ils avaient trouvées sur les corps de leurs chevaux morts. Quand les gâteaux furent cuits, ils les mirent dans leurs poches, et se disposèrent alors à se remettre en route. Mais, comme la nuit approchait, le fournier leur dit qu’il n’était pas prudent de s’engager, à cette heure, dans le bois, et qu’ils feraient bien de prendre l’autre chemin.
— Bah ! les voleurs ne nous font pas peur, répondit Petit-Jean ; et ils partirent et entrèrent résolument dans le bois.
Il y avait là plusieurs routes qui se croisaient, et ils s’égarèrent. La nuit vint. Ils craignaient plus que les voleurs les bêtes fauves, dont ils entendaient, de temps en temps, les hurlements et les cris. Après avoir longtemps marché, au hasard, ils aperçurent de la lumière, au fond d’un ravin, et se dirigèrent de ce côté. Ils aperçurent bientôt seize hommes assis, en rond, sur des pierres et des troncs d’arbres, autour d’un grand feu, où cuisait un mouton entier à la broche.
— Ce sont les voleurs, dit le seigneur de Kerbrinic, allons nous-en.
— Du tout ! répondit Petit-Jean ; nous allons, au contraire, faire connaissance avec eux, et les prier de nous accorder place au feu et part à leur cuisine. Ce ne sont ordinairement pas d’aussi méchantes gens qu’on le dit.
Et Petit-Jean s’avança vers le cercle, son chapeau à la main, et dit :
— Excusez-moi, messieurs, si je vous dérange ; nous sommes deux pauvres voyageurs égarés, dans le bois, et, comme nous avons entendu dire qu’il y a des voleurs par ici, nous venons vous prier de vouloir bien nous permettre de passer la nuit dans votre société, et de nous chauffer à votre feu, car la nuit est froide.
Les voleurs se regardèrent, en souriant, et celui qui paraissait être le chef répondit :
— Prenez place dans le cercle, tous les deux, et ne craignez rien des voleurs, pendant que vous serez dans notre société. Demain matin, nous vous remettrons dans le bon chemin.
Le cercle s’élargit, et Petit-Jean et son compagnon y prirent place, sans façons. Ils tirèrent leurs pipes de leurs poches, et se mirent à fumer, tranquillement, comme les autres, tout en causant. Quand le mouton fut suffisamment cuit, on le débrocha, et chacun coupait le morceau qui lui plaisait. Petit-Jean et le seigneur de Kerbrinic furent invités à faire comme les autres, et il ne fallut pas le leur dire deux fois. Tout le mouton disparut, en un instant, et Petit-Jean dit alors :
— Puisque vous nous avez si gracieusement invités à partager votre repas, nous voulons aussi vous faire part de ce que nous avons. C’est peu de chose, mais, nous le donnons de bon cœur.
Et il présenta les huit gâteaux aux voleurs, qui se les partagèrent et les mangèrent sur-le-champ. Mais, pris aussitôt de violentes douleurs d’entrailles, ils se levaient, tournaient sur eux-mêmes et allaient rouler dans le feu, où ils expiraient[25]. Petit-Jean et son compagnon trouvèrent là un grand coffre, rempli d’or et de bijoux. Ils s’en remplirent les poches et partirent, au point du jour.
Ils passèrent, tôt après, par une ville où il y avait une foire, et s’achetèrent chacun un cheval.
À force de marcher, ils étaient arrivés à une dizaine de lieues de Paris. Alors, Petit-Jean dit à son compagnon :
— Voici que nous approchons de Paris, et il faut être à notre affaire. Avez-vous trouvé une énigme à proposer à la princesse, quelque chose qui ne soit pas un jeu d’enfant ?
— Je ne sais rien autre chose que ce que je vous ai déjà dit, répondit le seigneur de Kerbrinic.
— Eh bien ! je vais vous en apprendre une ; écoutez bien et tâchez de retenir ; vous direz donc à la princesse : — Quand nous partîmes de la maison, nous étions quatre ; de quatre, il est mort deux ; de deux il est mort quatre ; de quatre nous avons fait huit ; de huit il est mort seize, et nous sommes encore venus quatre vous voir. Comprenez-vous ?
— Ma foi, non, je n’y comprends rien du tout. Expliquez-moi, je vous prie, ce que tout cela veut dire.
— Rien n’est plus simple : — Quand nous sommes partis de votre manoir de Kerbrinic, nous étions quatre, vous et moi et nos deux chevaux. — Oui. — De quatre il est mort deux : ce sont nos deux chevaux, qui moururent empoisonnés par la liqueur que nous leur versâmes dans les oreilles, au départ. — Je comprends. — De deux il est mort quatre ; ce sont les quatre pies, que nous trouvâmes mortes, le lendemain, sur les chevaux. — Bien. — De quatre nous avons fait huit ; ce sont les huit gâteaux empoisonnés, que nous avons faits avec les quatre pies. — Oui. — De huit il est mort seize ; ce sont les seize voleurs, empoisonnés et morts pour avoir mangé les gâteaux. — C’est vrai. — Et nous sommes encore venus quatre vous voir : en effet, nous avons acheté deux chevaux, avec l’argent des voleurs, lesquels chevaux et nous deux font encore quatre, comme quand nous sommes partis de Kerbrinic : n’est-ce pas clair ?
— Très clair, et pourtant, jamais la princesse ne devinera cela.
— Répétez-moi l’énigme, car il faut que vous l’appreniez, pour la proposer à la princesse.
— Oui, oui, je vais vous la répéter ; rien n’est plus facile : Quand nous sommes partis de la maison, nous étions quatre ; de quatre il est mort deux ; de deux il est mort trois…
— Mais non, ce n’est pas comme cela ; écoutez encore, et dites vite, comme ceci.
Et Petit-Jean récita une seconde fois l’énigme, très rapidement. Kerbrinic voulut faire comme lui, mais, il s’embrouilla encore. Tout le long de la route, il s’y exerça, et, quand ils furent arrivés à Paris, il lui fallut encore deux jours avant de pouvoir la réciter et expliquer convenablement. Le troisième jour, Petit-Jean lui dit :
— Allez, à présent, au palais, demandez à être introduit devant la princesse, et proposez-lui l’énigme, et prenez garde de vous tromper.
— Soyez tranquille, je la dis et l’explique, à présent, aussi bien que vous.
Le seigneur de Kerbrinic mit donc ses beaux habits des jours de fête, et alla frapper avec assurance à la porte du palais du roi. Le portier lui dit :
— Que demandez-vous, mon brave homme ?
— Je viens proposer une énigme à la princesse.
— C’est bien, suivez-moi. Il salua profondément la princesse.
— Vous venez me proposer une énigme ? lui demanda-t-elle, d’un air hautain.
— Oui, princesse, je viens vous proposer une énigme ; et une bonne, vous allez voir.
— Vous savez, sans doute, ce qui vous attend, si je devine votre énigme, et je la devinerai.
— Je le sais, princesse, mais, je n’ai pas peur, vous ne devinerez pas mon énigme.
— Eh bien, voyons-la. Et Kerbrinic récita son énigme, rapidement, et en breton, comme suit :
Pa oamp dent euz ar gêr, ez oamp pevar ; a bevar e varvas daou ; euz a daou a varvas pevar ; euz a bevar a oe grêt eiz ; euz a eiz a varvas c’huzec, hag ez omp deut c’hoas pevar d’ho kwelet. Petra eo kement-se ?
La princesse parut embarrassée ; elle réfléchit un peu, puis elle dit :
— Répétez-moi cela, je vous prie ; je crains de n’avoir pas bien entendu.
Kerbrinic répéta son énigme, une fois, puis une autre fois encore. La princesse, habituée à résoudre, séance tenante, tout problème qu’on lui proposait, paraissait fort contrariée. Elle dit enfin qu’elle répondrait, dans trois jours.
— Mais, demanda Kerbrinic, mon domestique et moi avec nos deux chevaux serons-nous logés et nourris, pendant ce temps, dans le palais ?
— Certainement, répondit la princesse ; je vais donner des ordres pour cela.
Là-dessus, Kerbrinic se retira, alla faire part à Petit-Jean de la manière dont les choses s’étaient passées, et, dès le soir même, ils étaient tous les deux installés dans le palais, avec leurs chevaux.
La princesse s’était retirée dans son cabinet d’étude, et elle consultait ses livres, grands et petits. Mais, elle avait beau chercher, calculer, réfléchir, elle ne comprenait rien à l’énigme de Petit-Jean, et elle était d’une humeur terrible.
L’idée lui vint alors que le compagnon de celui qui la mettait dans un si grand embarras pouvait connaître le secret de son maître, et qu’il serait possible de le lui arracher, avec de l’argent. Elle envoya donc une de ses femmes trouver Petit-Jean, avec cent écus. Petit-Jean était à l’écurie, à soigner les chevaux. La femme de chambre l’y alla trouver et lui parla de la sorte :
— Ma maîtresse m’envoie vous demander si vous connaissez le mot de l’énigme que lui a proposée votre maître.
— Oui, vraiment, je le connais, répondit Petit-Jean, mais, je ne le dirai à personne.
— Cependant, si l’on vous payait bien ? J’ai ici cent écus…
— De l’argent ! ce n’est pas là ce qui me manque ; j’en ai à discrétion, de l’argent !
Et il lui fit voir une poignée d’or, de celui des voleurs, dont il leur restait encore.
— Que demandez-vous donc ?
— Eh bien ! vous êtes si jolie et si agréable, que je veux faire quelque chose pour vous ; venez me trouver, dans ma chambre, ce soir, entre dix et onze heures, et je vous ferai connaître le secret de mon maître, tout en vous laissant les cent écus de votre maîtresse.
La jeune fille fit d’abord des façons et finit par promettre de venir, si sa maîtresse y consentait.
Elle alla faire part des exigences de Petit-Jean à la princesse, qui lui dit qu’il lui fallait le secret, coûte que coûte, et que, par conséquent, il fallait aller au rendez-vous. Elle lui promit cent écus pour elle-même.
Petit-Jean, de son côté, conta tout à Kerbrinic et lui dit :
— Comme ma chambre est au-dessus de la vôtre, en veillant et en prêtant l’oreille, vous pourrez savoir quand la femme de chambre de la princesse entrera chez moi. Quand elle y sera, depuis une demi-heure environ, je tousserai fort, et aussitôt, vous vous mettrez à faire du bruit, à jurer et à tempêter, disant qu’on veut vous voler, et vous monterez à ma chambre, furieux, ou du moins faisant semblant de l’être, et votre épée nue à la main.
Kerbrinic promit de faire comme lui dit Petit-Jean.
Vers dix heures, les deux camarades montèrent à leurs chambres, comme pour se coucher, tranquillement. Peu après, Petit-Jean entendit frapper discrètement à sa porte. Voici la femme de chambre de la princesse, se dit-il, et il alla ouvrir. C’était elle, en effet, et il la fit entrer, en disant :
— À la bonne heure ! vous êtes exacte, autant que vous êtes jolie ; et il voulut l’embrasser.
— Oh ! non, non, dit-elle en se reculant.
— Alors, vous ne saurez pas le secret de mon maître.
— Eh bien ! puisqu’il le faut ! — Et elle se laissa embrasser et dit : — Faites-moi connaître, à présent, le secret de votre maître.
— Doucement, ce n’est pas si pressé que cela ; je vous le dirai, mais, demain matin seulement, quand vous vous en irez.
— Demain matin ! mais, je veux m’en aller tout de suite.
— Comme vous voudrez, mais, alors, vous ne saurez rien.
Enfin, elle se résigna à rester, pour gagner les trois cents francs de la princesse, avec les autres trois cents francs que Petit-Jean parlait de lui céder, et aussi pour ne pas encourir la colère de sa maîtresse.
Petit-Jean la fit se déshabiller et se coucher, sans chemise, parce que, disait-il, il avait fait serment de ne jamais toucher à la chemise d’une femme. Puis, il fit un paquet de tous ses vêtements, y compris la chemise, et les jeta sous le lit, sans qu’elle s’en aperçût. Peu après, il toussa fortement, et aussitôt voilà un beau vacarme dans l’escalier, avec des cris : — Au voleur ! et des jurons effrayants.
— Qu’est-ce que cela, grand Dieu ? demanda la femme de chambre, mourante de frayeur.
— C’est mon maître, répondit Petit-Jean ; un homme très violent ; il a bu, selon son habitude, et il n’est pas commode, quand il est dans cet état. Il monte l’escalier, il vient ici ; sauvez-vous, vite, vite !…
— Où sont mes hardes ? demanda la pauvre femme en sortant du lit, toute troublée.
— Je ne sais pas, mais, vous n’avez pas le temps de vous habiller ; partez, vous dis-je, vite, vite !…
Et, folle de frayeur, elle se précipita dans l’escalier, toute nue et abandonnant ses vêtements et son argent. Grâce à l’obscurité qui régnait dans les corridors, elle put arriver à sa chambre, sans aucune fâcheuse rencontre, et elle s’habilla et se rendit aussitôt auprès de sa maîtresse.
— Eh bien ! lui dit celle-ci, vous m’apportez l’explication de l’énigme ?
— Hélas ! non ; cet homme est un méchant et un trompeur, qui mérite d’être pendu ; non seulement il ne m’a rien dit de l’énigme, mais, il a encore gardé l’argent. Elle ne dit rien du reste de ce qui lui était arrivé.
Voilà la princesse bien contrariée. Elle passa encore le reste de la nuit et toute la journée suivante à chercher la solution de l’énigme, ou un moyen de faire parler Petit-Jean, et elle ne trouva rien de mieux que d’envoyer encore, la nuit suivante, une autre de ses femmes, avec une somme double de la première, pour essayer de séduire le malin compère. Pour abréger, il arriva à celle-ci absolument comme à l’autre : elle y laissa aussi sa chemise et son argent, et s’en revint toute nue, et sans rien savoir de l’énigme.
La troisième nuit, qui était la dernière, la princesse se résolut à se rendre elle-même auprès de Petit-Jean. Elle ne réussit pas mieux que ses femmes, et, comme elles, il lui fallut s’en retourner aussi sans sa chemise, sans le mot de l’énigme et profondément humiliée. De plus, elle laissait six cents écus (1,200 fr.) entre les mains de Petit-Jean. Et c’était le lendemain matin qu’expirait le terme. Elle était furieuse, et ne savait à quel démon se vouer.
Le lendemain matin, le seigneur de Kerbrinic et Petit-Jean se présentèrent ensemble devant la princesse.
— Les trois jours que vous aviez demandés, princesse, sont expirés, lui dit Kerbrinic, et je viens savoir si vous pouvez me donner l’explication de mon énigme ?
La Devineresse fut forcée de s’avouer vaincue, et elle pria le seigneur de Kerbrinic de lui expliquer son énigme. Mais, dans la crainte de se tromper, Kerbrinic la lui fit expliquer par Petit-Jean, qui avait l’esprit et la langue plus déliés que lui. Elle reconnut que c’était parfait, ce qui lui coûta beaucoup, sa science comme devineresse ne s’étant jamais trouvée en défaut, jusqu’alors.
— J’espère, belle princesse, lui dit alors Kerbrinic, de sa voix la plus gracieuse, que votre intention est d’accomplir loyalement et complètement les conditions du défi que j’ai accepté et dont je me suis tiré à mon honneur ?
— Certainement, répondit-elle ; mais, puisque vous êtes si savant et si malin, je voudrais, auparavant, vous proposer aussi quelque chose, à mon tour.
— Volontiers, dit Kerbrinic, à qui Petit-Jean avait fait signe d’accepter ; parlez, je suis à vos ordres.
— Eh bien ! dit-elle, en lui montrant un grand sac, remplissez-moi ce sac de vérités, et alors, je n’aurai plus d’objection à faire et nos noces seront aussitôt célébrées.
— Ce sera bientôt alors, répondit Kerbrinic ; rassemblez, demain matin, à dix heures, toute votre maison, et, devant tout le monde, je vous remplirai le sac de vérités.
— C’est entendu, dit la princesse ; à demain matin.
Le lendemain, à dix heures, la réunion était nombreuse, dans la grande salle du palais. Le vieux roi était sur son trône, la couronne en tête, son sceptre à la main, et ayant à sa gauche la reine, et, à sa droite, la princesse, sa fille. Kerbrinic et Petit-Jean se tenaient au pied du trône, debout, et près d’eux était le sac aux vérités,
— Que peut-il bien y avoir là-dedans ? se demandait-on, avec impatience.
Le roi prit alors la parole et dit :
— Eh bien ! seigneur de Kerbrinic, avez-vous rempli votre sac de vérités ?
— Oui, sire, il est plein de vérités, répondit Kerbrinic.
— Faites-nous donc la preuve.
— Oui, sire, mon valet va vous faire la preuve. Petit-Jean dénoua les cordons du sac et en tira, au grand étonnement des assistants, d’abord, une robe de femme, et l’élevant en l’air, pour que chacun la vît bien, il demanda :
— Quelqu’une des personnes ici présentes reconnaît-elle cette robe pour lui appartenir ?
Personne ne réclama la robe ; alors, Petit-Jean, s’adressant à la femme de chambre de la princesse, lui dit : — Il me semble, mademoiselle, que cette robe ressemble beaucoup à celle que vous portiez, ces jours derniers.
La pauvre fille rougit, baissa la tête et ne dit rien.
Puis, Petit-Jean retira encore de son sac et successivement : ses jupons, son corset, ses bas et enfin sa chemise, et, à chaque fois, il demandait : — À qui est ceci ? Et l’on riait et plaisantait, à qui mieux mieux, et la pauvre femme de chambre était près de mourir de honte et de confusion.
— Voilà donc une vérité sortie de mon sac, dit Petit-Jean ; passons, à présent, à une autre.
Et, continuant de puiser dans le sac, il en retira d’abord une autre robe, une robe de soie, et demanda encore : — Quelqu’une de ces dames reconnaît-elle cette robe pour lui appartenir ?
Tout le monde reconnut la robe d’une fille d’honneur de la reine.
Et les rires d’éclater de plus belle. La fille d’honneur se leva et voulut s’en aller ; mais, le roi l’arrêta en disant :
— Nul ne sortira d’ici, avant que le sac n’ait été vidé.
Et Petit-Jean retira successivement de son sac tous les vêtements de la fille d’honneur, jusqu’à sa chemise, puis il dit :
— Voilà donc deux vérités sorties de mon sac ; passons, à présent, à la troisième.
Mais, la princesse se leva aussitôt et lui dit, d’un ton impérieux :
— Arrêtez ! n’allez pas plus loin, je vous l’ordonne.
— Laissez-moi vider mon sac, reprit-il ; le plus beau est au fond ; vous allez voir…
Mais, la princesse descendit rapidement de son siège, et lui prenant le bras :
— N’allez pas plus loin, vous dis-je, et fermez votre sac !
Tout le monde était saisi d’étonnement. Le roi lui-même comprit qu’il était prudent de ne pas aller jusqu’au fond du sac, et il dit à Petit-Jean :
— Obéissez à la princesse. — Puis, se tournant vers Fanch de Kerbrinic : — Seigneur de Kerbrinic, vous êtes l’homme le plus spirituel et le plus savant de mon royaume ; je suis enchanté de vous avoir pour gendre, et les noces seront célébrées dans la quinzaine, avec toute la pompe et la solennité possibles. Mais, faites-nous encore le plaisir de donner ici, devant toute ma maison, l’explication de votre énigme, qui est la plus merveilleuse qu’on ait jamais entendue.
— Volontiers, beau-père, répondit Kerbrinic. Et il expliqua encore son énigme, ou plutôt il la fit réciter et expliquer par Petit-Jean, aux applaudissements de toute l’assemblée.
On envoya, dès le lendemain, un beau carrosse tout doré quérir la dame de Kerbrinic, à son vieux manoir de Kerbrinic, et les noces furent célébrées, tôt après. Ce furent des fêtes, des jeux et des festins continuels, pendant huit jours et davantage.
Le vieux roi mourut, dans le mois, pour avoir mangé et bu et s’être amusé avec trop peu de modération, disent les mauvaises langues, et Fanch de Kerbrinic lui succéda sur le trône et devint roi de France, grâce à l’esprit de Petit-Jean. Aussi, ne l’oublia-t-il pas, et il en fit son premier ministre.
Il y avait autrefois un pauvre homme, qui avait deux enfants, garçon et fille, Efflam et Hénori.
Un jour, le père dit à Efflam : — À présent, mon fils, que te voilà élevé, tu devrais être capable de gagner ton pain et de te suffire à toi-même. Si tu allais à Paris, chercher fortune ?
— C’est bien, mon père, j’irai à Paris chercher fortune, répondit Efflam.
Et, en effet, le lendemain matin, Efflam se mit en route vers Paris. Il marcha et marcha, mettant toujours un pied devant l’autre. Un jour qu’il traversait une forêt, la nuit l’y surprit. Il monta sur un arbre, pour attendre le jour et se mettre en sûreté contre les bêtes féroces. Bientôt, trois brigands, chargés de butin, arrivèrent sous l’arbre.
Ils soulevèrent une grande pierre et déposèrent leur butin dans une caverne, dont elle cachait l’entrée. Puis ils s’assirent sous l’arbre, pour manger et boire, tout en causant de leurs exploits. Efflam prêta bien l’oreille et entendit ce qui suit :
— Moi, dit un des brigands, j’ai un manteau merveilleux qui me transporte, à travers les airs, partout où je veux.
— Moi, dit un autre, je possède un chapeau qui me rend invisible, et, quand je l’ai sur la tête, je puis aller partout, sans être vu de personne.
— Et moi, dit le troisième, j’ai des guêtres avec lesquelles je puis marcher aussi vite que le vent, quand je les ai sur mes jambes.
— Si je pouvais avoir le manteau, le chapeau et les guêtres, ou seulement un de ces trois objets — se disait Efflam, — cela ferait joliment mon affaire ! Mais, comment m’y prendre pour cela ?
Et il chercha dans sa tête et trouva ceci : tomber au milieu des brigands, en se laissant dévaler le long des branches feuillues, et en criant : — « Au voleur ! » de manière à faire croire que le diable ou les gendarmes étaient à leurs trousses. — C’est ce qu’il fit, et les trois brigands, saisis de frayeur, s’enfuirent, au plus vite, abandonnant sur la place le manteau, le chapeau et les guêtres.
Efflam se saisit des trois talismans, et, ayant mis les guêtres sur ses jambes, il fut bientôt rendu à Paris. Comme il se promenait par les rues, tout émerveillé des belles choses qu’il voyait, de tous côtés, il remarqua une boutique de bijoutier, qui lui sembla plus belle et plus riche que les autres, et fut tenté d’y dérober quelques objets de valeur. Il mit son chapeau sur sa tête, pénétra dans la boutique, sans être aperçu de personne, et y prit tout ce qu’il lui plut. Il vendit ensuite, dans une autre boutique, les objets qu’il s’était procurés de cette manière, pour avoir de l’argent. Il rencontra alors un soldat de son pays, et ils menèrent ensemble joyeuse vie, pendant quelques jours. Quand l’argent fut tout dépensé, Efflam ne fut pas en peine de savoir comment s’en procurer d’autre. Un jour, il aperçut sur une place un marchand de vases de terre qui vendait beaucoup, et qui mettait son argent, à mesure qu’il le recevait, dans un coffre de bois placé à côté de lui.
— Il faut que je lui enlève son coffre, se dit Efflam.
Et, mettant son chapeau sur sa tête, il enleva facilement le coffre, l’emporta à l’écart, le brisa, prit l’argent qui s’y trouvait et mena encore joyeuse vie, pendant qu’il dura.
Un autre jour, comme il se promenait sur une place de la ville, il entendit trois hommes qui causaient ensemble du trésor du roi. Ils disaient qu’ils trouvaient le roi bien mal avisé de mettre des soldats de garde près de la tour qui renfermait son trésor, puisqu’on ne voyait ni portes ni fenêtres à cette tour, et que les murs en étaient tellement épais et solides qu’il était impossible d’y pratiquer la moindre ouverture.
— C’est fort bien, se dit Efflam ; je sais, à présent, où est le trésor du roi.
Fuis, s’adressant aux trois hommes :
— Ainsi, vous pensez qu’il est impossible de voler le trésor du roi.
— Pour cela, oui, — répondirent-ils.
— Eh bien ! moi, je ne le crois pas. Et il s’éloigna là-dessus.
La nuit venue, il se rendit au pied de la tour, et, ayant étendu son manteau magique par terre, il s’assit dessus, se coiffa de son chapeau et dit alors : — « Manteau, fais ton devoir et transporte-moi, sur-le-champ, dans la salle du trésor du roi. » — Ce qui fut fait aussitôt, sans que les gardes ni nul autre vissent rien. Il sortit de la même manière, en emportant plein ses poches d’or et d’argent. Le lendemain et le surlendemain et toutes les nuits ensuite, il revint à la charge, et toujours avec le même succès.
Devenu riche subitement, il acheta un palais, et appela auprès de lui son père et sa sœur. Le jour où ils devaient arriver, il alla à leur rencontre, avec un beau carrosse attelé de deux chevaux. Arrivé à environ une lieue de la ville, voyant son père et sa sœur venir sur la route, à pied et mal vêtus, il dit à son cocher de retourner à la maison, avec un des chevaux, et de lui apporter une boîte qu’il avait oubliée sur la table, dans sa chambre, et dont il avait besoin. Il l’attendrait, dans une maison qui se trouvait là, au bord de la route.
Le cocher détela un des chevaux et partit. Efflam fit alors entrer son père et sa sœur dans la maison, au bord de la route, leur donna à changer de riches vêtements, qu’il avait apportés dans son carrosse, et leur remit à chacun une bourse pleine d’or, afin que son cocher, à son retour, ne les prît pas pour de pauvres paysans, comme ils l’étaient en réalité.
Le cocher revint et dit à son maître :
— Je n’ai pas trouvé la boîte, dans votre chambre.
— Eh ! non, je l’avais avec moi dans mon carrosse, et n’en savais rien.
Puis ils rentrèrent en ville.
Un jour, le père demanda à son fils comment il avait fait pour devenir riche ainsi, et Efflam lui avoua qu’il volait le trésor du roi.
— Si tu veux, lui dit alors le vieillard, j’irai aussi avec toi, et, à nous deux, nous emporterons une plus grande somme.
— Je le veux bien, répondit Efflam.
La nuit venue, ils se placèrent tous les deux sur le manteau, mirent aussi tous les deux leur tête sous le chapeau, et ils furent transportés dans la chambre du trésor ; puis ils s’en retournèrent, de la même manière, emportant tous les deux leur charge d’argent.
Cependant le roi s’aperçut qu’on volait son trésor, et il en fut très étonné, car il n’en confiait jamais la clé à personne, et, par ailleurs, il n’apercevait nulle part aucune trace d’effraction. Alors, il fit disposer des pièges autour des vases qui contenaient l’argent et l’or, pour y prendre le voleur. Et, en effet, le père y fut pris, la nuit suivante. Voyant qu’il ne pouvait s’en tirer, afin de sauver au moins son fils, il lui dit :
— Coupe-moi la tête, et emporte-la hors d’ici, avec mes vêtements, afin que je ne sois pas reconnu.
Efflam suivit le conseil de son père, lui coupa la tête et l’emporta, pour l’enterrer dans son jardin.
Quand le roi vint, le lendemain, à la chambre du trésor, il s’écria avec joie, à la vue du corps inanimé qu’il y trouva :
— Ah ! voilà enfin le voleur pris !… Voyons qui c’est.
Mais, ni lui, ni personne ne put reconnaître ce corps sans tête, de sorte que le voilà plus embarrassé que jamais.
Il fit alors publier, par toute la ville, que le voleur était enfin pris et qu’on allait traîner son corps sur une claie, dans tous les quartiers de la ville.
Ce qui fut fait, en effet, et quatre soldats, deux devant et deux derrière, accompagnaient le corps, avec ordre de bien écouter et bien regarder autour d’eux, pour voir si quelqu’un pleurerait, ou gémirait, ou paraîtrait désolé, sur leur passage.
Efflam fit atteler son carrosse, de bonne heure, et, avant de partir, il dit à ceux de sa maison et à ses voisins qu’il allait reconduire son père dans son pays, où il désirait retourner. C’était afin d’expliquer la disparition du vieillard. Arrivé à environ une lieue de la ville, il dit encore à son cocher de dételer un des chevaux de la voiture et de retourner avec lui en toute hâte à la ville, pour rapporter à son père sa bourse, qu’il avait oubliée en partant.
Le cocher détela un des chevaux et partit. Puis Efflam, voyant venir sur la route un courrier, qui portait des lettres, lui demanda s’il n’était pas fatigué.
— Pas encore, répondit-il, — mais, je le serai avant la fin de ma tournée, car j’ai beaucoup de chemin à faire.
— Si tu veux, je te donnerai ma voiture et mon cheval.
— Ne vous moquez pas de moi, Monseigneur.
— Je ne me moque pas de toi, et, à preuve, — tiens, prends-les.
Et Efflam descendit de sa voiture, y fit monter le courrier, presque de force, puis il reprit tranquillement, à pied, la route de la ville. Il rencontra son cocher qui revenait et lui dit :
— Je vous ai encore fait faire un voyage inutile : mon père avait sa bourse, dans sa poche, et ne le savait pas : à son âge, la mémoire commence à faiblir. Je lui ai donné ma voiture et mon cheval, pour s’en retourner dans son pays, et je rentre vite, car je me suis rappelé à temps que j’ai besoin d’être à la maison aujourd’hui.
Et il monta sur le cheval que ramenait le cocher et partit au galop.
En rentrant, il mit sa sœur au courant de tout, et lui recommanda bien de ne pas pleurer, ni de gémir, ni de paraître triste, ni même de se cacher, quand passerait le corps mutilé de son père, traîné sur une claie, lui expliquant que si elle manifestait le moindre signe de douleur, elle le perdrait et se perdrait elle-même.
Bientôt, on entendit la foule qui criait : — Voici le voleur du trésor du roi !… Tout le monde accourait sur le seuil des maisons, et une grande foule suivait le corps sans tête, et personne ne pouvait dire qui il était. Quand on passa devant la maison de Efflam, il était aussi sur le seuil de sa porte, avec sa sœur à côté de lui. Mais Hénori, ne pouvant supporter ce spectacle, poussa un cri et se retira dans la maison. Efflam la suivit, et, tirant son poignard, il lui fit une blessure à la main. Deux soldats se présentèrent aussitôt et dirent :
— Nous avons entendu pousser des cris de douleur, dans cette maison.
— Oui, leur dit Efflam, c’est ma sœur qui, s’étant blessée avec mon poignard, crie ainsi : voyez comme elle saigne !…
Et, en effet, la jeune fille saignait et criait toujours. Les soldats se retirèrent là-dessus.
Ce stratagème n’ayant pas réussi au roi, il s’avisa d’autre chose. Il fit suspendre le corps du voleur à un clou fiché dans le mur de son palais, et poster des gardes aux aguets, dans le voisinage, persuadé que, la nuit venue, les parents ou les amis du voleur essaieraient d’enlever son corps.
Quand Efflam vit cela, il se déguisa en marchand de vin, chargea un âne d’outres de vin mélangé d’un narcotique et s’en alla passer avec lui, et accompagné de sa sœur, au pied du mur du palais, où était suspendu le corps de son père. D’un coup d’épaule, il fit tomber les outres, dont une, préparée à cet effet, se déboucha. Sa sœur et lui se mirent à crier et à appeler au secours. Les gardes accoururent, les aidèrent à recharger les outres sur l’âne, et reçurent pour récompense celle qui s’était débouchée en tombant, mais qui, néanmoins, était encore plus d’à moitié pleine. Efflam et sa sœur poursuivirent alors leur chemin. Mais, ils revinrent sur leurs pas, environ une heure plus tard, et trouvèrent les gardes étendus par terre et profondément endormis, comme s’ils étaient morts. Fort bien ! dirent-ils.
Et ils se rendirent alors à un couvent de moines, qui se trouvait dans le voisinage, sous prétexte de leur vendre d’excellent vin, à bon marché. Au moyen de leur vin, ils endormirent les moines, depuis l’abbé jusqu’au portier, et en profitèrent pour enterrer leur père en terre sainte, dans le cimetière du couvent. Puis, ils opérèrent un changement de vêtements entre les moines et les soldats, de manière que les moines se trouvèrent être accoutrés, en soldats, et les soldats, en moines.
Le lendemain matin, quand fut venue l’heure de chanter matines, les moines se traînèrent jusqu’à la chapelle, encore à moitié endormis et n’y voyant pas clair. Le premier d’entre eux qui s’aperçut du singulier travestissement de l’abbé en resta d’abord tout interdit. Il se frotta les yeux, croyant avoir mal vu. Mais comme il continuait de voir devant lui un soldat et non un moine, il poussa son voisin du coude, en lui disant :
— Voyez donc notre abbé, comme il est accoutré ! Qu’est-ce que cela veut dire ?
Grand étonnement du voisin, à son tour. Mais, en portant leurs regards sur les voisins de droite et de gauche de l’abbé, ils les voient également travestis en soldats, puis toute la rangée de moines qui leur font face, de l’autre côté du chœur ; enfin, en se regardant eux-mêmes, ils reconnaissent qu’ils sont tous habillés en soldats. Qu’est-ce à dire ? C’est sans doute un tour de l’esprit malin ! Et les chants et les prières cessent, et l’on essaie de pénétrer ce mystère…
Cependant, quand le capitaine vint, le matin, visiter les soldats préposés à la garde du corps du voleur, il fut aussi fort étonné de les trouver tous profondément endormis et travestis en moines. Mais, ce qui était pis encore, c’est que le corps du voleur avait disparu. Il entra dans une grande colère, jura, tempêta et réveilla les soldats, à coups de pied.
Le bruit se répandit promptement dans la ville que le corps du voleur du trésor du roi avait été enlevé, et que les soldats préposés à sa garde avaient été trouvés, le matin, ivres-morts et déguisés en moines, tandis que les moines du couvent voisin, également ivres, portaient l’uniforme des soldats. C’était inévitablement un nouveau tour d’un compère du voleur du trésor royal. Cela fit du bruit dans la ville, et on en rit beaucoup.
— Je suis encore joué ! dit le roi, en apprenant tout ce qui s’était passé ; il faut convenir que c’est là un voleur bien habile ; mais, c’est égal, je veux savoir jusqu’où va son habileté, car j’espère bien la trouver en défaut.
Et il fit publier alors, dans toute la ville, qu’il ferait exposer, le lendemain, sur la place publique, devant son palais, une belle chèvre blanche qu’il avait et qu’il aimait beaucoup, et que si le voleur parvenait à la lui dérober, elle lui appartiendrait.
— C’est bien ! se dit Efflam, en entendant publier cela ; la chèvre blanche du roi sera à moi, demain, avant le coucher du soleil.
Le lendemain, la chèvre blanche fut en effet exposée sur la place, devant le palais du roi, et il s’y réunit une foule considérable, curieuse de savoir comment le voleur viendrait à bout de l’enlever, malgré les soldats qui la gardaient. Le roi lui-même était à son balcon, avec la reine, et entouré de princes, de généraux et de courtisans.
Efflam se coiffa alors de son chapeau magique et enleva la chèvre, le plus facilement du monde, sans que personne y vît ni comprît rien.
— Je suis encore joué ! s’écria le roi, avec dépit, quand il s’aperçut que la chèvre avait disparu. Mais, qui est donc cet homme ? Il faut que ce soit un grand magicien, car il y a de la magie dans tout ceci. N’importe ! je ne me tiens pas pour battu, et je veux savoir jusqu’où cela ira.
Efflam avait tué la chèvre du roi, dès en rentrant chez lui, et avait dit à sa sœur de l’accommoder pour leurs repas, pendant qu’elle durerait, en lui recommandant bien de faire sa cuisine dans le plus grand secret, et de n’en donner le moindre morceau ni à mendiant ni à nulle autre personne. Ils devaient manger la chèvre à eux deux.
Cependant, le roi songeait au moyen de mettre à une nouvelle épreuve l’habileté et la finesse de son voleur. Il fit venir un mendiant aveugle et lui dit d’aller demander l’aumône aux portes de toutes les maisons de la ville, et de solliciter partout un peu de viande, qu’il goûterait aussitôt que reçue. Si on lui donnait quelque part de la viande de chèvre, il devait, avec un morceau de craie blanche, faire une croix sur la porte de la maison où il l’aurait reçue, et venir l’avenir sur-le-champ.
Le mendiant commença aussitôt sa tournée. Quand il arriva à la maison d’Efflam, la sœur de celui-ci, qui avait sans doute oublié la recommandation de son frère, ou qui ne craignait pas d’être dénoncée par un aveugle, qui ne connaissait ni elle ni la maison, lui donna un morceau de la chèvre du roi. L’aveugle s’en aperçut, dès qu’il y eut goûté, et, à l’insu de la jeune fille, qui était rentrée dans la maison, après avoir fait son aumône, il marqua la porte de la maison d’une croix blanche, et se hâta ensuite d’aller en avertir le roi. Celui-ci envoya quatre soldats à la recherche de la maison dont la porte était marquée d’une croix blanche, à la craie, avec ordre de lui amener sur-le-champ les habitants de cette maison. Mais Efflam avait remarqué la croix blanche de sa porte et il interrogea sa sœur et lui demanda si elle ne lui avait désobéi en rien. Hénori lui dit qu’elle avait bien donné les restes de leur dernier repas à un vieux mendiant, qui avait excité sa commisération, mais, qu’il n’y avait rien à craindre de sa part, puisqu’il était aveugle. Efflam, sans attendre un mot de plus, se procura un morceau de craie blanche et se mit à parcourir la ville, en traçant des croix sur toutes les portes.
Les soldats s’arrêtèrent à la première porte où ils aperçurent une croix et dirent :
— C’est ici. Ils entrèrent dans la maison et trouvèrent deux vieillards, mari et femme, et les invitèrent à les accompagner jusqu’au palais du roi.
— Que nous veut le roi ? demandèrent-ils, tout étonnés.
— Vous avez volé son trésor et sa chèvre.
— Comment l’aurions-nous fait, s’écrièrent-ils, saisis de frayeur, vieux et incapables comme nous le sommes ? Il y a plus de six mois que nous n’avons mis le pied hors de notre maison.
Les soldats, les voyant si vieux et si incapables, se regardèrent et se dirent :
— Ce ne sont pas eux, évidemment ; voyons si nous ne trouverons pas de croix à quelque autre porte.
Et ils sortirent et s’aperçurent, avec surprise, que les portes de toutes les maisons du quartier portaient des croix semblables ; ils l’allèrent dire au roi.
— Quel homme que ce voleur ! s’écria le roi. Et il rêva à un autre moyen de le prendre en défaut.
Le lendemain matin, il fit publier, par toute la ville qu’il exposerait sa couronne royale, sur la place publique, devant son palais, et qu’elle appartiendrait à celui qui pourrait la dérober, sans se faire prendre.
Efflam, en entendant cela, se dit en lui-même :
— Sa couronne sera à moi, comme sa chèvre.
La couronne royale fut exposée, à l’heure et à l’endroit désignés. Une foule considérable était rassemblée sur la place, curieuse de voir si le voleur réussirait encore à l’enlever.
Le roi et sa cour étaient au balcon du palais, et de nombreux soldats montaient la garde, l’épée nue, autour du coussin de velours sur lequel la couronne était déposée. Mais, toutes ces précautions ne servirent à rien, et Efflam, s’étant coiffé de son chapeau magique, enleva la couronne du roi, aussi facilement qu’il avait enlevé sa chèvre.
Le vieux monarque, convaincu qu’il avait affaire au plus fin voleur de son royaume, et, de plus, à un grand magicien, sans doute, comprit que c’était en vain qu’il essayait de lutter avec lui, et il pensa alors que ce qu’il avait de mieux à faire, c’était de le conquérir et de se l’attacher, au lieu de le persécuter. Il fit donc publier qu’il exposerait, le lendemain, sa fille unique, au même endroit où avaient été exposées la chèvre blanche et la couronne royale, et que si le voleur parvenait également à l’enlever, il la lui accorderait pour épouse.
Il était, à présent, bien persuadé que le voleur se tirerait de cette dernière épreuve, aussi facilement que des autres.
Et, en effet, Efflam enleva encore la princesse, de la même manière, et la conduisit dans sa maison, sans que personne sût ce qu’elle était devenue. Puis, quand le roi fut rentré dans son palais, il s’y rendit aussi, accompagné de la princesse, et rappela sa promesse au vieux monarque. Celui-ci ne fit aucune difficulté pour tenir sa parole, et les noces d’Efflam et de la princesse furent célébrées, alors, avec pompe et solennité. Bien plus, le roi, qui était veuf, prit lui-même pour femme Hénori, la sœur de son gendre, et, pendant un mois entier, il y eut des fêtes, des jeux et des festins magnifiques, tous les jours.
Ce conte, altéré et mélangé, dérive évidemment de celui qui se trouve dans Hérodote, livre II, chap. 121, au sujet du trésor du roi Rhampsinit.
Une autre version du même conte, connue également à Morlaix et aux environs, se rapproche davantage du récit d’Hérodote, et est moins altérée ; mais, le conteur qui m’en a révélé l’existence n’a pu m’en donner qu’une analyse incomplète, la mémoire lui faisant défaut. Dans cette version, les voleurs du trésor du roi sont un maçon et son fils, qui ont construit la tour où sont déposées les richesses royales et se sont ménagé la faculté de pouvoir y entrer, à discrétion, en disposant une pierre du mur de manière à ce que l’enlèvement leur en fût possible, à volonté. — Quand le roi s’aperçoit qu’on le trompe, il consulte un ancien voleur renommé par sa finesse et ses exploits, et à qui il a fait crever les yeux, pour y mettre un terme. Il l’a néanmoins conservé près de lui, pour pouvoir profiter, au besoin, de son expérience et de ses conseils. Le voleur aveugle lui conseille de faire brûler du genêt vert, dans la chambre du trésor, après en avoir bien fermé et calfeutré la porte, et d’observer si la fumée ne trouvera pas quelque issue. On agit ainsi, et l’on remarque qu’un mince filet de fumée sort par une fissure presque imperceptible.
— C’est par là, dit alors l’aveugle, que le voleur pénètre dans la chambre du trésor.
On examine de près, et l’on découvre, en effet, un passage secret, très habilement ménagé. Des pièges sont disposés autour des vases qui contiennent le trésor, une roue garnie de rasoirs, dit le conteur. Le père, qui entre le premier, y a la tête tranchée. Son fils emporte la tête et ne laisse que le corps sur les lieux, après l’avoir dépouillé de ses vêtements, qu’il emporte également.
— Ils sont au moins deux, dit alors l’aveugle.
Le reste, comme dans le conte qui précède, moins les épisodes de l’exposition de la chèvre, de la couronne royale et de la princesse. Le roi finit également par accorder la main de sa fille au voleur.
IL y avait une fois un roi, qui s’ennuyait beaucoup, et il ne savait que faire pour se désennuyer.
Un jour, il dit à ses courtisans, qui l’ennuyaient bien plus encore que tout le reste :
— Allez voyager, pendant un an et un jour. Au retour, vous me raconterez ce que vous aurez vu et entendu de plus curieux, et peut-être trouverai-je quelque plaisir aux récits que vous me ferez.
Et les courtisans partirent. Ils se trouvèrent, après quelques jours de marche, devant une abbaye et remarquèrent au-dessus de la porte une inscription gravée sur une plaque de marbre, et qui disait qu’il y avait là un abbé qui n’avait jamais éprouvé aucun souci de sa vie, et qui n’en éprouverait jamais.
— Nous avons vu bien des choses curieuses et extraordinaires, jusqu’ici, se dirent-ils, mais, rien qui vaille ceci. Que cet abbé n’ait jamais éprouve aucun souci, jusqu’à présent, ce n’est pas chose impossible, après tout ; mais, affirmer qu’il n’en éprouvera jamais, voilà qui est bien téméraire, pour le moins.
Et ils poursuivirent leur route,
Nous les laisserons aller et ne les suivrons pas, pendant tout le temps que dura le voyage.
Quand l’an et le jour furent écoulés, ils revinrent auprès de leur roi, ayant beaucoup vu, beaucoup entendu et éprouvé toutes sortes d’aventures.
— Eh bien ! qu’avez-vous vu et appris d’extraordinaire ? Contez-moi tout cela, leur dit le roi, en les revoyant.
— Nous avons vu et appris bien des choses, sire, toutes plus curieuses et plus extraordinaires les unes que les autres ; pourtant, ce qui nous a semblé plus fort que tout le reste, c’est une inscription que nous avons lue au-dessus de la porte d’une abbaye.
Que disait donc cette inscription ?
— Elle disait qu’il y avait là un abbé qui n’avait jamais éprouvé aucun souci, de sa vie, et qui n’en éprouverait jamais, et, pour cette raison, on l’appelait l’abbé Sans-Souci.
— Ah ! vraiment, un abbé qui n’a jamais éprouvé aucun souci, de sa vie, et qui n’en éprouvera jamais ? Eh bien ! son inscription ment au moins de la moitié, et vous le verrez, sans tarder.
Et, le jour même, le roi écrivit à l’abbé une lettre par laquelle il lui ordonnait de venir le trouver. Il lui recommandait en même temps de ne venir ni un dimanche ni un jour ordinaire de la semaine ; ni par les chemins ni par les champs ; ni le jour ni la nuit ; ni vêtu ni habillé ; ni à pied ni à cheval, ni en voiture ; de plus, il devait ailler à reculons et avancer ; dire ce que penserait roi, au moment où il arriverait à la cour ; ce qu’il valait, quand il était revêtu de ses habits d’apparât, la couronne en tête et assis sur son trône ; et enfin lui apprendre où se trouve le centre de terre. Et il fallait remplir exactement toutes ces conditions, sous les peines les plus sévères et peut-être même la mort.
Quand il eut écrit sa lettre, le roi dit à son courrier :
— Portez cette lettre à l’abbé Sans-Souci, en son abbaye.
Le courrier partit et remit la lettre à l’abbé, en propres mains. Celui-ci s’empressa de la lire, et aussitôt il pâlit et devint triste et soucieux, Il n’était déjà plus l’abbé Sans-Souci.
— Que vous est-il arrivé, maître ? lui demanda son valet de chambre, étonné de le voir dans cet état. Je vous trouve bien triste, contre votre ordinaire.
— Ce n’est pas sans raison, répondit-il.
— Puis-je vous être utile ?
— Tiens, lis cette lettre que le roi m’envoie. Le valet prit la lettre, la lut et dit ensuite :
— Et c’est là ce qui vous inquiète tant ? Il y a bien de quoi, je pense.
— Eh bien ! vous vous tourmentez pour peu de chose.
— Comment, peu de chose ! Est-ce que, par hasard, tu serais capable de me tirer d’affaire, toi, de remplir toutes les conditions de cette sotte lettre ?
— Certainement, et sans peine.
— Comment cela ? Parle, vite.
— Promettez-moi d’abord de me céder la moitié des revenus de votre abbaye.
— C’est entendu, je te cède la moitié des revenus de mon abbaye, si tu me tires d’embarras.
— Ecoutez-moi bien, alors : vous m’emmènerez avec vous et nous partirons à Noël, qui n’est pas un dimanche et qui n’est non plus ni jour ni nuit. Vous ne devez être ni habillé, ni nu, ni à pied, ni à cheval, ni en voiture, et il vous faudra reculer et avancer en même temps. Rien de plus facile ; voyez plutôt : vous quitterez vos habits d’abbé et revêtirez les miens, de manière à pouvoir être pris pour votre propre valet, pui vous me jetterez sur la tête et tout le corps un filet de pêcheur, et, de la sorte, je ne serai en réalité ni tout à fait nu ni tout à fait vêtu. Je ferai placer sur une charrette une grande roue dans les jantes de laquelle seront de grosses chevilles sortantes ; je monterai à reculons sur ces chevilles et ferai tourner la roue, de manière que tout en montant ma roue à reculons, j’avancerai quand même, entraîné par la voiture qui pourr être attelée d’un cheval. Vous me mènerez pa les douves, et non par les chemins ; enfin, nou emporterons une boule.
L’abbé ne trouva rien à redire à tout cela. Il revêtit la livrée de son valet, et celui-ci, la tête couverte d’un filet de pêcheur, qui lui tombai jusqu’aux pieds, monta à sa roue, placée sur une charrette traînée par un cheval. Ils arrivèrent ainsi à la cour. Le roi, prévenu de l’arrivée de l’abbé Sans-Souci, s’empressa de venir le recevoir.
— C’est vous, l’abbé Sans-Souci ? dit-il, ei s’adressant au valet.
— Oui, sire, c’est bien moi, répondit celui-ci.
— Vous avez reçu ma lettre ?
— J’ai reçu la lettre de Votre Majesté, sire.
— Et vous vous êtes conforme de point en point à mes ordres ?
— Oui, sire.
— Voyons cela ; expliquez-moi comment vous vous y êtes pris, car je suis curieux de le savoir.
— Vous m’avez dit, sire, de ne venir ni un dimanche ni un jour ordinaire de la semaine ; ni de jour ni de nuit. Or, je suis venu la nuit de Noël, qui n’est ni un dimanche ni un jour ordinaire de la semaine, et dont on peut dire que c’est la nuit qui est le jour, à cause de la naissance de Nôtre-Divin Sauveur, la lumière du monde, et parce qu’on y dit la messe, à minuit, comme en plein jour. Je ne suis pas venu par les chemins ni aussi par les champs, car j’ai suivi tout du long les douves. Je ne suis venu ni à pied, ni à cheval, ni en voiture ; voyez, en effet, je suis sur une roue, et, tout en allant à reculons, j’avançais, car pendant que je montais à ma roue, à reculons, la voiture m’entraînait en avant. Je ne suis ni vêtu ni nu, car le filet de pécheur dont je suis enveloppé, de la tête aux pieds, ne me couvre pas entièrement le corps et ne me laisse pas tout nu non plus.
Le roi vérifia l’exactitude de tout ce que lui disait celui qu’il croyait être l’abbé Sans-Souci, et il fut émerveillé des ressources de son esprit.
— Mais ce n’est pas tout, reprit-il, un moment après, vous devez me dire encore où se trouve le centre de la terre.
— Rien de plus facile, sire ; le centre de la terre se trouve ici où nous sommes, et aussi partout ailleurs.
— Comment ici et partout ailleurs ? Ne pouvez-vous m’expliquer cela plus clairement ?
Prenant alors la boule qu’il avait apportée et y indiquant du doigt un point au hasard :
— Voyez cette boule, sire ; en quelque endroit que j’y pose mon doigt, il sera toujours au milieu de la boule, en imprimant à celle-ci un léger mouvement, car la terre est constamment en mouvement.
— C’est vrai, répondit le roi ; mais, je ne vous tiens pas encore pour quitte. Me direz-vous, à présent, combien je vaux, quand ma couronne royale en tête et mon sceptre à la main, je suis sur mon trône, dans mes plus beaux habits d’apparat, chargés de pierres précieuses et de perles fines ?
— Je vous le dirai, sire, en toute franchise et sans crainte. Vous valez alors vingt-neuf deniers, sire.
— Quoi, si peu ? M’expliquerez-vous au moins pourquoi ?
— Notre-Seigneur Jésus-Christ, vous le savez, ne fut vendu que trente deniers.
Le roi ne pouvait se fâcher de la comparaison ; il fut néanmoins un peu décontenancé et garda un moment le silence ; puis, il reprit :
— Ah ! voici où je vous attends, et, si vous vous tirez de là, il faut que vous soyez magicien ou sorcier. Dites-moi, pour finir, ce que je pense en ce moment.
— Je vous dirai encore cela, sire, et sans me mettre l’esprit à la torture. Vous pensez que vous parlez à l’abbé Sans-Souci…
— Comment, vous ne seriez pas l’abbé Sans-Souci ?
— Non, sire, je n’ai pas cet honneur.
— Qui donc êtes-vous ; le diable, peut-être ?
— Non, mais, tout simplement, le valet de monseigneur l’abbé : demandez-lui plutôt, car le voici, déguisé en cocher.
L’abbé confirma la vérité de ce que disait son valet.
Le roi, qui était un brave homme, partit d’un éclat de rire et s’écria :
— Ah ! le tour est bon ! Je ne me serais jamais attendu à trouver tant d’esprit chez un valet. Vous souperez tous les deux à ma table, car je veux vous présenter à la reine et à la cour.
Jamais il n’y eut de repas plus gai, dans ce palais, grâce aux saillies et aux bons mots du valet de l’abbé.
Le lendemain, au moment de partir, le roi fit un riche cadeau au valet, et dit à l’abbé, son maître :
— Quant à vous, l’abbé, vous pouvez conserver l’inscription de votre porte, car, aussi longtemps que vous aurez un pareil serviteur, vous serez vraiment l’abbé Sans-Souci.
(Côtes-du-Nord).
Il faut rapprocher ce conte d’un conte italien, qu’un maréchal-ferrant de Bologne, nommé Giulo-Cesar Croce, composa, vers la fin du XVIe siècle, sous le titre de : Les finesses de Bertoldo, et qui, amplifié pendant le siècle suivant, et mis en vers par les académiciens della Crusca, est resté populaire en Italie.
JEAN Kerbrinic et Jeanne Kerboule’h, mari et femme, faisaient le plus beau couple du monde, selon un vieux dicton[26].
Jean était un bon laboureur, aimé et estimé de son maître et de tous ceux de sa paroisse. À plusieurs lieues à la ronde, il n’avait pas son pareil, aux grands jours de semailles, de moisson, ou pour battre le blé, sur l’aire. Par exemple, il n’était pas des plus fins, mais, qu’est-ce que cela fait ?
Après avoir longtemps servi et travaillé pour les autres, il voulut aussi travailler pour lui-même et se marier. Il se mit donc en quête d’une moitié de ménage, c’est-à-dire d’une femme. Non loin de la ferme où il servait, habitait, dans une petite chaumière, une veuve nommée Jeanne Kerboule’h. Jeanne possédait la petite maison qu’elle habitait, puis un courtil avec un petit champ qui y attenaient, et enfin une vache et son veau. Elle avait encore une fille de dix-huit à vingt ans, nommée Jeanne, comme sa mère, qui n’était ni laide, ni belle, ni des mieux partagées du côté de l’intelligence, mais, qui promettait de faire un jour une bonne ménagère.
— C’est là celle qu’il me faudrait, se dit Jean, et si je pouvais l’avoir pour moitié de ménage[27], je m’estimerais heureux.
Il se mit donc à fréquenter la maison, et il ne passait jamais devant la porte sans entrer, sous un prétexte quelconque, tantôt pour allumer sa pipe, tantôt pour s’enquérir si l’on n’avait pas vu passer une vache ou une brebis égarée, de chez son maître, ou quelque autre chose semblable. La veuve le recevait bien, parce qu’il avait bonne conduite et bonne renommée, dans la paroisse, et la fille aussi n’était pas indifférente à ses visites.
Le second dimanche de juin, la jeune fille était de garde à la maison, après avoir été à la première messe du matin, et Jean, après la grand’-messe, devait venir dîner avec la veuve et sa fille, afin d’avancer ses affaires et de conclure, s’il était possible. Au moment de partir pour le bourg, après avoir fait un peu de toilette, la mère dit à sa fille :
— Vous savez que Jean Kerbrinic doit venir dîner aujourd’hui avec nous, faites donc en sorte que la soupe soit bonne, et pour cela soignez-la et mettez-y ce qu’il faut (peadra, en breton).
— C’est bien, ma mère, répondit Jeanne. Et la vieille partit là-dessus.
Et voilà Jeanne de s’occuper de son pot au feu. Elle y mit des choux, des navets et une bonne tranche de lard. Puis elle activa le feu, et le pot bouillit bientôt.
— Il est temps d’y mettre à présent Péadra, se dit-elle alors.
Or, il y avait à la maison un petit chien qui avait nom Péadra ; Jeanne l’appela à elle :
— Tiens, Péadra ! venez ici, mon petit chien. Ma mère m’a recommandé de vous mettre dans la marmite ; c’est là une singulière idée, mais, c’est sans doute afin que Jean, après avoir mangé de la soupe, m’aime davantage et que le mariage se fasse promptement : il faut faire comme elle a dit, bien que je te regrette, mon pauvre petit chien.
Et elle prit Péadra, qui était venu à elle, en agitant sa queue, le mit dans la marmite bouillante et plaça le couvercle dessus. Puis elle mit encore du bois au feu, tailla la soupe dans les écuelles de bois et balaya la maison.
À midi, la veuve arriva de la messe, accompagnée de Jean Kerboule’h.
— Le dîner est-il prêt ? demanda-t-elle aussitôt.
— Oui, tout est prêt, répondit Jeanne.
— Vous avez mis tout ce qu’il fallait (Péadra) dans la marmite.
— J’ai mis Péadra dans la marmite.
— Voyons si votre soupe est bonne.
Et chacun des trois prit son écuelle et la vida lestement : la soupe fut trouvée excellente.
La vieille s’occupa alors de retirer elle-même la viande de la marmite.
— Jésus ! s’écria-t-elle, en trouvant le chien dans la marmite, qu’est-ce que cela ?
— Eh bien ! ma mère, c’est Péadra, que vous m’aviez bien recommandé de mettre dans la marmite.
— Péadra ? mon pauvre petit chien ?
— Certainement ; ne me l’aviez-vous pas dit ?…
— Comment, malheureuse, sotte, imbécile, tête éventée !… Je t’ai dit de mettre dans la marmite tout ce qui était nécessaire pour faire de bon bouillon, c’est-à-dire du sel, du poivre, des choux, des navets et du lard, et tu y mets le chien !…
— Dam ! ma mère, est-ce que je savais cela, moi ?…
— Allons ! allons !… Tu ne seras jamais bonne à rien, vois-tu !
Jean regardait les deux femmes, et ne disait rien. Un autre que lui eût été suffisamment édifié sur l’intelligence de la fille, par ce qui venait de se passer ; mais, il était amoureux de Jeanne, et l’amour est aveugle, dit-on.
Le repas terminé, ce qui ne fut pas bien long, la vieille envoya sa fille puiser de l’eau fraîche, à la fontaine. Jeanne partit avec la cruche. Elle l’avait remplie d’eau fraîche et claire et s’apprêtait à la poser sur sa tête, pour s’en retourner à la maison, lorsqu’elle fut tout à coup arrêtée par cette pensée :
— Si je me marie, et je me marierai, et que j’aie des enfants, et j’en aurai, comment ferai-je pour leur trouver des noms, car je vois que tous les noms sont déjà pris par les autres ?
Et elle passa en revue les noms de baptême, et n’en trouva aucun qui ne fût porté par quelqu’un de la paroisse : Yvon, Jean, François, Pierre, Marc, Jacques, Stéphan, Arthur, Alain, Goulven, Glaoud, Kaourentin, Guillaume, Hervé, Tudual, Grallon, Marie, Anne, Yvonne, Soezic, Monic, Marc’harit, Marianna, Jeanne, Berc’hed, Katel, Glaouda, Tina, Izabel, Hénora, Franccza, Genoefa, etc., tous étaient pris. Et la voilà bien peinée.
— Jésus, mon Dieu ! s’écria-t-elle, mes enfants resteront donc sans noms, et, par conséquent, ne seront pas baptisés !…
Et elle se mit à pleurer dru, et s’oublia près de la fontaine, assise sur une pierre et la tête sur ses genoux.
Cependant, la mère, inquiète de voir que sa fille ne revenait pas, se mit à sa recherche :
— Jeanne ! Jeanne ! que fais-tu donc là si longtemps, Reviens, vite ? voilà plus d’une heure que tu es là.
— Ah ! vous ne savez pas, mère, s’écria Jeanne.
— Quoi donc, ma fille ?
— Quel malheur, mon Dieu !
— Quoi donc ? Que t’est-il arrivé ?
— Vous n’avez pas songé à une chose, mère ?
— Qu’est-ce que c’est donc ? Dis vite.
— C’est que si je me marie, et je le ferai, et que j’aie des enfants, et j’en aurai, il ne restera plus de noms à leur donner, puisque tous sont déjà pris par les autres.
La bonne femme, qui n’était guère plus fine que sa fille, resta d’abord immobile, bouche béante, et ne trouva rien à répondre. Puis elles passèrent en revue tous les noms de baptême et constatèrent avec douleur qu’en effet tous étaient pris :
— Comment faire, mon Dieu ! et que c’est malheureux !…
Et les voilà de pleurer toutes les deux, et de se désoler sur ce malheur irréparable.
Cependant, Jean, resté seul à la maison, et impatientant de voir que la mère ne revenait pas plus que la fille, se mit aussi à leur recherche, et, ayant appris le sujet de leurs larmes et de leur désolation, il se dit en lui-même, en haussant les épaules :
— Décidément, la mère et la fille se valent ; elles sont bêtes comme deux sabots, et ce que j’ai de mieux à faire, c’est de les planter là, et de chercher fortune ailleurs ; car, certainement, je n’aurai pas de peine à trouver mieux.
Et il partit, sans autres compliments.
À quelque distance de là, comme il passait devant une ferme, il aperçut, sur une aire à battre, une jeune fille armée d’une fourche de fer à dents très espacées.
— Voici, pensa-t-il, une jolie fille qui ferait bien mon affaire ; si je pouvais tenir ce gentil oiseau dans ma cage !…
Et il entra dans l’aire.
— Que faites-vous donc là de la sorte, la jolie fille aux cheveux blonds, avec votre fourche de fer ?
— Ma mère, répondit-elle, m’a recommanda de monter sur le grenier ces pois qu’elle a exposés au soleil pour sécher. Depuis midi, je suis là avec ma fourche à essayer de les monter sur le grenier, comme j’ai vu faire pour le foin, et je n’ai pu encore en monter un seul, et pourtant le soleil est sur le point de se coucher.
— Ce n’est pas comme cela qu’il faut s’y prendre, mon petit cœur : approchez ici votre panier, nous allons y mettre les pois avec nos mains, et ainsi nous aurons bien vite fait de le monter au grenier.
— Non, non, répondit la jeune fille, ma mère m’a dit de les monter au grenier avec une fourche de fer, et ma mère n’est pas une sotte, savez vous ?
— Eh bien ! mon enfant, travaillez bien, alors avec votre fourche, car je crains bien que le soleil ne se couche avant que vos pois soient sur le grenier ; en attendant, mes compliments à votre mère et adieu.
Et Jean s’en alla en se disant :
— Ce ne sera pas celle-ci qui me fera regretter Jeanne : elle est bien gentille, pourtant.
Un peu plus loin, il arriva dans un village, où Il vit beaucoup de monde assemblé autour d’une maison : il y en avait aussi sur le toit et jusque sur la cheminée, et ces derniers paraissaient tirer sur une corde et la laisser descendre alternativement dans la cheminée, comme font des ramoneurs. Jean s’approcha d’une jeune fille grande, et bien découplée, aux cheveux noirs, aux yeux vifs, comme il en aurait désiré pour être sa moitié de ménage, et lui adressant la parole :
— Dites-moi, je vous prie, mon petit cœur, ce que font ces gens ? M’est avis qu’ils ramonent a cheminée.
La jeune fille, détournant la tête, le regarda par-dessus son épaule, d’un air de dédain, et lui fit :
— Vous êtes encore un malin, vous ! De quel pays venez-vous donc, pour parler de la sorte ? Comment ne voyez-vous pas, imbécile que vous êtes, qu’on est à panser le cheval de mon père ?
— À panser le cheval de votre père ? Je vous voue que je ne comprends pas bien comment…
— Eh bien ! mon pauvre homme, répondit une petite vieille, qui se trouvait à côté de la jeune fille (c’était sa mère), notre cheval timonier est tombé, il y a quelques jours, dans la rivière et a été entraîné par le courant sous la roue du moulin, où il a reçu plusieurs blessures graves. Le rebouteur, un homme renommé dans tout le pays, pour sa science, a ordonné de frotter ses plaies avec de la suie de cheminée, et c’est ce que l’on fait en ce moment, comme vous le voyez. N’entendez-vous pas les plaintes de la pauvre bête ?
Et, en effet, ces gens, se tenant partie sur la pierre du foyer, dans l’intérieur de la maison, en partie sur le sommet de là cheminée, faisaient monter et descendre alternativement le cheval, au moyen de cordes, pour mettre ses plaies en contact avec la suie.
— Mais, ma brave femme, répondit Jean émerveillé de tant de simplicité et de sottise, ne pensez-vous pas qu’il eût été plus commode et moins dangereux pour la bête de prendre un peu de suie dans la cheminée, au moyen d’une échelle et d’en frotter ses plaies, dans l’écurie.
— N’écoutez pas cet imbécile, mère, dit la jeune fille, d’un ton arrogant, c’est moi qui a conseillé de faire ainsi, et je soutiens qu’il n’y avait rien de mieux à faire.
Jean se tut et s’en alla, en disant : — Jeanne est certainement une fille d’esprit, auprès de celle-ci !
Un peu plus loin, comme il passait devant un maison de bonne apparence, il aperçut une jeune fille assise sur un escabeau, au seuil de la porte et mangeant de la soupe, à une écuelle qu’elle avait sur ses genoux.
— Voilà une bien jolie fille, se dit-il, je vais lui demander mon chemin, pour la voir de près et causer un peu avec elle.
À mesure qu’il approchait de la maison, il entendait un enfant crier, comme si on l’égorgeait.
— Bonjour, mon joli cœur, dit-il à la jeune fille, en l’abordant.
— Que voulez-vous ? lui demanda-t-elle, d’un ton arrogant.
— Est-il donc arrivé quelque malheur dans votre maison, pour que j’y entende crier de la sorte ?
— Qu’est-ce que cela vous fait ? Entrez, du reste, si vous voulez, et vous verrez.
Et Jean entra dans la maison. Il fut aussitôt saisi d’horreur et resta quelque temps immobile, comme un pieu de pierre (peulvan), au spectacle qui s’offrit à ses yeux. Il vit là une mère, toute sanglante, armée d’un couteau et taillant et enlevant des morceaux de chair vive aux fesses d’un petit enfant de quatre ou cinq ans.
— Que fais-tu, femme dénaturée, tison d’enfer ? ne put-il s’empêcher de s’écrier.
— De quoi vous mêlez-vous, vous ? lui répondit ce monstre. Ne voyez-vous donc pas que le tailleur ayant fait trop étroit du derrière la culotte de cet enfant, il faut bien que je retranche à ses fesses ce qu’elles ont de trop, pour qu’il y puisse entrer ? Et comment feriez-vous autrement, vous, à ma place ? Et puis, comme je vous l’ai déjà dit, de quoi vous mêlez-vous ? Allez-vous-en, au plus vite, je vous prie, ou si je prends la cognée de mon mari, que voilà…
Jean se précipita hors de la maison, en criant :
— Mon Dieu ! mon Dieu ! où donc suis-je ici ? Ce n’est certainement pas parmi des chrétiens.
Et il poursuivit sa route, tout attristé de ce qu’il voyait.
— Je n’irai pas plus loin, dit-il, au bout de quelques pas ; je retourne à la maison de Jeanne, et je vais décidément la demander en mariage. Elle n’est pas des plus fines, c’est vrai, ni riche, mais, depuis que je l’ai quittée, je n’ai pas trouvé qui valût mieux qu’elle, bien au contraire. Jeanne m’aime, et un vieux proverbe dit :
Mieux vaut de l’amour une poignée,
Que de l’or et de l’argent plein un four[28].
Quand il arriva chez Jeanne, il fut bien reçu et par la vieille et par la jeune. Les noces eurent lieu, tôt après, et les voilà ensemble en ménage.
Jean était un travailleur infatigable, et sa conduite était exemplaire, sous tous les rapports. Il n’était ni buveur, ni joueur, ni coureur de pardons et de foires. La bonne femme mourut, peu après, et le peu qu’elle possédait, c’est-à-dire : une chaumière, deux petits courtils, une vache, une chèvre blanche, quatre poules, un beau coq rouge et un chat pour faire la chasse aux souris, échut en héritage à sa fille, puisqu’elle n’avait pas d’autre enfant.
La pauvre femme ne faisait aucun progrès du côté de l’intelligence, à mesure qu’elle avançait en âge, et Jean avait souvent lieu de la reprendre et de gronder. Il avait beau travailler et se donner du mal, il n’en devenait pas plus riche : bien au contraire. Au bout d’un an de mariage, la simplicité et les sottises de Jeanne, et aussi son bon cœur, car elle était toujours prête à partager avec les autres, firent qu’ils commençaient à se trouver dans la gêne.
Un soir, après souper, ils étaient tous les deux à causer, tranquillement, auprès du feu, avant d’aller se coucher.
— Nous avons encore trois bons morceaux de lard, dit Jean, en regardant le lard pendu dans la cheminée, pour fumer.
— Oui, répondit Jeanne, nous avons encore trois bons morceaux.
— Un d’eux, reprit Jean, sera pour Noël, un autre, pour le Carnaval, et le troisième, pour Pâques.
— Oui, répondit Jeanne.
Le lendemain, pendant que Jean travaillait au champ, un mendiant se présenta à la porte de la chaumière.
— Quel nom avez-vous ? lui demanda Jeanne.
— Nédélec (Noël), répondit le mendiant.
— Nédélec ? C’est bien à vous, alors, que Jean destine notre premier morceau de lard : je vais vous le donner, puisque vous voilà.
Et le mendiant aida Jeanne à décrocher le lard, qui fumait dans la cheminée, puis il l’emporta, un peu étonné de tant de générosité.
Le lendemain, en l’absence de Jean, d’autres mendiants se présentèrent pour demander l’aumône.
— Comment vous nommez-vous ? leur demanda Jeanne.
— Carnaval et Pâques, répondirent-ils. Ils avaient été conseillés, sans doute, par le mendiant de la veille.
— Carnaval et Pâques ? Alors, c’est à vous que Jean destine les deux morceaux de lard qui nous restent.
Et Carnaval et Pâques emportèrent les deux morceaux de lard qui restaient.
Le soir, en se chauffant, avant d’aller se coucher, Jean leva encore les yeux vers les tranches de lard suspendues dans la cheminée, et, ne les voyant plus, il en fut bien surpris et demanda à Jeanne :
— Qu’est donc devenu le lard, que je ne le vois plus, dans la cheminée ?
— Le lard ? Mais Nédélec (Noël), Carnaval et Pâques, à qui vous le destiniez, l’ont emporté.
— Comment cela, que veux-tu dire, Jeanne ?
— Ne m’aviez-vous pas dit, l’autre jour, qu’un des trois morceaux de lard serait pour Nédélec, un autre pour Carnaval, et le troisième pour Pâques ? Eh bien ! il est venu, hier et aujourd’hui, trois mendiants, qui m’ont dit avoir noms Nédélec, Carnaval et Pâques, et je leur ai donné le lard.
— Ce n’est pas possible, tu plaisantes, sans doute ?
— Je ne plaisante pas, et c’est comme je dis.
— Allons ! allons ! tu es bien la plus sotte femme qui soit sur terre, et nous ne pouvons qu’être pauvres, à la façon dont tu agis, en toutes choses !
Le pauvre Jean était désolé ; il voyait clairement qu’ils marchaient à la misère, et il ne put clore l’œil, de toute la nuit.
Le lendemain matin il dit à Jeanne :
— Nous n’avons plus un morceau de lard à la maison ; l’argent, pour en avoir, nous manque également ; notre vache et son veau et la chèvre et les poules ont été vendus ou mangés ; notre maison et les deux courtils ne sont également plus à nous : il ne nous reste donc qu’à quitter le pays et à aller chercher du pain ailleurs.
— Oui, dit Jeanne, allons chercher du pain ailleurs.
Jean avait la mort dans l’âme et les larmes aux yeux, en quittant la chaumière, et il dit à Jeanne, qui le suivait :
— Tire la porte sur toi.
— C’est bien, dit Jeanne.
Et elle enleva la porte de ses gonds et la chargea sur son dos.
Jean marchait devant, triste et soucieux ; Jeanne venait après lui, et gémissait et s’attardait. Jean se détourna, en l’entendant se plaindre et souffler, et son étonnement fut grand de voir qu’elle portait la porte de leur chaumière sur son dos.
— Pourquoi diable portes-tu cette porte sur ton dos ? lui demanda-t-il.
— Pourquoi ?… Ne m’avez-vous pas dit de tirer la porte sur moi ?
— Oui, de la fermer après toi, ma pauvre femme !
— Dam ! est-ce que je pouvais savoir ça, moi ?
— Puisqu’elle est venue jusqu’ici, ne l’abandonnons pas sur la route ; peut-être pourra-t-elle nous servir, d’ailleurs ; donne-moi-la, à mon tour.
Et Jean chargea la porte sur son dos, et ils continuèrent leur route.
Il y avait déjà quelque temps que le soleil était couché, et, comme ils ne rencontraient aucune habitation, ils étaient inquiets de la manière dont ils passeraient la nuit. Ils suivaient depuis longtemps la lisière d’un grand bois, dont ils ne trouvaient pas la fin.
— Entrons dans le bois, pour y passer la nuit, dit Jean, nous y serons moins exposés au froid.
— Entrons dans le bois, dit Jeanne.
Et ils entrèrent dans le bois ; mais, comme il y avait dans ce bois beaucoup de bêtes fauves de toute sorte, pour plus de sûreté, ils montèrent sur un vieil arbre, fixèrent solidement la porte de leur maison entre les branches, et s’étendirent dessus pour dormir, car ils étaient fatigués.
Mais, ils furent éveillés, au milieu de la nuit, par un vacarme épouvantable et des jurons, qu’ils entendirent sous l’arbre.
— Qu’est-ce que c’est, grand Dieu ? dit Jeanne, tout effrayée.
— Silence ! ne dis mot, ou nous sommes perdus !
C’étaient des brigands, qui venaient de faire une bonne prise, et qui étaient venus partager leur butin sous l’arbre. Il faisait un beau clair de lune. Mais, ils ne s’entendaient pas, et de là tout ce bruit et ces jurons. Jeanne avait si grand peur que… elle leur fit croire qu’il pleuvait.
— Voilà qu’il pleut, dit un des brigands, hâtons-nous d’en finir.
Puis, Jeanne fit tomber sur eux quelque chose de moins liquide et de plus odorant, et, s’étant portée brusquement à un angle de la porte, celle-ci perdit l’équilibre, et Jean et Jeanne et la porte dégringolèrent, de branche en branche, avec un grand fracas, et vinrent tomber au milieu des brigands. Ceux-ci, croyant avoir à leurs trousses tous les diables de l’enfer, déguerpirent, au plus vite, abandonnant sur place leur or et leur argent.
Jean et Jeanne en remplirent leurs poches, et, au lieu de continuer leur route aventureuse, ils s’empressèrent de retourner à la maison.
Chemin faisant, Jeanne dit à Jean :
— Eh bien ! Jean, crois-tu encore que j’avais si mal fait d’emporter la porte ? Et diras-tu encore que je suis bête ?
Ils étaient riches, à présent, et ils achetèrent une belle ferme et firent bâtir une belle maison, la plus belle du pays. Ils donnaient l’aumône à tous les mendiants qui se présentaient au seuil de leur porte ou qu’ils rencontraient sur leur route, et ils étaient estimés et aimés de tout le monde.
Jeanne donna un fils à Jean, lequel fut appelé Jean Kerbrinic, comme son père, bien que Jeanne craignît qu’on n’eût pu trouver un nom pour lui, tous les noms étant déjà pris.
Et voilà l’histoire de Jean et de Jeanne. En avez-vous jamais entendu de plus belle ?
(Côtes-du-Nord). — Décembre 1868.
UN jeune garçon de dix ou douze ans, sans père ni mère, quitta un jour sa paroisse, où il vivait de la charité publique, et se mit à voyager, emportant pour tout bien une poignée d’épis de froment, qu’il avait glanés dans un champ. On ne lui connaissait pas d’autre nom que celui de Pierre-le-Niais.
Le premier soir, après le coucher du soleil, il se présente à la porte d’une ferme. La bourgeoise, en l’apercevant sur le seuil de la maison, lui demanda :
— Qui es-tu, et que veux-tu ?
— Pierre-le-Niais.
— Pierre-le-Niais ? Tu n’as pas l’air fin, en effet, que veux-tu ?
— L’hospitalité pour la nuit, au nom de Dieu.
— C’est bien, entre et assieds-toi, pour attendre l’heure du souper.
— Et mes glanes aussi ?
— Oui, et tes glanes aussi, répondit la femme, en souriant de tant de naïveté.
— Où les mettrai-je ?
— Sur le perchoir aux poules.
Pierre jeta ses glanes sur le perchoir aux poules, soupa, puis se coucha et dormit bien.
Le lendemain matin, il déjeuna, puis alla chercher ses glanes, sur le perchoir aux poules. Il n’en restait plus que la paille, les poules avaient mangé tout le grain.
— N’importe, dit-il, je vais emporter une poule, pour me dédommager.
Et il prit une poule et se remit en route avec elle.
Le soir venu, il se présenta dans une autre ferme pour demander à loger.
— Que cherches-tu ? lui demanda la fermière.
— L’hospitalité pour la nuit, au nom de Dieu.
— C’est bien, entre.
— Et ma poule aussi ?
— Oui, et ta poule aussi.
— Où la mettrai-je, pour passer la nuit ?
— Dans la crèche aux porcs.
Pierre alla porter sa poule dans la crèche aux porcs, puis il revint, soupa, se coucha et dormit bien.
Le lendemain matin, quand il alla chercher sa poule, pour se remettre en route, les porcs l’avaient mangée.
— C’est égal, dit-il, je vais emmener un porc. Et il emmena un porc, et se remit en route.
Le soir, il se présenta à la porte d’une troisième ferme.
— Que veux-tu ? lui demanda la fermière.
— L’hospitalité pour la nuit, au nom de Dieu.
— C’est bien, tu seras logé.
— Et mon cochon aussi ?
— Oui, et ton cochon aussi.
— Où le mettrai-je, pour passer la nuit.
— Dans l’écurie.
Pierre conduisit son cochon à l’écurie, puis il revint à la ferme, soupa, se coucha et dormit bien.
Le lendemain matin, il alla chercher son cochon à l’écurie, pour se remettre en route. Les chevaux l’avaient tué.
— C’est égal, dit-il, je vais emmener un cheval.
Et il prit un cheval et partit. Le soir, il se présenta à la porte d’une autre ferme.
— Que veux-tu ? lui demanda la fermière.
— L’hospitalité pour la nuit, au nom de Dieu.
— C’est bien, tu seras logé.
— Et mon cheval aussi ?
— Oui, et ton cheval aussi.
— Où le mettrai-je, pour passer la nuit ?
— Dans l’écurie.
Pierre conduisit son cheval à l’écurie, puis il revint à la ferme, soupa, se coucha et dormit bien.
Le lendemain, il pensa qu’avant un cheval pour le porter, il n’avait plus besoin de se gêner, et il se leva tard. Le garçon d’écurie avait conduit ses chevaux au pâturage, de bonne heure, et n’avait laissé à l’écurie que le cheval de Pierre. La servante devait aller, ce jour-là, faire cuire au four banal. Ne trouvant à l’écurie que le cheval de Pierre, elle chargea son sac sur son dos, et partit pour le four, sans s’apercevoir du changement de cheval. Quand elle eut enfourné sa pâte, elle reprit le chemin de la ferme, en la société de plusieurs autres servantes des villages voisins. À mi-route de la maison, elle s’arrêta à causer avec elles du dernier pardon, et laissa le cheval aller seul devant, persuadée qu’il se rendrait directement à la ferme. Mais le cheval, se voyant libre, retourna chez le maître d’où il était parti la veille. Quand la servante rentra à la ferme, Pierre courut au-devant d’elle et lui demanda :
— Qu’avez-vous fait de mon cheval ?
— Ce que j’ai fait de votre cheval ?
— Oui, vous avez emmené mon cheval avec vous au four banal ; où est-il ?
— Par ma foi, j’ignorais que ce fût votre cheval. Mais, est-ce qu’il n’est pas rentré ? Je l’ai laissé aller seul devant.
— Vous m’avez perdu mon cheval ; tant pis pour vous, et je vais vous emmener à sa place.
Et arrachant à la servante un sac vide, qu’elle portait sur le pli du bras, il la fourra dedans, malgré ses cris, la chargea sur son dos et partit.
Le soir, il se présenta à la porte d’une autre ferme, avec son fardeau.
— Que veux-tu ? lui demanda la fermière.
— L’hospitalité pour la nuit, au nom de Dieu.
— C’est bien, tu seras logé ; entre.
— Et mon fardeau aussi ?
— Oui, et ton fardeau aussi.
— Où le mettrai-je ?
— Dépose-le là, dans le coin, près du lit que voilà.
Pierre déposa son sac à l’endroit désigné, puis, le moment venu, il soupa et alla coucher, dans l’étable aux bœufs.
Quand il fut sorti, la pauvre servante, qui n’osait rien dire dans son sac, pendant qu’il était là, se mit à appeler au secours. On fut bien étonné d’entendre cette voix plaintive sortant on ne savait d’où.
— Qu’est-ce ? demanda la fermière ; qui est là ?
— C’est moi, ma pauvre marraine ; retirez-moi vite d’ici.
La fermière était en effet la marraine de la servante.
— Jésus mon Dieu ! mais, où êtes-vous donc ?
— Ici, dans le sac de Pierre-le-Niais.
La fermière dénoua le sac et la servante en sortit. Puis, elle raconta par suite de quelle aventure étrange elle se trouvait dans cette situation. Mais, il fallait, à présent, trouver un moyen de tromper l’idiot, qui pouvait se porter à quelque violence, s’il s’apercevait qu’on lui avait dérobé sa proie. Il y avait là, dans un coin, une chienne avec ses petits, et on les mit dans le sac.
Le lendemain matin, Pierre, ayant déjeuné, chargea son sac sur son épaule, sans s’apercevoir de rien, et partit. La chienne et ses petits se démenaient dans le sac, et Pierre, croyant toujours tenir la servante, disait :
— Ne remue pas tant, là-dedans, ou je vais te jeter dans l’étang.
Il passait en ce moment sur la chaussée d’un étang.
La chienne n’en tenait aucun compte et continuait de se démener, puis, enfin, elle le mordit.
— Ah ! du coup, s’écria-t-il, furieux, tu vas me le payer !
Et, jetant son sac à terre, il l’ouvrit et s’apprêtait à corriger la servante, lorsque s’apercevant qu’il avait affaire à une chienne et ses petits, il en resta stupéfait, la bouche ouverte.
— Tiens ! s’écria-t-il, après un moment de silence, elle s’est changée en une chienne avec ses petits ! Ces femmes ont des malices de diable !…
Et il partit là-dessus, laissant là la chienne et ses petits, avec le sac ; et depuis, je n’ai pas entendu parler de lui, et ne sais ce qu’il est devenu.
en Plouaret. — 1869.
DEUX pauvres gens, Jean et Jeanne, mari et femme, demeuraient près du manoir d’un riche seigneur. Un des valets du seigneur était l’amant de Jeanne, et comme Jean contrariait leurs amours, il voulut se débarrasser de lui. Il dit un jour à son maître :
— Jean a dit, mon maître, qu’il était capable de couper votre taillis et d’en faire des fagots, en trois jours.
— Vraiment ? Eh bien ! dites-lui de venir me parler.
Jean se rendit auprès du seigneur.
— Comment, Jean, lui dit celui-ci, tu t’es vanté de pouvoir couper mon taillis et en faire des fagots, en trois jours ?
— Jamais je n’ai rien dit de semblable, monseigneur, s’écria Jean, en levant les mains au ciel, et il faudrait être complètement fou pour parler de la sorte.
— Si, tu l’as dit, répliqua le seigneur, et il faut que tu le fasses, ou il n’y a que la mort pour toi.
Jean s’en retourne à la maison en pleurant et va raconter la chose à Jeanne. Celle-ci fait mine de se désoler et dit à son homme :
— Il faudra te mettre à la besogne, demain matin, de bonne heure, et travailler ferme.
Dès le lever du soleil, le lendemain, Jean se dirigea vers le bois, sa cognée sur l’épaule, et tout triste. Il rencontra en son chemin une petite vieille qui lui demanda :
— Pourquoi es-tu si triste, Jean ?
— Ce n’est pas sans raison, grand’mère : le seigneur m’a dit qu’il me faut couper son taillis ; et en faire des fagots, dans trois jours, ou il n’y a que la mort pour moi.
— Ce n’est que cela ? Console-toi, mon garçon, ce sera fait, sois tranquille. Tiens, prends cette cognée (et elle lui présenta une petite cognée bien affilée), frappes-en le bois avec confiance, et ne t’inquiète pas du reste.
Jean prit la cognée et se rendit au bois, peu rassuré, malgré les paroles de la vieille. Il en frappa un pied de chêne, qui tomba aussitôt sur un autre, lequel tomba sur un troisième, qui tomba sur un quatrième, et ainsi de suite, si bien qu’en très peu de temps, tout le bois taillis fut couché par terre.
Quand Jeanne vint, à midi, apporter son dîner à Jean, elle le trouva qui fumait tranquillement sa pipe, assis sur un tronc d’arbre.
Le second jour, tout le bois fut mis en fagots, et le troisième, il fut transporté dans la cour du manoir, et mis en un tas qui s’élevait plus haut que le toit de la maison.
Le seigneur était absent. Quand il rentra et vit cet énorme tas de bois :
— Que signifie ceci ? demanda-t-il, en colère.
— Eh bien ! lui dit tranquillement Jean, j’ai fait ce que vous m’aviez commandé ; j’ai coupé votre taillis, je l’ai mis en fagots et transporté et entassé dans votre cour, et tout cela, en trois jours ; j’ai bien travaillé, n’est-ce pas ?
Le seigneur était furieux ; mais, comme il pensait qu’il y avait de la sorcellerie dans l’affaire, il n’osa trop rudoyer Jean, et se contenta de lui dire :
— C’est bien ; retourne chez toi.
Cela ne faisait pas l’affaire de Jeanne et de son amoureux, et celui-ci dit encore à son maître, quelques jours après :
— Jean a dit, mon maître, qu’il dtait capable de fabriquer un Wignavaou[30] pour divertir et faire rire à gorge déployée les invités du grand dîner que vous donnez, dimanche prochain.
— C’est bien ; dites-lui de venir me parler.
Et voilà Jean de nouveau en présence de son seigneur, qui lui dit :
— Vous vous êtes vanté, Jean, de pouvoir fabriquer un Wignavaou, qui amusera et fera rire tous mes invités du grand dîner que je donne dimanche ?
— Est-il Dieu possible ! s’écria Jean ; je ne sais seulement pas, mon bon seigneur, ce que c’est qu’un Wignavaou,
— Vous l’avez dit, Jean, et il faut que vous le fassiez, ou il n’y a que la mort pour vous. Allez, et songez-y.
Et Jean s’en retourna, bien triste et bien embarrassé. Heureusement que la petite vieille vint encore à son secours et lui dit, en lui présentant une baguette blanche :
— Prends cette baguette. Tu n’auras qu’à dire : « Par la vertu de ma baguette blanche, colle là ! » et aussitôt les personnes et les objets, quels qu’ils soient, se colleront les uns aux autres, comme tu le souhaiteras, et tu pourras ainsi ire un Wignavaou, à la vue duquel personne ne pourra s’empêcher de rire.
Jean prit la baguette et se rendit à la maison, Jeanne était sortie, quand il arriva ; mais, il remarqua certains préparatifs, qui lui parurent suspects, et il se cacha sur le grenier, pour l’observer. Elle rentra, un moment après, se regarda dans son miroir et mit une coiffe fraîche. Bientôt son amoureux vint aussi. Elle lui servit des œufs frits, et ils les mangèrent en buvant une bouteille de vieux vin, que le valet avait apportée de la cave de son maître. Puis, ils s’embrassèrent…
— Par la vertu de ma baguette blanche, colle là ! dit Jean. Et leurs figures se collèrent l’une contre l’autre, et si étroitement et si fort, qu’ils ne pouvaient se détacher.
Jean sortit alors de sa cachette, et se mit à rire, à gorge déployée, en disant : — Ah ! je vous y prends ! Nous allons faire avec vous un joli Wignavaou !
Les deux amoureux sortirent, en cet état, de crainte que Jean ne prît son bâton. Jean les suivit, en criant :
— Venez voir, venez voir le Wignavaou ! On accourait de tous côtés, et l’on riait et l’on criait sur les deux amoureux. Jeanne avait sa chemise percée sur le derrière, et l’on voyait… Un homme prit une motte de terre gazonnée, et la lui jeta à l’endroit : — Peg-Azé ! colle-là ! dit Jean ! et la motte s’y colla.
Une vache vint à passer, allant aux champs, et se mit à paître l’herbe de la motte : — Peg-Azé ! dit encore Jean, et la vache adhéra aussi à la motte.
Un taureau sauta sur la vache : — Peg-Azé ! dit Jean, et il adhéra aussi et suivit les autres.
Comme ils passaient devant le four d’un boulanger, le fournier courut après eux, avec son long balai, et en frappa le taureau : — Peg-Azé ! dit Jean, et le balai et le fournier adhérèrent et suivirent aussi.
La femme du fournier courut après son mari, essaya de le ramener, en tirant sur le pan de son habit, et adhéra aussi. Et voilà le Wignavaou fait.
Jean précédait, en criant :
— Voilà le Wignavaou ! Venez voir ie Wignavaou !
Et l’on accourait en foule, et l’on criait et l’on riait à gorge déployée.
Jean conduisit son Wignavaou dans la cour du seigneur. C’était le jour du grand dîner, et l’on était à table. Il cria :
— Voilà le Wignavaou qui arrive. Venez voir, messeigneurs et dames ! rien de plus curieux ; venez voir le Wignavaou !…
Et les convives quittèrent la table du festin et coururent aux fenêtres. Et des rires et des cris, vous pouvez croire.
— Qu’on leur rende la liberté, à présent, dit le seigneur, au bout de quelque temps. Et Jean dit :
— Par la vertu de ma baguette blanche, que le Wignavaou se défasse !
Et chacun recouvra sa liberté, gens et bêtes, et partit.
Il fallait voir la honte et la confusion de Jeanne et de son amoureux !
— Ton four est-il chaud, fournier ? demanda le seigneur.
— Oui, monseigneur, il est chaud, répondit le fournier,
— Eh bien ! qu’on y jette les deux coupables !
— Pas Jeanne, s’écria Jean, je lui pardonne. Le valet seul fut donc jeté dans le four, et Jean ramena Jeanne, qui promit d’être plus sage, et ils vécurent heureux ensemble, dit-on.
Mars 1875.
On aura remarqué dans ce récit un singulier mélange d’épisodes de la vie réelle et de souvenirs de ressorts merveilleux sur lesquels sont bâtis plusieurs contes que l’on a pu lire précédemment, et qui appartiennent à un tout autre ordre d’idées.
IL y avait quatre ans qu’il n’avait payé sa Saint-Michel à son seigneur. Il était pauvre assez !
Un jour, le seigneur, retournant de la chasse, et de mauvaise humeur, parce qu’il n’avait rien pris, tira sur la vache du meunier, qu’il trouva dans son chemin, et la tua. La femme du meunier vit le coup, et elle accourut à la maison en criant avec douleur :
— Hélas ! hélas ! nous sommes assez affligés (ruinés) pour le coup ! Voilà notre vache tuée par le seigneur !
Le meunier ne dit rien ; mais, il était en colère néanmoins. Durant la nuit, il écorcha sa vache, et il alla ensuite vendre la peau, à Guingamp.
Comme il avait loin à aller, et qu’il voulait être de bon matin en ville, il partit de la maison vers minuit. Arrivé à passer par un bois où, selon le bruit commun, il y avait de grands voleurs, il lui vint peur, et il grimpa sur un arbre, pour attendre le jour.
Bientôt, une bande de voleurs arrivèrent sous cet arbre, pour partager leur argent. Et voilà de la chicanerie et du bruit ; ils ne pouvaient pas s’entendre.
— Jésus ! si je pouvais avoir cet argent-là ! se disait le meunier en lui-même. Et lui de songer à jeter la peau de sa vache au milieu d’eux, pour les effrayer. Les voleurs, en voyant les cornes et cette peau noire, — car la vache était noire, — crurent que c’était le Diable qui venait les chercher. Et de déguerpir, de-çà de-là, en abandonnant là tout leur argent !
— Mon coup a réussi, ma foi ! se dit le meunier.
Et il descendit alors de son arbre, ramassa tout l’argent dans sa peau de vache, et de courir à la maison ! Sa femme et lui restèrent jusqu’au jour à compter de l’argent ; mais, ils ne pouvaient venir à bout de faire aucun compte, c’était trop d’argent !
Le lendemain matin, le meunier dit à sa femme d’aller demander le boisseau, chez leur seigneur, pour mesurer l’argent. La femme va, et demande le boisseau.
— Pourquoi avez-vous besoin du boisseau ? lui demanda le seigneur.
— Pour mesurer de l’argent, monseigneur.
— Pour mesurer de l’argent ! Vous voulez vous moquer de moi, je crois ?
— Non, mon Dieu, mon bon seigneur ; je vous dis la vérité. Venez avec moi, et vous verrez.
Le seigneur va avec elle. Quand il voit la table du meunier couverte de pièces de deux écus, il est bien surpris, et il lui dit :
— D’où te vient cet argent-là ?
— C’est de la peau de ma vache, que j’ai vendue à Guingamp, que je l’ai eu, monseigneur.
— De la peau de ta vache ! les peaux de vache sont (se vendent) bien chères, alors !
— Oui, tout de bon, monseigneur, et vous m’avez rendu un grand service, en tuant ma vache.
Et le seigneur de courir à la maison, tout de suite, et de faire tuer toutes ses vaches et les écorcher. Le lendemain matin, il envoie un valet en ville, avec les peaux (il y en avait la charge d’un cheval), et il lui dit de demander un boisseau d’argent de chacune.
Le valet se rend en ville avec ses peaux.
— Combien chaque peau ! lui demande un tanneur.
— Un boisseau d’argent !
— Allons ! ne plaisante pas ; combien chaque peau !
— Je vous l’ai dit, un boisseau d’argent.
Et comme il faisait la même réponse à tous, les tanneurs se mirent en colère, et le valet fut roué de coups par eux, roulé sur le pavé, et ils lui prirent même ses peaux.
Quand il arriva à la maison :
— Où est l’argent ? lui demanda le seigneur.
— Ah ! oui, l’argent… Je n’ai reçu que des coups de pied et des coups de bâton, et mon pauvre corps est tout rompu !
— Le meunier m’a trompé ! s’écria alors le seigneur, en colère ; mais, n’importe, mon tour viendra aussi !
Le meunier fit un petit festin avec la vache qui lui avait été tuée, et il dit à sa femme d’aller prier le seigneur d’y venir aussi.
La meunière va ; elle fait son invitation.
— Comment oser venir se moquer de moi encore, dans ma maison !
— Jésus, mon bon seigneur, moi, me moquer de vous ! ni moi ni mon homme n’oserait jamais faire cela.
— Eh bien ! j’irai quand même, et je parlerai au meunier. Celui-là pense être plus fin que moi, peut-être ?
Le seigneur vint souper au moulin. Il y avait du fricot, du lard, du rôti à la broche, du cidre et même du vin ! Vers la fin du repas, quand les têtes étaient un peu échauffées, le meunier dit au seigneur :
— Tout le monde, monseigneur, sait bien que vous êtes très fin, et pourtant, je suis content de parier que vous ne ferez pas ce que je ferai, moi.
— Et quoi donc ?
— Tuer ma femme devant vous tous, ici, et la ressusciter ensuite, en jouant d’un violon que j’ai là.
— Parie vingt écus que tu ne feras pas cela.
— Vingt écus que je le ferai !
— Eh bien ! voyons, dit tout le monde, puisque le seigneur tient le pari.
Et le meunier de prendre un couteau, de sauter sur sa femme et de faire semblant de lui couper le cou. Mais, il ne coupa qu’un boyau rempli de sang, qu’il lui avait mis autour du cou. Le seigneur, qui ne connaissait pas le tour, comme les autres, avait horreur en voyant le sang couler. La femme tomba à terre, comme si elle était complètement morte. Le meunier prit alors son violon, et se mit à en jouer. Et aussitôt sa femme de se relever et de danser, comme une affolée. Si bien que le seigneur resta à la regarder, la bouche ouverte.
— Donne-moi ton violon, dit-il au meunier, et je te laisserai le moulin, pendant deux ans, pour rien.
Voilà le marché fait. Et le seigneur de courir à la maison, emportant son violon, et bien content.
— Ma femme, se disait-il A lui-même, en allant, est un peu vieille, et si je peux la rajeunir !…
En arrivant à la maison, il trouva sa femme au lit, bien endormie.
— C’est bon ! se dit-il, comme cela elle ne saura rien.
Il prend un couteau, à la cuisine, et coupe le cou à sa femme. Puis, le voilà de jouer de son violon ! mais, il avait beau en racler, la pauvre femme ne dansait ni ne bougeait ; elle était bien morte !
— Quel sot homme que ce meunier ! se disait-il ; me faire tuer ma femme, et, à présent, j’ai beau jouer du violon, la vie ne revient pas en elle ! Il faut qu’il ait oublié de me dire quelque chose. Je vais, vite, l’apprendre de lui.
Il courut au moulin. Quand il y arriva, il vit le meunier, en bras de chemise, tenant un fouet à la main et fouettant une grande marmite, qui était au milieu de la cour et dans laquelle l’eau bouillait. (On venait de l’ôter du feu.) Il resta à regarder le meunier, la bouche ouverte, et ne songeant plus à sa femme.
— Que fais-tu donc là, de la sorte, meunier ?
— Je fais bouillir le bouillon, monseigneur ; venez-, vite, voir comme il bout.
Le seigneur s’approcha pour regarder dans la marmite et dit :
— Oui, tout de bon ! Et c’est avec ton fouet que tu le fais bouillir ainsi ?
— Certainement, monseigneur ; le bois est cher et serait trop dispendieux pour moi.
— Tu dis assez vrai. Cède-moi ton fouet, et je te laisserai le moulin, deux autres années, pour rien.
— Puisque c’est vous, monseigneur, le voilà. Et le seigneur retourna à la maison, avec le
fouet, et, en revenant, il se disait à lui-même :
— À présent, je ferai abattre le bois sur toutes mes terres, et j’en aurai beaucoup d’argent…
Et il vendit tout le bois de ses terres…
— Seigneur ! je n’ai plus un seul morceau de bois, ni de fagots ; comment ferai-je, à présent, pour préparer la nourriture ? lui dit la cuisinière, un samedi soir.
— Je saurai bien comment faire, cuisinière ; n’ayez pas d’inquiétude à ce sujet.
Le lendemain matin, qui était un dimanche, le seigneur dit à tous les gens de sa maison, valets et servantes, d’aller à la grand’messe, à l’exception de Grand-Jean, son premier valet, qui resterait avec lui à la maison.
— Et le dîner, qui le préparera ? demanda la cuisinière.
— N’ayez pas d’inquiétude à ce sujet, et partez tous, puisque je vous le dis.
Les voilà donc partis tous pour le bourg. Le seigneur dit alors à Grand-Jean d’apporter la grande marmite au milieu de la cour, et de la remplir d’eau. Puis, il y mit du lard, de la viande salée, des choux, des navets, du sel, du poivre, — enfin tout ce qui est nécessaire pour faire de bon bouillon. Alors, il ôta sa veste, prit le fouet du meunier, — et de fouetter la marmite ! Mais, il avait beau frapper, l’eau restait froide.
— Que faites-vous ainsi, monseigneur ? demanda Grand-Jean, étonné.
— Tais-toi, imbécile, tu le verras, tout à l’heure.
Et le voilà de fouetter encore, de son mieux. De temps en temps, il fourrait son doigt dans la marmite ; l’eau était toujours froide ! Enfin, quand il fut assez fatigué, il s’arrêta et dit :
— Décidément, le meunier, je le crains bien, se moque de moi !
— Oui, il se moque sûrement de vous, monseigneur, répondit Grand-Jean.
— Eh bien ! n’importe ; il n’y a que la mort pour lui !
— Le bien toucher avec votre fouet serait suffisant, je pense, monseigneur.
— Non, non, la mort ! Se moquer de moi ! Allons, vite, au moulin et apporte un sac, pour qu’il y soit mis et jeté dans l’étang, pour être noyé !
Grand-Jean prit un sac vide sur son épaule, et ils allèrent tous les deux du côté du moulin.
Le pauvre meunier est fourré dans le sac, puis chargé sur le cheval du moulin, pour être porté à l’étang, qui était à quelque distance. Comme ils y allaient, ils virent venir sur la route un marchand, qui allait à la foire de Guingamp, avec trois chevaux chargés de marchandises. Le seigneur eut peur.
— Allons nous cacher, derrière le talus, dit-il, jusqu’à ce que ce marchand soit passé.
Et ils vont par-dessus le fossé dans le champ, meunier, dans son sac, fut déposé contre le talus au bord de la route. Quand il entendit le bruit que faisaient les chevaux du marchand, en passant auprès de lui, il se mit à crier :
— Non, je ne la prendrai pas ! je ne la prendrai pas !
Le marchand, étonné, s’approcha du sac :
— Tiens ! tiens ! dit-il, que veut dire ceci ?
— L’autre criait toujours :
— Non, je ne la prendrai pas ! je ne la prendrai pas !
— Tu ne prendras pas qui ou quoi ? demanda le marchand.
— La fille unique d’un seigneur très-riche, très-riche, qui a eu un enfant, et que son père veut me faire épouser.
— Et c’est vrai qu’elle est bien riche ?
— Oui, la plus riche de tout le pays.
— Eh bien ! moi, je suis content de la prendre.
— Alors, venez, vite, prendre ma place, dans le sac.
Le marchand se met dans le sac, et le meunier serre bien les liens sur lui ; puis celui-ci prend son fouet et se dirige vers Guingamp, avec les trois chevaux chargés de marchandises.
Quand il fut parti, le seigneur et Grand-Jean retournèrent à leur sac.
— Je la prendrai ! je la prendrai ! criait le marchand, dedans.
— Tu prendras qui ? demanda le seigneur.
— Votre fille, monseigneur.
— Ah ! fils de p…, va la chercher, alors, au fond de l’étang !
Et il fut jeté dans l’étang, et depuis, on ne l’a pas revu.
Le seigneur et son valet Grand-Jean allèrent, le lendemain, à la foire de Guingamp. Comme ils étaient à visiter les belles boutiques qui se trouvaient là, ils furent bien étonnés d’y retrouver aussi le meunier, avec une belle boutique d’orfèvrerie.
— Comment, meunier, lui dit le seigneur, est-ce bien toi qui es là ?
— Oui, sûrement, monseigneur ; vous venez m’acheter quelque chose, sans doute ?
— Comment, tu n’es donc pas resté dans l’étang ?
— Comme vous voyez, monseigneur ; je ne me trouvais pas bien là : et pourtant, je vous remercie, car c’est de là que j’ai rapporté toutes les belles choses que vous voyez ici.
— Vraiment ?
— Comme je vous le dis, monseigneur. Je ne regrette qu’une chose, c’est que vous ne m’ayez pas jeté un peu plus loin ; alors, je serais tombé dans la place où il n’y a que des objets d’or.
— Vraiment ?
— Aussi vrai que je vous le dis, monseigneur.
— Et tout est encore là ?
— Oui, je pense ; mais, vous feriez bien de vous hâter, si vous voulez aller voir.
Et le seigneur de s’en retourner à la maison, avec son domestique, et de courir à l’étang !
Grand-Jean sauta le premier dans l’eau, et, comme il était très grand, il levait encore la main hors de l’eau, pour demander du secours, car il ne savait pas nager.
— Tiens ! dit le seigneur, il me fait signe avec la main de sauter plus loin ; sans doute qu’il n’est pas allé jusqu’à l’or.
Et il prit son élan, et sauta le plus loin qu’il put.
Et depuis, on n’en a eu aucune nouvelle.
Et voilà le conte du meunier et de son seigneur.
Décembre 1868.
SI ce que l’on dit est vrai, il n’y avait d’abord que deux moines à Bégard[31], un grand Moine et un petit Moine. Le grand Moine était riche et avait beaucoup de champs et de bœufs, mais, peu d’esprit. Le petit Moine n’avait qu’un seul champ avec un seul bœuf, et beaucoup d’esprit. Leurs mères à tous deux habitaient chacune une chaumière, non loin de l’abbaye. Un jour, le grand Moine dit au petit Moine :
— Nous n’avons plus de viande ; il faudra tuer un bœuf.
— Eh bien ! répondit le petit Moine, tuez un des vôtres, puisque vous en avez beaucoup, tandis que moi, je n’en ai qu’un seul.
— Non, reprit l’autre, ce n’est pas ainsi qu’on fera ; vous conduirez votre bœuf à votre champ, moi, je conduirai les miens à un de mes champs, et le premier qui s’en reviendra de lui-même à l’étable sera tué.
— Je le veux bien, répondit le petit Moine. On fit donc ainsi. Le bœuf du petit Moine, qui ne trouvait plus à paître, au champ où on le menait tous les jours, revint le premier à son étable, et il fut abattu aussitôt, écorché et dépecé. Puis, le petit Moine dit au grand Moine :
— Il ne me reste, à présent, qu’à aller vendre la peau de mon bœuf, à Pontrieux.
— Allez-y, si vous voulez, répondit l’autre. Et le petit Moine se mit en route, vers minuit, afin d’être rendu de bonne heure au marché de Pontrieux.
Après avoir dépassé le bourg de Plouëc, comme il ne voyait pas encore le jour poindre, il se dit en lui-même.
— J’arriverai trop tôt à Pontrieux ; je vais m’arrêter ici un peu, pour attendre le jour, en fumant ma pipe.
Et il s’adossa à un talus couvert d’ajoncs, et alluma une pipe. Il entendit du bruit, derrière le talus, des gens qui se disputaient.
— Qu’est ceci ? se dit-il.
Et il prêta l’oreille et comprit qu’on se disputait au sujet d’une somme d’argent à partager.
— Ce sont sans doute des voleurs, se dit-il, qui se partagent de l’argent qu’ils ont volé au château de Kercabin ; si je pouvais en avoir aussi ma part !
En ce moment, il entendit une voix qui disait :
— Ne jure pas de la sorte ; tu n’as donc pas peur que le Diable t’emporte ?
Ces paroles lui inspirèrent l’idée de faire le Diable, pour effrayer les voleurs. Il mit sa peau de bœuf sur son dos, avec les cornes qui se dressaient menaçantes sur sa tête, puis il monta sur le talus et se laissa rouler au milieu des voleurs, en poussant des cris horribles. Les voleurs, à la vue de la peau de vache et surtout des cornes, crurent que c’était le Diable en personne, et s’enfuirent précipitamment, abandonnant sur la place la plus grande partie de leur argent.
La lune s’était levée, et le petit Moine ramassa cent écus, en pièces d’or et d’argent. Il les mit dans sa poche et continua sa route vers Pontrieux, tout joyeux, et emportant sa peau de bœuf, qui lui avait valu cette bonne fortune. Il vendit la peau deux écus de six livres. Il dîna bien, but une bonne bouteille de vieux vin, puis, il s’en retourna tranquillement à Bégard.
En y arrivant, il alla trouver le grand Moine et lui dit :
— Les peaux de bœufs se vendaient bien, hier, à Pontrieux.
— Oui ? Combien avez-vous eu de la vôtre ?
— Cent écus.
— Ce n’est pas possible, vous plaisantez.
— Et d’où aurais-je tant d’argent, si ce n’était pas vrai ? Voyez !…
Et il lui fit voir des poignées de pièces de six livres, qu’il tirait de ses poches.
— C’est à merveille ! s’écria le grand Moine ; dès demain, je fais abattre tous mes bœufs, afin d’en vendre les peaux, à Pontrieux !…
Et il fit venir tous les bouchers du pays, qui abattirent et écorchèrent tous ses bœufs, le même jour. Il remplit une charrette de leurs peaux, et les alla vendre à Pontrieux. Quand il arriva en ville, il les mit en tas, et attendit les marchands, avec confiance. Arrivèrent bientôt les tanneurs de la Roche-Derrien, de Tréguier et de Guingamp. Ils examinèrent les peaux et demandèrent :
— Combien la pièce ?
— Cent écus ! répondit le Moine, avec assurance.
— Trêve de plaisanterie et parlons sérieusement ; combien voulez-vous vendre chacune de ces peaux ?
— Je vous l’ai dit, cent écus, et pas un liard de moins.
— Vous voulez dire cent sous ?
— Non, cent écus, vous dis-je.
— Il faut que vous ayez perdu la tête, pour parler de la sorte.
— Le petit Moine, mon compagnon, n’avait qu’une peau, et il l’a vendue cent écus ; j’ai vu l’argent, et je veux aussi en avoir autant de chacune des miennes.
Les tanneurs, l’entendant déraisonner de la sorte, lui jetèrent ses peaux à la tête et s’en allèrent, de telle façon que le Moine s’en retourna à Bégard, sans en avoir vendu une seule. Il n’était pas content. Le petit Moine, le voyant revenir avec la charrette pleine de peaux, lui demanda ;
— Vous n’avez donc pas vendu vos peaux ?
— Vous vous êtes moqué de moi, répondit-il, furieux ; vous m’avez ruiné, mais, vous me le payerez !…
— Comment, les peaux ont donc baissé ? demanda l’autre, ironiquement ; combien vous a-t-on offert de chacune ?
— Vous me le payerez, je le répète, répondit le grand Moine, et il montrait le poing à l’autre.
— Nous serons toujours bien approvisionnés en viande, pour longtemps, répondit tranquillement le petit Moine.
À quelque temps de là, la mère du petit Moine vint à mourir, et, comme elle était native de Pontrieux, elle demanda à y être enterrée. Le petit Moine la mit sur son cheval, pour la conduire en ville.
Le grand Moine lui demanda :
— Où allez-vous ainsi avec votre mère ? — Au marché de Pontrieux, répondit-il.
— Au marché de Pontrieux, avec une vieille femme morte !… Et pourquoi faire ?
— Pour la vendre ; l’on m’a assuré que les vieilles femmes mortes se vendent bien, depuis quelque temps.
Et le petit Moine partit avec sa mère, laissant son compagnon livré à ses réflexions sur les vieilles femmes mortes qui se vendaient cher.
Ceci se passait un dimanche soir. Comme les chemins étaient fort mauvais, et que son cheval n’y voyait pas, le petit Moine allait lentement et la nuit le surprit en route, entre le bourg de Trézélan et celui de Brélidy. La lune était claire. Il s’arrêta dans une douve, au bord du chemin, pour allumer sa pipe. En regardant par-dessus le talus, il vit dans un courtil un poirier chargé de belles poires jaunes, et il lui vint une singulière idée, et il se dit :
— Tiens ! je crois qu’il serait possible de gagner ici quelque argent avec ma mère, quoique morte.
Et il descendit la vieille de dessus le cheval, la porta dans le courtil et l’appuya debout contre le tronc du poirier, avec une poire entamée dans la main droite. Puis, il revint sur la route et se mit à crier :
— À la voleuse ! à la voleuse de poires !…
Le maître du poirier, dont la maison était voisine, accourut bientôt, en chemise, et armé d’un fusil.
— Où est le voleur ? criait-il ; malheur à lui, si je le vois ; on me vole mes poires, toutes les nuits ; il ne m’en restera bientôt plus une seule !…
Et, apercevant la vieille, sous le poirier, avec une poire dans la main, il la coucha en joue, tira ; pan !… et elle tomba à terre.
Aussitôt le Moine, franchissant la clôture, pénétra dans le courtil, en criant :
— Qu’avez-vous fait, malheureux ! Vous avez tué ma mère !… Je vais vous dénoncera la justice, et vous serez pendu !…
Le propriétaire du poirier eut peur et dit au Moine :
— Ne criez pas si fort, je vous en prie, et tâchons de nous entendre et d’arranger cette affaire entre nous ; combien demandez-vous pour vous taire ?
— Je ne me tairai pas, sûrement ; vous avez tué ma mère, et je vais vous dénoncer à la justice, et vous serez pendu !…
— Je vous en prie, ne criez pas si fort, et faites-moi une demande. J’ai de l’argent, et je vous payerai sur-le-champ.
— Eh bien ! il me faut sept cents écus !
— Sept cents écus ! C’est bien cher, pour une vieille femme qui serait morte, un de ces jours, de mort naturelle.
— Sept cent écus ! Il me faut sept cent écus, à l’instant, ou je vais vous dénoncer, en ville.
— Eh bien ! taisez-vous, et je vais vous prendre sept cents écus, à la maison.
Et le maître du poirier rentra chez lui et revint, un moment après, avec sept cents écus, qu’il donna au Moine, en lui disant :
— Et maintenant, allez-vous-en, au plus vite, et emportez votre mère, et ne dites jamais rien de ceci à âme qui vive.
Le petit Moine prit les sept cents écus et promit de se taire. Puis, il remit sa mère sur son cheval aveugle et reprit la route de Pontrieux.
En arrivant en ville, il laissa son cheval aller tout seul, le suivant, à quelques pas par derrière. Quand le cheval arriva au marché de la poterie, comme il ne voyait pas, il donna tout droit dans les pots et autres vases de terre, étalés pour la vente, et brisa tout sur son passage. Et les jurons et les malédictions de pleuvoir sur la vieille, qu’on ne savait pas être morte, et que l’on croyait tout bonnement ivre. Et comme elle ne tenait aucun compte des cris et des jurons, laissant son cheval continuer ses dégâts, quelqu’un lui porta un coup violent avec un penn-baz[32] et la fit tomber à terre.
Alors le Moine se montra, en criant :
— Ah ! malheureux, vous avez tué ma mère ! Et saisissant au collet l’homme qui avait porté le coup de penn-baz à la vieille :
— C’est toi qui as fait le coup ; je veux te conduire devant le juge, et tu seras pendu !…
— Taisez-vous, ne faites pas de bruit, répondit l’homme, effrayé, et je vous donnerai un peu d’argent.
— De l’argent pour ma mère ! s’écria le Moine, comme indigné, ma mère chérie, la meilleure des mères ; tout l’argent du monde ne pourrait me consoler de sa perte.
— Au nom de Dieu, ne faites pas tant de bruit ; demandez tout ce que vous voudrez…
— Eh bien ! puisque le malheur est fait et que vous ne pouvez me rendre ma pauvre mère en vie, il faut se résigner ; donnez-moi mille écus, et je la ferai enterrer sans bruit et sans vous inquiéter ; tous ces gens qui ont été témoins du malheur et qui vous connaissent et ne vous veulent aucun mal, garderont le silence sur ce qui vient de se passer, n’est-ce pas ? dit-il, en s’adressant aux personnes qui s’étaient attroupées autour de lui.
— Certainement, répondit-on de tous côtés, car son intention n’était pas de tuer votre mère.
— Mille écus, mon Dieu ! s’écria l’homme au penn-bâz ; il me faudrait, pour pouvoir les payer, vendre tout ce que je possède et réduire ma femme et mes enfants et moi-même à la mendicité.
— Il me les faut, et tout de suite, répondit le Moine impitoyable, ou il n’y a que la corde pour vous.
Le pauvre potier emprunta de l’argent et paya. Puis, le Moine acheta un cercueil, y déposa sa mère, paya bien le curé, qui chanta pour elle un beau service, et la vieille fut enterrée, dans le cimetière de Pontrieux, comme étant morte naturellement, ce qui était vrai, du reste, et il n’en fut plus question.
Le petit Moine s’en retourna alors à Bégard, avec son cheval aveugle, et ses mille écus en poche. Le grand Moine lui demanda, sitôt qu’il le vit :
— Eh bien ! comment était le marché aux vieilles femmes ? lui demanda le grand Moine.
— Excellent, ma foi !
— Qu’avez-vous eu de votre mère ?
— Mille écus,
— Mille écus ! ce n’est pas possible !
— Voyez plutôt.
Et le petit Moine lui fit voir des poignées de pièces d’or.
— Et encore, reprit-il, ma mère était petite et maigre ; mais, la vôtre, qui est grande et grasse, vaut au moins le double.
Ces paroles et la vue de l’or rendirent le grand Moine rêveur. Il y songea, toute la nuit, et résolut de faire mourir sa mère, pour pouvoir la vendre deux mille écus, au marché de Pontrieux. Le dimanche suivant, connaissant le penchant de sa mère pour le bon vin, il lui en fit boire plus que d’habitude, à son dîner, laissa une bouteille pleine sur la table, en se rendant aux vêpres, et, quand il rentra, le soir, il trouva la vieille endormie, dans son fauteuil. Il lui ouvrit une veine, sans l’éveiller, et elle ne se réveilla plus. À minuit, il la lia sur son cheval, et prit avec elle la route de Pontrieux, dont le marché a lieu chaque lundi. Comme il passait par un carrefour, où se trouvait une croix de pierre, trois chiens noirs vinrent, il ne sut d’où, qui tournèrent trois fois autour de lui et de son cheval, en disant : — « Que ferons-nous de cet homme ? Que ferons-nous de cet homme ?… »
— Le mettre en pièces, dit un des chiens.
— Et boire son sang et manger son cœur, dit le second.
— Non, laissons-le continuer sa route, dit le troisième ; les juges sauront le récompenser comme il le mérite.
Les trois chiens s’en allèrent alors, et le Moine continua sa route vers Pontrieux, un peu effrayé et se demandant ce que cela pouvait signifier.
Il arriva en ville, au moment où le jour commençait à poindre. Il n’y avait encore presque personne sur la place du marché. Il ôta sa mère de dessus son cheval et la mit debout contre un des piliers de pierre de la halle ; puis, il attendit. Les paysans des environs arrivaient peu à peu et s’arrêtaient et s’attroupaient devant la morte, fort intrigués, et s’écriaient :
— Jésus, mon Dieu ! une femme morte ! Pourquoi donc l’a-t-on ainsi exposée, en cet endroit ? C’est, sans doute, en attendant de la mettre dans son cercueil et de la conduire à l’église, puis au cimetière…
Le Moine entendait tout cela et ne disait mot. Pourtant, il finit par se lasser d’attendre les chalands et dit aux curieux :
— Eh bien ! personne ne m’offre rien de ma mère ? Voyez, c’est pourtant une belle vieille…
— Jésus ! s’écriaient les uns, en entendant ces paroles, cet homme est un pauvre innocent (fou) qui a tué sa mère.
— À moins, disaient d’autres, que ce ne soit un criminel, qui a tué cette femme pour la voler et qui veut, à présent, contrefaire le fou. Voyez le cou de la femme morte ! Elle a été saignée, comme un pourceau… Il faut le dénoncer à la justice.
On alla prévenir les gendarmes et le procureur fiscal. À la tournure que prenait l’affaire, le Moine vit clairement que ce qu’il avait de mieux à faire, c’était de décamper, au plus vite. Il monta donc sur son cheval, avec sa mère devant lui sur la selle, et partit au galop. Deux gendarmes à cheval se mirent à sa poursuite. En montant une côte, ils l’aperçurent, à quelque distance devant eux. Le Moine regardait souvent derrière soi, et, voyant venir les gendarmes, il jeta sa mère à bas, sur la route, pour aller plus vite. Les gendarmes l’atteignirent, pourtant, et le ramenèrent à Pontrieux, où il fut mis en prison, puis jugé et condamné à être pendu et brûlé, et ses cendres jetées au vent.
Alors, le petit Moine devint le grand Moine (l’abbé) de l’abbaye de Bégard.
à Bégard, en 1868.
IL y avait une fois deux frères, dont l’aîné, simple et naïf, et le cadet, avisé et intelligent.
Le premier s’appelait Job, et le second, Guyon.
Job veut voyager pour chercher fortune.
Il part, sert quelque temps dans un château et revient, tondu et malade, ayant eu un ruban de peau enlevé, de la nuque au talon.
Guyon part, à son tour, décidé à venger son frère. Il offre ses services au même château que lui.
On lui demande son nom, et il dit au châtelain qu’il s’appelle Ma Reor[33] ; à la cuisinière, le Chat ; à la châtelaine, le Tapis ; à leur fille, Bouillon-Gras, et au portier, Moi-Même.
On l’envoie d’abord garder les pourceaux, dans le bois qui entoure le château.
Mais bientôt, comme il était intelligent, adroit et assez beau garçon, il devint valet de chambre du seigneur.
Il fait la cour à la demoiselle, qui le rebute.
Un soir, il se cacha sous son lit. La cuisinière s’en aperçut et dit au seigneur, secrètement :
— Monseigneur, Le Chat s’est caché sous le lit de votre fille.
— Qu’est-ce que cela me fait ? répondit-il.
— Je vous dis, reprit-elle, que Le Chat est sous le lit de votre fille.
— J’entends bien ; et quel mal fait-il donc là ? Laissez-le.
Elle parut fort étonnée, et s’en alla en grommelant.
On avait mangé à souper du bouillon gras, avec du lard cuit dedans, et la mère avait dit à sa fille :
— Je crains que tu n’aies encore des coliques, cette nuit, ma fille.
La demoiselle se couche, à son heure accoutumée, sans se douter de rien. Guyon sort alors de sa cachette et se couche à ses côtés, dans le lit.
Elle crie : — « Au secours ! Au secours ! »
— Qu’as-tu donc à crier de la sorte, ma fille ? lui demanda sa mère, qui couchait dans une chambre contiguë.
— Bouillon-Gras ! C’est Bouillon-Gras !… criait-elle.
— Je t’avais bien dit que tu éprouverais quelque dérangement, cette nuit, tu as trop mangé de soupe grasse et de lard.
— Venez l’empêcher ! Venez vite ! criait-elle toujours.
— Lève-toi et va voir ce qu’elle a, dit la dame à son mari.
— Ma foi ! non, il fait trop froid ; elle est dérangée, parbleu ! ça lui passera.
Mais, comme la fille criait toujours, la dame se leva, alluma la chandelle, et passa dans la chambre à côté.
Et la voilà de crier, à son tour :
— Le Tapis ! c’est le Tapis qui est sur ma fille, dans son lit ! Venez, vite ! vite !…
— Eh bien ! si le tapis la gêne, ôtez-le, parbleu ! et me laissez dormir tranquille ! dit le seigneur, impatienté.
Cependant, comme la mère et la fille criaient toujours, de plus belle, il se leva aussi, et, ayant vu ce qui se passait, il ouvrit la fenêtre et se mit à crier :
— Holà ! hé ! valets et servantes, accourez, vite, avec des bâtons ! vite ! vite !…
Et valets et servantes se précipitèrent dans la chambre, armés de bâtons et de balais.
— Ma Réor ! leur cria-t-il, frappez sur Ma Réor !
Et les voilà Je frapper sur la partie de sa personne que leur indiquait leur maître.
— Que faites-vous donc, imbéciles ? hurlait-il ; je vous dis Ma Réor ! frappez sur Ma Réor, et fort !…
Et ils continuaient de frapper au même endroit.
Guyon profita de tout ce vacarme et ce désordre pour s’esquiver.
Le portier essaya de lui barrer le passage.
D’un coup d’épaule, il le jeta dans la douve du château, où il s’enfonça dans la vase, sans pouvoir s’en dépêtrer.
Les valets accoururent à ses cris de détresse.
— Qui est-ce qui vous a jeté là ? lui demanda-t-on.
— Moi-Même, répondit-il.
— Vous-même, vieil imbécile ! Eh bien ! tâchez de vous en retirer aussi vous-même.
Et ils le laissèrent patauger, dans la mare, pour poursuivre Guyon.
Mais Guyon était déjà loin, et il rentra chez lui, sans encombre, et conta à son frère comment il l’avait vengé.
Se rappeler une aventure analogue d’Ulysse avec Polyphème, dans l’Odyssée d’Homère.
UN roi, en parcourant son royaume, aperçut un jour ces mots tracés au-dessus de la porte d’une maison :
Avec de l’argent on va partout.
Avec de l’argent on fait tout[34].
C’était la demeure d’un marchand enrichi par son travail et son industrie, et qui, avec son argent, croyait que rien ne lui était impossible. Le roi entra dans sa maison et lui demanda : — Pensez-vous que ce soit bien vrai, ce qu’on lit au-dessus de votre porte ?
— Oui, sire, répondit-il, je l’ai éprouvé, maintes fois.
— Eh bien ! voulez-vous accepter ce marché ? Si, avec votre argent, vous parvenez à coucher avec ma fille, je vous la donne en mariage, et si vous n’y réussissez pas, vous serez pendu.
— J’accepte, sire, répondit-il, sans hésiter.
— Alors, c’est entendu, et vous pouvez, dès à présent, aviser aux moyens d’arriver à votre but.
Et le roi s’en alla là-dessus.
Notre homme, qui se nommait Marzin, construisit une chèvre en argent, de forte dimension, qui marchait, bêlait et dansait au moyen d’un ressort intérieur qu’il faisait mouvoir.
Il s’enferma dans le ventre de sa chèvre, et alla se placer, conduit par un ami, qui était dans la confidence de son secret, sur le passage de la princesse, dans un jardin, où elle venait tous les jours se promener avec son père. Quand ils vinrent à passer, la chèvre se mit à cabrioler, à danser et à bêler. La princesse la vit, l’admira et voulut l’avoir, à toute force.
Le roi la lui acheta, et elle la fit porter dans sa chambre à coucher.
Le soir, une fois la princesse couchée, Marzin sortit de sa cachette, et parla à la jeune fille avec tant d’amabilité, qu’il la séduisit et obtint ses faveurs.
Il ne sortait que la nuit, quelquefois, par un escalier dérobé, pour se promener dans les jardins du palais.
La femme de chambre de la princesse, qui était dans la confidence, lui servait secrètement ses repas.
La princesse devint grosse.
Le roi, fort en colère, l’interrogea et lui demanda qui était le père.
— C’est la chèvre d’argent, répondit-elle.
Et comme il n’obtenait que cette réponse, il se rendit à la chambre à coucher de sa fille, pour examiner la chèvre.
Il y trouva Marzin, qu’il reconnut bien et qui lui dit :
— Vous voyez que j’ai gagné, sire.
— Comment, coquin, c’est toi ? s’écria-t-il, étonné.
— C’est vous qui l’avez voulu, sire, en me portant un défi, et, comme je tenais à n’être pas pendu, j’ai fait de mon mieux pour éviter votre corde.
Le roi était confondu, et n’en pouvait croire ses yeux.
— Il n’y a pas à dire, sire, reprit Marzin, vous avez perdu et j’ai gagné. Souvenez-vous de votre promesse.
— Un roi ne doit avoir qu’une parole, répondit le vieux monarque ; j’ai donné la mienne et je la tiendrai.
Et le mariage de Marzin avec la princesse fut célébré, dans la quinzaine, et il y eut, à cette occasion, de grands festins et de grandes fêtes.
IL y avait une fois un roi, qui prétendait qu’il n’avait jamais fait un mensonge ; et comme il entendait souvent les gens de sa cour qui se disaient :
— Ce n’est pas vrai ! Vous êtes un menteur ! cela lui déplaisait beaucoup.
Si bien qu’il dit un jour :
— Vous m’étonnez et me faites de la peine. L’étranger qui vous entendrait croirait facilement que je suis le roi des menteurs. Je veux que cela cesse. Vous ne m’entendez jamais parler de cette façon, et je donnerais volontiers la main de ma fille à celui qui me surprendrait disant à qui que ce soit :
— « Ce n’est pas vrai ! » ou : — « Vous mentez ! »
Un jeune pâtre, qui avait aussi entendu ces paroles du roi, se dit en lui-même :
— C’est bien !… J’aurai la fille du roi, s’il est homme de parole !…
Le vieux monarque aimait à entendre chanter des gwerziou et des soniou, et conter des contes merveilleux et plaisants, et souvent, le soir, après souper, il venait s’asseoir au large foyer de la cuisine, et prenait plaisir aux conversations, aux chants et aux récits de toute sorte des gens de sa maison. Là, chacun chantait ou contait quelque chose, à son tour.
— Et toi, petit, tu ne sais donc rien, dit le roi, un soir, au jeune pâtre dont il a été parlé plus haut.
— Si fait, sire, répondit le jeune homme.
— Voyons donc ce que tu sais. Et le pâtre commença ainsi :
— Un jour, que je passais par un bois, je vis un superbe lièvre. Il courait sur moi, comme s’il ne me voyait pas. J’avais à la main une boule de poix. Je la lui lançai et l’atteignis au front, où elle se colla. Le lièvre continua de courir et alla donner du front contre le front d’un autre lièvre, qui venait à l’encontre de lui, si bien qu’ils collèrent l’un contre l’autre, sans pouvoir se dégager, et je les pris facilement tous les deux. Comment trouvez-vous cela, sire ?
— C’est fort, répondit le roi, mais possible, après tout : que nous diras-tu encore ?
— Avant de venir à votre cour comme pâtre, sire, j’étais garçon meunier, au moulin de mon père. Un jour, je chargeai tellement mon âne, qu’il se brisa l’échine.
— La pauvre bête ! s’écria le roi.
— J’allai à une haie voisine, reprit le pâtre, et j’y coupai avec mon couteau un bâton de coudrier, que je lui introduisis dans le corps, pour lui servir d’échine. Il se releva alors, et porta allègrement sa charge au moulin.
— C’est fort, ça, dit le roi, mais après ?
— Le lendemain matin, je fus bien étonné (c’était au mois de décembre) de voir que, pendant la nuit, il avait poussé, sur le bout du bâton qui était resté dehors, des branches, des feuilles et même des noisettes, et quand je sortis mon âne de l’écurie, les branches continuèrent de pousser, à vue d’œil, et s’élevèrent si haut, si haut, qu’elles allaient jusqu’au ciel.
— C’est bien fort, cela, dit le roi, mais après ?
— Ma foi, voyant cela, je me mis à y grimper, de branche en branche, tant et si bien que j’arrivai dans la lune.
— C’est très fort, cela, dit le roi, mais après ?
— Arrivé dans la lune, j’y remarquai des vieilles femmes qui vannaient de l’avoine, et je les regardai longtemps. Quand je voulus redescendre sur la terre, je ne retrouvai plus mon coudrier, car l’âne s’en était allé ailleurs. Comment faire ? Je me mis à nouer ensemble des pelures d’avoine, et je fis ainsi une corde pour descendre.
— Très fort ! dit le roi, mais après ?
— Hélas ! ma corde n’était pas assez longue, de sorte que, arrivé au bout, il me fallut me laisser choir, et je tombai, la tête la première, sur un rocher à fleur de terre, et m’enfonçai jusqu’aux épaules.
— Très fort, dit le roi, et après ?
— Je me démenai si bien, que mon corps se détacha de ma tête, laquelle resta engagée dans le rocher, et je courus chercher un levier de fer, pour l’en dégager.
— Très fort ! très fort ! dit le roi, mais après ?
— Quand je revins avec mon levier de fer, un énorme loup était occupé à manger ma tête. Je lui déchargeai sur le dos un coup si violent, de mon bâton de fer, que je l’aplatis, et une lettre lui jaillit du derrière.
— Très fort ! très fort ! dit le roi, mais qu’y avait-il d’écrit sur cette lettre ?
— Sur cette lettre, sire, il était écrit que votre grand-père avait été, autrefois, garçon meunier chez mon grand-père.
— Tu en as menti par la gorge, fils de p… ! écria le roi, en se levant.
— Holà, sire, j’ai gagné, et votre fille est à moi ! dit le pâtre.
Comment cela ? Que veux-tu dire ? demanda le roi.
— N’avez-vous pas dit, sire, que vous donneriez la main de votre fille au premier qui vous surprendrait disant à quelqu’un : — « Tu as menti ! »
— C’est vrai ! un roi ne doit avoir qu’une parole, et jamais aller contre elle. Ma fille est à toi ; les fiançailles auront lieu demain, et les noces, dans la huitaine.
Et voilà comment le pâtre obtint la main de la fille du roi, pour une seule parole.
TABLE DES MATIÈRES
INDEX
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INDEX GÉNÉRAL
Abbé (L’) Sans-Souci, III, 370.
Aigle. — Porte le héros au château de la Princesse Blondine, I, 182. — À la Montagne de Cristal, I, 33. — Fait sortir le héros de l’île déserte, III, 59. — Dans le combat entre les animaux à poil et les animaux à plume, III, 234. — Pensionnaire chez le fils du roi, III, 234. — L’Aigle et le Prince jouant aux boules avec des boules de 500 livres l’une, III, 236. — La sœur de l’Aigle vient au secours du fils du roi, III, 236, 239, 241.
Alène. — Coups d’Alène dans le derrière d’un Prince, pour prix d’un marché, III,157, 172.
Âme (Corps sans), I, 427. — Recherche du château du Corps-sans-Âme, I, 437. — Sa vie dans un œuf, une colombe, un lièvre, un loup, un coffre, au fond de la mer, I, 446. — Son château s’abîme dans la mer, aussitôt qu’il est mort, I, 449.
Animaux secourables à l’homme : Fourmis, I, 75, 77, 282, 440, 443 ; II, 274, 397, 400, 403, 406. — Lions, I, 75, 77, 81, 111, 116, 280, 355 ; II, 274. — Bourdon, II, 392. — Cavale blanche, I, 101, 112, 149. — Éperviers, I, 75, 77, 83 ; II, 392. — Colombe, II, 275. — Loup, II, 392. — Roi des Poissons, I, 108, 150, 156, 442, 447. — Roi des Oiseaux, I, 150, 154. — Roitelet, I, 154. — Lièvre, I, 332. — Oies, II, 396. — Renard, I, 355. — Renard blanc (l’âme d’un homme à qui le héros a rendu la sépulture), I, 180, 184. — Renard qui vient en aide au Cadet, dans le puits où ses frères l’ont jeté, II, 187, 214, 223.
Anneau. — Anneau de mariage, sa puissance, I, 85. — Sa perte produit l’oubli, I, 188, 190, 397. — Moitié d’anneau servant à reconnaître le héros, III, 243.
Arbres. — Qui se battent et se meurtrissent, I, 272.
Argent (L’). Avec de l’argent, on réussit partout, III, 444-45.Baguette magique, I, 4, 7, 74, 76, 231, 370, 390, 392 ; II, 35, 38, 50, 105, 107, 112, 118, 157 ; III, 58, 411.
Baiser. — Qui éveille Princesse, endormie dans château magique, I, 55, 56, 391 ; III, 212. — Qui produit l’oubli, II, 268. — Baisers à crapaud, couleuvre, salamandre, II, 117. — Pour conclure un marché, II, 155, 157, 166. — Baisers de la Sirène à enfant nouveau-né, qui est de ce fait doué heureusement, II, 386.
Baptême. — Jeune homme métamorphosé en mouton par une Sorcière et rendu à sa forme première, en servant de parrain à l’enfant de sa sœur, III, 176, 177.
Barbauvert (Le géant), II, 355.
Barbe. — Vieillard avec une barbe de 500 ans, III, 288. — Fait sept fois le tour du corps, I, 244, 246.
Barrique d’or et d’argent, I, 199, 303.
Bâton qui a 500 compartiments dont chacun renferme un cavalier et son cheval, III, 7. — Avec lequel le héros fait sept lieues, à chaque pas, III, 98.
Bélier d’or (La Princesse du), I, 149. — Recherche de la Princesse, I, 150.
Biche sauvage allaitant deux enfants dans un bois, II, 34.
Biniou. — Qui fait danser, bon gré mal gré, ceux qui l’entendent, III, 9.
Bleu (Le Prince), III, 148.
Blondine (La Princesse), I, 177.
Boisseau pour mesurer de l’argent, III, 416.
Boîte magique, II, 124, 126, 127, 136.
Boit-Tout, III, 301, 308.
Bossu, I, 387 ; II, 123, 219. — Bossu redressé, II, 148, 254. — Tué, ressuscité et redressé, II, 229. — Chargé de la bosse d’un autre, II, 255.
Boulanger. — Les trois filles du boulanger, III, 277.
Boule d’or, d’argent ou d’ivoire roulant d’elle-même devant le héros, pour le guider, I, 180 ; II, 8, 216, 218, 359, 360. — Boule d’or jetée pour retarder la poursuite de l’héroïne, I, 329, 354. — Boules de 500 livres du géant, III, 237.
Bourdon. (Voir Animaux secourables.)
Bourse. (Voir Talismans.)
Bouton merveilleux, II, 15.
Bré (Montagne de). — Combat entre les animaux à poil et les animaux à plume, sur la montagne de Bré, III, 233.
Bride ou corde qu’il faut retenir, en vendant l’animal, II, 87, 88.
Brigands, I, 389.Cabinet défendu, I, 27 ; II, 9, 60, 345, 423 ; III, 199, 264. — Cabinet du magicien, II, 104.
Cadet et Cadette. — Réussit où ses aînés ont échoué, I, 50, 301, 307 ; III, 442. — Épouse la Princesse Marcassa, II, 194. — Cadette se sacrifie pour sauver son père, I, 323, 342, 351 ; III, 268. — Cadette traitée en Cendrillon, I, 318.
Calaman, fils du roi de France, II, 20.
Canes, Canards. (Voir Métamorphoses.)
Cavale blanche. (Voir Animaux secourables.)
Cercle magique, II, 107.
Cerises qui changent en cheval celui qui en mange, III, 60, 61. — Autres cerises qui le font revenir à sa forme première, III, 60.
Cerisier qui s’élève du sang du héros arrosé de l’eau de vie, III, 275. — Oiseau né d’une cerise de cet arbre, III, 275.
Chapeau magique. (Voir Talismans.)
Chapelet qui indique que le héros est mort, ou en grand danger, quand les grains n’en passent pas facilement, III, 287.
Charbonnier qui se présente avec les sept têtes du serpent pour réclamer la main de la Princesse, II, 310.
Chat, II, 195. — Prince qui naît sous la forme d’un chat, III, 128. — Le chat devient un beau Prince, III, 1, 31. — Jeune fille qui accouche d’un chat, III, 145. — Chat noir, III, 134. — Dans le château d’un géant, chat qui n’a qu’un œil au milieu du front, et qu’il faut frapper dans cet œil, sous peine d’être tué par lui, III, 208. — Chat qui sauve son bienfaiteur, au moment d’être pendu, III, 158. — Combat du Chat Noir contre la Sorcière, III, 163. — Chat éventré d’où il sort un beau Prince, III, 165, 166.
Château sous terre, I, 5. — Château de magicien, II, 425 ; III, 99. — Château du Soleil, I, 17, 69, 100, 274. — Château de Cristal, I, 43 ; II, 6. — Château retenu par quatre chaînes au-dessus de la mer, I, 70 ; II, 359, 361 ; III, 320. — Château d’or (recherche de la Princesse du), I, 108 ; II, 8, 189. — Château d’argent, II, 7. — Châteaux (trois) où le héros s’arrête, en se rendant au château du Soleil, I, 71, 101, 102, 103. — Où habitent trois princesses, plus belles l’une que l’autre, II, 217, 218.
Chaussures de fer et d’acier, I, 302, 309, 329.
Chemise de glace, I, 193.
Cheval de bois, qui voyage par les airs, I, 71, 72. — Cheval qui voyage par les airs, II, 41, 102. — Cheval du Monde, I, 158, 165, 167. — Combat contre le Cheval du Monde, I, 67. — Cheval, chez un magicien, que l’on bat tous les jours, au lieu de lui donner à manger, I, 429 ; II, 9. — Cheval bridé, sellé, qui invite le héros à monter sur son dos, II, 4. — La couronne royale au Prince qui présentera à son père le plus beau cheval, II, 125. — Cheval que l’on hisse dans la cheminée pour frotter ses blessures avec de la suie, III, 390.
Cheveux. — Princesse peignant ses blonds cheveux, I, 77, 78. — Princesse aux Cheveux d’Or, I, 141 ; III, 320.
Chèvres qui se battent, I, 10. — Chèvre d’argent, dans laquelle le héros s’enferme pour arriver à la Princesse, III, 443.
Chien porteur d’un message, II, 346. — Qui surveille le héros au travail, III, 219. — Petit chien Fidèle, qui suit partout l’héroïne et qui parle, III, 137. — Chiens Noirs, dans un carrefour, III, 436-37. — Chienne messagère, II, 429.
Clef. (Voir Coffret.)
Cloche du magicien, qui sonne d’elle-même, pour l’appeler quand il est absent, II, 11, 40 ; III, 320.
Coat-ar-Stang (Le docteur), II, 111. — Sa tête devient si grosse, qu’il ne peut la retirer de la fenêtre où il l’a mise pour voir passer le docteur Coathalec, II, 112.
Coathalec (Le docteur), II, 96.
Coffre de verre où est renfermée l’héroïne, pendant un trajet par mer, II, 373.
Coffret et Clef égarée, I, 218, 239, 304, 316, 339, 363, 420 ; II, 415 ; III, 245.
Cognée (Fée), III, 408-409.
Colombes blanches et Colombes noires, représentant des âmes, I, 20. (Voir Animaux secourables.)
Compagnons (Les) qui viennent à bout de tout, III, 295.
Coq. — Le chant du coq chasse les démons, I, 101, 202, 203. — Princesse montée sur un coq, en guise de cheval, ce qui fait rire la sœur de la méchante Sorcière, II, 139. — Coq qui éveille et appelle le jour, II, 195. — Coq d’or, qui mange et parle, III, 244.
Cor d’ivoire, pour appeler du secours, III, 188, 200.
Coucou. — Année finie quand le coucou chante, III, 217, 223, 229.
Couleuvre. — Enfant né avec une couleuvre autour du cou, II, 241. — Vient au secours de la jeune fille, en mordant au talon le traître et en lui arrachant les yeux, II, 247.
Coureur (Le), I, 272 ; III, 302, 308.
Couronne lumineuse, la nuit, I, 148.
Couteau d’or, trouvé dans une pomme, I, 175.
Crampouès ou les Talismans, III, 3.
Cristal. — Château de cristal, I, 42 ; II, 6. — Montagne de cristal, I, 328.
Croissant de la Lune. — Géant sous forme de croissant, I, 254.
Dalmar (Le Prince), I, 367.
Danseurs de nuit (Les), III, 103, 104, 115, 116.
Démon (Princesse possédée d’un), I, 137. — Roi des démons, I, 151, 155, 369.
Devin, I, 242. — Devin et prophète, III, 316.
Devineresse (Princesse), III, 327.
Diable (Le) jeté dans un four chauffé à blanc, I, 85. — Dans le cabinet défendu, III, 199. — Vaincu et brûlé dans un bûcher, III, 202. — Trois poils de la barbe du Diable, I, 86. — Le Diable Boiteux, I, 200, 375, 389. — Voyage chez le Diable pour lui adresser diverses questions, I, 125, 128. — Diables dans un vieux château abandonné, I, 199.
Diamants. — Deux diamants neufs offerts pour un vieux, I, 199. — Dérober un diamant caché dans une dent creuse du géant, II, 429.
Dragon, II, 177.
Drédaine (L’Oiseau), II, 176. — Le vieux roi ragaillardi par la vue et le chant de l’oiseau Drédaine, II, 189, 194. — Dans une cage d’or, II, 181, 183.
Dromadaire, I, 185 ; II, 40, 42, 178, 213, 214.Eau (L’) de vie et l’Eau de mort. — Sa quête, I, 116. — Eau de vie donnée par la Sirène à l’héroïne, pour ressusciter son frère, qui a été assassiné, II, 376. — Ressuscite le héros, haché en menus morceaux, III, 273. — Eau qui danse, III, 277, 285, 289, 292. — Eau de vie, qui ressuscite des princes métamorphosés en pierres, III, 290.
Écureuils que le héros doit garder, dans un bois, et ramener le soir, II, 152.
Égypte (Aller en), III,196, 237.
Enchanté. — Épée enchantée, I, 144 ; II, 220, 221, 306 ; III, 268, 270. — Princesse enchantée, I, 276 ; II, 407 ; III, 203. — Palais enchanté, I, 282, 286. — Avenue d’arbres enchantés, II, 24. — Jument enchantée, I, 146.
Enfer (L’), I, 62 ; II, 6.
Enlèvement. — Princesse enlevée de son lit, la nuit, et portée endormie, par les airs, auprès du héros, III, 92.
Énigmes, I, 22, 23, 38, 60. — Proposées et résolues, III, 306, 329.
Épée trempée dans du sang d’aspic, I, 169 ; II, 28. — De Malchus, I, 155. — Enchantée, I, 144 ; II, 220, 221, 306 ; III, 268, 270.
Éperviers. (Voir Animaux secourables.)
Épingle dont est traversée la tête d’un oiseau, qui redevient une belle Princesse quand on l’en retire, I, 431 ; III, 111.
Épreuves. — Trier un tas de grains de plusieurs sortes, I, 79, 284 ; II, 402. — Abattre une avenue de vieux chênes, avec pioche, hache et scie de bois, I, 81 ; II, 34, 362 ; III, 241. — Le héros seul contre 500 hommes, II, 28. — Combat contre un dragon qui vomit du feu, II, 28. — Apporter trois poils de la barbe du Diable, I, 92. — Niveler une montagne avec une brouette et une pelle en bois, I, 82 ; II, 364. — Transporter le château de la Princesse du château d’or en face de celui du Roi, I, 110. — Choisir entre les trois filles du magicien, mises dans un sac, sous forme de souris, celle que le héros veut épouser, II, 367, 368. — Choisir entre les trois Princesses, dans une chambre obscure, II, 405. — Retrouver une clef, au fond de la mer, I, 113, 156. — Retrouver une ancre perdue au fond de la mer, depuis cent ans, II, 365. — Amener le Cheval du Monde à la cour du Roi, I, 167. — Dessécher un puits, avec une coquille de brinic (patelle), pour y trouver une boule d’argent et une boule d’or, II, 399. — Amener à la cour du Roi une Princesse retenue captive par un Serpent, dans un château suspendu au-dessus de la mer, I, 168. — Passer une nuit dans la cage d’un lion affamé, I, 283. — Dans l’antre d’un Ronfle ou Ogre, I, 284. — Construire un pont de plumes sur un bras de mer, II, 38. — Garder des écureuils libres dans un bois, et les ramener, le soir, II, 152.
Ermite. — Maître sur tous les animaux à plumes, I, 184, 441. — Dans un bois, III, 358.
Escarboucle qui éclaire, la nuit, comme le soleil, II, 134.
Espagne (Fille du roi d’), II, 10, 23, 83, 85 ; III, 247.
Étoile brillante (Princesse de l’), I, 198. — Recherche de la Princesse de l’étoile brillante, I, 208. — Étoile au front d’un enfant naissant, III, 281, 283, 294. — Char et chevaux couleur des étoiles, I, 205. — Armure, cheval et chien couleur des étoiles, II, 281, 287. — Robe couleur des étoiles, III, 248.
Évêque de mer, II, 262.
Ewen Congar, l’Homme de parole, II, 80.
Faim du géant ou du Soleil, en rentrant, le soir, I, 47, 94, 129, 211, 233, 275 ; II, 27.
Ferragio (Le Magicien), I, 241.
Fesses et Mollets. — Le héros donne ses fesses et ses mollets à manger à l’aigle, qui le porte sur son dos, I, 187. — Mère qui taille les fesses de son enfant avec un couteau, pour les faire entrer dans un pantalon trop étroit, III, 391.
Feu. — Le géant entre dans le feu pour s’élever en l’air, I, 48, 49.
Février (Vent), I, 211, 213.
Figues qui font dormir ceux qui en mangent, I, 241.
Fille. — Jeune fille qui se fait passer pour un garçon, à la cour du Roi, II, 299, 315.
Fontaine près de laquelle une Princesse peigne ses cheveux, I, 77, 78, 183, 184. — Fée de la fontaine, II, 147, 149. — Le héros propose au géant d’apporter la fontaine, sur une civière, dans la cour du château, III, 239.
Formules : Initiales, I, 86, 98, 158, 177, 241, 259. — Finales, I, 85, 349, 385, 450 ; II, 79, 142 ; III, 22, 216, 261, 276.
Fouet qui fait bouillir la marmite, III, 420.
Four chauffé à blanc et où l’on jette le traître ou l’imposteur, I, 188, 321 ; II, 194, 313, 338, 380, 418 ; III, 114, 132, 134, 295, 413.
Fourmis. (Voir Animaux secourables.)
Frères (Les trois), II, 121, 161, 195, 210, 231 ; III, 299. — Les six frères qui viennent à bout de tout, 312.
Frimelgus, empereur de Turquie, I, 26.Gâteau donné par une Sorcière et qui rend enceinte d’un chat la jeune fille qui le mange, III, 126, 127.
Géant de 17 pieds de haut, I, 245. — De 22 pieds de haut, I, 248. — Géant-Magicien, II, 20, 104, 177. — Géants et Géantes, dans un vieux château, dans un bois, II, 238 ; III, 181, 208, 217. — Géant sous la forme d’un nuage, II, 13. — Géant qui quitte son château, tous les matins, II, 10, 11, 59, 82. — Géant qui dévore les hommes, II, 21. — Qui descend d’un nuage, pour enlever Princesse ou Prince, II, 58, 66. — Géant de la forêt, II, 306. — Géant enfermé et brûlé dans un carrosse de fer, II, 247. — Géant qui chasse aux hommes et les mange, III, 186, 189.
Goulu ou Mange-Tout (Le), III, 301, 307.
Grenouilles. — Les deux Grenouilles d’Or, II, 33, 54.
Grimpeur (Le), III, 313.
Guêtres de cent lieues. (Voir Talismans.)
Guyon l’Avisé (Moi-Même, etc.), III, 439.Homme à tête de Poulain, I, 295. — Son mariage, I, 297. — Est un beau Prince, la nuit, I, 298. — Doit recouvrer sa forme naturelle, après avoir fait baptiser un enfant à lui, I, 301. — Homme-Loup, I, 306, 318. — Se marie et devient un beau Prince, I, 307. — Homme-Marmite, I, 341, 342. — Quitte sa Marmite, la nuit, pour coucher avec sa femme, I, 344. — Homme-Crapaud, I, 350. — Conduit sa fiancée à l’église, I, 351. — Est un beau Prince, la nuit, I, 252. — Sa peau brûlée et sa fuite, I, 353. — L’Homme de Fer, III, 83.
Homunculus. — Dans une bouteille, II, 119.
Hongrie (La Princesse de), doit rendre la santé au vieux roi malade, II, 209.
Horoscope, I, 241.
Île. — Débarquement dans une île déserte, II, 4. — L’héroïne dans une île déserte, III, 143.
Immortel. — Tentative d’un Magicien pour se rendre immortel, II, 115.Janvier (Vent), I, 219 ; — Janvier et Février (Vents), III, 217.
Jardins remplis de fleurs et d’oiseaux chantants, II, 26, 360.
Jean et Jeanne (Jeanne-Bête), III, 407.
Jésus-Christ et Saint Pierre, en Bretagne, II, 164.
Jour (Le), qu’il faut aller chercher, tous les matins, avec une charrette attelée de quatre chevaux, II, 202.
Jument enchantée, I, 146.Lance magique, I, 186.
Langues coupées, II, 312.
Lettre (Substitution de) qui sauve le héros, I, 90.
Lévrier, II, 41.
Licorne, II, 321, 322, 323. — Son regard donne la mort, II, 324.
Lièvre (Le) argenté, III, 181, 183. — Le plomb de chasse s’aplatit sur lui, III, 184. — Parle, III, 188 — Poursuivi vainement, depuis 500 ans, par un Géant, III, 187, 196. — Fille du roi de Perse, III, 196. — Lièvre qu’on ne peut atteindre, III, 302. — Voir aussi : Métamorphoses et Animaux secourables.
Lions. (Voir Animaux secourables.)
Livre. — Le Magicien consulte son livre, I, 186. — Petit livre rouge du Magicien, II, 10, 34, 49, 64, 83, 86, 105.
Loup. (Voir Animaux secourables.)
Luduenn (Cendrillon), II, 176 ; III, 274, 299.
Lune. — Char et chevaux couleur de la Lune, I, 207. — Armure, cheval et chien couleur de la Lune, II, 281, 283. — Robe couleur de la Lune, III, 249.
Lustre merveilleux, II, 30.Magicien. — Le Magicien et son Valet, II, 3, 20, 33. — Magicien, sous forme de nuage, II, 13, 45. — Sous forme de lévrier, II, 41. — En épervier, II, 47. — Sous forme de cheval, II, 65. — Sous forme de tourbillon de vent, faisant le tour du monde et enlevant Princesses, Princes, trésors, etc., II, 23. — Dévorant les Princesses qui ne lui donnent pas d’enfants, II, 23. — Poursuit sa fille, enlevée par le héros du conte, I, 186. — La fille du Magicien vient en aide au héros, dans ses épreuves, II, 362-363. — Magicien qui retient Princesse enchantée et captive, III, 267.
Mains coupées et remises en place, II, 17.
Marâtre I, 219. — Consulte Sorcière pour perdre la fille de son mari, III, 126-127, 139.
Marcassa (La Princesse), II, 176.
Marché aux femmes mortes, III, 435, 436.
Marcou-Braz (Le Magicien), II, 20.
Mari de l’héroïne, part tous les matins, et rentre le soir, affamé, I, 6, 17, 34, 35, 38.
Mars (Vent), I, 211, 214.
Médecin improvisé, II, 77.
Merle d’argent, qui chante, II, 61, 74.
Mémoire (Perte de la), II, 51, 54.
Mensonges (Les), ou le Berger qui eut la fille du roi pour une seule parole, III, 447. — Les mensonges, III, 449.
Messe dite par un mort, I, 10, 12 ; III, 115.
Métamorphoses. — Métamorphoses du Magicien : En âne, II, 91. — En anneau d’or, II, 93. — En arbres, II, 22. — En bœuf, II, 87. — En chapelle, II, 13. — En fontaine, grenouille, feuilles d’arbres, II, 43, 64, 65. — En belette, II, 116. — En crapaud, II, 116. — En colombe, II, 276. — La Sainte-Vierge se métamorphose en cavale blanche, pour protéger le héros, I, 118. — Princesse changée en chienne, II, 431. — Princesse changée en jument, I, 149, 157 ; II, 10. — Princesse changée en cane, I, 178 ; III, 108-109. — Princesse changée en chèvre, I, 220. — Princesse changée en lièvre argenté, III, 196. — Le héros changé en épervier, en lièvre, II, 47, 92. — Le Fidèle serviteur changé en statue de marbre, I, 375, 380. — Princes changés en chevaux, I, 430, 431 ; II, 82, 83, 89 ; III, 274. — Le héros changé en fourmi, I, 443 ; II, 277. — En pigeon, II, 93. — Métamorphosé en pois chiche, II, 95. — En renard, II, 95, 214. — Princesse changée en oiseau, I, 431 ; II, 82-83. — Princes métamorphosés en pierres, III, 289, 290. — En pistolets, I, 431. — Poule changée en carrosse, II, 131. — Princesse changée en souris, II, 135, 368. — Prince en serpent, III, 265, 269. — Femmes métamorphosées en vipères, II, 116. — Princes métamorphosés en moutons, III, 167, 171, 173.
Meunier (Le) et son seigneur, III, 414.
Midi. — Monstres et Princesses du château enchanté qui s’éveillent au coup de Midi, II, 183.
Moine. — Le grand Moine et le petit Moine, III, 426.
Mollets. (Voir Fesses.)
Morgans de l’île d’Ouessant, II, 257. — Enlève une jeune fille, II, 259-260. — La Sainte-Vierge et le Morgan, II, 270.
Moutons. — Neuf frères métamorphosés en moutons par une Sorcière et rendus à leur forme première : l’aîné, pour avoir servi de parrain à l’enfant de sa sœur, les autres, par l’imposition sur leur tête de l’étole d’un prêtre et la récitation d’une oraison, III, 176-177.
Mulet qui fait de l’or et de l’argent, III, 70.
Nains. — Nain dont la barbe fait sept fois le tour de son corps, I, 244, 246. — Nains dansant au clair de la lune, II, 252 ; III, 103, 104, 115, 117, 120.
Naples (Roi de), II, 302.
Navire qui va par terre et par mer, I, 244 ; III, 297, 301, 316, 321.
Niais (Pierre le), III, 400.
Noix magiques, I, 311.
Nourrices qui doivent répandre le lait de leurs seins sur une bouteille remplie du sang du magicien mort, afin de le ressusciter, II, 116.
Odeur de chrétien. — Le géant criant : « Je sens odeur de chrétien, et je veux le manger ! » I, 71, 74, 129, 202, 223, 234, 275 ; III, 186, 190, 194.
Œuf. — Oiseau qui pond un œuf d’or, chaque matin, III, 50.
Ogre (Bihanic et l’), II, 419.
Oies. (Voir Animaux secourables.)
Ombres. — Église pleine d’ombres de morts, I, 10.
Onguent magique, I, 183, 187, 199, 201, 222, 223, 225, 249 ; II, 329.
Or. — Pièces d’or qui tombent de la tête de la Princesse, quand on la peigne, I, 295. — Peigne d’or, I, 77. — Cage d’or pour l’oiseau Drédaine, II, 181, 183. — Pluie de pièces d’or, II, 388.
Oranges qui font dormir, I, 228.
Oreille fine, II, 303.Paille. — Tirer à la courte-paille, II, 195.
Pain qui ne diminue pas, quand on en coupe, I, 179 ; II, 182, 184.
Pantoufle d’or de la Princesse, qu’emporte le héros, III, 212.
Paradis, II, 18.
Parrain. — Roi parrain chez pauvre homme, I, 67, 87.
Partage que fait le héros entre animaux, qui s’en montrent reconnaissants, II, 392-393.
Passeur. — Depuis 500 ans sur son bateau, pour faire passer un bras de mer aux personnes qui vont au château du Soleil, I, 105. — Comment il peut être délivré, I, 154.
Peaux d’hommes enlevées, II, 83, 162, 163. — Ruban de peau enlevé, de la nuque au talon, à celui qui se fâche le premier, III, 218, 222, 239, 439. — Peau de vache qui effraie et met en fuite les voleurs, III, 415, 428.
Peg-Azé (Colle là !), III, 407.
Pendu. — Femmes pendues, dans le cabinet défendu, I, 29 ; II, 346.
Perdrix. — Garder des perdrix en liberté, sur une lande, II, 162.
Père qui veut épouser sa fille, III, 248. — Sacrifiant son enfant, I, 323.
Perroquet sorcier, II, 231. — Qui dit à son maître tout ce qui se passe chez lui, en son absence, II, 231, 236.
Petit-Jean (Le devin), III, 326.
Pie (Fée) désobligée et qui se venge, III, 298. — Qu’on oblige et qui s’en montre reconnaissante, III, 300.
Rats. — Reine des rats envoyée pour dérober le talisman que l’Ogre tient caché dans une de ses molaires, qui est creuse, II, 430.
Renards. (Voit Animaux secourables.)
Revenant. — Qui est en Purgatoire, pour n’avoir pas accompli un pèlerinage promis à Saint-Jacques-de-Compostelle, III, 205.
Rhampsinit. — Trésor du roi Rhampsinit, III, 367.
Robardic le Pâtre, II, 273.
Roi qui s’égare à la chasse, I, 260 ; II, 356. — Chez le charbonnier, I, 260. — Se laisse égorger, pour être rajeuni, I, 188. — Parrain chez un pauvre, I, 67, 87.
Roi des Oiseaux. (Voir Animaux secourables.)
Roi des Poissons. (Voir Animaux secourables.)
Roitelet. (Voir Animaux secourables.) — Combat de l’Hiver et du Roitelet, III, 231.
Ronfles (Ogres), I, 280 ; II, 419.
Ronkar (La Princesse), I, 387, 393.
Sabre. (Voir Talismans.)
Sacrifice. — Père sacrifiant son enfant, pour l’accomplissement d’une promesse imprudente, I, 323.
Sang. — Taches de sang sur chemise que l’héroïne seule peut effacer, I, 302, 310, 329, 333, 354, 356. — Sang d’un enfant dont on frotte le Fidèle Serviteur, métamorphosé en statue de marbre, pour le délivrer, I, 383, 401.
Sanglier qui habite un vieux château, dans un bois, II, 278, 281. — Qui vient se rouler, à l’heure de midi, sur la pierre sacrée d’un autel ruiné, II, 320.
Satyre (Le), III 326. — Le venin et la puanteur qu’il exhale donnent la mort, à une grande distance, II, 326, 329. — Boit du lait et perd son venin. II, 331. — Rencontre, d’un criminel que l’on mène au gibet, du convoi funèbre d’un enfant, et d’un navire qui se perd, et explications du satyre, qui pleure et rit tour à tour, II, 323, 328.
Secret trahi et punition, I, 345, 346, 379, 380, 399.
Sépulture donnée à un mort, qui s’en montre reconnaissant, I, 405, 416 ; II, 179, 212.
Serpent qui vomit du feu, I, 251 ; III, 319, 322. — À qui, tous les sept ans, il faut livrer une Princesse, II, 284, 285, 288, 309. — Prince serpent, III, 262.
Serviette. (Voir Talismans.)
Serviteur (Le fidèle), I, 368.
Siège d’or. — Princesse sur un siège d’or, I, 5, 7. — Sous un pommier, au bord de l’eau, III, 289.
Silence recommandé au compagnon de voyage du Soleil, I, 18, 35. — Silence pendant l’épreuve, I, 201, 221.
Sirène, II, 370. — Emmène l’héroïne dans sa grotte, au fond de la mer, II, 374. — Fait pleuvoir des pièces d’or, par la cheminée, II, 388. — Baisers à nouveau-né, II, 386.
Sœur devenue enceinte des œuvres de son frère, II, 3.
Soleil (Le). — Voyage vers le soleil, I, 1, 270. — Château du Soleil-Levant, I, 17, 69, 100, 274. — Mère du Soleil, I, 71, 274. — Questions à adresser au Soleil, I, 101, 270. — Ses réponses, I, 103, 104, 276, 277, 278. — Le Soleil a faim, quand il rentre, le soir, I, 7. — Char et chevaux couleur du Soleil, I, 208. — Armure, cheval et chien de la couleur du Soleil, II, 281, 289. — Robe de la couleur du Soleil, III, 250.
Soporifique, I, 312, 314, 335, 358, 359.
Sorcières. — Princesse sorcière, III, 56, 58. — Sorcière et sa fille écartelées, III, 177. — Sorcière consultée, pour avoir du poison, III, 331.
Soudeur (L’habile), III, 314.
Souillon ou Cendrillon, III, 274.
Souliers d’or trouvés dans l’intérieur d’une vache, III, 137-138.
Souris. (Voir Métamorphoses.) — Souris musiciennes, II, 137.
Souterrain à traverser, I, 54, 247.
Statues. — Hommes métamorphosés en statues, I, 375. 380.
Talismans. — Bâton à 500 compartiments, renfermant chacun un cavalier et son cheval, armés de toutes pièces et prêts à obéir au possesseur du talisman, III, 7. — Qui bat de lui-même les ennemis de son possesseur, III, 75. — Qui fait faire 500 lieues, à chaque coup dont on en frappe la terre, III, 98. — Bec d’oiseaux et mèche de cheveux, pour appeler du secours, dans les occasions critiques, III, 195, 200. — Biniou qui fait danser, bon gré mal gré, tous ceux qui en entendent le son, III, 13. — Bonnet qui fait sortir de terre un château merveilleux, au commandement de son possesseur, et rend celui-ci le plus bel homme du monde, quand il s’en coiffe, III, 14, 18. — Bourse dont on retire 500 écus, à chaque fois qu’on y met la main, III, 24. — Chapeau magique, qui procure à son possesseur tout ce qu’il désire, III, 98. — Qui rend invisible à volonté celui qui s’en coiffe, III, 352. — Chemise (Lambeau de) de Sorcière, qui procure à son possesseur tout ce qu’il désire, III, 4. — Cœur d’oiseau qui fait trouver, chaque matin, cent écus en or, sous la tête de celui qui l’a mangé, III, 191, 195, 200. — Diamant qui procure à son possesseur tout ce qu’il désire, II, 423. — Épée enchantée, qui combat d’elle-même, III, 268, 270. — Flambeau qui accomplit tous les souhaits de celui qui le possède, III, 90. — Guêtres de sept lieues, I, 209 ; III, 352. — Manteau qui rend invisible et transporte partout où l’on veut aller, III, 24, 34, 196, 197, 352. — Manteau qui rend invisible, III, 98. — Mets déposés dans un tablier et métamorphosés en bijoux, diamants et fleurs, II, 130, 141. — Sabre rouillé, qu’il faut aller chercher dans l’Enfer, II, 5, 11. — Sabre qui combat de lui-même, et taille en pièces les armées, II, 183, 186. — Sabre enchanté, III, 209. — Serviette nourricière, I, 231, 438 ; III, 24, 31, 73, 74. — Sifflet magique, I, 269, 282 ; II, 153, 156, 159, 165.
Talons et Orteils rognés, pour faire entrer pieds dans souliers trop étroits, III, 138.
Teigneux, I, 264.
Tête. — Couper la tête de la fille du Magicien, puis la remettre en place, II, 365-366. — Tête de cheval mort placée sous la tête du coureur endormi, et que doit frapper l’Habile Tireur, avec une flèche, afin de l’éveiller, III, 309, 110.
Tireur (L’Habile), III, 303, 314.
Toile. — La couronne royale à qui présentera la plus belle toile, le plus beau cheval, la plus belle Princesse, II, 124, 134, 137.
Toucher. — Tout ce que l’héroïne touche se change en or, et, à chaque parole qu’elle prononce, une perle lui tombe de la bouche, III, 105.
Tour. — Princesse enfermée dans une tour, I, 368 ; III, 283, 284, 295.
Trégont-à-Baris, I, 93.
Trépas (La femme du), I, 14.
Trésors. — Chambres remplies de trésors, II, 10, 25, 61 ; III, 85, 86, 212, 213. — Trésors des Morgans, II, 269, 271. — Changés en crottin de cheval, II, 272. — Trésors du Géant de la forêt, II, 506.
Troïol (La Princesse de), I, 219. — Recherche de la princesse Troïol, I, 231.
Trompe magique, I, 280, 281.
Tronkolaine (La Princesse de), I, 66.
Trubardo (Le Géant magicien), I, 250.
Vaches et bœufs, gras dans pâturage maigre, I, 9, 36, 49, 59. — Maigres, dans pâturage gras, I, 9, 36, 49, 60.
Vents. — Mère des vents, I, 46, 210, 232. — Voyage à la recherche de la mère des vents, III, 67-68.
Vérité. — Remplir un sac de vérités, II, 159, 174 ; III, 346-347. — Le Satyre disant des vérités, II, 33, 36, 37. — Oiseau de la Vérité, III, 277, 285, 290, 292.
Vessies peintes en noir, pour simuler les boules à jouer de 500 livres du géant, III, 237.
Vieillard à barbe blanche, qui protège le héros, I, 70, 73, 74, 84, 209, 254, 268. — Vieillard à barbe de 500 ans, que coupe l’héroïne, et comment il s’en montre reconnaissant, III, 288.
Vieille (Fée ou Sorcière) qui conseille le héros ou le persécute, I, 51, 65, 127, 171, 178, 204, 227, 228, 231, 232, 248, 377, 397 ; II, 151, 319, 332 ; III, 56, 58, 83, 126, 127, 132, 139. — Vieille aux dents longues et dont la langue fait neuf fois le tour de son corps, III, 168. — Vieille qui renverse un château, en prononçant une formule magique, III, 170, 248, 249, 250, 280. — Petite-Vieille, III, 408.
Violon qui fait danser, bon gré mal gré, tous ceux qui l’entendent, et qui ressuscite les morts, III, 315, 418.
Vipère (Morsure de), II, 109. — Léchant la plaie qu’elle a faite, pour la guérir, II, 110.
Volantes (Femmes), quittent leurs peaux emplumées, pour se baigner, II, 349, 351, 360. — Habitent un château retenu par quatre chaînes d’or au-dessus de la mer, II, 359. — Le héros enlève le vêtement de plumes de l’une des filles du Magicien, et ne le lui rend qu’à la condition qu’elle le portera jusqu’au château de son père, II, 351. — Il quitte le château du Magicien, en emmenant la plus jeune de ses filles, II, 354, 359. 360.
Wignavaou (épouvantail), III, 412.
Notes
modifier- ↑ Cette formule finale est rimée, en breton.
- ↑ Jean au pied de travers.
- ↑ Bâton dont l’extrémité inférieure se termine en boule.
- ↑ Cf. La lampe merveilleuse d’Aladin, dans les Mille et une nuits.
- ↑ Rapprocher ce conte du conte d’Andersen intitulé : Le Briquet.
- ↑ La Croix-au-fil.
- ↑ C’est sans doute par oubli que ma conteuse ne parle pas du refrain connu : Lundi, mardi, mercredi, etc., que la tradition attribue généralement aux Danseurs de nuit, dans leurs rondes nocturnes. — Voir Les deux Bossus et les Nains, t. II, p. 251.
- ↑ Tout ce commencement semble étranger au conte de La Méchante Marâtre, qui va suivre.
- ↑ On ne dit pas pourquoi le septième nain s’abstint de danser et d’embrasser la jeune fille ; il eût été intéressant de le savoir pourtant.
- ↑ Il y a en breton ar serpentès (la serpente).
- ↑ Il existe, dans les campagnes bretonnes, un jeu d’enfants qui rappelle cette lutte à outrance du Chat noir contre la sorcière.
Voici en quoi il consiste : Un enfant crie ?
— Bataille !
Un autre lui répond :
— Bataille !
— Par où commencerons-nous ? reprend le premier.
— Par où tu voudras, répond le second.
— Eh bien ! commençons par le vent.
— Soit, par le vent.
Et ils se mettent alors à se souffler dans la figure, jusqu’à ce l’un d’eux demande grâce.
— À l’eau, à présent ! s’écrient-ils, alors.
Et ils se crachent à la figure, jusqu’à ce qu’il y en ait un qui s’avoue encore vaincu.
Enfin, pour la troisième épreuve, ils saisissent des tisons enflammés dans le foyer, et se poursuivent par toute la maison.
Un jeu analogue s’appelle, je crois, en français, le jeu de Petit bonhomme vit encore ! Voici comment il se pratique, à l’endroit du tison : un enfant prend un tison au foyer, le secoue, crache sur le bout qui est en feu et le passe aussitôt à son voisin, en disant : « Petit bonhomme vit encore ! » Le second le secoue aussi, crache dessus et le passe à un troisième, qui le secoue et crache à son tour, et le passe à un quatrième, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il s’éteigne sous le crachat d’un joueur, lequel est passible d’une amende ou d’une pénitence. Cela s’appelle en breton : C’hoari kevic ann iteo.
- ↑ Da duta, expression bretonne qui ne se peut traduire littéralement que par le barbarisme hommer.
- ↑ Le breton dit : « Je vais en Égypte, quand je veux. » Cette expression, dans nos contes populaires, signifie : Voyager par les airs.
- ↑ Tout ce début doit être une interpolation moderne, dans une fable entièrement payenne, à l’origine.
- ↑ Ici commence un autre conte, d’un tout autre caractère et entièrement payen. Les deux récits ont été réunis et confondus par le conteur populaire, comme cela se voit souvent, pour allonger son conte, et dans l’intention d’en augmenter l’intérêt. Je donne son récit tel que je l’ai recueilli.
- ↑ … Hep lavaret gaou,
Met marteze eur ger pe daou. - ↑ L’expression tailla correann ou sevel correann : tailler courroie ou lever courroie, est proverbiale, dans tout le pays de Lannion et de Tréguier. Elle est employée dans le sens de susciter des embarras, des difficultés, donner du fil à retordre, comme on dit en français. Ce doit être un souvenir de la très ancienne coutume d’après laquelle, lorsque deux hommes s’étaient engagés vis-à-vis l’un de l’autre, celui qui manquait à la parole donnée était condamné à avoir une bande de peau enlevée, depuis la nuque jusqu’à la plante du pied, et acceptait cette peine, sans essayer de s’y soustraire.
La même coutume se retrouve dans les traditions populaires des Gaëls de l’Écosse, comme on le voit dans le recueil de F.-J. Campbell. Popular tales of the West Higlands orally collected with a translation. Edinburgh, 4 vol. in-12, 1860-1862. Elle existait aussi chez les Romains, et on lit dans Plaute : De meo tergo degitur corium. Cela rappelle enfin l’histoire de la livre de chair, réclamée par le Juif Shylock, dans le Marchand de Venise, de Shakespeare. Cette histoire de la livre de chair se trouve également dans Li Romans de Dolopathos, du commencement du XIIIe siècle, quatrième conte, pages 244 et suivantes de l’édition Charles Brunet et A. de Montaiglon. Paris, P. Jannet, 1856.
- ↑ Dans une autre version, l’Hiver répond : — « Ah ! là, je ne puis pas mettre le nez, » et le conte est fini. Et en effet, ce qui suit semble être complètement étranger à ce début, qui forme un petit récit à part, comme il en existe plusieurs sur le roitelet.
- ↑ Suivant ma conteuse, aller en Égypte signifie s’élever en l’air, voyager à travers l’air.
- ↑ Le roi de Naples, c’est le roi Serpent lui-même.
- ↑ Dans une autre version, suivant une ancienne coutume encore en usage dans certaines parties de la Bretagne, on lui donna la Sainte-Vierge pour marraine. Celle-ci, sous les traits d’une vieille femme, la conseilla et la dirigea plus tard, dans son voyage à la recherche de ses frères, et, au dénouement, pendant le repas de noces, elle parut un moment dans la salle, se nomma et disparut aussitôt, en donnant rendez-vous à sa filleule dans le Paradis.
- ↑ Dans un autre conte, Les deux Fils du Pêcheur, c’est le tronc d’un laurier, dans le jardin, que la sœur doit frapper tous les jours avec son poignard, et quand elle en verra couler du sang, c’est que son frère serait mort. Ailleurs, ce sont trois roses qui se flétrissent successivement sur leurs tiges et s’effeuillent par terre.
- ↑ Nos paysans bretons appellent ainsi un bâton dont un bout est recourbé comme la crosse d’un évêque, et qu’ils emploient pour débarrasser le soc de la charrue des pierres et des herbes qui en ralentissent la marche.
- ↑ Cet épisode de la tête de cheval mort servant d’oreiller au coureur, pendant son sommeil, et de l’habile tireur qui le réveille, se retrouve mot pour mot dans le conte des frères Grimm : Les six compagnons qui viennent à bout de tout.
- ↑ Dans une autre version, les gâteaux sont donnés à des lions, que nos deux voyageurs rencontrent, dans le bois, et qui en meurent, comme ici les voleurs.
- ↑ Jann ha Jannet, braoa daou den a vale.
- ↑ Hanter tiégès, locution populaire.
- ↑
Guell eo carantez leiz ann dorn,
Vit aour hag arc’hant leiz ar forn. - ↑ Colle là !
- ↑ Mot inventé arbitrairement, qui n’a aucune signification précise, et qui doit s’entendre de quelque épouvantail ou invention plaisante propre à égayer et amuser les invités du seigneur.
- ↑ Bégard, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Guingamp, possède les ruines d’une belle abbaye fondée en 1130 par des moines de l’ordre de Citeaux.
- ↑ Penn-baz, bâton à grosse tête inférieure en forme de boule.
- ↑ Mon cul.
- ↑ Gant arc’hant hec’h eer dre-holl.
Gant an’hant a reer holl.
- ↑ Le chiffre romain indique le volume, et le chiffre arabe renvoie à la page du volume.