Contes populaires d’Afrique (Basset)/90

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 217-220).
XLIV. — YOROUBA[1]
a) Nago.

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LE LÉZARD ET LA TORTUE[2]

Mon alo (récit) a trait au lézard.


La famine sévissait : nulle part on ne trouvait de quoi manger. Le lézard s’en va à la campagne et finit par découvrir une grande pierre remplie d’ignames. Or le maître du champ était derrière la pierre et le lézard l’entendit quand il voulut entrer dans la pierre et il saisit toutes ses paroles. Le fermier étant entré dit :

— Pierre, ouvre-toi.

Étant sorti, il ajouta :

— Pierre, ferme-toi.

Le lézard ayant tout entendu rentra chez lui.

Le lendemain, au premier chant du coq, il va voler des ignames, les porte à la maison et les mange à loisir.

Tous les jours, il agissait de la sorte. Une fois la tortue le rencontre et lui dit :

— Mon ami, où donc as-tu pu trouver ainsi de quoi manger ?

— Je me garderai bien de t’y mener, répond le lézard, on me tuerait.

— Mène-m’y ; je n’en soufflerai mot à personne.

— C’est bien, dit le lézard.

Puis il ajouta :

— Quand le coq aura chanté, viens m’éveiller et nous partirons.

Cela dit, la tortue et le lézard se retirèrent chacun de leur côté. Le coq n’avait pas chanté encore, que la tortue était déjà près de la case du lézard, disant :

— Kékéréké.

Elle le fait une seconde fois et court appeler le lézard. Elle lui dit que le coq avait chanté ; mais le lézard lui demanda de le laisser se reposer ; aucun coq ne s’étant fait entendre encore.

— C’est bien, dit la tortue.

Ils se couchent de nouveau jusqu’au moment où le coq chante en effet. Alors le lézard se lève et ils partent. Arrivés à l’endroit, le lézard dit :

— Pierre, ouvre-toi.

Et la pierre s’ouvre. Quand le lézard eut pris autant d’ignames qu’il en voulut, il sortit et demanda à la tortue de partir. La tortue le pria d’attendre un instant :

— Je viens, dit-elle.

Et le lézard :

— C’est bien.

Et il rentra chez lui.

Cependant la tortue se chargea d’ignames. Elle en mit sur sa tête ; elle s’en attacha aux pieds, aux bras, aux cheveux ; elle pliait sous le faix. Depuis longtemps, déjà, le lézard était rentré chez lui ; il avait allumé du feu et s’était étendu à côté, les pattes en l’air, comme quelqu’un qui vient de mourir.

Et la tortue était là près de la pierre, ne sachant que dire pour faire ouvrir la pierre. Et elle s’épuisait à crier de longues heures durant.

Le fermier survient ; il saisit la tortue et la frappe jusqu’à la laisser pour morte. La tortue finit par déclarer que le lézard l’a amenée. Et le fermier de la lier et de la conduire chez le lézard.

Le fermier trouve le lézard étendu comme un mort.

— La tortue, dit-il, prétend que c’est toi qui l’as menée dans mon champ pour voler des ignames.

— Voyons, répliqua le lézard ; vous semble-t-il que je sois en état de voler des ignames ? Depuis trois mois que je suis couché ici, je ne connais aucun champ.

Le fermier saisit la tortue et la tua. Il l’avait laissée morte. Et la tortue de dire :

— Cancrelas, raccommode-moi, fourmi, viens me raccommoder.

C’est à l’endroit où la fourmi et le cancrelas la raccommodèrent que la tortue est toute raboteuse.



  1. Le yorouba est parlé sur toute la rive gauche du bas-Niger.
  2. Bouche, Étude sur la langue nago, Bar-le-Duc, 1880, in-8, p. 43-49.