Contes populaires d’Afrique (Basset)/67

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 165-169).
XXVIII. — SARMA[1]

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LE VÉRIDIQUE ET LE MENTEUR[2]


Deux hommes qui parcouraient le monde se rencontrèrent en route et résolurent de continuer ensemble leur voyage. Ils convinrent qu’un jour l’un, un jour l’autre, aurait soin de se procurer de la nourriture. De ces deux hommes, l’un aimait la vérité par dessus tout ; il ne mentait jamais, mais ne disait aux gens que la vérité. L’autre n’était pas sincère dans ses paroles : il ne disait que ce qui pouvait lui servir ou être agréable aux gens.

À la fin de la première journée de marche, ils arrivèrent à leur gite pour la nuit. Le menteur ne dit rien, mais le véridique parla beaucoup avec son hôte et sa famille. Il blâma le maître de la maison de ce que la hutte destinée aux étrangers n’était pas tenue propre, de ce que les étrangers n’étaient pas accueillis avec plus d’amitié et trouva à redire à ceci et à cela qui ne lui plaisait pas. Cela choqua le maître de la maison et ses gens.

Le soleil était couché ; il faisait sombre et dans leur hutte, les étrangers entendirent le maître de la maison et les siens manger leur souper. Ils s’attendaient à recevoir le leur ; mais ils attendirent en vain : on ne leur apporta rien, et ils durent aller se coucher avec la faim.

Le lendemain matin, ils continuèrent leur voyage.

— Aujourd’hui laisse-moi m’occuper des choses, dit le menteur, et tu verras que nous n’irons pas dormir de nouveau avec la faim.

Quand ils arrivèrent à leur gite, le menteur alla trouver aussitôt le roi pour le saluer. Il se vanta d’être un homme illustre et de pouvoir exécuter ce que personne n’avait jamais vu. Il demanda au roi de rassembler immédiatement le peuple pour lui communiquer ce qu’il était en état de faire. Quand le peuple fut réuni, le narrateur fit un discours : c’était un honneur pour la ville qu’il y fût descendu : le grand roi dans telle et telle ville l’avait invité à venir le trouver pour que lui, l’homme célèbre, délivrât par ses miracles le roi et ses sujets, de la maladie et de tous les maux. Non seulement il pouvait guérir toutes les maladies, mais il pouvait encore ressusciter les morts. Pourtant aujourd’hui, il était trop tard : il était fatigué du voyage ; mais, le lendemain, on devait se réunir de bonne heure à l’endroit où il ressusciterait les morte qui étaient décédés l’année précédente. Alors l’assemblée se dispersa.

À peine était-il de retour dans son habitation, que le roi le fit avertir, par un envoyé secret, qu’il pouvait ressusciter les autres morts, mais non pas son prédécesseur qui était mort depuis peu de temps ; en effet, si celui-ci revenait, lui-même perdrait le pouvoir. Vint ensuite une femme : elle avait perdu son mari qui l’avait constamment maltraitée ; elle s’était remariée la veille ; elle demandait de ressusciter les autres morts, mais pas son mari. Bien d’autres vinrent encore, voulant bien que le menteur ressuscitât les morts des autres, mais pas les leurs pour une raison quelconque.

Quand le soir fut venu, chacun de ceux qui voulait laisser son mort au tombeau envoya aux étrangers de grands plats remplis de nourriture de choix et de l’argent. Lorsque les voyageurs furent seuls, l’homme véridique fit des reproches au menteur sur ses mensonges, puisqu’il ne pouvait pas ressusciter un mort. L’autre ne fit que rire.

— Hier, dit-il, nous avons dû aller nous coucher avec la faim ; aujourd’hui, nous pourrions rassasier la ville entière avec les nombreux mets auxquels nous ne pouvons toucher.

Les gens attendirent le jour suivant avec curiosité. Lorsque tous furent réunis, le menteur se présenta et dit que, d’abord, il voulait ressusciter le roi défunt, car le roi était le premier dans le pays et la priorité lui revenait. Alors le roi régnant se leva : son prédécesseur avait régné longtemps ; tous les gens l’avaient aimé et lui souhaitaient le repos. Le défunt avait d’ailleurs dit lui-même qu’il désirait la mort ; l’étranger devait donc laisser le roi défunt dans son tombeau et ressusciter une autre personne.

— Vous avez entendu ce qu’a dit le roi, dit le menteur en s’adressant à l’assemblée ; quand le roi parle, il a toujours raison. Je laisserai le roi dans le tombeau et je ressusciterai une autre personne.

Alors il s’adressa à la femme qui avait perdu son mari et voulut le rendre à la vie. Mais elle n’y consentit pas. Il voulut ensuite ressusciter l’un après l’autre ceux dont les héritiers lui avaient demandé la veille de ne pas le faire ; mais pour chaque cas, il trouva de l’opposition.

— Vous voyez bien, dit-il à la fin, que je puis ressusciter les morts, mais les héritiers n’y consentent pas. Laissons tous les morts dans le tombeau.

Alors il s’en retourna à la maison et fut richement gratifié avant de continuer sa route avec son compagnon.



  1. Les Sarma ou Saberma habitent à l’est du Niger au sud du Sahara ; leur langue est apparentée à celle des Songhaï.
  2. Gottlob Adolf Krause, Beitræge zum Mærchenchatz der Afrikaner, Globus, t. LXXII, n° 16, Braunschweig, in-4o, p. 258-259.