Contes populaires d’Afrique (Basset)/155

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 407-410).

HUITIÈME PARTIE

LANGUES DE MADAGASCAR

XCII. — BETSILÉO[1]

155

LE HÉRISSON ET LE CHAT SAUVAGE[2]


Le hérisson et le chat sauvage accomplirent, dit-on, le serment du sang. Le chat sauvage invita ensuite son camarade à venir chez lui. Il s’y trouvait de nombreux morceaux de volailles dont les deux amis mangèrent ensemble. Le repas terminé et les deux convives rassasiés, le hérisson invita à son tour le chat sauvage. Mais au lieu de le conduire dans sa maison, il le mena dans une propriété particulière où se trouvaient beaucoup de citronniers. Voici mes fruits que je vous offre, dit le hérisson : montez sur l’arbre pour en manger.

— Montons ensemble, dit le chat sauvage.

— Je ne puis pas, répliqua le hérisson, mais grimpez sans crainte.

Le chat sauvage grimpa dans l’arbre. Le hérisson se mit alors à entourer le citronnier d’une ceinture de piquets pointus à l’extrémité supérieure.

— Que fais-tu là ? dit le chat sauvage.

— Je fais des pilons à riz pour nos enfants, dit le hérisson.

Quelques instants après, le hérisson se mit à crier :

— Quelqu’un arrive !

Le chat sauvage, entendant cela, sauta en bas de l’arbre, mais il tomba sur la pointe des bois qui entouraient le citronnier et se tua.

Le hérisson coupa la cuisse du chat sauvage, en porta les morceaux aux congénères du défunt et leur dit :

— Je vous invite chez moi ; un grand repas, parce que vous êtes de la même race que mon frère de sang, le chat sauvage. Voici votre part.

Les chats sauvages acceptèrent avec grand plaisir et remercièrent le hérisson de son hospitalité. Ils mangèrent la cuisse de leur infortuné camarade.

— Ô bouches courtes ! leur dit le hérisson railleur, vous mangez les os d’un des vôtres.

— Tuons-le, dirent les chats sauvages ; il nous a fait manger les os d’un des nôtres.

— Ne me tuez pas ici, ajouta le hérisson. Amenez-moi là-bas sur ce rocher. Les princes viennent s’amusera l’endroit où nous sommes ; il ne doit pas être souillé par un cadavre.

Les chats sauvages firent droit à cette requête et conduisirent le hérisson sur le rocher. Arrivé là, ce dernier disparut dans une fente qui partageait la pierre, d’où il leur cria :

— Eh ! bouches courtes, vous avez mangé les os de votre frère.

Les chats sauvages, impuissants à rattraper leur ennemi, étaient irrités encore davantage par ses railleries. À bout de moyens, chacun retourna chez soi.

Le hérisson, joyeux d’avoir, grâce à sa bonne étoile, échappé à la mort, gambadait de tous côtés. Depuis cette époque, le hérisson et le chat sauvage sont restés ennemis. Les dernières paroles que prononça le chat sauvage furent celles-ci :

— Gardez-vous des hérissons, ô mes enfants, mes descendants. Il nous a fait manger un de mes ancêtres. N’ayez pas de postérité, de peur qu’un sacrilège pareil ne se renouvelle.

Telle est la raison pour laquelle le hérisson et le chat sauvage sont ennemis.




  1. Les Betsiléo habitent le centre de Madagascar, au sud de l’Imérina.
  2. Ferrand, Contes populaires malgaches, Paris, E. Leroux, 1895, in-18, p. 20-22.