Contes populaires d’Afrique (Basset)/13

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 40-44).

BENI SAÏD

13

LE ROI ET LA SORCIÈRE[1]


Il y avait autrefois une sorcière. Un jour, elle se mit à mendier devant la maison du roi. La négresse du roi sortit et lui apporta une aumône. La vieille lui dit :

— Je voudrais parler à la reine.

— Attends, répondit la négresse, je vais la consulter.

Quand elle eut consulté sa maîtresse, celle-ci répondit :

— Fais-la entrer.

Quand la vieille fut entrée, elle se mit à pleurer.

— Pourquoi pleures-tu ? demanda la reine.

— Madame, de mon métier, je calcule la destinée ; j’ai fait ce calcul pour mon seigneur ; j’ai trouve qu’il a sept enfants et j’ai trouvé qu’il les tuera lui-même.

Après cela, la reine lui donna ce que Dieu lui donna. La vieille sortit.

La reine demeura l’esprit surpris : sa crainte devint de la stupéfaction ; son visage changea.

La mère du roi entra chez elle et lui dit :

— Ma fille, qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce qui te trouble ?

Elle appela un nègre et lui dit :

— Va dire à ton maître qu’il vienne tout de suite.

Le nègre partit, alla trouver son maître et lui dit :

— Viens dans ta maison ; il y a quelqu’un qui te demande tout de suite.

Le roi se leva et courut chez lui ; il trouva sa femme toute changée. Il lui demanda :

— Qu’as-tu ?

Elle lui répondit :

— Une vieille est venue et m’a dit : Le roi a sept fils ; ce sont des hommes ; ils mourront et ce sera lui la cause involontaire de leur mort.

Le roi dit :

— Les paroles ne sont que des mensonges. Je vais envoyer des chaouchs chercher a près la vieille partout où elle sera ; ils l’amèneront devant moi ; je cacherai quelque chose et je verrai si elle le trouvera.

Les chaouchs amenèrent la sorcière. Il cacha un anneau dans une gargoulette d’eau. Quand la vieille arriva, il lui dit :

— Tu sais tout, sorcière ?

— Oui, dit-elle, ô roi.

Il reprit :

— Cherche-moi une chose, si tu la trouves, je te donnerai une mesure d’argent.

La vieille répondit :

— Voici, je suis prête.

Elle se mit à calculer, puis elle dit au roi :

— Il te manque un anneau d’or.

— Oui, dis-moi qui l’a volé ?

— Personne ne te l’a volé : c’est toi qui te l’es volé toi-même.

— Si je me le suis volé, dis-moi où il est.

— Attends que j’examine.

Elle se mit à calculer et dit :

— Voilà ton anneau dans la gargoulette d’eau sur la fenêtre.

Le roi fut stupéfait de son intelligence ; il lui donna de l’argent et lui dit :

— Ce soir, ne passe pas la nuit dans mon pays.

La vieille s’en alla.

Quatre jours après qu’elle était partie, un autre roi vint attaquer celui-ci pour le chasser de son pays. Il dit aux principaux de son conseil :

— Décidez ce que nous ferons avec ce roi qui nous attaque.

Quelqu’un lui dit :

— Interroge la vieille femme pour qu’elle nous conseille.

Le roi envoya des gens chercher la sorcière. Quand ils furent sortis de la ville, ils trouvèrent un homme qui disait :

— Ne fais rien à Dieu, Dieu ne te fera rien.

Ils le saisirent et l’emmenèrent au roi. Celui-ci lui demanda :

— Que disais-tu ainsi ?

Il répondit :

— Ce que je disais est la vérité.

Le roi dit aux chaouchs :

— Mettez-le en prison jusqu’à demain.

Il ajouta après avoir réfléchi :

— J’éprouverai si tes paroles sont la vérité.

Il fit une galette de blé et y mit du poison. Le lendemain, il fit sortir l’homme de prison et lui dit :

— Prends pour toi cette galette ; tu partiras tout de suite ; je ne veux pas que tu restes ici ; si je te prends, je te couperai la tête.

Les fils du roi étaient partis à la chasse. Ils allèrent à une montagne loin de la ville et restèrent à chasser jusqu’à ce que la chaleur pesât sur leurs chevaux. Alors ils descendirent sous un arbre à l’ombre. L’un d’eux vit un homme qui marchait sur la route. Les fils du roi n’avaient pas emporté de quoi manger, ils avaient faim. Quand ils virent l’homme sur la route, ils remontèrent à cheval et arrivèrent sur lui. Ils lui dirent :

— As-tu du pain sur toi ?

— J’en ai ; ne fais rien à Dieu, il ne te fera rien.

Ils lui enlevèrent cette galette, s’en retournèrent à l’endroit où ils étaient et se la partagèrent. Chacun en donna un morceau à son lévrier. Quand ils eurent mangé de ce pain, ils moururent, eux et les lévriers, il ne resta que les chevaux et les armes.

Des voyageurs arrivèrent, se rendant à la ville du roi ; ils trouvèrent les chevaux seuls avec leurs selles et l’or. Ils se dirent entre eux :

— Ces chevaux sont ceux du roi.

Ils les lui amenèrent. Quand ils furent arrivés et quand il les vit, le roi se frappa le front et dit :

— Tous mes enfants sont morts ; ce que m’avait dit la vieille est arrivé.

Il fit monter à cheval tous ses gens pour chercher après ses enfants ; ils les trouvèrent tous morts et les rapportèrent sur des mulets. Quand ils furent tous arrivés, leur père poussa un seul cri et tomba mort.



  1. René Basset, Étude sur les dialectes berbères du Rif marocain. Paris, 1899, in-8o, p. 126-130.