Contes populaires d’Afrique (Basset)/12

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 33-39).
d) Berbère du Maroc.
I. — TAZEROUALT

12

HISTOIRE DE LA JEUNE FILLE QUI VOYAGEAIT AVEC LES GAZELLES[1]


Il était un homme qui avait un garçon et une fille. Un jour il voulut faire le pèlerinage ; il bâtit une maison, y fit une fenêtre et alla dire au moueddin :

— Par Dieu, voici de l’argent ; va chaque matin à cette fenêtre, demande à ma fille si elle a besoin de quelque chose et apporte-le-lui jusqu’à ce que je revienne du pèlerinage.

Là-dessus, le moueddin répondit :

— Bien.

Cet homme partit avec son fils. Un jour le moueddin devint amoureux de la jeune fille ; elle ne voulut pas de lui.

— Quand ton père reviendra, lui dit-il, j’inventerai un moyen pour qu’il te jette sur la route ou qu’il te tue.

Elle lui répondit :

— Tu feras ce que tu voudras.

— Bien, dit-il.

Le père revint du pèlerinage avec son fils. Le moueddin lui avait envoyé en route une lettre où il écrivait :

— Ta fille s’est moquée de toi et t’a déshonoré ; tu ne peux plus revenir ici ; tous les gens du village le savent.

Le père reçut cette lettre ; il la lut et le malheureux s’affligea. Il fit partir son fils avec cet ordre :

— Par Dieu, mon fils, va à la maison, applique une échelle, entre et dis à ta sœur de se mettre en route avec toi. Tu la conduiras dans le désert, tu l’égorgeras, tu m’apporteras ses vêtements et une gorgée de sang que je boirai pour refroidir ce qui est dans mon cœur.

Ce jeune homme répondit :

— Bien, mon père.

Il partit, arriva à la maison, prit une échelle et monta. Sa sœur se réjouit de le voir et lui dit :

— Salut sur toi, mon frère.

Il ne lui fit pas de réponse. Un peu après, il lui dit :

— Ton père m’a ordonné de t’emmener dans le désert pour t’égorger.

— Bien, mon frère, répondit-elle.

Elle s’apprêta et partit avec lui.

Il l’emmena dans le désert, lui enleva ses vêtements, la chassa dans la solitude en lui disant :

— Ma sœur, ne reviens jamais dans notre maison.

— Bien, mon frère, dit-elle.

La jeune fille partit dans le désert et le jeune homme s’en retourna. Il trouva un lièvre en chemin ; il le prit, l’égorgea, remplit une outre de son sang et le porta à son père : celui-ci le but. Ils partirent et rentrèrent dans leur pays, mais ils ne purent trouver quelqu’un qui tînt des propos sur la jeune fille.

À présent, revenons à elle.

Elle alla dans un désert où elle trouva des gazelles ; elle se joignit à elles, mangea de l’herbe avec elles ; ses cheveux poussèrent jusqu’à la couvrir complètement.

Nous allons maintenant parler d’un roi. Un jour il sortit avec ses amis pour chasser. Quand ils arrivèrent dans ce désert, ils firent lever les gazelles et virent la jeune fille au milieu d’elles. Quand ils l’eurent aperçue ils s’en retournèrent. Le roi fit faire cette proclamation :

— Qui peut m’amener la jeune fille qui est avec les gazelles ?

Un Juif vint lui dire :

— Seigneur, si cette jeune fille est un être humain, je te l’amènerai ; si elle est des génies, je ne pourrai rien faire.

Le roi répondit :

— Bien, Juif, va et pratique ton art.

Il alla remplir deux plats de couscouss : dans l’un il n’y avait pas de sel ; dans l’autre il y en avait. Il mit dans ce désert une assiette où brûlait du feu : il y plaça aussi les deux plats, puis il alla épier cette jeune fille. Celle-ci arriva et, trouvant de la nourriture et du feu, elle s’assit pour en manger. Elle ne toucha qu’au plat où il y avait du sel. Elle mangea jusqu’à ce qu’elle fui rassasiée et se chauffa à ce feu. Le Juif recommença cela pendant huit jours ; ensuite le feu affaiblit les genoux de la jeune fille ; des cavaliers arrivèrent, la prirent et l’amenèrent au roi. Celui-ci l’épousa et la noce dura huit jours.

Elle resta une année avec lui et mit au monde un fils. Il avait observé qu’elle ne parlait pas.

Il dit au Juif :

— Fais en sorte qu’elle parle.

— Bien, mon seigneur, dit le Juif.

Il alla trouver la jeune femme quand elle chantait à son fils dans le lit, prit l’enfant et fit mine de le lancer par la fenêtre. La femme s’élança et voulut crier : la boule qui était dans son gosier sortit ; elle parla. Le Juif se retira ; le roi arriva et fut joyeux : pendant sept jours, il fit des réjouissances parce que sa femme parlait.

Le temps se passa. Un jour le vizir entra chez cette femme et voulut l’aimer. Elle lui dit :

— Va-t’en !

Le vizir reprit :

— Aujourd’hui cela n’a pas lieu, mais le temps viendra.

— Ni maintenant, ni jamais, répliqua-t-elle.

Le vizir lui dit :

— Si tu ne veux pas, je tuerai ton fils.

— Je ne veux pas ; tue-le.

Il alla prendre cet enfant, le frappa contre la muraille, puis il sortit.

La femme se leva, revêtit ses effets et partit dans le désert. Elle marcha jusqu’à ce qu’elle arriva dans une solitude. Elle y trouva un berger qui faisait paître les brebis.

— Par Dieu, lui dit-elle, donne-moi cette brebis, je te donnerai cet anneau.

— Bien, dit le berger.

Elle prit la brebis, l’égorgea, enleva la peau du ventre, la lava, la mit sur sa tête et elle ressembla à une teigneuse. Quand elle arriva à une ville, elle loua une boutique, y établit une pâtisserie, changea ses vêtements pour des habits d’homme et vendit des gâteaux. Les gens la prenaient pour un homme.

Revenons maintenant à son père et à son frère. Le premier passa une année entière sans que personne lui parlât de sa fille soit en bien, soit en mal. Il demanda à son fils :

— Mon fils, as-tu tué ta sœur ou non ?

— Non, mon père, répondit-il ; je l’ai seulement chassée dans le désert.

Le père reprit :

— Mon fils, allons la chercher.

Ils marchèrent tant qu’ils arrivèrent à cette ville. Il y avait aussi le moueddin qui était arrivé dans cette ville, ainsi que le roi et le vizir, tous pour chercher cette femme. Dieu les fit s’y rencontrer. Ils entrèrent tous dans cette boutique. La femme leur dit :

— Par Dieu, je vous invite à passer la nuit chez moi ; vous êtes étrangers ; moi aussi je le suis, nous nous raconterons des histoires.

— Bien, dirent-ils ; et ils partirent de là.

Quand ils eurent fait la prière du soir, ils allèrent chez cette femme. Elle leur prépara un repas, leur apporta des gâteaux, leur fit du thé et leur dit :

— Qui de vous racontera une histoire ?

Ils répondirent :

— Que raconterons-nous ? Nous n’avons pas de récit à faire. Raconte-nous quelque chose, toi.

— Bien, dit-elle ; je vous raconterai une histoire amusante.

Alors elle leur fit le récit de tout ce qui lui était arrivé. Quand elle eut fini, elle ajouta :

— Voici mon père, voici mon frère, voici mon mari, voici le moueddin, voici le vizir qui a tué mon fils.

Alors elle dénoua sa chevelure et leur montra sa tête. Son mari la prit et l’embrassa, de même son père et son frère.

Le père de la jeune femme saisit le moueddin et l’égorgea ; le mari saisit le vizir et le tua.

Il emmena sa femme dans son pays. Le père devint son khalifah ; il fit une fête pendant sept jours. On me donna dans ce festin un peu de miel et de beurre, puis je les laissai pour venir ici.



  1. Stumme, Mærchen der Schluh’ von Tazerwalt, Leipzig, Hinrich éd., 1895, in-8, p. 4-6, 77-81.