Contes populaires d’Afrique (Basset)/11

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 30-33).
III. — MZABITE

11

LES DEUX FRÈRES, LA MARMITE ET LE BÂTON[1]


Il y avait deux frères : l’un était pauvre, l’autre avait du bien. Le premier avait quatre filles : le riche était sans enfants. Le pauvre coupait du bois qu’il vendait à la ville et apportait à ses enfants de quoi manger. Un jour, c’était jour de fête ; il n’avait chez lui rien à manger. Il partit couper du bois. Un jujubier sauvage lui dit :

— Que me veux-tu aujourd’hui ? C’est fête et j’invoque Dieu.

— J’ai faim, dit le bûcheron ; donne-moi de quoi manger, sinon je te coupe.

— Prends cette marmite, répondit le jujubier ; garde-la ; elle te nourrira jusqu’à ta mort. Quand tu voudras quelque chose, dis-le-lui ; elle te le donnera.

Le bûcheron emporta la marmite chez lui, la tourna par terre et lui dit :

— Donne-moi du bien.

— Voilà, dit-elle.

Il vit beaucoup d’argent et acheta des habits pour ses enfants. Une de ses filles alla chez son oncle et lui dit :

— Il y a chez nous une marmite remplie de richesses.

Le frère alla chez le bûcheron.

— Donne-moi la marmite que tu possèdes pour que je nourrisse mes hôtes.

— Je ne te la donnerai pas, car c’est elle qui fait vivre mes enfants.

— Si tu ne me la donnes pas, je te tue.

Le bûcheron eut peur, la lui donna et se mit à pleurer.

— Demeurez en paix, dit-il à ses enfants ; je vais errer dehors ; vous ne le saurez qu’à mon retour.

Il partit, resta dehors pendant trois mois sans revenir à la ville. La fête arriva, il alla au jujubier sauvage, apporta une hache tranchante et le frappa. Une femme en sortit, le salua et dit :

— Pourquoi n’es-tu pas rassasié ?

— Me voici, dit-il ; la marmite que tu m’as donnée m’a été prise par mon frère ; je n’ai pas pu l’en empêcher.

— Attends-moi ici, dit-elle ; puis elle rentra dans l’arbre et apporta un grand bâton. Quand tu seras près de la ville, tu t’arrêteras jusqu’à ce que les gens soient dans la mosquée ; alors lâche ton bâton et dis-lui :

— Prends mon droit à ceux qui m’ont lésé. Le bûcheron prit le bâton dans sa main et alla à la porte de la mosquée ; lorsque les gens sortirent de la prière, le bâton lui échappa et frappa tous les assistants sans exception. Chacun s’en retourna à la mosquée et les chefs dirent :

— L’injustice est descendue dans la ville ; Dieu pèse sur nous ; que celui qui a été lésé se présente ; nous lui rendrons son dû.

— Le propriétaire du bâton est à la porte de la mosquée et pleure, dit quelqu’un.

— Entre, lui dit-on ; indique-nous celui qui t’a pris ton bien.

— C’est mon frère qui m’a enlevé de force ma marmite.

— Demande ce que tu veux.

— Rendez-moi ma marmite et partagez la fortune de mon frère entre lui et moi, car j’ai des enfants et il n’en a pas.

On lui donna ce qu’il voulait, et l’on invoqua Dieu qui envoya une forte pluie parce que la justice avait triomphé.




  1. René Basset, Nouveaux Contes populaires berbères. Paris, 1897, in-18. E. Leroux, p. 93-95.