Contes populaires d’Afrique (Basset)/121

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 304-308).
LXIX. — RONGA[1]

121

LE LIÈVRE ET LA RAINETTE[2]


Il y avait une fois un roi qui s’appelait Maçinguéona-Ndjao. Il ordonna à tous les animaux de venir curer son puits. On appela aussi le lièvre, mais Sieur Lièvre refusa d’y aller.

Lorsqu’ils eurent achevé de nettoyer le puits, ils dirent au Lièvre :

— Puisque tu n’as pas voulu nous aider, tu ne puiseras pas non plus ton eau ici.

Il répondit :

— Mais non, je n’y puiserai pas ; je n’en ai nulle envie ; j’irai puiser ailleurs. Qu’est-ce que cela me fait ?

On posta la Gazelle auprès du puits en lui disant :

— Surveille bien ! si le Lièvre vient ici puiser de l’eau, tu l’attraperas et tu le feras prisonnier.

La Gazelle alla se poster.

Le Lièvre arriva sur les lieux tenant en main deux calebasses. L’une était pleine de miel ; l’autre était vide ; il comptait y mettre son eau. La Gazelle lui dit :

— Que viens-tu chercher par ici ?

Il répondit :

— Salut, belle dame !

Elle lui dit :

— Ne vas pas essayer de me tromper ! Tu es venu ici puiser l’eau du chef, alors que tu as refusé de nous aider.

Le Lièvre alla tremper une plume de poule dans le miel et il en enduisit la bouche de la Gazelle. Celle-ci de s’écrier :

— Tiens, c’est bon ! donne-m’en encore.

Sieur Lièvre lui dit :

— Oui, à condition que tu me laisses puiser mon eau.

La Gazelle répondit :

— Pour ça non, je ne te laisserai point !

Alors le Lièvre reprit :

— Eh bien, je t’en donnerai si tu me livres tes jambes de devant pour que je les attache un tout petit peu : c’est alors que tu jouiras du bon goût du miel plus que jamais !

La Gazelle se laissa prendre les jambes ; il la lia et alla puiser de l’eau. Il remua le puits, brouilla l’eau au point qu’elle devint comme de la boue. Puis il prit un bâton et se mit à batire la Gazelle Enfin, il partit en courant.

Sur ces entrefaites, l’Antilope arriva et dit à la Gazelle :

— Par qui donc as-tu été liée là ?

Elle répondit :

— J’ai été liée par le Lièvre.

— Comment donc ! tu as été vaincue par cette petite bête de rien ?

— Ce n’est pas une si petite bête, va ! Toi aussi il saura bien t’attacher, dit la Gazelle.

L’Antilope détacha la Gazelle ; elle resta près du puits pour monter la garde.

Un des jours suivants, Sieur Lièvre revint : il s’approcha et salua l’Antilope.

— Salut, belle dame !

L’Antilope répondit :

— Ne me trompes pas comme tu as fait pour la Gazelle que tu as liée l’autre jour.

Il répliqua :

— Mais je n’ai point l’idée de te jouer un tour, belle dame ! je viens simplement demander de l’eau.

L’Antilope chercha à le frapper de ses cornes. Lui trempa sa plume dans le miel et enduisit la bouche de l’Antilope. Celle-ci de s’écrier :

— Donne-m’en encore !

— Oui, mais si je ne t’attache pas les jambes, ce miel ne te causera aucune satisfaction.

L’Antilope lui présenta ses jambes. Il la lia, il ne lui donna pas une goutte de miel, mais la battit et lui dit :

— Je t’ai remise à la raison, hein ! C’est ainsi que je vous ferai à tous, les uns après les autres. Puis il sortit.

Le Buffle vint à son tour. Sieur Lièvre arriva et le salua :

— Salut, beau seigneur aux cornes brillantes, toi dont le visage dépasse en beauté celui de tous les autres seigneurs du monde.

Tandis que le Buffle tâchait de le transpercer de ses cornes, il sauta dans ses jambes et lui enduisit la bouche de miel. Au moyen de cette ruse, il arriva à le lier lui aussi.

Tous les animaux furent battus de la même façon. À l’Hippopotame, il administra une double volée. Il lui frappa le visage avec un bâton de cornouiller et il alla ensuite en chercher un de palétuvier.

Quand ils y eurent tous passé, la Rainette vint auprès du chef et lui dit :

— Comment se fait-il que vous ne réussissiez pas à attraper le Lièvre ? Je veux bien l’attraper, moi.

Elle s’en fut se plonger dans l’eau. Sieur Lièvre arriva au puits et vit qu’il n’y avait personne là.

— J’ai eu raison de tous, dit-il. Il n’y a plus personne pour m’empêcher de puiser mon eau.

Il entra dans le puits et remplit sa calebasse. Puis il y retourna pour s’y baigner.

Quand il se fut baigné, il se mit à remuer l’eau et à la troubler. La Rainette le saisit par une de ses pattes de derrière. Il chercha à se dégager. Elle lui prit une patte de devant et l’empoigna en même temps que celle de derrière. Il fit tous ses efforts pour s’en sortir. Mais la Rainette attrapa encore l’autre jambe de derrière : elle l’empoigna avec celle de devant. De cette façon, elle fit le Lièvre prisonnier. Elle emporta aussi ses calebasses et revint vers le chef.

Toutes les bêtes des champs se rassemblèrent alors pour exécuter le Lièvre. Il leur dit :

— Cela ne saurait se faire ainsi ; il faut que vous me mettiez sur le dos du fils du chef.

Ils y consentirent. Mais quand ils voulurent le tuer, il se sauva par un saut et partit en courant. Les autres se tuèrent après avoir tué le chef.



  1. Les Ba-Ronga habitent sur le territoire portugais, aux environs des baies Delagoa et Lourenço Marquez.
  2. Junod, Les Chants et les contes des Ba-Ronga. Lausanne, G. Bridel, 1897, in-12, p. 127-130.