Contes japonais/Poisson d’Avril
Poisson d’Avril
Yatsushiro, la belle fille du Hizen, est triste et songeuse. Son œil noir, perdu dans le ciel, se fixe sur l’au-delà, vers des cimes ou vers des rivages qu’elle ne connaît pas, dont elle n’a nulle idée, la pauvre mousmé ! Mais ce qu’elle voit bien, partout et toujours, c’est la chère image de son fiancé, Satzuki, beau comme le soleil de mai, et que la mer, la mer avide, a ravi à son amour, depuis bientôt trois lunes. Pourquoi reste-t-il si longtemps absent, l’intrépide pêcheur ? dans quelles contrées barbares l’a entraîné sa recherche favorite du namako ou du tara, chers aux tables délicates ?
La rude voix paternelle vient la tirer de sa contemplation.
« Que fais-tu là, indolente ? Ne devrais-tu pas être sur le fleuve, occupée à laver le linge et à le faire sécher, avant le repas du soir ».
Hélas ! il faut quitter le doux rêve ! Ne doit-on pas vivre, même lorsque meurent ceux qui vous sont chers ?
Et voilà Yatsushiro sur le fleuve bleu.
Mais sa pensée, de nouveau, s’en est allée ; ses yeux remplis de larmes ne voient pas le travail de ses mains, et ses idées fuient comme cette eau, qui heurte les flancs de son bateau et semble se reculer pour ne jamais revenir.
— « Où est-il, le vaillant Satzuki ? Ses bras nerveux, sa large poitrine l’auront tiré de bien des dangers ; de tels hommes ne peuvent mourir obscurément, au hasard d’un coup de vent ou d’un banc de corail que leur proue rencontre. Oh ! non, il reviendra ! »
Voilà qu’à ce moment un poisson gigantesque et d’une espèce inconnue se dresse devant la jeune fille et la regarde avec de grands yeux qui semblent vouloir parler, et ne pouvoir. Ce regard a une expression telle qu’il semble à Yatsushiro que ce poisson, venu de si loin sans doute, lui apporte des nouvelles de celui qu’elle attend.
Le poisson a évolué gracieusement ; puis de nouveau il revient vers la jeune fille et la fixe avec des yeux doux et tristes.
« Oh ! dis-moi, poisson, dis-moi, es-tu Satzuki le pêcheur, ou l’as-tu vu aux mers d’où tu viens ? Est-il encore sur son bateau chargé de butin, ou bien repose-t-il au fond de l’abîme ? Je me désespère et je pleure. Oh ! donne-moi un présage heureux, messager de mon bien-aimé ! »
Malheur ! le poisson a replongé et il a reparu de l’autre côté de la barque, à gauche, pour la regarder encore et s’enfuir. Funeste présage : Satzuki est mort !
Yatsushiro regagne le rivage à la hâte ; elle court en sanglotant, pieds nus, cheveux et vêtements flottants, vers la maison paternelle. Sur son passage, les femmes sortent des yé couverts de paille et la suivent des yeux avec sympathie :
« C’est Yatsushiro, la mousmé aux perles de corail ! Comme elle pleure ! Son fiancé est mort, sans doute ».
Et la pauvre court toujours, la tête vide, folle, vers sa mère qui seule peut essuyer ses larmes et, désormais, parler avec elle du cher mort.
Mais voilà que devant la porte, sous le prunier en fleurs, se tient son père avec un beau jeune homme.
« C’est toi, Satzuki ! s’écrie Yatsushiro en tombant dans ses bras, à demi pâmée, c’est toi ! Je te retrouve donc, et le mauvais poisson d’avril, l’uwozuhi, avait menti ! Ô mon bien-aimé ! ne me quitte plus. La mer est traîtresse, vois-tu, et ceux qu’elle tient n’ont plus que des pensées jalouses et des paroles trompeuses ! »