Contes indiens (Feer)/Récit/Introduction

(p. 5-28).

LES
TRENTE-DEUX RÉCITS
DU TRÔNE

INTRODUCTION


Il y avait dans la région du Midi une ville appelée Dhârâ. Non loin de cette ville, était situé un champ de grains appelé Sambandakar, dont le cultivateur avait nom Yajnadatta. Ce cultivateur, après avoir creusé un fossé aux quatre côtés du champ de grains, y fit pousser des arbres de diverses nature, des Çâla, des Tâla, des Tamâla, des Piyâla, des Hintala, des Vakula, des Amra, des Amrâtaka, des Campaka, des Açoka, des Kimçuka, des Vaka, des Guvâka, des Nârikela, des Nâyakeçar, des Mâdhavî, des Mâlatî, des Yuthî, des Jâtî, des Sevatî, des Kadalî, des Tagar, des Kunda, des Mallikâ, des Devadâru etc. ; il forma ainsi un parc et y fixa sa résidence.

Près de ce parc était une forêt épaisse et redoutable, d’où sortaient des éléphants, des tigres, des buffles, des rhinocéros, des singes, des sangliers, des lièvres, des ours, des daims et bien d’autres animaux, qui détruisaient chaque jour les plantations. Contrarié au plus haut degré par cet état de choses, Yajnadatta, pour garder ses plantations, établit un observatoire dans le champ et s’y installa de sa personne. Chaque fois qu’il était sur l’observatoire, pendant tout le temps qu’il y était, le cultivateur commandait, ordonnait, délibérait de la même façon qu’un roi des rois commande, ordonne, délibère. Une fois descendu de ce poste d’observation, il était comme un simple particulier.

Les voisins du cultivateur, ayant remarqué cette particularité, en furent étonnés et parlèrent ensemble de ce fait merveilleux. L’affaire s’ébruita par la conversation, tellement que Bhoja, le roi de la ville de Dhârâ, en entendit parler. Aussitôt, saisi de curiosité, il se rendit à cet observatoire, accompagné de ses conseillers, de ses officiers, de son armée, de son général en chef : après avoir vu de ses yeux le cas de ce cultivateur, il fit monter sur l’observatoire un de ses conseillers, en qui il avait une confiance extrême. Ce conseiller, pendant tout le temps qu’il fut sur l’observatoire, commanda, ordonna et délibéra à la façon d’un roi des rois. À cette vue, le roi surpris fit la réflexion que cette vertu n’était propre ni à l’observatoire, ni au cultivateur, ni au conseiller, mais qu’il y avait en ce lieu quelque objet étonnant par la puissance duquel le cultivateur se comportait comme un roi. Cette détermination faite, le grand roi, pour trouver l’objet, donna l’ordre de creuser en ce lieu. Dès que l’ordre fut reçu, la troupe des gens de service se mit à creuser : de ces fouilles sortit un trône en pierreries, divin, plein d’éclat, resplendissant de 32 figures, orné d’une foule de pierreries, de corail, de perles, de rubis, de diamants, de cristal, de jaspe, de saphir, de rubis. Tel était l’éclat de ce trône que le roi et les gens de sa suite ne furent pas capables de le regarder.

Ensuite, le roi, ravi de cette trouvaille, eut le désir de faire porter le trône dans sa résidence royale, et donna des ordres en conséquence à la troupe de ses serviteurs. Les ordres donnés, les serviteurs firent plusieurs tentatives pour enlever le trône ; mais le trône ne bougea pas de place. Une voix retentit alors dans les airs, disant : Ô Roi, donne diverses étoffes, des ornements et autres objets, rends un culte à ce trône, fais-lui des offrandes et des sacrifices ; alors le trône s’enlèvera. — Le roi, ayant entendu ces paroles, agit ainsi, et le trône s’enleva sans difficulté.

Ayant donc fait porter le trône dans sa ville royale appelée Dhârâ, il l’établit dans la salle du conseil ornée de colonnes en or, en argent, en corail, en cristal. Puis le désir lui vint de siéger sur ce trône ; il appela des savants, fit choisir un moment de bon augure, et donna aux gens de service l’ordre de faire tous les préparatifs du sacre. Dès qu’ils eurent reçu l’ordre, les serviteurs apportèrent du lait caillé, du durba, du santal, des fleurs, de l’akuru, du safran, de la bouse de vache, des parasols, des ombrelles, diverses queues, des queues de vache, des queues de paon, des flèches, des armes, des miroirs et autres objets qui sont dans les mains des femmes ayant mari et enfants, tout l’appareil propre à une fête solennelle, avec une peau de tigre bigarrée pour figurer la terre aux sept continents, en un mot l’appareil prescrit dans les Çâstras pour le sacre des rois, puis en informèrent Sa Majesté. Alors, quand le Guru, le Purohita, les Brahmanes, les savants, les conseillers, les chefs, les soldats, le général en chef furent entrés, l’auguste roi Bhoja s’approcha du trône, afin d’être sacré quand il y serait assis.

À ce moment, la première figure du trône s’adressa au roi en ces termes :

Ô roi, écoute ! Le roi qui est doué de qualités, extrêmement riche, extrêmement libéral, extrêmement compatissant, éminent par son héroïsme et sa bonté, porté par sa nature à des efforts de moralité, plein de force et de majesté, c’est ce roi seul qui est digne de s’asseoir sur ce trône ; un autre, un roi ordinaire, n’en est pas digne.

À ce discours, le roi répondit : Ô figure, il suffit qu’on me demande pour que, comprenant le devoir de donner, j’accorde immédiatement un lac et demi d’or : quel autre roi sur la terre m’est supérieur en libéralité ?

En entendant ces paroles, la figure sourit et dit : Ô roi, l’homme qui est grand ne fait pas lui-même l’éloge de ses propres qualités. Tu fais toi-même le commentaire de tes qualités ; à cause de cela, dans ma pensée, tu es très petit. L’homme grand est celui dont les qualités sont vantées par autrui. Quand on vante soi-même ses propres qualités, il n’en résulte rien de bon ; mais les gens en parlent comme d’une chose inconvenante : comme lorsqu’une jeune femme presse elle-même ses seins, il n’en résulte aucun plaisir ; mais les gens en parlent comme d’une chose inconvenante.

En entendant ce discours de la figure, le roi fut extrêmement confus ; il dit : Ô figure, ce trône, à qui était-il ? à quoi servait-il ? Raconte-moi cette histoire.

La figure reprit : Ô grand roi, écoute l’histoire du trône :

Dans une ville appelée Avantî était un roi nommé Bartrihari. À l’époque où il fut sacré, son frère cadet, appelé l’auguste Vikramâditya, ayant reçu un affront, quitta son propre pays et passa à l’étranger. L’auguste Bartrihari, depuis son sacre, veillait sur les créatures comme sur ses enfants et réprimait les méchants : voilà comment il gouvernait la terre. La dame qui partageait le trône du roi, appelée Anangasenâ, s’assujettissait complètement le roi par sa beauté et ses qualités. Or, il y avait dans cette ville un brahmane qui rendait un culte à Devî, la divinité du pays. Devî, satisfaite de ce culte, se présenta à lui et lui dit : Brahmane, demande ce que tu désires. Le brahmane, après lui avoir adressé humblement ses louanges, dit : « Ô Devî, si tu es bien disposée pour moi, rends-moi exempt de la vieillesse et de la mort ! » — À l’ouïe de ces paroles, Devî satisfaite donna un fruit au brahmane et lui dit : « Quand tu auras mangé ce fruit, tu seras affranchi de la vieillesse et de la mort. » Après lui avoir ainsi donné ce qu’il avait choisi, Devî disparut, et le brahmane s’en alla chez lui. Le lendemain, après avoir rempli tous ses devoirs, l’ablution, l’offrande, etc., comme il était sur le point de manger le fruit, il fit en lui-même cette réflexion : « Je ne suis qu’un mendiant excessivement pauvre ; à quoi bon prolonger la durée de ma vie ? Le roi Bartrihari est souverainement juste ; la prolongation de ses jours sera un bienfait pour une multitude de gens. » Ces réflexions faites, il se rendit dans le conseil du roi, lui adressa ses salutations, lui fit présent du fruit et lui en raconta en même temps l’histoire. Le roi, ayant reçu le fruit, fut rempli de joie, et accorda au brahmane plusieurs distinctions honorifiques ; puis ce brahmane s’en retourna chez soi. Le roi s’étant rendu dans l’appartement des femmes, donna à la Rânî des témoignages de son extrême bienveillance et lui remit le fruit ; en même temps, il lui en raconta l’histoire. La Rânî avait des relations avec le premier conseiller, si bien qu’elle lui raconta cette histoire et lui donna le fruit. Le premier conseiller était l’amant d’une courtisane ; il raconta aussi l’histoire à cette courtisane et lui donna le fruit. La courtisane, ayant reçu le fruit, prit la détermination suivante : « Si je donne ce fruit au roi Bartrîhari, j’obtiendrai d’abondantes richesses. » — Ayant pris ce parti, elle donna le fruit au roi.

Le roi, en recevant ce fruit, fut excessivement étonné : « Ce fruit, se dit-il, je l’avais donné à la Rânî ; d’où vient cette extrême affection de la Rânî pour une courtisane ? » Il fit donc des recherches, et apprit toute l’histoire. Incontinent il fut détaché des choses du monde et comprit tout ce qu’il y a de mauvais dans les biens extérieurs, tels que femmes, enfants, etc. « Cette femme que j’aimais plus que ma vie, pensa-t-il, je vois qu’elle n’avait pas d’attachement pour moi, elle était attachée à mon conseiller ; ce conseiller, de son côté, n’avait pas d’attachement pour la Rânî, il n’en avait que pour une courtisane ; la courtisane non plus n’avait pas d’attachement pour le conseiller ; la richesse était son unique passion. Ainsi l’affection qu’on a pour une femme, des enfants et autres choses de ce monde est une pure duperie. » — Après avoir fait toutes ces réflexions, le roi renonça à la royauté et s’en alla dans la forêt. Là il mangea le fruit donné par le dieu, puis resta plongé dans une profonde méditation. Le roi Bartrihari n’avait pas de postérité ; le royaume était privé de roi, l’épouvante causée par les voleurs et les malfaiteurs augmentait de jour en jour.

Un Vetâla nommé Agni faisait sa demeure en ce pays. Or, les conseillers, dans leur trouble extrême, avaient confié la garde du royaume à un enfant Xatrya doué de tous les signes de la royauté. Mais le jour où ils l’avaient installé roi du pays, ce même jour, à la tombée de la nuit, le Vetâla Agni arriva, fit périr le roi, puis s’en alla. C’est de cette façon que, chaque fois que les conseillers se réunissaient pour faire un roi, chaque fois le Vetâla Agni le faisait périr. Ainsi nul ne pouvait rester roi dans ce pays. Aussi la perversité des méchants devint telle que le pays dépérissait de jour en jour. Les conseillers se creusèrent la tête pour chercher les moyens de préserver le roi, mais ils ne réussirent pas à trouver un expédient pour le maintenir.

Un jour, les ministres assemblés étaient en séance occupés à délibérer quand l’auguste Vikramâditya, ayant pris un costume d’emprunt, entra dans la salle du conseil et dit aux ministres : « Pourquoi ce royaume est-il sans roi ? » — Les ministres répondirent : « Le roi est allé dans la forêt ; chaque fois que nous faisons un (nouveau) roi pour garder le royaume, le Vetâla Agni fait périr ce roi. » — Vikramâditya, ayant entendu ces paroles, reprit : « Faites-moi roi aujourd’hui. » Les ministres, voyant que Vikramâditya était un sujet digne de la royauté, dirent : « À partir d’aujourd’hui, Ton Excellence est roi du pays d’Avantî ; c’est en nous conformant à tes ordres que nous ferons nos propres affaires. » Devenu de cette façon roi du pays d’Avantî, Vikramâditya passa tout le jour à s’occuper (des affaires) de la royauté, à goûter les jouissances du bien-être ; à la nuit, il prépara, en vue du Vetâla Agni, diverses espèces de breuvages enivrants, de la viande, du poisson, des douceurs, du pain, du riz bouilli avec du miel et du sucre, des mets, des sauces, du lait caillé, du lait, du beurre clarifié, du beurre frais, du sandal, des guirlandes, des fleurs, diverses espèces de substances odorantes, etc. ; il garda tout cela dans sa maison, et lui-même resta chez lui, se tenant éveillé sur son meilleur lit.

Alors le Vetâla Agni entra dans cette maison, un glaive à la main, et s’efforça de tuer l’auguste Vikramâditya. Le roi lui dit : Vetâla Agni, écoute ! puisque Ton Excellence est venue pour me faire périr, il n’est pas douteux qu’elle y réussira ; mais tous ces mets que voici ont été réunis ici à ton intention ; mange tout, tu me feras périr ensuite. » Le Vetâla Agni, ayant entendu ces paroles, absorba tous les mets accumulés, et, satisfait du roi, lui dit : « je suis extrêmement (content et) bien disposé pour toi, je te donne ce pays d’Avantî ; sois au premier rang et goûte les jouissances ; seulement, prépare-moi tous les jours un repas semblable. » À ces mots, le Vetâla Agni quitta ce lieu pour retourner dans sa demeure.

Le matin, le roi, après avoir rempli ses devoirs, se rendit au conseil. En le voyant, les conseillers et autres se dirent en eux-mêmes : « Puisqu’il a pu échapper au Vetâla Agni, ce sera assurément un grand homme. » Ayant donc fait cette réflexion dans leur esprit, ils témoignèrent au roi un grand respect, se montrèrent pleins d’attention (pour lui), puis se livrèrent à leurs occupations respectives.

Le roi, ayant, par crainte et par amour, rendu ses ministres et les autres dociles à ses ordres, accomplissait l’œuvre de la royauté conformément au code politique et pénal[1]. Chaque jour, à la nuit, il offrait le repas comme précédemment au Vetâla Agni. Mais ensuite, il se rendit maître du Vetâla Agni par le moyen suivant :

Un jour, à la nuit, le Vetâla Agni, après avoir mangé, fut très satisfait et ne s’en alla pas. Le roi lui posa alors cette question : « Ô Vetâla, qu’est-ce que tu es capable de faire ? que sais-tu ? » — Le Vetâla répondit : « Ce que j’ai dans l’esprit, je suis capable de l’exécuter ; je connais tout. » — Le roi reprit : « Parle, regarde : Quelle est la durée de ma vie ? » — Le Vetâla répondit : « Ton âge est d’une centaine d’années. » — Le roi reprit : « Dans ma vie, il s’est rencontré deux lacunes ; ce qui n’est pas bien ; en conséquence, accorde-moi une année en plus des cent ans, ou retranche des cent une année. » — Le Vetâla répondit : « Ô roi, tu es au plus haut degré, bon, libéral, compatissant, juste, vainqueur de tes sens, honoré des dieux et des Brahmanes : (la mesure des) jouissances qui doivent remplir ta vie est comble ; il n’est pas possible d’y ajouter ou d’en retrancher quelque chose. » — En entendant ces paroles, le roi fut satisfait ; et le Vetâla s’en retourna dans sa demeure.

Après cela, le roi ne fit point, à la nuit, les préparatifs du festin pour le Vetâla, mais il se tint prêt pour le combat. Le Vetâla arriva, et, ne voyant rien de préparé pour le repas, voyant au contraire les dispositions prises par le roi pour le combat, il se fâcha et dit : « Fi ! roi pervers, pourquoi ne m’as-tu rien préparé à manger aujourd’hui ? » — Le roi répondit : « Puisque tu n’es pas capable d’ajouter à la durée de ma vie ou d’en retrancher, pourquoi te préparerais-je un repas continuellement et sans profit ? » — Le Vetâla repartit : « Oh ! oh ! c’est ainsi que tu parles ! Viens maintenant ; combats avec moi : c’est aujourd’hui que je te mangerai. » — À ces mots, le roi en colère se leva pour combattre et engagea avec le Vetâla une lutte variée qui dura quelques instants. Le Vetâla, s’étant rendu compte de la force et de l’héroïsme du roi dans le combat, fut satisfait et dit ; « Ô roi, tu es très fort, je suis content de ton héroïsme dans le combat, choisis ce que tu veux me demander. » — Le roi répliqua : « Puisque tu es bien disposé envers moi, accorde-moi donc cette faveur que, dès que je t’appellerai, tu arriveras près de moi. » — Le Vetâla accorda ce don au roi et s’en alla dans sa demeure.

Le lendemain matin, les conseillers apprirent cette histoire de la bouche du roi ; puis, s’étant bien rendu compte de ce qu’il était, ils réunirent une grande assemblée solennelle et procédèrent au sacre du roi. Le monarque ainsi sacré goûtait les jouissances de la royauté sans (en sentir) les épines.

Sur ces entrefaites, un jour, un yogî vint et dit au roi : Ô grand roi, si tu veux bien ne pas repousser brutalement ma demande, j’ai une requête à te présenter. Le roi répondit : Ô yogî, désires-tu toutes les richesses que je possède et même ma vie ? Que ton désir soit rempli ; je ferai tout ce que tu veux. — Le yogî reprit : J’ai certaines cérémonies funèbres à accomplir ; sois mon assistant ! — Le roi accepta. Alors le yogî, le prenant avec soi, se rendit au cimetière. Quand ils y furent arrivés, le yogî dit : Ô roi, à deux Kroça d’ici, il y a, dans un arbre Çinçapa, un mort attaché ; apporte-le-moi promptement. — Après avoir ainsi chargé le roi d’apporter le cadavre, il se tint à l’est du cimetière sur le bord de la rivière Gharghâ, murmurant des mantras à l’autel de l’auguste (déesse) Kâlikâ. Le roi, arrivé près du Çinçapa, monta sur l’arbre et coupa avec un glaive les liens du cadavre qui tomba sur le sol. À peine le roi était-il descendu que le cadavre, montant sur l’arbre, se retrouva dans la même position qu’auparavant. Le roi, quelque peu étonné, remonta sur l’arbre, prit le cadavre et descendit.

En cet instant, le Vetâla Agni, connaissant l’infortune du roi, se présenta devant lui et lui fit 25 récits qui dissipèrent sa fatigue. (Le détail de ces 25 récits se trouve dans le Vetâlapancavimçati). — (Après quoi le Vetâla) dit : « Ô grand roi, ce yogî est un grand magicien ; il t’a amené parce qu’il sait que tu es un homme supérieur, dans l’espoir de t’offrir en sacrifice pour gagner l’homme d’or. Sois donc bien sur tes gardes. Lorsque ce yogî te dira de faire quelque chose, songe que, si tu aides les méchants, cela ne te tournera pas à bien. »

Ce discours étonna le roi et le porta à faire les réflexions suivantes : ce yogî a abandonné femme, enfants, etc., et s’est fait ermite ; moi, roi du pays, je suis le protecteur de plus d’une personne ; il a le dessein de m’offrir un sacrifice pour gagner l’homme d’or. La richesse est son but suprême, le reste, pour lui, n’est rien. Ce méchant yogî, pour réaliser son seul bien-être, est prêt à causer des maux infinis à une foule de gens et n’hésite pas à se lancer dans les mauvaises actions. C’est ainsi que les fous, poussés par la convoitise, font le mal pendant toute une existence en vue d’un avantage quelconque ; après quoi, recueillant le fruit du mal, ils endurent, pendant plus de mille naissances, diverses espèces de douleurs. Les méchants auraient beau être plongés dans une mer de pureté, ils ne renonceraient pas à leur méchanceté ; de même que les serpents qui boivent constamment du lait dans la mer de lait, ne vomissent jamais l’amrita et ne lancent que leur venin. Toutefois, comme le venin du serpent peut être dompté par des Mantras et de grandes Aushadhis, ainsi, en conformant leur conduite aux prescriptions des livres de morale (Nîti-çâstra), les méchants peuvent diminuer leur méchanceté. Mais ce yogî est d’une méchanceté extrême ; le devoir d’un roi est de le tuer. — Cette détermination prise, il s’élança, le glaive à la main, et trancha la tête du yogî. À peine cette tête fut-elle coupée qu’un homme d’or apparut, loua la majesté du roi et ne cessa depuis de manifester envers lui de bonnes dispositions.

Le roi radieux, transporté de joie, prit l’homme d’or et se rendit dans sa résidence royale ; par la faveur de l’homme d’or, il devint aussi riche que Kuvera, et se livra à toutes sortes de jouissances et de plaisirs.

Dans ces circonstances, un brahmane appelé Siddhasena, venu du pays de Kanyakubja, se présenta devant le conseil du roi, et, après avoir salué sa majesté, dit : « Ô roi, la fortune est une femme. Si la haute fortune que tu possèdes vient de toi, alors c’est ta fille ; si elle vient de ton père, alors c’est ta sœur ; si tu la tiens de quelque autre, alors c’est la femme d’autrui. Réfléchis donc bien à ceci : songe que la haute fortune n’est jamais compatible avec les jouissances. Aussi les gens de bien, quand ils ont obtenu une haute fortune, font des libéralités. Tu es un homme de bien, il te convient de faire des dons. » — Le roi, ayant entendu ces paroles de la bouche du brahmane, fit les réflexions suivantes : « Habiter un grand palais, monter des éléphants divins et d’excellents chevaux, bien plus, jouir de beautés comme on n’en a pas vu encore, cela n’est pas d’un grand homme. Ceux qui, considérant leurs propres richesses comme si elles n’étaient pas à eux, renoncent à l’égoïsme et font don de leurs richesses, ceux-là sont les grands hommes et obtiennent des éloges. » — Cette idée s’étant bien fixée dans son esprit, il se mit à faire constamment des dons ; sur toute la surface de la terre, il n’y avait plus de pauvres, et la bonne réputation du roi allait jusqu’au monde des dieux.

Le roi des dieux est Indra ; dans son conseil, les divinités célébraient toujours la gloire de l’auguste Vikramâditya. Indra fut excessivement content et dit : « Dans le monde des hommes, l’auguste Vikramâditya est la perle des rois, comme je (le suis des dieux). En conséquence, bien disposé comme je le suis pour Vikramâditya, je lui donne mon trône de pierreries auquel sont adaptées trente-deux figures. Hé ! divinité du vent, va le lui donner. » — Conformément à l’ordre d’Indra, la déité du vent, avec la vitesse qui lui appartient, apporta le trône au milieu du conseil du roi et le lui offrit. L’auguste Vikramâditya, après avoir reçu le trône, fut sacré au milieu d’une grande assemblée et s’assit sur le trône. Lorsqu’il siégeait sur ce trône, alors les attributs d’Indra, l’héroïsme, l’énergie, la fermeté, la profondeur, la sévérité, l’activité, l’intelligence, la science appartenaient à l’auguste Vikramâditya. Alors le roi se dit : « C’est en faisant des largesses par le conseil du brahmane Siddhasena que j’ai obtenu ce siège divin. » — Cette réflexion le remplit de bienveillance à l’égard du brahmane Siddhasena, et il en fit un membre de son conseil, le chef des Pandits.

Le roi, dans son conseil, recevait chaque jour des centaines d’hommes versés dans le Veda, des docteurs du Vedanta, du Mimamsa, du Tarkiya, des partisans du système Sankhya, de celui de Patanjali, du Vaiçeshika, des adhérents du Kalpavyâkarana, du Nirukta, du Jyotisha, de la Smriti, et avec eux des acteurs, des actrices, richement parés, des hommes qui connaissaient divers çâstras, le code politique, le code pénal, les livres de médecine, etc., l’auguste Kalidâça, Vararuci, Bhavabhûti, Xapanaka, Amarasimha, Çanku, Vetâlabhatta, Ghatakapûri, Varâha, Mihir, Dhanvantir, etc. En compagnie de ce cortège de savants, le roi goûtait les poèmes divers composés en conformité des divers Çâstras et savourait dans un bonheur parfait les douceurs de la royauté.

La première figure ajouta : « Hé ! roi Bhoja, n’as-tu pas été en doute pendant tout ce discours ? La terre féconde en joyaux n’est nullement difficile à acquérir pour un homme qui sait employer la force de la loi, savoir : les mortifications, le murmure des prières, le don, la science. Il y a plusieurs formes de récits sur la gloire et l’éclat de l’auguste Vikramâditya ; on n’en connaît pas le nombre. Voici comment s’acheva sa vie dont la durée fut de cent ans sans la moindre diminution :

Se rappelant le discours du Vetâla, quand il vit venir le moment de sa mort, il fit la réflexion suivante : « Ce qui répond à la naissance du Xatrya, c’est la mort dans le combat ; par elle, il obtient aisément le Svarga. » — Là-dessus, il forma le désir de combattre avec le roi appelé Çâlivâhana de la ville de Pratishthâna, et donna à ses conseillers l’ordre de préparer une armée. Les conseillers, ayant reçu l’ordre, rassemblèrent mille chars, dix mille éléphants, cent mille chevaux, un million de chameaux, dix millions de chevaux, cent millions d’archers, une multitude d’archers, une multitude d’engins de feu, un billion d’hommes armés d’épées et de cuirasses, des centaines de fouets, carquois, flèches, arcs, boucliers, épées, glaives, barshâ, dagues, haches, mousquets, canons et toutes sortes d’engins et d’armes. Il rassembla aussi des cordes, des bâtons, des tentes, des toiles, des abris, des couvertures, des pieux, des étendards ; il accumula des tambours, des tambours de victoire, de grands tambours, des tambours, des tambourins, des tambours, des flûtes, de grandes trompettes, des trompettes tûrî et naphirî, des cors guerriers, des cors de victoire, de petits tambours, des cymbales et autres instruments de musique. Les conseillers, après avoir fait leur œuvre conformément aux ordres du roi, en informèrent le monarque.

Le roi Vikramâditya monta sur un char excellent, orné de pierreries et tout attelé : puis, entouré d’une armée à quatre corps, partit pour combattre avec le roi Çâlivâhana. Quand il fut arrivé sur le champ de bataille, il engagea une action des plus terribles, et, dans un combat face à face, frappé de la main du roi Çâlivâhana, le roi Vikramâditya quitta la vie et s’en alla dans le monde du Svarga. Le pays d’Avantî se trouva sans roi, la fortune royale sans protecteur.

À la nouvelle de la mort du roi, la première épouse consola les conseillers et leur dit : « Ne soyez pas troublés ; je suis enceinte, j’aurai nécessairement un fils qui sera roi et vous gardera. » — En effet, peu de temps après, la reine donna naissance à un fils qu’elle confia aux conseillers ; elle-même entra dans le feu et goûta avec le roi Vikramâditya les jouissances du bonheur suprême.

« Vikramasena, fils du roi Vikramâditya, ayant été sacré dans la royauté, protégea les créatures comme (avait fait son père), mais ne s’assit pas sur le trône donné par Indra[2]. Et depuis, roi Bhoja, sache-le bien, nul ne s’est assis sur le trône suprême. Car une voix aérienne se fit entendre, disant : « Sur la surface de la terre, nul n’est digne de s’asseoir sur le trône. Faites donc une excavation dans un lieu pur pour l’y enterrer et l’y garder. » Les ministres, ayant entendu ces paroles, enterrèrent le trône et le gardèrent. »

La figure ajouta : « Écoute, grand roi, ce trône-là, c’est celui que tu as découvert. »


Séparateur

  1. Nîti-çâstra (livre de la politique ou de la morale) et Danda-çâstra (livre du châtiment).
  2. La version bengalie met ici un titre : Récit de la première figure ; nous avons cru devoir couper autrement.