Contes indiens (Feer)/Récit/27

(p. 179-182).

RÉCIT DE LA 27e FIGURE



La vingt-septième figure empêcha l’auguste roi Bhoja de monter sur le trône en lui disant : « Eh ! roi Bhoja, ce trône était à Vikramâditya ; écoute les qualités de ce roi :

« Un jour, l’auguste Vikramâditya se promenait dans le pays. Sur le chemin, un voyageur l’apercevant lui dit : Eh ! grand roi, il y a à l’Orient une ville appelée Vetâlapura, dans laquelle se trouve une divinité qui a nom Çonitapriyâ : chaque jour, sur l’autel de cette divinité, se fait l’offrande d’un homme. En suivant toujours ce chemin, nous atteignîmes cette localité. Les gens du roi de ce pays s’emparèrent de nous et nous mirent en prison dans l’intention de nous sacrifier : mais nous sommes dans la force de l’âge ; nous trouvâmes le moyen de nous échapper et de sauver notre vie.

« À l’ouïe de ce discours, la curiosité du roi fut éveillée ; il se rendit à Vetâlapura, se proposant de voir cette divinité. Quand il fut en présence des gens du roi de ce pays, il leur fit une instruction sur la loi : — Messieurs, leur dit-il, j’ignore en vertu de quelle loi vous offrez pour votre bien-être à la divinité le sacrifice d’une grande créature, d’un homme. Pendant combien de jours le bien-être résultant de cette fête et de cette offrande vous procurera-t-il des jouissances dans le Samsâra ? Vous ne savez pas quelles souffrances vous attendent pour longtemps dans le Naraka à cause du péché de cette fête où l’on fait du mal à une grande créature. Quant à cette déité, quelque don qu’elle vous fasse pour vous témoigner son contentement du mal que vous avez fait à un homme, malheur à la divinité de cette déité qui accepte un sacrifice humain !

« Après avoir ainsi blâmé les gens du pays pour les corriger, il s’avança vers l’autel de cette divinité, et il vit qu’un prédicateur, après avoir baigné un homme, l’avoir orné d’habits rouges, de sandales rouges, de guirlandes rouges, l’amenait comme pour le sacrifier. En voyant ces gens, l’auguste Vikramâditya s’écria : Fi ! méchants et pervers que vous êtes, lâchez cet homme à l’instant ; il est anéanti par la crainte de la mort. S’il vous faut absolument une victime humaine à sacrifier, je m’offre librement moi-même en victime ; mais jamais il ne pourra arriver que, en ma présence, un homme éperdu par la crainte de la mort soit livré comme victime pour le Naraka.

« En entendant parler le roi, ces gens furent extrêmement surpris et dirent : Ô grand être, tu es un homme fidèle au devoir jusqu’à l’excès ; on ne voit pas d’homme comme toi, qui, pour sauver la vie d’un individu avec lequel tu n’as aucun lien de parenté, t’efforces de renoncer à la tienne et n’en fais pas plus de compte que d’un brin d’herbe. Quand la maison brûle, le riche qui possède divers biens acquis au prix de beaucoup d’efforts douloureux, la femme belle et fidèle à son mari, le pandit, l’homme du devoir abandonnent leurs enfants et tout ce qu’ils ont de plus cher ; ils prennent la fuite pour garantir leur propre vie. Toi, pour sauver un étranger dont tu ne connais ni le pays, ni les mœurs, ni la famille, tu es prêt à renoncer à la vie à laquelle on tient (généralement) à l’excès ! il est difficile de trouver un homme semblable à toi pour l’empressement à secourir les autres.

« Après avoir adressé au roi ces paroles, ils coupèrent les liens de l’homme amené pour le sacrifice et le lui remirent. Constamment préoccupé de la pensée de faire ce qu’il fallait, l’auguste Vikramâditya saisit son glaive et se préparait à s’immoler, quand, à l’instant, la déesse apaisée dit au roi ; Hé ! grand roi, je suis contente ; demande ce que tu veux choisir. — Le roi répondit : Hé ! déesse, si tu es satisfaite, accorde-moi ce don de mon choix : exauce le désir qui fait venir ces gens ici pour un sacrifice, et, à partir d’aujourd’hui, n’accepte plus aucun sacrifice humain. Accorde-moi ces deux choses. — Qu’ainsi soit, répondit la déesse ; et, à dater de ce jour, aucun sacrifice humain ne lui fut plus offert. »

L’auguste roi Bhoja, ayant entendu ce discours de la vingt-septième figure, renonça ce jour-là encore.